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  IMM-938-96

 

 

 

 

VANCOUVER (Colombie-Britannique), le 28 février 1997

 

 

EN PRÉSENCE de monsieur le juge Campbell

 

 

E N T R E :

 

 

Mikhail TOUZNIK et Nina TOUZNIK,

 

  requérants,

 

 

  - et -

 

 

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

  intimé.

 

 

 

  O R D O N N A N C E

 

 

 

  SUR REQUÊTE déposée au nom des requérants et sollicitant, au titre de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, le contrôle judiciaire de la décision de Susan K. Watson et Gary F. McCullay, membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 26 février 1996, par laquelle le tribunal a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention tels que les définit le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

 

  LA COUR ORDONNE :

 

  Par les motifs exposés par écrit, la demande est rejetée.

 

  J'estime, cependant, qu'il y a lieu en l'espèce de certifier la question suivante, formulée par Me Swartzenberger, avocat de M. et de Mme Touznik, l'intimé ne s'y opposant pas :

 

Lorsqu'une personne revendiquant le statut de réfugié fait quelque chose en raison de ses croyances religieuses ou politiques et que, du fait de cette action, mais pas nécessairement des croyances religieuses ou politiques l'ayant motivée, la personne en question est attaquée et menacée, doit-on considérer qu'il y a persécution « du fait » de sa religion ou de ses opinions politiques selon la définition que donne d'un réfugié au sens de la Convention l'article 2 de la Loi sur l'immigration?

 

 

 

 

 

   Douglas R. Campbell 

  Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme______________________________

 

  François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

  IMM-938-96

 

 

E N T R E :

 

 

Mikhail TOUZNIK et Nina TOUZNIK,

 

  requérants,

 

 

  - et -

 

 

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

  intimé.

 

 

 

  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE CAMPBELL

 

 

  Mikhail Touznik, principal demandeur de statut, et son épouse Nina Touznik, qui dépend de la demande présentée par son mari, sollicitent de la Cour l'annulation d'une ordonnance de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) rejetant leur revendication du statut de réfugié, à l'appui de laquelle ils affirmaient craindre avec raison d'être persécuté du fait de leur religion, de leur appartenance à un groupe social et de leurs opinions politiques.

 

  Les faits essentiels, tels que les a constatés la Commission, sont que M. Touznik, 33 ans, membre de l'Église baptiste et fils d'un ministre de ce culte, a eu les activités religieuses suivantes : en 1984, il a été un employé rémunéré de la Section religieuse de Philadelphie, à Kiev; en 1991, chauffeur au siège de l'Union des Baptistes évangéliques chrétiens, sous la direction du président de l'organisation (I.K.D.); en même temps qu'il servait de chauffeur, il faisait également du bénévolat au sein de la Société biblique ukrainienne (SBU), récemment créée, qui avait pour raison d'être la distribution de Bibles fournies par des organisations et des particuliers de l'étranger; et en 1992, il était employé rémunéré de la SBU, en poste au siège de l'organisation où il était chargé de prendre livraison des Bibles en question et d'en assurer la distribution selon les directives du directeur de l'organisation (P.P.S.).

 

  En ce qui concerne cet emploi auprès de la SBU, la Commission est parvenue à la conclusion de fait suivante :

 

[Traduction]

Au mois de mars 1993, P.P.S. a dit au demandeur principal de livrer un chargement de Bibles à un libraire de Vologda (Russie). Une fois sur place, le propriétaire de la librairie lui a confié une importante somme d'argent à remettre à P.P.S. Le demandeur principal soupçonnait que l'argent était un paiement pour les Bibles ainsi livrées. Lorsqu'il a posé la question à P.P.S., celui-ci lui a répondu ouvertement que cela ne le regardait pas. Le demandeur principal a décidé de porter l'incident à l'attention de I.K.D., qui l'a écouté avec attention et a dit qu'il ferait une petite enquête.

 

Deux semaines plus tard, alors qu'il rentrait chez lui, le demandeur principal a été attaqué et roué de coups par trois hommes, dont un l'a averti qu'il ne fallait plus qu'il se mêle de cela s'il voulait continuer à avoir une vie normale. Il a interprété cela comme une menace faisant suite à la plainte qu'il avait formulée à l'égard de son chef, et en a conclu que ses assaillants avaient été envoyés par P.P.S. lui-même. Il a appelé la police, qui a consigné tous les détails qu'il leur avait donnés. Cela dit, personne ne semble avoir donné suite à sa plainte.

