Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




Date : 20000712


Dossier : T-84-00


ENTRE :


ROBERT JAMES BULLIS


demandeur



- et -


LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT DE BOWDEN et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



défendeurs


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

[1]      En janvier 1999, M. Bullis a été condamné à deux ans d'emprisonnement. On a déterminé qu'il constituait un risque minimal pour la sécurité et il a par conséquent été envoyé à l'annexe-ferme de l'établissement de Bowden. Par la suite, les dirigeants de la prison ont cru qu'il avait été impliqué dans le trafic de drogues à l'intérieur de la prison et ils l'ont donc envoyé dans un établissement à sécurité moyenne en septembre 1999.

[2]      Monsieur Bullis a contesté, par l'entremise de la procédure de règlement des griefs de la prison, son transfert à un établissement à sécurité moyenne, mais il n'a pas eu gain de cause. Il a donc introduit la présente demande de contrôle judiciaire en janvier 2000. Il a toutefois été remis en liberté en mai dernier.

[3]      Les présents motifs font suite à une requête des défendeurs en vue d'obtenir le rejet de la demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique ou, subsidiairement, d'obtenir que la question de savoir si la requête est théorique soit traitée au début de l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, la première façon de remédier à la situation, soit de radier la requête à ce stade-ci, est indiquée.

ANALYSE

[4]      Les circonstances de la présente affaire ont changé de sorte qu'il n'existe plus de litige entre les parties qui puisse être tranché par une décision de la Cour. Plus particulièrement, lorsque la demande de contrôle judiciaire a été introduite, le demandeur était incarcéré à l'établissement de Bowden, en Alberta. Il a été depuis remis en liberté. L'affaire est donc devenue théorique. Il reste cependant à trancher la question de savoir si la Cour devrait entendre la demande et rendre une décision, malgré le fait que l'affaire soit devenue théorique, et je fais ici référence à l'arrêt ;Borowski c. Canada [1989] 1 R.C.S. 342.

[5]      Les seuls motifs invoqués par M. Bullis pour justifier sa demande d'une audition complète de la demande de contrôle judiciaire, malgré le fait qu'elle soit théorique, est le fait qu'elle porte sur une violation présumée de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et que le Commissaire à la protection de la vie privée lui a dit que ses plaintes sont fondées. La demande de contrôle judiciaire renvoie expressément à l'article 7 de la Charte, selon lequel il ne peut être porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité d'une personne qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. À n'en pas douter, une décision de transférer un détenu doit être prise dans le respect de l'équité procédurale : voir à titre d'exemple R. c. Chester (1984) 5 Admin. L.R. 111, à la page 144, une décision de la Haute Cour de l'Ontario. Toutefois, je ne me pencherai pas à ce stade-ci sur le fond de la demande de M. Bullis. En contestant cette requête en radiation, M. Bullis ne fournit aucune allégation précise quant à la raison pour laquelle la Cour devrait entendre sa demande de contrôle judiciaire maintenant qu'elle est devenue théorique.

[6]      La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Borowski, a fait remarquer qu'il revient à la Cour de décider, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, si elle doit entendre une demande malgré le fait qu'elle soit devenue théorique. Les critères à considérer dans le cadre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire sont exposés dans l'arrêt Borowski aux pages 358 à 362. Le premier critère à considérer est de savoir s'il existe toujours un contexte contradictoire dans lequel une audience peut être tenue. Dans certains cas, il peut toujours exister un débat contradictoire malgré la disparition du litige opposant les parties. Cependant, en l'espèce, je ne crois pas que le demandeur ait un intérêt direct ou accessoire dans l'issue du litige, sauf peut-être celui de prouver qu'il a eu raison tout au long de la procédure de grief. Il ne s'agit pas là d'un motif valable sur lequel faire reposer un vrai débat contradictoire. De la perspective des défendeurs, je ne crois pas qu'ils aient un quelconque intérêt à établir le bien-fondé du transfert involontaire de la ferme de Bowden à l'établissement lui-même, qui constituait essentiellement un resserrement de la sécurité. Comme l'avocate des défendeurs le souligne, une décision dans la présente affaire n'aura pas pour effet de créer un précédent étant donné que chaque transfert constitue un cas d'espèce.

