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Date : 20050622

Dossier : T-1004-05

Référence : 2005 CF 884

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION ESGENOÔPETITJ, également connue sous le nom de

PREMIÈRE NATION DE BURNT CHURCH,

laquelle constitue une bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens représentée par son chef et son conseil

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                  JAMES B. JONES, DIRECTEUR RÉGIONAL, RÉGION DU GOLFE,

                                                  PÊCHES ET OCÉANS CANADA

                                                                          - et -

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                  représentée par le ministre des Pêches et des Océans

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(Prononcés oralement à l'audience le mardi 21 juin 2005

et rendus par la suite par écrit pour plus de précision et de clarté)

LE JUGE HARRINGTON


[1]                La demanderesse, connue dans certains milieux sous le nom de Première nation de Burnt Church, s'est fait délivrer un permis de pêche le 11 mai 2005, en vertu de la Loi sur les pêches et du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones. Il autorise la bande à pêcher le homard dans les eaux de la zone de pêche du homard 23, laquelle est définie dans le Règlement et dans le permis lui-même.

[2]                Le demandeur dans le dossier de la Cour T-997-05, Jean Savoie, n'appartient pas à la bande. Il s'est fait délivrer un permis individuel le 19 mai 2005 pour la zone de pêche du homard 23. Il y a de nombreux autres pêcheurs provenant de ports d'attache différents qui détiennent aussi des permis de pêche pour cette zone.

[3]                Le défendeur, James Jones, est le directeur général régional, Région du Golfe, à Pêches et Océans Canada. Il a modifié les droits de pêche dans la zone 23, censément en application de l'alinéa 43m) de la Loi sur les pêches et du paragraphe 6(1) du Règlement de pêche (dispositions générales).

[4]                Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de ces ordonnances modificatives. Dans l'intervalle, ils sollicitent une injonction mandatoire qui aurait pour effet d'annuler ou de lever les ordonnances.


[5]                L'objectif déclaré par M. Jones était de créer une zone tampon de un kilomètre dans la zone de pêche du homard 23. Il a imposé cette mesure temporaire (la saison prend fin le 30 juin) dans le but d'assurer la sécurité publique et de rétablir l'ordre dans la pêche. Dans son affidavit, il relate un certain nombre de conflits qui sont survenus au fil du temps entre différentes communautés de pêcheurs dans la zone de pêche du homard 23.

[6]                Il y a eu au moins deux cas qui ont mené à des accusations criminelles et à des déclarations de culpabilité; dans un cas, une peine d'incarcération. En raison de la destruction de biens personnels de certains pêcheurs, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a rendu l'an dernier une ordonnance interlocutoire par consentement. Elle a expiré depuis.

[7]                La Première nation de Burnt Church a exprimé beaucoup d'inquiétudes au sujet de la sécurité dans la région. Le 13 mai dernier, elle a écrit au ministre des Pêches et des Océans, l'honorable Geoff Regan. La bande et le village de Neguac, au Nouveau-Brunswick, lui ont demandé son aide pour résoudre ce qu'ils appellent des [traduction] « conflits regrettables créés par des différends entre pêcheurs de homard » , en ce qui concerne ce qu'ils désignent comme des [traduction] « frontières et des lignes artificielles sur l'eau établies par une minorité d'exploitants pêcheurs » . Ces conflits existent depuis un certain nombre d'années sans qu'on puisse voir de solution durable ou permanente. Il est nécessaire d'adopter d'urgence des mesures de réglementation afin d'appuyer les actions coercitives des agents des pêches et de la Gendarmerie royale du Canada.

[8]                La GRC a nommé M. Gaétan Germain, un agent expérimenté, pour agir comme liaison pour les questions de pêche dans la Miramichi. Il a également déposé en l'espèce un affidavit établissant le problème de la façon dont il l'a perçu.

[9]                Le problème semble découler du fait que certaines communautés de pêcheurs prétendent être les seules à avoir le droit de pêcher dans certaines parties de la zone 23. Il peut ou non y avoir eu des engagements d'honneur verbaux de temps à autre, mais des tensions sont apparues lorsque d'autres communautés ont tenté de pêcher dans les territoires revendiqués.

