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                                                                                                                               Date : 20050928

                                                                                                                  Dossier : IMM-10379-04

                                                                                                               Référence : 2005 CF 1286

ENTRE :

                                                             JASWANT SINGH

                                                          SURINDERJIT KAUR

                                                                                                                                    Demandeurs

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                        Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 7 décembre 2004, statuant que les demandeurs ne sont pas des « réfugiés » au sens de la Convention, ni des « personnes à protéger » selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

[2]         Jaswant Singh (le demandeur) et son épouse, Surinderjit Kaur sont des citoyens de l'Inde. Ils ont vécu à Moga dans ltat du Pendjab. Le demandeur serait membre du Shiromani Akali Dal Party (SAD) depuis 1996.


[3]         En mars 2003, la police aurait arrêté le fils cadet du demandeur parce qu'il était soupçonné d'avoir supporté les militants. La police aurait allégué que le fils du demandeur s'est enfuit après qu'il eût été arrêté. Le fils aîné du demandeur aurait tenté d'entreprendre des procédures légales contre la police et aurait été arrêté à trois reprises, la dernière étant en janvier 2004. Le demandeur serait allé chercher son fils aîné, mais la police aurait nié son arrestation et elle aurait accusé le fils aîné d'avoir joint les militants.

[4]         Le 27 mars 2004, le demandeur aurait consulté un avocat concernant la possibilité de commencer des procédures contre la police.

[5]         Le 29 mars 2004, la police aurait arrêté le demandeur et son épouse, qui allèguent avoir été torturé, pour avoir consulté un avocat. Suite à l'intervention de personnes influentes et après paiement d'un pot-de-vin, la police les aurait laissé partir le 31 mars 2004.

[6]         Le 27 avril 2004, le demandeur et son épouse ont quitté l'Inde. Ils ont utiliséleurs passeports indiens et des visas du Canada. Ils sont arrivés au Canada le lendemain et ont revendiqué le statut de réfugié le 12 mai 2004.

[7]         Il s'agit ici essentiellement d'une pure question de crédibilité et d'appréciation des faits.


[8]         Faut-il rappeler qu'en matière de crédibilité, il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à la CISR à moins que le demandeur puisse démontrer que sa décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition (paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7). Les conclusions de la CISR ne seront pas dérangées à moins dtre déraisonnables au point d'attirer l'intervention de cette Cour. La CISR est un tribunal spécialisé qui a le pouvoir d'apprécier la plausibilité et la crédibilité d'un témoignage dans la mesure où les inférences qu'il tire ne sont pas déraisonnables (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) et les motifs sont énoncés de façon claire et compréhensible (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).

[9]         Il est aussi bien établi que le tribunal, pour apprécier leur crédibilité, peut se fonder sur le comportement des revendicateurs à l'audience, leur aptitude à répondre de façon franche et claire aux questions et la cohérence et l'uniformité des réponses, et que de telles constatations quant à la qualité du témoignage doivent faire l'objet d'une grande retenue judiciaire (voir Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351 et Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, à la page 278).

[10]       En l'espèce, le tribunal a relevé que le demandeur principal avait offert un témoignage vague et très peu détaillé, notamment lorsqu'il fut interrogé au sujet des démarches effectuées pour retrouver son plus jeune fils.

[11]       Lorsque le tribunal lui a demandé dnumérer les personnes qui avaient collaboré à la recherche de ce dernier, le demandeur n'a pas spontanément mentionné son fils aîné. Or, l'une des allégations au coeur du récit du demandeur est que son fils aîné aurait été arrêté en raison de ses démarches pour déposer une plainte à l'encontre de la police suite à la disparition de son frère cadet.


[12]       Le tribunal a constaté des lacunes dans la preuve. Il a relevé que les dernières transactions inscrites sur les cartes de rations alimentaires des fils des demandeurs dataient de janvier 2001. Il est peu probable que les fils des demandeurs aient habitéà Moga au moment des incidents allégués en 2003 et 2004, et qu'ils n'aient jamais utiliséleurs cartes durant toutes ces années. Confrontés à ceci, les demandeurs n'ont pas pu fournir d'explications satisfaisantes.

[13]       Un autre élément soulevé par le tribunal, qui a entaché la crédibilité du récit des demandeurs, est l'invraisemblance de leur allégation selon laquelle le demandeur principal n'a pas envisagé porter plainte contre la police à la suite de la disparition de son plus jeune fils, craignant créer de l'animosité, alors qu'il a fait cette démarche à la suite de la disparition de son fils plus âgé.

[14]       Le tribunal n'a donné aucune valeur probante au certificat médical, à la lettre de l'avocat et à celle du SAD. Puisque le tribunal n'a pas jugé le récit des demandeurs crédible et ne croyait pas aux circonstances qui auraient donné naissance auxdits éléments de preuve, il pouvait ne pas accorder de valeur probante à ces documents (voir Ali c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (le 25 avril 1995), IMM-2402-95 et Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.)).

[15]       Il importe de noter que le tribunal a soulevé comme incohérence le fait que le certificat médical a été rédigé le 2 avril 2004, alors que le demandeur en a fait la demande, selon son témoignage, en mai 2004. Il est certes surprenant que le médecin ait rédigé le certificat médical avant même que le demandeur ne lui en ait fait la demande.


[16]       Je suis d'accord avec le défendeur que la capacité de la demanderesse à témoigner n'a aucune incidence sur la conclusion d'absence de crédibilité tirée par le tribunal puisque cette conclusion se fonde strictement sur d'autres lacunes dans la preuve. Par ailleurs, la question de la capacité de la demanderesse à témoigner a été discutée en conférence préparatoire à l'audition devant la CISR; la demanderesse étant alors représentée par avocat, je considère que son défaut de témoigner ne porte pas atteinte à lquité de la procédure.

[17]       Enfin, la preuve documentaire sur la situation prévalant au Pendjab révèle que les mouvements militants sikhs ont pratiquement tous été éliminés, que les Sikhs ne constituent désormais plus un groupe persécuté, que la sécurité au Pendjab est maintenant sous contrôle et que le gouvernment a implanté des mécanismes judiciaires pour contrer les abus policiers. Considérant cette preuve, le tribunal a conclu que les allégations des demandeurs eu égard au comportement de la police ntaient pas crédibles. Cette conclusion n'est pas déraisonnable puisqu'il est bien établi que le tribunal peut préférer la preuve documentaire de différentes sources au témoignage d'un revendicateur (Zhou c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL)).

[18]       Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19]       À la fin de l'audition devant moi, j'ai accordé deux semaines à l'avocat des demandeurs pour soumettre les questions qu'il voulait faire certifier, appuyées par des représentations écrites. La partie adverse s'est vue accorder deux semaines, par la suite, pour soumettre ses propres représentations écrites. Le 7 septembre 2005, le procureur des demandeurs a soumis par écrit deux questions pour fin de certification sans toutefois en discuter le mérite par des représentations écrites. Pour sa part, l'avocate du défendeur a subséquemment déposé des représentations écrites pour s'objecter à la certification des questions proposées, représentations avec lesquelles je suis en accord. Aucune question n'est donc certifiée.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 septembre 2005


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-10379-04

INTITULÉ :                                                       JASWANT SINGH, SURINDERJIT KAUR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 24 août 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 28 septembre 2005        

COMPARUTIONS :

Me Michel Le Brun                                          POUR LES DEMANDEURS

Me Suzon Létourneau                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel Le Brun                                               POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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