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Date : 20050708

Dossier : IMM-7390-04

Référence : 2005 CF 932

Québec (Québec), le 8 juillet 2005

Présent :        Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                               Arjan GJERMIZA

                                                            Marjana GJERMIZA

                                                            Klaudio GJERMIZA

                                                             Jurgen GJERMIZA

                                                                                                                                    demandeurs

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 27 juillet 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui ne reconnaissait pas à M. Arjan Gjermiza (le demandeur), à sa femme et ses deux fils (collectivement, les demandeurs), ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).


FAITS PERTINENTS

[2]                Les demandeurs sont tous citoyens de l'Albanie et déclarent avoir une crainte bien fondée de persécution vu l'appartenance du demandeur au Parti démocratique. Le demandeur principal allègue que l'ancien régime communiste aurait fusillé son grand-père. Son père aurait été emprisonné pour cinq ans pour agitation et propagande. Lui-même aurait commencé à participer à des manifestations contre le régime communiste en 1990.

[3]                Le demandeur est devenu membre officiel du Parti démocratique en 1995 et le 15 mai 1997, aurait participé à une manifestation à Petrele qui a été perturbée par des membres du Parti socialiste. Le demandeur a donc utilisé son minibus pour éloigner les gens du Parti démocratique du danger. Cependant, il aurait été arrêté en route et battu par quatre hommes armés le traitant de « petit chien du Parti démocratique » .

[4]                Bien qu'il se soit senti en danger le 14 septembre 1998, il a participé à une manifestation à la mémoire du député Hajdari. Le lendemain de la manifestation, des policiers se sont rendus chez lui pour l'arrêter, l'ont conduit au poste de police et l'ont battu.

[5]                Le 22 mars 2000, le demandeur a encore participé à une manifestation, et le même soir, il y eut des tirs d'armes contre son domicile. Le 20 juin 2001, alors qu'il transportait du matériel dans son minibus pour une manifestation le lendemain, il fut arrêté par la police et battu pendant deux jours, en étant menacé et averti de ne plus s'impliquer dans les activités du Parti démocratique.

[6]                Le 23 septembre 2003, en sortant d'une réunion du Parti démocratique, il y eut une tentative d'assassinat contre le demandeur. Il ne fut pas blessé, mais un collègue aurait reçu une balle à la cuisse. Le demandeur est donc parti se réfugier chez des amis avant de fuir quelques jours plus tard à Kukës. Durant cette période, les policiers se seraient rendus chez lui plusieurs fois pour demander à sa femme où il était.

[7]                Le 28 octobre 2003, les demandeurs auraient quitté l'Albanie pour arriver au Canada le 31 octobre 2003.

QUESTION EN LITIGE

[8]                La Commission a-t-elle commis une faute manifestement déraisonnable en déterminant que les demandeurs étaient non crédibles?


ANALYSE

[9]                Dans le présent cas, les demandeurs allèguent une erreur de la part de la Commission dans l'évaluation de leur crédibilité, la norme de contrôle applicable est celle de l'erreur manifestement déraisonnable (Singh c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 1283; Kabeya c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. no 106; Sivagurunathan c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 1905; Botros c. Canada (MCI), [2002] A.C.F. no 1773). Les demandeurs ont donc un lourd fardeau.

[10]            Les demandeurs ont indiqué à plusieurs reprises qu'ils avaient l'intention de quitter l'Albanie suite aux incidents du 14 septembre 2003. Or, la Commission a trouvé curieux le fait qu'une demande de passeports ait été présentée au début du mois de septembre et a conclu que les demandeurs avaient donc l'intention de quitter l'Albanie même avant le 14 septembre 2003.

[11]            Invités à expliquer cette situation, les demandeurs ont indiqué qu'il s'agissait simplement d'une coïncidence et qu'ils avaient décidé de faire une demande de passeports (pour le mari et la femme mais non pas pour les enfants) simplement pour pouvoir les utiliser comme pièces d'identité. Or, dans les notes de l'agent d'immigration, à la page 3, l'agente pose la question :


Q : Pourquoi vous n'avez pas demandé de passeports pour les enfants?

R : Parce que la procédure aurait [été] plus longue et nos plans étaient déjà fait [sic ] pour notre départ.