[10]            M. Jones et M. Germain ont fait des efforts pour maintenir la paix, mais la situation est très instable. C'est ce qui a poussé M. Jones à rendre les ordonnances modificatives qui ont mené à la création d'une zone tampon. Des casiers à homards ont été coupés sous le couvert de la nuit et il s'avère très difficile de prendre les auteurs sur le fait. On espère que cette zone aidera à préserver la paix et l'ordre.

[11]            Les demandeurs affirment qu'ils ont le droit absolu de pêcher. En outre, la bande invoque ses droits constitutionnels dans le cadre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[12]            Voilà, en résumé, la portée des demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes des décisions de M. Jones. Je suis toutefois saisi d'une requête interlocutoire en injonction qui, si elle était accueillie, aurait pour résultat de révoquer les ordonnances modificatives.


[13]            À titre préliminaire, une objection a été formulée relativement à certaines parties de l'affidavit de M. Germain au motif que certaines des allégations étaient vagues et que d'autres constituaient du ouï-dire. C'est vrai. Toutefois, je n'ai radié aucune partie de son affidavit. Il n'y a pas eu de contre-interrogatoire sur l'affidavit et, dans une instance interlocutoire où le facteur temps est essentiel, il était pratiquement impossible d'avoir des renseignements de première main de tous les gens qui avaient peut-être quelque chose à dire. J'ai cependant fait remarquer que ces commentaires influeraient dans une certaine mesure sur le poids à donner au contenu de l'affidavit.

[14]            L'objet réel de l'objection, selon mon interprétation, était d'établir que les demandeurs sont les victimes des autres auteurs, qu'ils ne sont pas les auteurs eux-mêmes et qu'ils se présentent à la Cour en ayant une conduite irréprochable, ce qui constitue un facteur très important chaque fois que quelqu'un invoque la compétence d'equity de la Cour. Je suis prêt à présumer, et je n'ai pas à en décider, que les demandeurs viennent en effet devant la Cour en ayant une conduite irréprochable.


[15]            Il existe une distinction entre les demandeurs en ce que Burnt Church a le droit d'invoquer certains droits issus de traités et historiques qui ont été reconnus par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Si importante que soit cette distinction entre la bande d'un côté et M. Savoie de l'autre, il n'est pas nécessaire d'en tenir compte aujourd'hui pour les fins de ma décision.

[16]            Le critère à satisfaire dans le cas d'une injonction interlocutoire est bien connu. L'arrêt RJR- MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, souligne qu'il y a trois étapes. Le requérant doit avoir gain de cause dans l'ensemble des trois. Tout d'abord, il doit établir l'existence d'une question sérieuse à juger. « Le juge de la requête doit déterminer s'il est satisfait au critère, en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire. »

[17]            La deuxième étape consiste pour le requérant à « établir qu'il subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement » . La troisième étape exige « l'appréciation de la prépondérance des inconvénients » .

[18]            En ce qui concerne la première question, laquelle est de savoir s'il existe ou non une question sérieuse sous-jacente, la barre est habituellement assez basse. Toutefois, il existe des exceptions à cela, par exemple, si le fait d'accorder l'injonction rendait théorique le contrôle judiciaire sous-jacent. Si l'injonction est accordée en l'espèce, puisque la saison se termine le 30 juin, les demandeurs auront obtenu tout ce qu'ils demandent.

[19]            Une autre exception, c'est celle de l'injonction mandatoire. Dans ces cas-là, les demandeurs doivent établir une preuve prima facie. La plus grande partie de l'argumentation se rapporte aux ordonnances modificatives rendues en application du Règlement de pêche (dispositions générales). Le paragraphe 6(1) prévoit que :

Lorsqu'une période de fermeture, un contingent ou une limite de taille ou de poids du poisson est fixé pour une zone par un des règlements énumérés au paragraphe 3(4), le directeur général régional peut, par ordonnance, modifier la période de fermeture, le contingent ou la limite pour cette zone ou pour toute partie de cette zone.

