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Date : 20010330

Dossier : IMM-3667-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 MARS 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W.P. McKEOWN

ENTRE :

SITTAMPALAM PRAPAHARAN

VIJAYASUGI PRAPAHARAN

SHAITHAN PRAPAHARAN

représentée par sa tutrice à l'instance

VIJAYASUGI PRAPAHARAN

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                          ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question est renvoyée à une formation différente de la Commission pour un nouvel examen qui ne soit pas incompatible avec les présents motifs.

« W.P. McKeown »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


Date : 20010330

Dossier : IMM-3667-00

Référence neutre : 2001 CFPI 272

ENTRE :

SITTAMPALAM PRAPAHARAN

VIJAYASUGI PRAPAHARAN

SHAITHAN PRAPAHARAN

représentée par sa tutrice à l'instance

VIJAYASUGI PRAPAHARAN

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                Les demandeurs réclament le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 12 juin 2000, par laquelle le statut de réfugié leur a été refusé.


[2]                Les questions consistaient à savoir si la Commission avait enfreint le principe d'équité et si ses conclusions au niveau de la crédibilité à l'encontre du demandeur principal sont défendables.

[3]                Le demandeur principal est un Tamoul de Jaffna. À la suite d'un incident au cours duquel il allègue avoir été persécuté au Sri Lanka en 1991, il a trouvé un emploi aux Maldives et a quitté le Sri Lanka en mars 1991. Il y est retourné en avril 1997 pour s'y marier. Il prétend que le lendemain de son mariage son épouse et lui-même ont été arrêtés et libérés sur paiement d'un pot-de-vin. Il a ensuite déclaré que son épouse avait quitté les Maldives pour rentrer au Sri Lanka en janvier 1998 afin d'y donner naissance à leur enfant, étant donné que les soins médicaux offerts aux Maldives n'étaient pas satisfaisants. Le demandeur principal n'a quitté les Maldives pour rentrer au Sri Lanka qu'en novembre 1998, après qu'il n'eut plus été en mesure de renouveler son contrat de travail là-bas. Au moment où son contrat a pris fin, on lui a dit qu'il recevrait 10 800 $US avant de quitter les Maldives.

[4]                Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu'il avait été arrêté une semaine après son retour au Sri Lanka. La Commission déclare à la page 2 de ses motifs :

[TRADUCTION] Il prétend de plus qu'il a été libéré le lendemain « à la condition que j'obtienne une carte d'identité nationale (CIN) et que je produise cette carte au poste de police de Kotahena » . Le demandeur principal a obtenu sa CIN, mais il prétend qu'il a dû pour cela dépenser beaucoup d'argent. Après toutes les difficultés que les demandeurs avaient connues à Colombo, ils allèguent qu'ils ont décidé de retourner à Jaffna.


La Commission déclare ensuite ceci à la page 3 :

[TRADUCTION] Après avoir examiné soigneusement la preuve produite par les demandeurs, la formation estime qu'ils n'ont pas fourni de preuve suffisamment crédible ou digne de foi pour justifier une décision positive concernant leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. La formation est parvenue à cette décision pour les raisons suivantes :

Le demandeur principal a déposé deux cartes d'identité nationale (CIN). La première indique qu'elle a été délivrée le 28 octobre 1981, et l'adresse de la résidence est le 1140 Kaladdy, Karaveddy ouest. La deuxième CIN indique comme date de délivrance le 17 décembre 1998 et porte comme adresse de résidence le 49/1 Jinananda Mawatte, Colombo 13. Quand l'avocat a demandé au demandeur s'il se sentait plus en sécurité au Sri Lanka et à Colombo parce qu'il avait une CIN portant une adresse à Colombo, le demandeur a déclaré qu'il éprouvait davantage de problèmes avec une CIN portant une adresse à Colombo parce qu'on lui demandait constamment comment il l'avait obtenue. Selon la FRP du demandeur principal, celui-ci a été obligé d'obtenir sa CIN de Colombo.

