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Date : 20040930

Dossier : IMM-5270-03

Référence : 2004 CF 1341

ENTRE :

                                                                 LAJOS BABAI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), vise la décision par laquelle une agente d'examen des risques avant renvoi (agente d'ERAR) a tranché, en date du 16 mai 2003, que Lajos Babai (le demandeur) ne serait pas exposé au risque d'être persécuté ou d'être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités s'il était renvoyé dans son pays de nationalité.

[2]                Le demandeur sollicite :

1.          une ordonnance d'interdiction visant à empêcher le défendeur de le renvoyer du Canada jusqu'à ce qu'un examen convenable des risques avant renvoi ait été mené conformément aux principes de justice naturelle;

2.          une ordonnance annulant la décision d'Immigration Canada qui lui a refusé la protection demandée et forçant le renvoi de l'affaire pour qu'un autre agent d'examen des risques avant renvoi procède à un nouvel examen conformément aux motifs de la Cour.

Contexte

[3]                Le demandeur est un citoyen hongrois marié âgé de 26 ans. Il est arrivé au Canada le 24 décembre 1997 et s'est vu accorder le statut de visiteur.

[4]                Ses parents et son frère ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en 1998.

[5]                Le 1er avril 1998, il a présenté une demande en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. En octobre 1998, il est retourné en Hongrie pour être au chevet de sa grand-mère mourante. Par suite de cette absence, on a considéré qu'il s'était désisté de sa demande d'asile le 13 novembre 1998.

[6]                Le demandeur est revenu au Canada le 22 octobre 1999 et il a revendiqué une deuxième fois le statut de réfugié. Cette dernière demande a été considérée comme abandonnée le 5 mai 2000.

[7]                Le demandeur a essayé de présenter une troisième demande en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Le 29 octobre 2002, sa nouvelle demande a été jugée irrecevable en vertu de l'alinéa 101(1)c) de la LIPR.

[8]                Le 12 décembre 2002, il a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). Il a reçu une réponse négative le 30 juin 2003. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[9]                Le demandeur affirme qu'il craint que sa sécurité et sa vie soient menacées s'il retourne en Hongrie. Il appuie cette affirmation sur les expériences qu'il a lui-même vécues et que d'autres personnes se trouvant dans une situation semblable ont vécues, particulièrement sa mère, son père, son jeune frère, sa femme, ses beaux-parents, ses beaux-grands-parents et d'autres Roms hongrois.


[10]            Dans les observations faites à l'agente d'ERAR, le demandeur a décrit brièvement nombre d'incidents qui l'ont touché personnellement ou qui ont touché divers membres de sa famille, sa femme et la famille de celle-ci. Il a expliqué que, à partir de l'âge scolaire, il a été victime, ou bien témoin, de nombreux cas d'agression, de mauvais traitement et de discrimination du fait de l'origine ethnique rom (les Roms en Hongrie).

[11]            Le demandeur a relaté des cas où de l'aide avait été demandée en vain à la police ou à une entité différente. Il a également fait état de cas d'agression à l'endroit de sa femme, de proches de celle-ci, notamment une tante qui a fait une fausse couche après avoir été agressée par la police, de ses beaux-grands-parents et d'autres personnes apparentées qui ont été attaquées par des skinheads dans un restaurant.

[12]            Le demandeur a déclaré qu'à son retour en Hongrie en 1998, il a de nouveau été victime de mauvais traitements du seul fait qu'il était Rom. Il a dit que, cette fois-ci, il a également été battu et que sa vie a été menacée, ce qui l'a amené à quitter la Hongrie encore une fois.

La décision de l'agente d'ERAR

[13]            Dans ses motifs, l'agente d'ERAR a fait référence à nombreux aspects de la situation en Hongrie concernant la minorité rom. Elle a notamment fait état de ce qui suit :

1.          La Hongrie est une démocratie parlementaire.

2.          Des Roms sont membres du parlement.

3.          Le Bureau des minorités nationales et ethniques (NEKH) a annoncé un nouveau programme conçu pour favoriser l'intégration des Roms.