(Notes de l'agent d'immigration du 24 novembre 2003 à la page 143 du dossier)

[12]            Les demandeurs avaient donc l'intention de quitter l'Albanie bien avant les événements du 14 septembre 2003. La Commission doutait de la crédibilité des demandeurs, étant donné qu'ils voulaient quitter le pays avant le début d'une série d'événements que le demandeur allègue l'avoir forcé à quitter son pays. La Commission a donc conclu que les demandeurs avaient l'intention de quitter l'Albanie avant le prétendu incident de la mi-septembre 2003 et je ne suis pas convaincu que cette conclusion soit manifestement déraisonnable.

[13]            Dans son formulaire sur les renseignements personnels et dans son témoignage, le demandeur allègue être allé à Kukës pour six semaines, afin de se cacher de la police et du Parti socialiste qui le recherchaient. Par contre, ceci n'a jamais été mentionné dans les documents que le demandeur a remplis au point d'entrée. En soi, cette omission n'était pas grave, mais l'explication fournie par le demandeur était contradictoire et la Commission n'a donc pas cru à l'histoire du demandeur.


[14]            Le demandeur a d'abord déclaré qu'il avait mentionné son séjour à Kukës à la personne qui l'a aidé à remplir les documents, mais que celle-ci a omis de le mentionner. Par contre, un peu plus tard dans son témoignage, le demandeur indique qu'il ne croyait pas important de mentionner son séjour à Kukës et donc, a omis de le mentionner dans les documents initiaux :

Q : Pourquoi ç'avait pas [son séjour à Kukës] été mentionné la première fois, le 21 novembre?

R : Ça c'est la personne qui m'a interrogé la première fois n'a pas posé les questions comme exactes, comme¼

- Oui, mais¼ OK.

R : Quand j'ai fait le Formulaire de renseignements personnels, je l'ai fait avec un interprète qui savait les questions (inaudible).

- Oui, mais c'est¼ Vous dites qu'ils ont fait une erreur.

Q : Quelle erreur qu'ils ont faite?

R : Moi que j'étais à Kukës, que j'ai mentionné à l'interview que j'ai donné à l'Immigration. Moi j'ai dit avant de remplir le Formulaire que j'étais à Kukës. S'il est mentionné, s'il y a une erreur quand ils ont rempli le¼

Q : Pardon?

R : Il y a une erreur quand ils ont rempli le Formulaire.

(¼)

Q : Et savez-vous qu'est-ce que vous croyez avoir mal compris dans les adresses que vous aviez dans les dix (10) dernières années?

R : Quand il dit adresse, moi je donne l'adresse où j'habitais. Moi j'ai pas pensé de mentionner où j'étais caché comme adresse.

- Monsieur, ne dites pas ça, parce que vous l'avez écrit plus loin que vous avez, que vous étiez à Kukës. Regardez dans votre Formulaire de renseignements personnels.

R : Ça je l'ai fait avec une interprète.

Q : Bon, Monsieur, c'est ça que je vous dis. Vous l'avez dit. Il faut pas dire que vous n'avez pas mentionné où vous étiez caché, vous l'avez écrit. Alors si vous avez une autre explication, donnez-la, mais je ne crois pas que ce soit une explication.

(Procès-verbal du 30 avril 2004, aux pages 402, 403 et 406 du dossier)


[15]            La Commission a conclu que l'histoire du demandeur à savoir qu'il avait séjourné à Kukës n'était pas crédible, vu le manque de preuve à cet effet, et vu le fait qu'il se contredisait en expliquant pourquoi il avait omis de mentionner ceci dans les documents qu'il a remplis au point d'entrée.

[16]            Les arguments du demandeur n'apportent aucune explication valable aux yeux de la Commission à l'encontre du fait que le demandeur n'a pas indiqué dans sa demande initiale qu'il était parti se cacher à Kukës pour six semaines et donc, le rejet de cette allégation par la Commission n'est pas manifestement déraisonnable.