[7]      Le deuxième critère est celui de l'économie des ressources judiciaires. Il s'agit de savoir s'il est justifié d'utiliser des ressources judiciaires limitées pour trancher une question qui est théorique. Le rôle de notre Cour est, à toute fin pratique, rempli jusqu'à l'année prochaine. Il n'y a aucune raison de croire que lorsque la présente affaire sera prête à être entendue, la liste d'attente sera plus courte. Ceci, joint au fait que la décision n'aura pas d'effets concrets sur les droits des parties, constitue une raison sérieuse pour laquelle la Cour ne devrait pas entendre cette demande théorique, une demande qui ne pose pas une question d'importance publique ou d'intérêt public.

[8]      Troisièmement, il y a dans certains cas un risque qu'en prononçant un jugement sans qu'il n'y ait de litige pouvant affecter les droits des parties, une cour puisse empiéter de fait ou projeter l'image d'un empiétement sur la fonction législative du gouvernement. En l'espèce, l'avocate des défendeurs reconnaît qu'il n'y aurait pas d'empiétement sur la fonction législative du gouvernement.

[9]      Le fait que la poursuite reconnaisse que l'un des trois volets du critère ne constitue pas un facteur n'entraîne pas le rejet de sa requête en l'espèce. En effet, comme Monsieur le juge Sopinka l'a fait remarquer dans l'arrêt Borowski, à la page 363, les trois critères ne doivent pas être appliqués mécaniquement comme il se peut que ces principes « (...) ne tendent pas tous vers la même conclusion. L'absence d'un facteur peut prévaloir malgré la présence de l'un ou des deux autres, ou inversement » . En l'espèce, les deux premiers principes, ceux du contexte contradictoire et de la préoccupation relative à l'économie des ressources judiciaires, prévalent clairement sur le troisième principe.

[10]      La question revient donc à savoir si la présente demande de contrôle judiciaire devrait être radiée, en raison de son caractère théorique, comme la règle générale veut qu'on ne mette pas fin sommairement à des demandes de contrôle judiciaire à un stade précoce, mais que l'on procède plutôt à une audition complète, vu qu'un contrôle judiciaire constitue une procédure sommaire qui, dans la plupart des cas, ne devrait pas être interrompue par des requêtes inutiles ou qui prennent beaucoup de temps : voir David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc. [1995], 1 C.F. 588, aux pages 596 et 597. Toutefois, le juge d'appel Strayer a ajouté, à la page 600 dans David Bull Laboratories, que la Cour avait compétence pour rejeter sommairement toute requête, en faisant référence à un avis de requête introductif d'instance, le prédécesseur de la présente demande « [...] qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » .

CONCLUSION

[11]      J'ai souligné le fait que la présente instance ne donne lieu à aucun avantage réel ni à une conséquence indirecte pour les parties. Nous ne sommes plus en présence d'un contexte contradictoire comme il n'existe plus de litige opposant les parties. Il ne vaut clairement pas la peine d'utiliser les ressources limitées dont dispose la Cour pour trancher une affaire qui n'aura aucun effet sur le plan de la procédure quant aux droits de l'une ou l'autre des parties. Les ressources limitées du contribuable ne devraient pas être utilisées pour trancher une affaire semblable, une affaire qui n'est ni importante pour le public, ni d'intérêt public. Bien qu'il soit inutile en l'espèce que la Cour démontre qu'elle est consciente de sa fonction valable d'élaboration du droit et qu'elle évite d'empiéter sur la fonction législative du gouvernement, l'absence de ce troisième facteur a une importance minime comparativement aux deux premiers facteurs.

[12]      En résumé, il serait inutile d'espérer que la Cour puisse entendre la présente affaire, malgré le fait qu'elle soit théorique, étant donné que la demande n'a aucune chance d'être accueillie : il n'existe aucune raison pour laquelle une cour devrait faire une exception, en faveur du demandeur, M. Bullis, et entendre sa demande de contrôle judiciaire théorique.

ORDONNANCE :

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée en raison de son caractère théorique.


                             (Signé) « Jonh A. Hargrave »

                                 Protonotaire

Le 12 juillet 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)




Traduction certifiée conforme



Kathleen Larochelle, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER :                  T-84-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ROBERT JAMES BULLIS

                     c.

                     LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                     LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT DE BOWDEN et

                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


REQUÊTE TRAITÉE SUR DOCUMENTS CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR J. HARGRAVE


EN DATE DU :              12 juillet 2000



ONT COMPARU :


Robert J. Bullis                          POUR LE DEMANDEUR

Tracy J. King                              POUR LES DÉFENDEURS



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Morris Rosenberg                          POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général

du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.