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Date : 20010816

Dossier : IMM-128-01

Référence neutre : 2001 CFPI 899

ENTRE :

                                                        AMADO PERADA ALAMAG

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A. Contexte

[1]                 Amado Perada Alamag (le demandeur), citoyen des Philippines, a fait une demande de résidence permanente au Canada le 29 juillet 1998, dans la catégorie des immigrants indépendants, en déclarant que la profession qu'il avait l'intention d'exercer au Canada était celle d'ingénieur chimiste, de croupier ou de tout autre emploi de casino.

[2]                 À l'examen initial, il a obtenu 67 points en tant qu'ingénieur technico-commercial et à son entrevue, le 19 octobre 2000, il a obtenu quatre autres points pour sa personnalité, soit un total de 71, ce qui lui a permis de passer le seuil des 70 points.

[3]                 Toutefois, sa demande a été rejetée à cause de l'exercice du pouvoir discrétionnaire négatif prévu à l'alinéa 11(3)b) du Règlement sur l'immigration selon lequel :

(3) L'agent des visas peut

a)             délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

b)             refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

[4]                 La lettre de refus de l'agent des visas est datée du 5 décembre 2000 et dit, entre autres, ce qui suit :

[traduction] Vous avez accumulé un nombre suffisant de points pour avoir le droit d'immigrer au Canada. Néanmoins, l'alinéa 11 (3) b) du Règlement sur l'immigration me permet, avec l'approbation de l'agent d'immigration supérieur, de refuser la délivrance d'un visa d'immigrant si j'estime que le nombre de points d'appréciation accordé ne laisse pas prévoir que vous pouvez réussir votre installation au Canada. Dans votre formulaire IMM8 et pendant l'entrevue, vous avez indiqué que votre seule intention était de travailler comme chef de casino. Il n'existe pas de demande au Canada pour ce type de travail. Ce facteur, combiné avec les très maigres fonds dont vous disposez (250 $CAN) pour faire vivre votre famille de cinq personnes au Canada, m'amène à conclure que vous ne pourrez pas vous installer avec succès au Canada. J'ai discuté de ces motifs avec vous, et l'approbation d'un agent d'immigration supérieur a été demandée et obtenue.


Votre conjointe a été évaluée en tant que chef de bureau (CNP 1221). Toutefois, votre demande ne pouvait pas être approuvée sur cette base-là parce que le facteur de profession pour cette profession, à la fois maintenant et au moment de la présentation de votre demande, était néant.

[5]                 L'agent des visas qui a rencontré le demandeur a recommandé le refus parce qu'il estimait que le nombre de points qui lui étaient alloués ne laissait pas présager qu'il puisse s'installer au Canada. Ses notes du STIDI présentent les motifs suivants à l'appui de ce point de vue :

[traduction] Le demandeur a indiqué qu'il voulait seulement travailler comme croupier, profession pour laquelle il n'existe pas de demande au Canada. Son âge (48) fait qu'il est tout à fait improbable qu'il trouve un travail sur le marché du travail canadien, surtout quand il a indiqué qu'il avait seulement l'intention de chercher un emploi dans un type de profession qui n'était pas en demande au Canada. Le peu de fonds dont il dispose, soit 250 $, au moment de l'entrevue constitue un autre empêchement qui pourra nuire à son établissement au Canada, même s'il y a des parents. Il y a cinq personnes dans son unité familiale. Sa femme travaille aussi dans un domaine où il n'existe pas de demande.

B. Les questions en litige

[6]                 L'avocat du demandeur s'est appuyé largement sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Sadeghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 337. Il a déclaré que l'agent des visas n'avait pas tenu compte des immeubles du demandeur évalués à 70 967,74 $, qui étaient énumérés dans l'état de valeur nette du demandeur de 44 599,15 $ après comptabilisation des dettes. L'avocat a soutenu que l'agent des visas a une obligation d'équité qui est supérieure à la normale et qu'il aurait dû examiner cet aspect de son patrimoine et exiger la preuve documentaire qui selon lui était manquante.