[17]            Le demandeur a témoigné qu'il avait été détenu à trois reprises, mais a omis de mentionner ces trois événements dans son formulaire sur les renseignements généraux. Invité à expliquer cette omission, le demandeur allègue que le mot « détention » pour lui signifiait une incarcération suivant une condamnation. Cet argument doit être rejeté car la question se lit « Have you ever been detained or put in jail? » , et demande donc d'indiquer plus que seulement les incarcérations suite à une condamnation. Comme l'a été dit par mon collègue le juge Pinard dans l'affaire Bobic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1488, [2004] A.C.F. no 1869 au paragraphe 5 :

Deuxièmement, le demandeur soutient dans son FRP qu'il a été détenu par la police, alors que les notes PDE ne mentionnent pas cette détention. La Commission a pris une décision raisonnable en n'acceptant pas l'explication du demandeur qui dit avoir compris qu'on lui demandait dans les notes PDE s'il avait été détenu légalement, puisque la question donne deux options : détention et/ou prison.

[18]            Donc, en concluant que la crédibilité du demandeur était mise en doute suite à l'omission d'indiquer qu'il avait été détenu à plusieurs reprises, la Commission n'a commis aucune faute manifestement déraisonnable.

[19]            Pour ce qui est de la preuve documentaire, j'indiquerai premièrement que la Cour d'appel fédérale a déjà statué que la Commission peut préférer la preuve documentaire au témoignage du demandeur :

Nous ne sommes pas persuadés que la section du statut a commis une erreur justifiant notre intervention. Les documents sur lesquels s'est appuyée la Commission ont été régulièrement produits en preuve. La Commission a le droit de s'appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage du demandeur de statut. La Commission n'a aucune obligation générale de préciser expressément les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle pourrait se fonder. Les autres points soulevés sont aussi sans bien-fondé. L'appel sera rejeté. Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087.

[20]            De plus, le fait de ne pas avoir mentionné chacun des documents mis en preuve n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte, vu le fait que la Commission est présumée avoir pesé et considéré toute la preuve ( Florea c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] A.C.F. no 598, (C.A.F.)).

[21]            Contrairement aux allégations des demandeurs, je ne suis pas convaincu que la Commission a considéré seulement une preuve documentaire, vu qu'à la lecture des différents rapports sur l'Albanie, plusieurs indiquent que le gouvernement respecte le droit à la liberté d'association et que la police albanaise est rarement impliquée dans des incidents politiques violents, car les incidents violents sont plutôt liés aux activités criminelles.

[22]            Finalement, je ne considère pas le rejet de l'article dans le journal du Parti démocratique portant le nom du demandeur comme étant manifestement déraisonnable. Premièrement, la Commission a noté que selon la preuve documentaire, le Parti démocratique exagère constamment ses allégations de harcèlement contre les membres de son parti :

According to one international human rights observer, the DP's allegations of political harassment are greatly inflated. The riots of November 2000 are a case in point, he explained. The troubles were confined mainly to Tirana, where DP supporters demonstrating against alleged fraud in the municipal elections clashed with the police. DP officials initially accused the police of having beaten 900 of its members. The DP's newspaper subsequently published a list of 200 people who had been affected. Of these it appears that only six may have sustained injuries. None of the six granted consent for their cases to be investigated by the Office of the People's Advocate, a national ombudsman named in February 2000 to deal with complaints from citizens regarding government administration.

(Page 120 du dossier, Report on Albania , Rome, juillet 2002)

[23]            De plus, la preuve documentaire indique qu'il est relativement facile de corrompre des journalistes pour placer des faux articles dans n'importe quel journal de l'Albanie, qui plus est, dans le journal du Parti démocratique, un parti dont le demandeur, son père et son grand-père étaient tous membres.

[24]            Le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission aurait commis une erreur manifestement déraisonnable dans son analyse. Je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire.

[25]            Le demandeur suggère la question suivante pour certification :


Est-ce que la commissaire doit tenir compte dans l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur, de la compétence linguistique de la personne qui a complété les questionnaires d'immigration Canada qu'un demandeur a signé [sic]?

[26]            Je suis d'accord avec les représentations du défendeur; il s'agit d'une question purement factuelle et non de portée générale, donc, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

-            La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

-            Aucune question pour certification.

                 "Pierre Blais"                      

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-7390-04

INTITULÉ :               Arjan GJERMIZA, Marjana GJERMIZA

Klaudio GJERMIZA, Jurgen GJERMIZA

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            27 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                   8 juillet 2005

COMPARUTIONS:

Me Noël St. Pierre                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Alexandre Tavadian                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Noël St. Pierre

Montréal, Québec                                             POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto, Ontario                                               POUR LE DÉFENDEUR


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