4.          La fondation pour les droits civils des Roms, le parlement rom, l'organisation rome indépendante Phralipe, Lungo Drom et l'association professionnelle des dirigeants roms sont au nombre des organisations non gouvernementales de défense des droits de la personne qui oeuvrent à la protection des intérêts des Roms.

[14]            L'agente d'ERAR a ensuite mentionné ce qui suit :

[traduction] En plus de ce qui précède, les Roms sont également protégés par la Constitution qui établit les droits individuels, l'égalité et la protection contre la discrimination. Des changements au code pénal ont facilité l'application et l'affermissement des sanctions à l'égard des crimes de haine commis en raison de l'origine ethnique, de la race ou de la nationalité de la victime. [¼]

Aussi, le gouvernement hongrois offre à ses citoyens de nombreuses possibilités de recours s'ils ne sont pas satisfaits de l'aide reçue de la police ou d'un fonctionnaire. Les citoyens peuvent communiquer avec le ministère public, lequel est indépendant de la police. Le ministère public supervise et examine la légalité de toutes les enquêtes faites par la police. En outre, la loi exige qu'une enquête soit automatiquement ouverte lorsqu'une plainte est déposée.

Le ministère de l'Intérieur et le Bureau du commissaire parlementaire constituent un autre recours possible. Un bureau de protection des victimes assure dans chaque région des services d'aide psychologique, médicaux et sociaux aux victimes d'actes criminels. Outre les possibilités mentionnées précédemment, de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) offrent des services de consultation et d'aide juridiques aux Roms.

Il est entendu qu'il existe certaines préoccupations quant aux conditions de vie des Roms en Hongrie. Par ailleurs, il est également entendu que le gouvernement hongrois a fait des efforts sérieux pour orchestrer la protection offerte aux Roms et qu'il continue d'améliorer la norme de protection à l'égard des Roms.

Il convient de souligner que certains des incidents dont le requérant a été victime se sont produits alors qu'il était enfant et qu'il allait à l'école publique. Il est raisonnable de conclure que le requérant ne retournera pas à l'école et c'est pourquoi le risque qu'il soit de nouveau aux prises avec ce type de discrimination est minime.


Les incidents qui ont touché son épouse et la famille de celle-ci ne le concernent pas personnellement. Ils démontrent cependant que, avant 1998, des personnes se trouvant dans une situation semblable (des Roms en Hongrie) ont éprouvé des difficultés. Par ailleurs, il est entendu que le gouvernement hongrois a fait des efforts sérieux pour orchestrer la protection offerte aux Roms et qu'il continue d'améliorer la norme de protection à l'égard des Roms. En outre, après avoir examiné toutes les allégations, je conclus que le gouvernement hongrois est en mesure d'offrir et offrira une protection suffisante au requérant.

En l'absence de preuve contraire, il est présumé que l'État fait les efforts nécessaires pour protéger l'ensemble de ses citoyens. La disponibilité de la protection de l'État fait obstacle au besoin de protection internationale du requérant. Ce principe est bien établi dans la jurisprudence canadienne.

La Cour suprême du Canada a maintenu ce qui suit dans l'arrêt Ward :

En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban, dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. [¼] Bien que cette présomption accroisse l'obligation qui incombe au demandeur, elle ne rend pas illusoire la fourniture par le Canada d'un havre pour les réfugiés. La présomption sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange. Les revendications du statut de réfugié n'ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà.

