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Date : 20021209

Dossier : T-310-02

Référence neutre: 2002 CFPI 1280

ENTRE :

           COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                             Demanderesse

                                    et

                               GINO DUMONT

                                    et

                        TRANSPORT JEANNOT GAGNON

                                                                 Intimés

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER:

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « tribunal » ) accueillant une plainte de discrimination qui avait été déposée par le plaignant, Monsieur Gino Dumont contre Transport Jeannot Gagnon aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, (L.R.C., 1985 ch. H-2) (la « Loi » ). Cette demande de contrôle judiciaire porte strictement sur le refus d'octroyer une somme pour préjudice moral.


FAITS

[2]                 Les faits se résument ainsi:

[3]                 En mars 1996, le plaignant, M. Gino Dumont, résidant à l'Isle-Verte, exerce le métier affecté principalement au transport longue distance.

[4]                 M. Dumont fut embauché comme chauffeur de camion de type semi-remorque à compter du 31 mars 2001 par la défenderesse Transport Jeannot Gagnon.

[5]                 Le 2 juin 1996 il quitte Rivière-du-Loup pour une livraison de papier journal au Wall Street Journal à Bowling Green. En arrivant à Bowling Green le 4 juin 1996 il ressent un malaise au bas de l'épaule gauche qui va en s'accentuant. Il est finalement hospitalisé au Wood County Hospital à Bowling Green jusqu'au 7 juin 1996 pour une perforation au poumon gauche ou un pneumothorax.

[6]                 Le 12 juin 1996, il se rend au siège social de son employeur pour obtenir une cessation d'emploi pour cause de maladie. M. Dumont informe M. Gagnon qu'il pourra reprendre le travail à compter du 1er juillet 1996. Celui-ci exige d'abord un certificat attestant qu'il est apte à reprendre le travail. Le 5 juillet 1996, il se présente chez son employeur et lui remet le certificat médical. M. Gagnon lui annonce qu'il a confié son camion à un autre chauffeur.


[7]                 Dans les jours qui suivent, il communique à nouveau avec son employeur pour obtenir du travail. M. Gagnon lui répond qu'en raison du problème qu'il a vécu, il ne peut prendre le risque de lui offrir à nouveau un travail.

[8]                 M. Dumont comprend des propos de M. Gagnon que son refus de le reprendre au travail repose uniquement sur le fait qu'il craint une récidive de sa maladie et qu'il doit se chercher un autre emploi.

[9]                 Il communique avec la Commission des normes du travail du Québec qui le réfère à la Commission canadienne des droits de la personne à laquelle il s'adresse par écrit le 2 août 1996. L'audition a eu lieu le 29 et 30 octobre, 2001.

[10]            À l'audition, M. Dumont a témoigné relativement à l'impact de son départ de Transport Jeannot Gagnon sur son moral, ses finances et sa famille. J'ai reproduit le passage pertinent ci-dessous:

Me Vigna:

Q.            Alors, monsieur Dumont, suite à votre congédiement ou votre départ de Transport Jeannot Gagnon, pourriez-vous expliquer au Tribunal comment vous vous êtes senti face à cette situation?

R.            Je me suis senti trahi parce que mon métier, je l'aime. J'aime travailler, puis j'avais déjà assez d'avoir eu ce malaise-là puis d'être hospitalisé, en plus de supporter cette maladie-là, bien, temporaire là, j'ai perdu mon emploi puis ça m'a occasionné des pertes de salaire, des problèmes familiaux. Je ne peux pas dire que j'ai eu beaucoup de problèmes familiaux parce que moi puis ma femme, on est assez unis, mais c'est que ça a donné de la misère pour rien.


                 C'est que j'aurais pu continuer à travailler, garder mon emploi puis rien de tout ça serait arrivé. C'est ce qui en est de...c'est ça qui m'a amené a faire une demande au Tribunal pour avoir une réparation de ça.

Q.            Au niveau de votre moral, comment ça vous a affecté au niveau de votre moral cette situation de fait?

R.            Ça m'a affecté, c'est que tu te demandes si tu es encore bon à quelque chose quand tu te fais dire des choses de même, tu as toujours peur que ça t'arrive. En même temps, tu ne doutes pas que ça va t'arriver encore, mais tu te poses toujours des questions. Une question que je me suis rendu compte que ça n'avait pas rapport, moi, je connais quand même assez ma santé pour dire que je suis en forme. Ce qui est arrivé, c'est un accident. Ça peut arriver à une personne sur je ne sais pas comment de mille, mais c'est presque banal. On aurait pu passer là-dessus puis qu'il n'y ait pas eu de problème, mais non, il a fallu que ça accroche puis que j'aie d'autres problèmes, des problèmes financiers, moraux. C'est ça qui en est là.