Comme je ne pouvais renouveler mon contrat de travail, c'est avec hésitation que je suis retourné au Sri Lanka en novembre 1998. Le policier en service à l'aéroport m'a arraché la chaîne en or que je portais au cou avant de m'autoriser à quitter l'aéroport. Moins d'une semaine après mon arrivée, j'ai été arrêté. On m'a à toute fin pratique cuisiné en se basant sur de simples soupçons que j'appuyais les LTTE, en alléguant faussement que j'appuyais financièrement les LTTE à partir des Maldives. J'ai été libéré le lendemain à la condition que j'obtienne une carte d'identité nationale (CIN) et que je produise cette carte au poste de police de Kotahena. J'ai dû dépenser beaucoup d'argent pour obtenir sans délai cette CIN.

L'explication du demandeur sur la façon dont il a obtenu sa CIN portant une adresse à Colombo, et sur les raisons pour lesquelles il a dû l'obtenir, n'est pas compatible avec la preuve documentaire dont disposait la formation.

[5]                Les motifs de la Commission n'indiquent pas si la preuve documentaire dont elle était saisie comportait des références à la question de la corruption. La Commission se contente d'énoncer le processus par lequel une personne se procure habituellement une CIN et elle fait les observations suivantes :

[TRADUCTION] La preuve documentaire indique également que pour obtenir une nouvelle CIN portant une nouvelle adresse de résidence, une personne doit établir qu'elle a établi sa résidence permanente dans un nouveau lieu.


[6]                À la page 5, la Commission cite les observations de l'agent chargé de la revendication (ACR) :

[TRADUCTION] Dans ses observations, l'agent chargé de la revendication (ACR) a déclaré qu'il est extrêmement difficile d'obtenir une CIN portant une adresse à Colombo. Cette déclaration est appuyée par plusieurs sources documentaires.

[7]                La Commission conclut ensuite de la façon suivante :

[TRADUCTION] Étant donné la preuve documentaire dont il est question ci-dessus, la formation estime que le témoignage du demandeur principal selon lequel il a obtenu sa CIN avec une adresse à Colombo peu après sa longue absence du Sri Lanka, simplement en « dépensant beaucoup d'argent » n'est pas compatible avec la preuve documentaire dont la formation était saisie.

Le demandeur principal présente sa CIN comme un document authentique. Selon la preuve dont était saisie la formation, pour être en mesure d'obtenir ce document, il aurait dû établir, à la satisfaction des autorités srilankaises, que sa résidence permanente était à Colombo. Il est donc raisonnable d'inférer que les demandeurs sont en fait des résidents permanents de Colombo.


[8]                La Commission déclare que d'autres documents appuient cette conclusion. Toutefois, comme on l'a indiqué ci-dessus, la Commission ne discute nulle part de la preuve documentaire concernant la corruption. Selon les deux avocats, aucun des éléments de preuve documentaire dont était saisie la Commission ne renfermait d'information concernant la corruption. À tout le moins, la Commission est tenue d'indiquer (dans au moins une phrase) la raison pour laquelle elle a préféré la preuve documentaire au témoignage du demandeur concernant la corruption. Je note que la preuve sur laquelle s'est appuyée la Commission semble étayer, plutôt que contredire, le témoignage du demandeur. C'est-à-dire que la preuve selon laquelle il est difficile d'obtenir une CIN tend à appuyer la prétention du demandeur selon laquelle il a été forcé de suborner des fonctionnaires pour s'en procurer une. Les motifs de la Commission doivent indiquer comment elle en venue à conclure qu'elle devait préférer la preuve documentaire au témoignage du demandeur.

[9]                À l'audience, la Commission n'a fait référence à aucun élément de preuve documentaire qui, d'après elle, démontre que le demandeur principal n'a pas obtenu sa CIN en payant un pot-de-vin. La seule référence à la corruption se trouve dans les observations que l'ACR a formulées à la fin de l'audience, après que toute la preuve eut été déposée. L'ACR fait référence à un document du ministère de la Défense dans lequel il est indiqué que la belle-mère du demandeur est la principale occupante à l'adresse figurant sur la CIN. Le même document du ministère de la Défense indique que le demandeur réside à Colombo à une adresse différente de celle de sa belle-mère (donc de celle qui figure sur sa CIN). L'ACR a déclaré que cette information était susceptible d'embrouiller l'explication du demandeur selon laquelle il a obtenu sa CIN en payant un pot-de-vin. La Commission ne fait pas d'observation sur la façon dont cette preuve documentaire embrouille l'explication du demandeur selon laquelle il a obtenu sa CIN en ayant recours à la corruption.