[7]                 L'avocat du demandeur s'est appuyé sur l'affaire Hoballahi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 37 Imm. L.R. (2d) 98 pour soutenir que les parents canadiens du demandeur lui avaient offert de l'aider dans son installation au Canada et que l'agent des visas n'en avait pas tenu compte.

[8]                 Il invoque l'affaire Sadeghi, précitée, pour dire que l'alinéa 11(3)b) ne confère pas aux agents des visas un pouvoir discrétionnaire général de réexaminer leur évaluation en vertu des critères de sélection particuliers.

[9]                 Enfin, l'avocat du demandeur déclare que l'agent des visas n'a pas tenu compte d'un point important pour ce qui est de démontrer sa faculté d'adaptation et, par conséquent, la possibilité qu'il avait de s'établir avec succès au Canada. Il s'agit du fait qu'il a trouvé un poste d'ingénieur technico-commercial entre 1988 et 1992, après la faillite du casino où il travaillait. Par ailleurs, il soutient que l'agent des visas a pris en compte un élément non pertinent, à savoir son âge, pour exercer son jugement sur le potentiel qu'avait le demandeur de réussir son installation au Canada.

C. Analyse

[10]            Le demandeur et l'agent des visas ont déposé des affidavits aux fins du présent contrôle judiciaire, et il n'y a pas eu de contre-interrogatoire.


[11]            Le contenu de l'entrevue est l'élément essentiel de l'affidavit de l'agent des visas, savoir :

[traduction] a) le demandeur lui a déclaré que son intention était de travailler comme chef de casino au Canada et qu'il n'était pas intéressé à travailler comme agent technico-commercial ou comme ingénieur.

b) Il a indiqué au demandeur qu'il doutait qu'il dispose d'assez de fonds pour établir une famille de cinq personnes. La réponse du demandeur, d'après l'agent des visas, a été qu'il trouverait un emploi de croupier au casino, que son père l'aiderait et qu'il avait une maison qui valait 70 000 $, mais il n'a pas donné d'évaluation ni de preuve de propriété à son entrevue.

c) Il a mis en cause la version du demandeur de son affidavit dans lequel le demandeur lui avait dit avoir l'équivalent de 50 000 $ en espèces. Il a déclaré que la version du demandeur était de la pure conjecture. L'agent des visas a réitéré qu'il lui avait demandé des documents de propriété ou d'évaluation au moment de l'entrevue, mais que le demandeur n'avait pas pu lui en fournir.

[12]            Le demandeur n'a pas contredit la version de l'agent des visas sur ce qui s'était produit au cours de l'entrevue, à propos de son intention de travailler en tant que croupier de casino et de son manque d'intérêt pour toute autre profession. Il a remis en question la version des faits de l'agent des visas en ce qui concerne l'immeuble et l'importance du soutien que lui donnerait sa famille au Canada, qui est limitée à ses parents.

[13]            Le demandeur a invoqué l'affaire Sadeghi, précitée. L'avocat du défendeur m'a invité à examiner les faits de cette affaire qui différaient largement de ce qui s'est produit en l'espèce.

[14]            Dans l'affaire Sadeghi, précitée, comme en l'espèce, l'agent des visas avait annulé les points accordés en vertu des critères de sélection en usant de son pouvoir discrétionnaire de rejet que lui confère l'alinéa 11(3)b) du Règlement. Le Dr Sadeghi s'était vu accorder 72 points.

[15]            La question dans l'affaire Sadeghi portait sur l'obligation d'équité. Le juge Evans a formulé la question dans cette affaire dans les termes suivants :

L'agente des visas a-t-elle contrevenu à son obligation d'équité, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application de l'alinéa 11(3)b), en prenant en considération le fait que l'appelant avait une connaissance limitée des conditions d'emploi au Canada, n'avait [traduction] « aucun contact professionnel au Canada » et n'était [traduction] « pas préparé pour aller au Canada » pour conclure qu'il était incapable de réussir son installation au Canada, sans avoir au préalable soulevé expressément ces réserves devant lui de façon à ce qu'il puisse y répondre?