Where a close time fishing quota or a limit on the size or weight of fish is fixed in respect of an area under any of the regulations listed in sub-section 3(4), the Regional Director General may, by order, vary that close time, fishing quota or a limit in respect of that area or any portion of that area

[20]            Les demandeurs font valoir que rien dans ce règlement ne permet de restreindre la pêche dans une partie de la zone 23 dans le but de préserver la paix et que le règlement ne donne pas le droit de changer la géographie de la zone 23. On fait valoir que M. Jones a outrepassé le pouvoir que lui conférait la loi. Essentiellement, le problème est qu'il n'y a pas de maintien de l'ordre adéquat et cela ne constitue pas une question qu'il y a lieu d'examiner au regard du Règlement de pêche (dispositions générales).

[21]            D'un autre côté, s'il n'y a pas de paix dans la pêche, cela a nécessairement un effet défavorable sur la pêche. Je dois mentionner que si l'on parle de la pêche, du droit criminel ou des traversiers entre les provinces, on doit en fin de compte s'en rapporter à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ces rubriques de compétence conférées au Parlement du Canada sont toutes des exemples de sa compétence de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada.


[22]            Je suis d'avis qu'il y a une question sérieuse sous-jacente et que, pour les fins de cette étape, les demandeurs ont satisfait au plus haut degré de preuve prima facie. Je suis également convaincu qu'il y a une défense sérieuse à faire valoir dans cette affaire et celle-ci sera jugée lorsque la demande de contrôle judiciaire sera entendue sur le fond.

[23]            Le deuxième critère est celui du préjudice irréparable. Les demandeurs se livrent à la pêche commerciale. Une valeur monétaire est attachée à leurs prises et des dommages-intérêts les mettraient dans la position dans laquelle ils auraient été si les ordonnances modificatrices n'avaient pas été rendues. Je suis conscient que le fait de poursuivre la Couronne peut représenter des difficultés mais elles ne sont pas insurmontables.

[24]            Je renvoie à l'arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121. Il s'agissait d'un exemple extrême de mauvaise foi. On ne laisse pas entendre que M. Jones agit de mauvaise foi, bien que M. Savoie soupçonne qu'il s'agit d'un prélude à une modification des zones de pêche dans le futur. Toutefois, le point demeure qu'on a fait valoir que M. Jones avait outrepassé son pouvoir. S'il agit sans pouvoir et s'il est appuyé par le ministre des Pêches, il me semble alors qu'une action en dommages-intérêts puisse être intentée, indépendamment de la demande de contrôle judiciaire et, par conséquent, je dois dire que les demandeurs n'ont pas gain de cause concernant le deuxième élément du critère.

[25]            Dans ce deuxième élément, il y a également une question d'urgence. On a laissé entendre que, du fait qu'il y avait eu un délai de plusieurs jours avant que la demande soit présentée, l'affaire n'était pas urgente et que, par conséquent, il n'y avait pas de préjudice irréparable. Je ne puis souscrire à cette position. Le dossier démontre que des efforts ont été faits afin de trouver une solution politique lorsqu'une autre lettre a été écrite au ministre. Ainsi, les demandeurs n'avaient certes pas renoncé à leurs droits.

[26]            Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire que j'examine le troisième élément du critère qui est celui de la prépondérance des inconvénients.

[27]            En plus, il y a un autre point dans le cadre de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Son article 22 prévoit que le tribunal ne peut assujettir l'État à une injonction ou à une ordonnance d'exécution en nature mais qu'il peut, pour en tenir lieu, déclarer les droits des parties. En quelque sorte, cela se rapporte donc également à la question sérieuse. Je cite une affaire : North of Smokey Fishermen's Assn. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 33, [2003] A.C.F. no 40 (QL), dans laquelle la juge Layden-Stevenson a examiné la jurisprudence.

[28]            Pour ces motifs, je dois rejeter la demande. Il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.

                                                                                                                              _ Sean Harrington _             

                                                                                                                                                     Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 22 juin 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                    T-1004-05

INTITULÉ :                                                                   LA PREMIÈRE NATION ESGENOÔPETITJ, également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DE

BURNT CHURCH, laquelle constitue une bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens représentée par son chef et son conseil

c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par le ministre des Pêches et des Océans

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 21 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                                 LE 22 JUIN 2005

COMPARUTIONS:

Basile Chiasson, c.r.                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Ginette Mazerolle                                                             POUR LES DÉFENDEURS

SOLICITORS OF RECORD:

Chiasson et Roy                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Bathurst (Nouveau-Brunswick)

John H. Sims, c.r.                                                             POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada


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