[10]            En outre, l'omission des membres de la Commission d'interroger le demandeur par rapport à la preuve documentaire qui, à leur avis, contredisait son témoignage selon lequel il avait obtenu sa CIN au moyen d'un pot-de-vin, est particulièrement importante au vu des observations de l'ACR concernant la crédibilité du demandeur. En effet, l'ACR déclare ceci :

[TRADUCTION] Au sujet de la crédibilité, si la formation accepte les explications du demandeur concernant le remplacement de sa carte d'identité nationale, je ne crois pas qu'il y aura beaucoup de questions sur ce point.


[11]            Le demandeur a livré son témoignage de façon honnête. Il ne semblait pas y avoir d'incohérence entre son témoignage verbal et sa déposition écrite. Quand il y avait des doutes, il a certainement été en mesure de donner une explication telle que la formation pouvait juger que ses explications étaient raisonnables et plausibles dans les circonstances.

[12]            Ceci est particulièrement important du fait que la Commission ne fait pas d'analyse concernant la corruption. À cause de ses conclusions concernant l'obtention de la CIN, la Commission tire d'autres conclusions sur la crédibilité en faisant référence à la preuve documentaire et conclut ainsi à la page 9 :

[TRADUCTION] Si l'on tient compte de toutes les conclusions négatives susmentionnées concernant la crédibilité, la formation conclut que les demandeurs n'ont pas fourni de preuve suffisamment crédible ou digne de foi pour justifier leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention.

[13]            À mon avis, il est certainement possible dans certains cas que la Commission préfère la preuve documentaire au témoignage d'un demandeur. Toutefois, la preuve documentaire en soi ne justifie pas de conclure au manque de crédibilité du demandeur dans un sens général. Il s'agit là d'une erreur susceptible de contrôle qui exige que la question soit renvoyée à une formation différente qui l'examinera de nouveau d'une manière qui ne soit pas incompatible avec les présents motifs. La Commission doit expliquer pourquoi, à son avis, la preuve documentaire traite de la question de la corruption. La Commission doit à tout le moins faire une brève analyse de cette question, et non pas se contenter d'énoncer simplement ses conclusions en la matière. Dans ce cas, une conclusion de manque général de crédibilité contrevient au principe d'équité.


[14]            Je dois examiner brièvement la question du recours à la protection des autorités. Aux pages 9 et 10 de ses motifs, la Commission a conclu qu'après que les demandeurs eurent commencé à travailler aux Maldives :

[TRADUCTION] [l]e demandeur principal est retourné au Sri Lanka à deux reprises, en avril 1997 pour trois mois, et en novembre 1998. La demanderesse principale est retournée au Sri Lanka une fois, en janvier 1998. À chaque occasion, les demandeurs principaux se sont réclamés de la protection des autorités du Sri Lanka. Le retour des demandeurs au Sri Lanka, après qu'ils eurent allégué qu'ils avaient déjà été victimes d'abus des droits de la personne et, par conséquent, qu'ils craignaient d'être persécutés s'ils retournaient dans ce pays, va à l'encontre de leur revendication selon laquelle ils ont une crainte fondée d'être persécutés s'ils retournaient au Sri Lanka aujourd'hui. Le demandeur principal explique qu'il est retourné au Sri Lanka en 1997 pour se marier et pour rendre visite à ses parents. La demanderesse principale indique qu'elle est retournée au Sri Lanka pour être avec sa mère et sa famille au moment de son accouchement et en raison de la supériorité des installations médicales à Colombo (Sri Lanka), comparativement à celles des Maldives. La demanderesse principale a également déclaré dans son témoignage qu'elle avait accouché par césarienne et que l'intervention chirurgicale ne pouvait être faite qu'à Colombo. Le demandeur principal indique qu'il est retourné au Sri Lanka en 1998 parce que son permis ou son visa de travail était expiré. Il a déclaré qu'on avait mis fin à son emploi et qu'il ne pouvait plus demeurer aux Maldives. Toutefois, il est intéressant de noter que la lettre fournie par l'employeur du demandeur principal aux Maldives ne mentionne pas que son contrat de travail n'est pas renouvelé, ou qu'il est renvoyé, mis à pied, ou quoi que ce soit d'autre. Cette lettre indique simplement que le demandeur quitte la compagnie Hummingbird Island Maldives Airways le 10 novembre 1998. En fait, la lettre de l'employeur du demandeur principal ne corrobore pas le témoignage de ce dernier concernant la raison pour laquelle il ne pouvait plus demeurer aux Maldives.