[16]            Le juge Evans, s'appuyant sur l'analyse faite par le juge Strayer (telle était alors sa qualité), dans l'affaire Chen c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 350, adoptée par la Cour suprême du Canada dans la même affaire, [1995] 1 R.C.S. 725, a déclaré que l'alinéa 11(3)b) conférait un pouvoir extraordinaire qui était conçu pour des cas exceptionnels et :

... n'accorde pas aux agents des visas un pouvoir discrétionnaire général leur permettant de réviser l'appréciation qu'ils ont faite selon les critères de sélection particuliers prévus ou de justifier un point de vue selon lequel le demandeur n'est pas d'une certaine façon tout à fait [traduction] « à la hauteur » : voir la décision Chen, précitée, [1991] 1 C.F. 350, à la page 363. L'exigence selon laquelle le demandeur indépendant qui sollicite un visa de résident permanent doit être apprécié conformément aux critères de sélection prévus par la loi vise comme objectif de la loi à garantir une certaine objectivité et une certaine uniformité dans le processus décisionnel des agents des visas.

[17]            Il a ajouté :


[17] Pour s'assurer du bien-fondé de son opinion selon laquelle il existe de bonnes raisons de croire que les points d'appréciation ne reflètent pas de façon appropriée les chances du demandeur de réussir son installation au Canada, il est important que l'agent des visas communique ses réserves à l'intéressé de façon à lui donner la possibilité d'y répondre, au moins dans les cas où le demandeur peut apporter un éclaircissement utile. La rigueur du processus décisionnel est particulièrement importante quand une opinion défavorable est susceptible de priver une personne de ses droits ou, comme en l'espèce, de la réception légitimement attendue d'un bénéfice prévu par la loi.

[18] L'obligation qui incombe normalement aux demandeurs de visas de « présenter leurs meilleurs arguments » en soumettant à l'agent des visas tous les renseignements nécessaires pour démontrer qu'ils satisfont aux critères de sélection réduit l'obligation des agents des visas, sur le plan de l'équité procédurale, d'informer les demandeurs de toutes les réserves qu'ils peuvent avoir en ce qui a trait au caractère approprié de la demande. Toutefois, une fois que le demandeur a obtenu le nombre de points d'appréciation normalement requis pour obtenir un visa dans la catégorie applicable, il sera souvent considéré inéquitable de s'attendre à ce que le demandeur prévoie les motifs sur lesquels l'agent des visas est susceptible de fonder sa décision discrétionnaire défavorable. »

[18]            Le juge Evans, dans l'affaire Sadeghi, précitée, a conclu que l'agent des visas avait manqué à l'équité procédurale parce qu'il n'avait pas explicitement posé à l'entrevue certaines questions portant sur les contacts professionnels au Canada avant de se servir de cet argument pour lui refuser un visa, sachant que le demandeur avait obtenu tous les points nécessaires, à première vue, d'après le système de points. Il a conclu que les mêmes questions d'équité se posaient en ce qui concerne la pertinence pour l'agent des visas du manque de préparation du Dr Sadeghi pour venir au Canada et sa connaissance limitée des conditions d'emploi au Canada, à titre de motifs pour justifier l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire négatif parce qu' « il ne s'agissait pas de questions qui lui avaient été communiquées expressément ou implicitement à l'entrevue » .

D. Conclusions

[19]            Il ressort très bien de l'affidavit de l'agent des visas que la caractéristique dominante qui soutient la demande de résidence permanence de M. Alamag est ce qui s'est produit pendant son entrevue et ce qu'il a dit à ce moment-là à l'agent des visas sur son intention de chercher du travail dans un domaine où il n'y avait pas de demande, à l'exclusion de tout autre. C'était là une divergence importante par rapport à ce qu'il avait donné comme profession visée au Canada, à savoir entre autres, celle d'ingénieur chimiste ou d'agent technico-commercial pour laquelle il avait de l'expérience aux Philippines. Ce qui s'est produit pendant l'entrevue constitue le contexte dans lequel il faut examiner l'exercice par l'agent des visas de son pouvoir discrétionnaire de façon négative.