Q.            Maintenant, financièrement, quelles conséquences que ça a eu cet épisode du 4 juin aux États-Unis jusqu'au 5 juillet, qu'est-ce que vous avez subi comme dépenses par rapport à ces événements-là?

R.            Bien, la dépense que si j'aurais, comme vous pouvez voir dans mon rapport d'impôt, j'ai fait une faillite, puis que si j'aurais pas été en faillite, c'est que ça m'aurait coûté au moins 5 000$ d'hôpital, à part les frais d'ambulance qui étaient de 2 000$, je pense, si je me souviens là. Les frais de rapatriement ont coûté au moins 500$ U.S. Ça, je les ai payés. L'ambulance puis l'hôpital, je ne les ais pas payés parce que c'était dans la faillite, puis il n'y avait rien de payé avant que je fasse une faillite. Les frais de transport, bien là, c'est mon père qui m'a passé l'argent pour que je puisse revenir au pays.

                 Ça m'a occasionné que je n'avais pas d'argent pour payer mes termes, termes d'auto, termes de maison, les assurances. Il fallait manger aussi. Si je n'avais pas eu ce manque d'emploi là, c'est que ça ne m'aurait pas occasionné ces problèmes-là. J'aurais compris que, O.K., j'avais des frais à payer pour l'hôpital puis l'ambulance puis mon rapatriement, mais je n'avais pas à subir le fait que je perde mon emploi en plus de ce qui m'est arrivé.

Dossier de la demanderesse aux pages 33-35. (Mon soulignement).

[11]            Le 3 février 2002, le tribunal accueille la plainte de M. Dumont, lui octroit 1 700$ pour pertes salariales et intérêt mais lui refuse toute compensation pour préjudice moral.

ANALYSE

[12]            À l'époque de l'acte discriminatoire, soit avant les amendements du 30 juin, 1998, le paragraphe 53(3) de la Loi se lisait ainsi:


(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas:

a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;

b) que la victime en a souffert un préjudice moral.

(3) In addition to any order that the Tribunal may make pursuant to section (2), if the Tribunal finds that:

a) a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice wilfully or recklessly, or

b) the victim of the discriminatory practice has suffered in respect of feelings or self-respect as a result of the practice,

the Tribunal may order the person to pay such compensation to the victim, not exceeding five thousand dollars, as the Tribunal may determine.


[13]            La demanderesse souligne que la jurisprudence majoritaire du Tribunal des droits de la personne est à l'effet d'accorder un montant pour préjudice moral lorsque la plainte est accueillie. (Morgan c. Canada (Forces armées) (1991), 13 C.H.R.R. D/42; Canada (Procureur général) c. Morgan (C.A.), [1992] 2 C.F. 401; Canada (Procureur général) c. Singh (2000), 37 C.H.R.R. D/501.

[14]            Quoique le paragraphe 53(2) de la Loi accorde une discrétion au tribunal quant à l'octroi de divers remèdes lorsqu'une plainte s'avère fondée, une telle discrétion doit être exercée judiciairement et à la lumière de la preuve devant le tribunal. (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Pitawanakwat c. Canada (Procureur général), [1994] 3 C.F. 298 (1re inst.)).

[15]            En l'espèce, le tribunal n'a fourni aucune raison pour de son refus. La plainte fut accueillie et rien dans le témoignage du plaignant ne laissait présager quelque motif pour lui refuser l'octroi d'une indemnité pour préjudice moral. Le refus pur et simple sans justification de considérer une indemnité quelconque, malgré la preuve non contredite à l'effet que le plaignant avait subi des dommages moraux, constitue un exercice déraisonnable de cette discrétion.

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

    

                                                                      « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.C.

  

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 décembre 2002.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                 T-310-02

INTITULÉ :              COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE c. GINO DUMONT ET AUTRES

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                QUÉBEC, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 5 DÉCEMBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : DE L'HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                     LE 9 DÉCEMBRE 2002

   

COMPARUTIONS :

Me GIACOMO VIGNA                                                 POUR LE DEMANDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me GIACOMO VIGNA                                                 POUR LE DEMANDEUR

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS

DE LA PERSONNE

ÉDIFICE CANADA

344,RUE SLATER

9ième ÉTAGE

OTTAWA, ONTARIO

K1A 1E1

  

POUR LE DÉFENDEUR

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