En l'espèce, le requérant affirme qu'il a été attaqué à sa résidence à la fin de septembre ou au début d'octobre 1999. Il dit : « ils m'ont lancé du poivre à l'aide d'un vaporisateur, ils ont forcé à l'accès à ma résidence, ils m'ont menacé, [¼] ils m'ont dit de ne rien dire à la police [¼] » . Le requérant souligne qu'il n'a pas signalé l'incident à la police. Compte tenu de l'arrêt Kadenko, il incombe au requérant d'épuiser tous les recours possibles dans son pays d'origine avant de demander de la protection à l'extérieur de ce pays. Le requérant n'a pas démontré qu'il avait épuisé tous les recours possibles avant de quitter la Hongrie.

Dans Kadenko, la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit :

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui. [¼] voir Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R.171, 176 (C.A.F.), approuvé par Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 725.

Kadenko c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), 2 (Quicklaw)

À la lumière de ces renseignements, je suis d'avis que la protection offerte au requérant sera suffisante et efficace s'il retourne en Hongrie. À ce titre, j'estime qu'il sera exposé à rien de plus qu'une simple possibilité de persécution s'il retourne dans son pays. Je conclus également qu'il est peu probable que le requérant soit exposé à un danger de torture, à une menace pour sa vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités s'il est renvoyé dans son pays.


Compte tenu de ce qui précède, la demande est rejetée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Questions en litige

[15]            Les questions en litige, telles que formulées par le demandeur, sont les suivantes :

1.          L'agente d'ERAR a-t-elle tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables et mal rapporté la preuve?

2.          L'agente d'ERAR a-t-elle mal compris les principes fondamentaux du droit applicable aux réfugiés et mal compris et appliqué le critère servant à établir la disponibilité de la protection de l'État?

3.          L'agente d'ERAR a-t-elle négligé la preuve mise à sa disposition et invoqué sélectivement des éléments de preuve qui soutenaient sa position en omettant de faire référence à ceux qui corroboraient les allégations du demandeur?

[16]            Je reformulerais les questions 2 et 3 de la façon suivante :

2.          L'agente d'ERAR a-t-elle mal compris ou mal appliqué le critère servant à établir la disponibilité de la protection de l'État?

3.          L'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur de droit en faisant abstraction de la preuve ou en omettant de l'apprécier convenablement?


Prétentions du demandeur

[17]            Le demandeur soutient que l'opinion de l'agente d'ERAR était manifestement déraisonnable.

[18]            Il allègue que l'agente d'ERAR a mal rapporté la preuve présentée. Dans ses motifs, elle a mentionné ce qui suit :

[traduction] Il dit : « ils m'ont lancé du poivre à l'aide d'un vaporisateur, ils ont forcé à l'accès à ma résidence, ils m'ont menacé, [¼] ils m'ont dit de ne rien dire à la police [¼] »

Dans l'exposé des faits annexé à sa demande d'ERAR, le demandeur a expliqué pourquoi il n'avait pas signalé l'incident à la police :

[traduction] [¼] Ils m'ont lancé du poivre à l'aide d'un vaporisateur et ont forcé l'accès à ma résidence. Ils m'ont de nouveau menacé. Il m'ont dit que si jamais ils me voyaient encore dans le voisinage, je mourrais comme ma putain de grand-mère est morte. Ils ont dit qu'ils savaient quoi faire pour évincer les Tsiganes de cette région. Ils m'ont également dit de ne pas aller à la police et de ne rien lui dire parce que des policiers faisaient partie de leur groupe. Je les ai crus parce que les médias faisaient état de corruption policière. Des cas de brutalité policière à l'endroit des Roms étaient également rapportés. Les intrus m'ont battu. Ils m'ont donné des coups de pied. Ils ont cessé seulement lorsque je leur ai dit que je quitterais le pays. J'ai décidé de revenir au Canada.

[19]            Le demandeur prétend que c'est parce qu'elle a mal rapporté cette preuve que l'agente d'ERAR a commis une erreur en décidant qu'il n'avait pas réfuté la présomption de protection de l'État.