 

Étant donné que cette agression avait provoqué chez lui une légère commotion cérébrale, le demandeur principal n'a pas repris le travail avant dix jours. Lorsqu'il a repris le travail, le 3 mai 1993, il a porté l'incident à l'attention de P.P.S. qui lui a répondu qu'il mettrait à la porte tout employé qui l'espionnait, qui désobéissait ou qui se montrait déloyal envers lui. P.P.S. a ajouté qu'il avait eu un désaccord avec un voisin et que celui-ci avait, soudainement, disparu. Le demandeur principal y a vu la confirmation du fait que son chef était effectivement responsable de l'agression dont il avait été victime, ainsi que du récent licenciement d'autres membres du personnel de la SBU. Il a répondu à son chef qu'il ne baisserait pas pavillon et qu'il porterait la somme d'argent en question à l'attention des journaux et de diverses organisations gouvernementales. Le jour suivant, le 4 mai 1993, il était lui-même licencié.

 

  Admettant les déclarations de M. Touznik à l'égard de ces incidents et d'autres actes d'intimidation semblable, la Commission est parvenue aux conclusions suivantes :

 

[Traduction]

Sur le fondement des éléments de preuve présentés, le tribunal conclut que les demandeurs craignent effectivement avec raison d'être persécutés et qu'ils ne veulent pas ou ne peuvent pas se réclamer de la protection des autorités. Ce faisant, le tribunal admet qu'il y a lieu de croire que le demandeur principal s'exposerait effectivement à un préjudice physique s'il rentrait en Ukraine et que ce préjudice lui serait causé à l'instigation de P.P.S., une personne entretenant des liens avec des gens jouissant d'une grande influence au sein des organes de l'État. La preuve documentaire fournie en l'occurrence porte également le tribunal à conclure qu'en Ukraine la justice n'est pas indépendante et qu'elle est notamment soumise à l'influence d'organisations criminelles. Nous estimons, par conséquent, que le demandeur principal n'est pas assuré d'un procès équitable en ce qui concerne les accusations pesant contre lui.

 

Pour que le tribunal puisse conclure que les demandeurs sont effectivement des réfugiés au sens de la Convention, la preuve doit démontrer l'existence d'un lien entre les préjudices appréhendés et l'un des motifs énumérés dans la définition de ce qu'est un réfugié au sens de la Convention.

 

En l'espèce, les demandeurs font valoir leur religion baptiste, leurs opinions politiques et leur appartenance à un certain groupe social. Dans sa plaidoirie, leur avocat a défini deux groupes sociaux précis : « les membres de la communauté baptiste », et « la famille », étant donné que le demandeur principal est fils d'un ministre du culte baptiste.

 

En ce qui concerne la religion, le tribunal n'est pas à même de conclure à l'application de ce motif. Aucune preuve plausible n'a démontré que le principal demandeur avait été harcelé, que ce soit par l'agression dont il a été victime ou par les lettres de menace qui lui ont été envoyées, du seul fait qu'il était Baptiste. Le principal demandeur est victime d'un harcèlement lié aux efforts qu'il a faits pour dévoiler la corruption du directeur de la Société biblique ukrainienne, qui vendait des Bibles dans un but commercial au lieu de les distribuer gratuitement. D'après le tribunal, il est clair que le demandeur a été licencié parce qu'il a fait part de ses soupçons à P.P.S., qui s'était converti à la foi Baptiste peu de temps après avoir assumé, au sein de l'organisation, la fonction de directeur.

 

De plus, le tribunal ne voit aucun rapport entre les problèmes éprouvés par le demandeur principal et son appartenance à un certain groupe social, quelle que soit la manière dont on définit celui-ci. Il n'a notamment pas été harcelé par P.P.S. et ses sbires en raison de son appartenance à la communauté baptiste d'Ukraine, et aucune preuve n'a établi l'existence d'un lien entre les problèmes dont il a fait part et le fait que son père soit ministre du culte baptiste. Il convient également de se pencher sur l'autre motif invoqué, c'est-à-dire les opinions politiques. Sur ce point, la Cour suprême du Canada s'est nettement déclarée en faveur d'une interprétation large de la notion d'opinion politique, c'est-à-dire toute opinion sur quelque question que ce soit pouvant mettre en cause les organes de l'État, le gouvernement ou les politiques de celui-ci. La Cour a également déclaré qu'il n'était pas nécessaire que l'État soit lui-même l'agent de persécution ou que les opinions politiques attribuées au demandeur correspondent effectivement aux croyances de celui-ci. Ce qui est important c'est la perception de l'agent de persécution plutôt que l'opinion politique qui est effectivement celle du demandeur.