[15]            J'ai quelque difficulté à suivre le raisonnement de la Commission parce que la lettre de cessation d'emploi mentionne également le paiement d'une somme de 10 800 $US. Je ne pense pas qu'une telle somme aurait été payée si la personne n'avait pas été renvoyée.

[16]            Aux pages 10 et 11, la Commission poursuit ainsi :


[TRADUCTION] La formation ne peut accepter les explications des demandeurs concernant leurs raisons de retourner au Sri Lanka. L'avocat prétend que les demandeurs n'avaient d'autre choix que de retourner au Sri Lanka. La formation n'accepte pas la prétention de l'avocat sur ce point. Les demandeurs auraient fort bien pu envisager d'autres possibilités au lieu de rentrer dans un pays où ils prétendent craindre d'être persécutés. Le fait que les demandeurs se soient de nouveau réclamés de la protection de leur pays n'appuie pas leur revendication d'une crainte subjectivement fondée d'être persécutés au Sri Lanka. En outre, cela ne fait qu'étayer les conclusions de la formation selon lesquelles les demandeurs n'ont pas présenté de preuve suffisamment crédible ou digne de foi qui puisse la justifier d'accueillir leur revendication du statut de réfugié.

Je note que le paiement d'une somme de 10 800 $US pouvait être pertinent à la question de savoir si les demandeurs avaient ou non d'autres choix que celui de retourner au Sri Lanka. Toutefois, je ne tire aucune conclusion à ce sujet.

[17]            Bien que l'avocat du défendeur ait présenté une défense très solide, bon nombre de ses arguments sont fondés sur une preuve à laquelle la Commission n'a pas fait référence. Je suis incapable de décider si l'argument fondé sur le recours à la protection des autorités devrait être accueilli ou non parce que la Commission n'a pas indiqué si l'arrestation de 1991 était un incident suffisant pour constituer de la persécution. Il semble que les principales revendications du demandeur concernant la persécution soient antérieures à son retour au Sri Lanka en 1998. Les persécutions ultérieures à la date à laquelle elle se réclame de nouveau de la protection des autorités n'empêchent pas une personne de présenter une revendication du statut de réfugié sans devoir réfuter un argument portant sur le fait qu'elle s'est réclamée de la protection de son pays.


[18]            L'avocat des demandeurs a présenté des observations au sujet d'autres conclusions concernant la crédibilité et les faits, tirées par la Commission à partir de la preuve documentaire, par exemple, la question de savoir s'il y avait des endroits pacifiques dans le Sud du Sri Lanka où les demandeurs auraient pu s'installer après avoir été persécutés en 1998, et également sur la question de la crédibilité au regard du fait que le document de la Défense militaire indiquait que le demandeur était un résident permanent du Sri Lanka en 1997. Il y a également des questions concernant les conclusions relatives à la vraisemblance au sujet du retour des demandeurs dans le Nord, de leur résidence à Colombo et du décès du père de la demanderesse. Étant donné qu'une nouvelle formation de la Commission examinera de nouveau ces questions, je n'ai tiré aucune conclusion détaillée sur ces points.

[19]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question est renvoyée à une formation différente de la Commission pour un nouvel examen qui ne soit pas incompatible avec les présents motifs.

« W.P. McKeown »

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

LE 30 MARS 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-3667-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     Sittampalam Prapaharan et autres

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 20 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

DATE DES MOTIFS :                                               le 30 mars 2001

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                                                          POUR LES DEMANDEURS

Jamie Todd                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et associés                                   POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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