[20]            Le demandeur soutient que, pour suivre l'arrêt Ward, précité, la question à se poser pour satisfaire au critère servant à établir la disponibilité de la protection de l'État n'est pas de savoir si l'État a « fait des efforts » pour protéger l'ensemble de ses citoyens, comme l'a mentionné l'agente d'ERAR, mais elle consiste plutôt à se demander s'il était objectivement raisonnable de sa part de ne pas avoir sollicité la protection de l'État. Le demandeur fait valoir que, compte tenu des expériences qu'il a lui-même vécues et que des personnes se trouvant dans une situation semblable ont vécues, ainsi que de la vaste preuve documentaire concernant l'implication de la police dans la persécution faite aux Roms hongrois, il était raisonnable de ne pas avoir demandé la protection de l'État.

[21]            Le demandeur allègue que l'agente d'ERAR a commis une erreur en omettant de faire une analyse de la preuve qu'il a présentée concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable, en vue de déterminer si cette preuve était suffisante pour réfuter la présomption de la protection de l'État conformément à l'arrêt Ward, précité. Ainsi, l'agente d'ERAR n'a pas tenu compte de la preuve documentaire pertinente et elle a indûment rejeté la preuve concernant les membres de sa famille.


[22]            Le demandeur affirme qu'il était loisible à l'agente d'ERAR de faire sa propre analyse de la protection offerte par l'État. Toutefois, elle a commis une erreur en ne tenant pas compte d'une preuve documentaire volumineuse qui corrobore fortement l'allégation selon laquelle le demandeur sera exposé à de la persécution sans espoir de se voir protéger par l'État, si on le force à retourner en Hongrie. L'agente d'ERAR n'a fait allusion qu'une seule fois dans ses motifs aux difficultés éprouvées par les Roms en Hongrie en disant : [traduction] « Il est entendu qu'il existe certaines préoccupations quant aux conditions de vie des Roms en Hongrie. »

Prétentions du défendeur

[23]            Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent d'ERAR est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[24]            Le défendeur prétend que l'agente d'ERAR a appliqué une méthode de pondération à l'ensemble de la preuve dont elle disposait, y compris la preuve présentée par le demandeur et la preuve documentaire se rapportant à la protection offerte par l'État, eu égard aux articles 96 et 97 de la LIPR.


[25]            Le défendeur fait valoir que, suivant les éléments de preuve qu'elle avait à sa disposition, il était raisonnablement loisible à l'agente d'ERAR de conclure que l'État était en mesure d'offrir une protection suffisante et que le demandeur n'avait pas épuisé tous les recours possibles avant de quitter la Hongrie. L'agente d'ERAR n'exigeait pas que le demandeur approche directement un représentant de l'État ou même la police. Elle était préoccupée par le fait qu'il n'a présenté aucune preuve démontrant qu'il avait approché d'autres organisations. Le défendeur allègue que le demandeur ne peut réfuter, au moyen d'une preuve claire et convaincante, la présomption selon laquelle l'État serait disposé à le protéger s'il le demandait.

[26]            Le défendeur soutient qu'un office fédéral n'est pas tenu de faire état de chacun des éléments de preuve dont il dispose. Il est présumé que le décideur a lu et examiné tous les éléments de preuve soumis, à moins que cette présomption ne soit réfutée.

[27]            Le défendeur prétend que, même si l'agente d'ERAR a jugé que les incidents qui concernent la femme du demandeur et la famille de celle-ci constituaient de la preuve sur des personnes se trouvant dans une situation semblable avant 1998, cela ne réfute pas la présomption selon laquelle la protection maintenant offerte par l'État est suffisante.

Réponse du demandeur aux arguments du défendeur

[28]            Le demandeur affirme qu'un agent d'ERAR n'est pas tenu d'expliquer pourquoi il n'a pas accepté tous les éléments de la preuve dont il dispose. Il soutient toutefois que l'agente d'ERAR n'a pas appliqué de méthode de pondération à la preuve.