[20]            Le Règlement sur l'immigration offre l'autre élément de contexte, en particulier avec ces deux dispositions pertinentes suivantes :

a) Premièrement, facteur 4, le facteur professionnel, prévoit des points d'appréciation dans la profession « que le requérant est prêt à exercer au Canada » . Comme il est signalé, il était seulement désireux de chercher un seul emploi, celui de chef de casino.

b) Deuxièmement, le paragraphe 11(2) empêche dans ce cas la délivrance d'un visa sauf si au moins un point a été obtenu pour le facteur professionnel dont l'application est fondée sur l'existence de possibilités d'emploi au Canada dans l'occupation choisie. Ici, il n'y avait pas de possibilités d'emploi parce que la demande était nulle.

[21]            À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs suivants.


[22]            Premièrement, l'agent des visas n'a pas, contrairement à ce que dit le demandeur, cherché à corriger une faute dans l'évaluation qu'il a faite du demandeur pour la profession désignée d'agent technico-commercial. Il a dûment évalué le demandeur dans cette profession mais ne pouvait pas accorder d'approbation à la demande de résidence permanente parce qu'il n'était pas prêt à l'exercer au Canada (voir Règlements sur l'immigration, annexe 1, Facteur 4 (1) c).

[23]            Deuxièmement, il est clair que l'agent des visas a soulevé la question des fonds de réétablissement tout en disant qu'il s'inquiétait à ce sujet au cours de l'entrevue et lui avait demandé de la documentation, ce qui répond au critère d'équité prévu dans l'affaire Sadeghi.

[24]            De plus, je suis convaincu que toute preuve de l'existence de biens soumise par le demandeur ne l'a été qu'après la décision de rejeter sa demande (voir dossier du demandeur, p. 10) et ne peut pas être prise en considération (voir l'affaire Zheng c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 110.

[25]            Troisièmement, je suis convaincu, à l'examen des notes du STIDI et de l'affidavit de l'agent des visas, qu'il a tenu compte du soutien familial qui serait offert au demandeur en plus de celui de ses propres parents. Il a soupesé ces faits compte tenu des cinq membres de la famille du demandeur et de ses biens limités. Sa conclusion n'est pas déraisonnable.


[26]            Le demandeur a soutenu que l'agent des visas avait erré quand il avait évalué la faculté d'adaptation du demandeur, son âge et son manque d'expérience canadienne parce qu'il n'avait pas dit au demandeur qu'il avait des réserves sur ces points. Même si j'acceptais l'argument du demandeur voulant que l'agent des visas ne l'ait pas informé à cet égard, je n'interviendrais pas car ce sont des aspects marginaux par rapport à l'élément central de la présente affaire, à savoir l'intention déclarée par le demandeur de ne travailler que comme chef de casino.

[27]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n'a été proposée

                                                                                 « François Lemieux »

JUGE

Calgary (Alberta)

Le 16 août 2001

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20010816

Dossier : IMM-128-01

ENTRE :

                       AMADO PERADA ALAMAG

                                                                                     demandeur

                                                  et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                       défendeur

                                                                                                                              

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                              


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-128-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Amado Perada Alamag c. MCI

                                                                                                

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 14 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                   le 16 août 2001

ONT COMPARU :                                       

Richard M. Tumanon                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Tracy King                                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard T. Tumanon

Calgary (Alberta)                                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                     POUR LE DÉFENDEUR


Date : 20010816

Dossier : IMM-128-01

CALGARY (Alberta), le jeudi 16 août, 2001.

En présence de :                                               M. LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                                     AMADO PERADA ALAMAG

                                                                                                                                                                                demandeur

                                                                                                et

                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                                  défendeur

                                                                                  ORDONNANCE

                                                                            Pour les motifs déposés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n'a été proposée.

                                                                                                                                                               « François Lemieux »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.

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