 

En l'espèce, le principal demandeur a témoigné qu'il avait essayé de dévoiler les activités de P.P.S., car il ne voulait pas que soit détournée la véritable mission de la Société biblique ukrainienne, qui comptait notamment parmi ses objectifs la distribution gratuite d'exemplaires de la Bible. Examinant la situation du point de vue de l'agent de persécution, le tribunal estime que P.P.S. voudrait faire taire le demandeur, car celui-ci risque de dévoiler des agissements, menaçant par là même son entreprise et sa réputation. Pour empêcher cela, P.P.S., en raison de ses relations, peut bénéficier de l'appui de personnes travaillant au sein même du système judiciaire, y compris la police. Mais, en raison des principes dégagés dans l'arrêt Ward, et au vu des faits de la présente affaire, le tribunal n'est pas en mesure de conclure que le préjudice appréhendé par le principal demandeur serait dû à ses opinions politiques, telles qu'elles sont effectivement ou telles qu'elles pourraient être perçues par ses adversaires. [Les notes en bas de page n'ont pas été reprises ici].

 

  Le principal argument avancé par l'avocat du requérant est développé avec talent dans les arguments écrits suivants :

 

[Traduction]

En l'espèce, le tribunal a conclu à la crédibilité du demandeur et du témoin qui confirme ses dires. Le demandeur a témoigné, ce que le tribunal a d'ailleurs admis, que s'il a tenté de dévoiler le jeu de P.P.S., c'est parce qu'il ne voulait pas voir celui-ci détourner les véritables objectifs de la Société biblique et que son comportement a donc été dicté par de profondes croyances religieuses. P.P.S. entendait, par contre, réduire le demandeur au silence afin surtout de protéger sa propre réputation et ses tractations au marché noir. Rien ne permet d'affirmer que cela se serait produit si le demandeur n'avait pas eu de profondes croyances religieuses lui inspirant un puissant attachement au caractère sacré de la Bible et à l'importance d'en assurer une distribution gratuite. Ainsi que l'a déclaré la Cour dans l'affaire Reynoso c. Canada (no du greffe IMM-2110-94, 29 janvier 1996), à la page 6 :

En premier lieu, il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées. Dans bien des cas, le demandeur n'a même pas la possibilité d'exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes. En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d'être persécuté sont imputées à ce dernier. Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté, mais cela ne l'empêche pas d'être protégé.

 

En l'espèce, le demandeur de statut n'a pas, à l'époque des faits, déclaré que ses actions découlaient de ses croyances religieuses mais cela ressortait de ses actions mêmes. L'agent de persécution était peut-être lui-même indifférent aux motivations religieuses du demandeur mais, comme dans l'affaire Reynoso, cela ne devrait pas faire obstacle à la protection de ce demandeur.

 

  J'estime que la Commission n'a commis aucune erreur en ne concluant pas à l'existence du lien essentiel évoqué plus haut. Cette décision traduit un examen attentif de la preuve et la conclusion mise en cause en l'espèce est une conclusion de fait que, me semble-t-il, la Commission pouvait à juste titre tirer dans cette affaire. La Commission n'a pas estimé que la persécution, qui est assurément réelle, vise M. Touznik du fait d'un des motifs énumérés dans la définition que l'article 2 de la Loi sur l'immigration donne de « réfugié au sens de la Convention » et en cela la Commission n'a, à mon avis, commis aucune erreur.

 

  Par conséquent, la demande est rejetée.

 

  Cela dit, j'estime qu'il y a lieu en l'espèce de certifier la question suivante, formulée par Me Swartzenberger, avocat de M. et de Mme Touznik, l'intimé ne s'y opposant pas :

 

Lorsqu'une personne revendiquant le statut de réfugié fait quelque chose en raison de ses croyances religieuses ou politiques et que, du fait de cette action, mais pas nécessairement des croyances religieuses ou politiques l'ayant motivée, la personne en question est attaquée et menacée, doit-on considérer qu'il y a persécution « du fait » de sa religion ou de ses opinions politiques selon la définition que donne d'un réfugié au sens de la Convention l'article 2 de la Loi sur l'immigration?

 

 

  Douglas R. Campbell 

  Juge

 

 

VANCOUVER

Le 28 février 1997

 

 

 

Traduction certifiée conforme______________________________

 

  François Blais, LL.L.


  COUR D'APPEL FÉDÉRALE DU CANADA

  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

  AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-938-96

 

 

INTITULÉ :MIKHAIL TOUZNIK ET NINA TOUZNIK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :EDMONTON (ALBERTA)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :LE 22 NOVEMBRE 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE :LE 28 FÉVRIER 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me KAREN D. SWARTZENBERGERPOUR LE REQUÉRANT

 

 

Me BILL BLAINPOUR L'INTIMÉ

Me MARY KING

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

McCUAIG DESROCHESPOUR LE REQUÉRANT

EDMONTON (ALBERTA)

 

 

M. GEORGE THOMSONPOUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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