[29]            Le demandeur prétend que la preuve dont l'agente d'ERAR a fait abstraction avait une valeur probante significative et que l'omission de procéder à l'examen particulier de cette preuve équivalait à une erreur de droit.


Analyse et décision

[30]            Je propose d'aborder en premier lieu la question 3 telle que je l'ai reformulée.

[31]            Question 3

L'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur de droit en faisant abstraction de la preuve ou en omettant de l'apprécier convenablement?

L'agente d'ERAR a mentionné ce qui suit dans ses motifs :

[traduction] L'examen des risques avant renvoi est un processus prospectif qui est personnel au demandeur. Comme il s'intéresse à l'avenir, une preuve contemporaine fiable et objective (à savoir le rapport de 2002 du Département d'État des États-Unis, le rapport de 2002 d'Amnistie internationale et le Human Rights Watch de 2003, etc.) sera consciencieusement évaluée pour déterminer si, en cas de renvoi en Hongrie, le demandeur s'expose à un risque parce qu'il est d'origine ethnique rome.

[32]            L'agente d'ERAR a dressé la liste suivante pour les sources consultées :

Demande d'ERAR signée et datée du 10 décembre 2002;

Observations accompagnant la demande d'ERAR;

Notes de bas de page citées à la section 5.

[33]            Les notes de bas de page citées à la section 5 font référence aux sources suivantes :

Country Reports on Human Rights Practices for 2001 - Hungary, Département d'État des États-Unis.

Country Reports on Human Rights Practices for 2002 - Hungary, Département d'État          des États-Unis.

Hongrie : mesures gouvernementales visant à améliorer la situation des Roms en 2000-2001, Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, mai 2001.


Hongrie : mise à jour sur la situation des Roms, Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, novembre 2001.

Hongrie : points de vue de diverses sources sur la situation des Roms, Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, septembre 2001.

[34]            Aux pages 203 à 208 du dossier de la demande qu'il a présentée à la Cour, le demandeur cite les passages suivants extraits de la preuve documentaire concernant le milieu de vie défavorable des Roms en Hongrie, laquelle preuve était à la disposition de l'agente d'ERAR :

Country Reports on Human Rights Practices for 2002 - Hungary, Département d'État des États-Unis

[traduction] Il a été signalé que certains policiers ont eu recours à une force excessive et à la violence et fait du harcèlement à l'endroit des suspects, particulièrement des Roms.

La discrimination antisémite et raciale persistait et de nombreuses attaques motivées par le racisme, particulièrement à l'endroit des Roms, se sont produites au cours de l'année.

La discrimination sociale à l'endroit des Roms était un problème grave.

Torture et autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

La loi interdit ces pratiques; toutefois, la police a parfois eu recours à une force excessive et à la violence et fait du harcèlement à l'endroit des suspects, particulièrement des Roms.

En janvier, le département de Pest a retiré, en invoquant le manque de preuve, les accusations portées contre treize policiers à la suite d'un incident survenu en 2001 dans le village de Bag. Les policiers avaient été accusés d'agression à l'endroit de plusieurs personnes d'origine rome à l'occasion d'une descente effectuée dans une veillée funèbre.

Les abus de la police à l'endroit des Roms étaient couramment signalés, mais un grand nombre de Roms avaient peur de se prévaloir des recours en justice ou d'aviser les ONG (voir la section 1.c). La police n'est également pas intervenue pour empêcher la violence faite aux Roms.


Selon le Roma Press Center, le 29 janvier, au village de Pecsvarad, un agresseur inconnu a mis le feu à l'immeuble de la collectivité minoritaire autonome des Roms. L'incendie s'est éteint de lui-même et les dommages étaient mineurs. La police a mené une enquête mais aucun suspect n'a été identifié. À la fin de l'année, il n'y avait eu aucun progrès dans cette affaire.

Human Rights Watchde 2002

[traduction] La situation est demeurée précaire pour nombre de Roms hongrois. Avec une espérance de vie dix ans plus courte que celle du reste de la population et un taux de chômage dix fois plus élevé que la moyenne nationale, les Roms se heurtaient à de la discrimination dans l'emploi, le logement, l'éducation et le système de justice pénale en plus d'être victimes d'agressions physiques.

Cette déclaration est suivie d'autres exemples d'incidents qui se sont produits récemment.

[traduction] La police continue de mal se comporter à l'égard des Roms.

Rapport de 2001 d'Amnistie internationale

Les Roms

En juin, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) du Conseil de l'Europe a constaté que « de sérieux problèmes de racisme et d'intolérance » persistaient en Hongrie et que la discrimination à l'égard de la communauté rome restait fréquente dans tous les domaines de la vie. La Commission s'est déclarée particulièrement préoccupée par les brutalités policières à l'encontre des Roms. Cela n'a pas empêché un représentant du ministère de la Justice de déclarer, lors d'une conférence consacrée à la discussion de ce rapport par les organisations non gouvernementales (ONG) locales, que le gouvernement ne soutenait pas les propositions demandant l'adoption d'une loi anti-discrimination, au motif que la législation existante offrait une protection suffisante.

Observations écrites de l'European Roma Rights Center concernant la République de Hongrie (avril 2002)

[traduction][¼] Les Roms sont victimes d'une violence motivée par le racisme de la part des forces de l'ordre, des skinheads et d'autres groupes. Les forces de l'ordre, dans l'intervalle, omettent systématiquement de fournir une protection efficace aux Roms.

Discussion - L'ampleur de la violence motivée par le racisme et de la discrimination à l'endroit des Roms en Hongrie soulève de sérieuses préoccupations quant au respect des obligations qui incombent au gouvernement hongrois en vertu du Pacte. Le sentiment antirom en Hongrie aujourd'hui est très fort et constitue une situation propice à de graves violations des droits fondamentaux des Roms.


[35]            Même si l'agente d'ERAR a précisé qu'elle avait traité [traduction] « la preuve dans son intégralité » , rien n'indique dans la décision qu'elle s'est intéressée à la preuve contradictoire se rapportant à une question importante sur laquelle reposait la cause du demandeur, à savoir la disponibilité de la protection de l'État pour les Roms en Hongrie. Il semblerait que, dans la décision, la seule référence aux difficultés éprouvées par les Roms en Hongrie se résumait à la phrase suivante : [traduction] « Il est entendu qu'il existe certaines préoccupations quant aux conditions de vie des Roms en Hongrie. » Cela est insuffisant compte tenu de l'autre preuve documentaire.

[36]            Comme la Cour l'a précisé dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.), aux paragraphes 16 et 17 :

[¼] Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. [¼]

[37]            Après avoir appliqué le même raisonnement aux faits de la présente affaire, je suis d'avis que l'agente d'ERAR a commis une erreur donnant matière à révision en concluant que le demandeur pouvait bénéficier de la protection de l'État, sans avoir examiné toute la preuve, notamment la preuve contradictoire concernant la manière dont les Roms sont traités. La preuve contradictoire aurait dû être confrontée à l'autre preuve.

[38]            Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis venu à l'égard de la question 3, je n'ai pas besoin d'aborder les autres questions.

[39]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'ERAR pour un nouvel examen.

[40]            Le demandeur disposera d'un délai d'une semaine à partir de la date de la présente décision pour soumettre une question grave de portée générale à mon attention en vue de la certification. Le défendeur disposera ensuite d'un délai d'une semaine pour présenter des observations sur la question proposée.

                                                                            « John A. O'Keefe »           

                                                                                                     Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 30 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5270-03

INTITULÉ :                                                                LAJOS BABAI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 20 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                               LE 30 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Lisa R. G. Winter-Card                                                 POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Niren and Associates                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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