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Date : 20060713

Dossier : IMM‑7075‑05

Référence : 2006 CF 871

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

ROSITA VASCILCA MYLE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

VUE D’ENSEMBLE

[1]               L’art d’écouter et de voir activement est inhérent à chaque affaire instruite par un décideur administratif de premier niveau.

Une appréciation de la crédibilité requiert un examen de la preuve, qu’il s’agisse de la preuve subjective ou de la preuve objective, et ni l’une ni l’autre n’ont été examinées d’une manière suffisamment détaillée. La question de la protection de l’État peut, quant à elle, être très pertinente, mais elle nécessiterait également un développement, ne serait‑ce que dans les termes les plus simples. Cela ne veut pas dire qu’il faut une décision longuement motivée, mais à tout le moins quelques phrases succinctes abordant clairement à la fois la question de la crédibilité et celle de la protection de l’État. Une analyse sans équivoque de la preuve subjective comme objective est non seulement souhaitable, mais essentielle pour qu’une décision soit jugée suffisamment raisonnée ou motivée.

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 26 octobre 2005, pour qui la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, selon les articles 96 et 97 de la LIPR.

 

LE CONTEXTE

[3]               La demanderesse est une femme âgée de 43 ans, originaire de Saint‑Vincent‑et-les Grenadines (Saint‑Vincent), qui est victime de violence domestique et qui est menacée de mort par son ancien petit ami si elle retournait à Saint‑Vincent. Elle a produit une preuve médicale et psychologique qui établirait qu’elle est victime de violence en raison de son sexe.

 

[4]               En 1987, Mme Myle a commencé de se lier avec M. Kenroy Starker. Leur relation a duré environ quatorze ans. M. Starker est devenu violent en 1990. Mme Myle dit qu’il y a eu au moins cinquante épisodes de violence au cours de leur relation. Elle n’en a jamais signalé un seul à la police.

 

[5]               Mme Myle a quitté Saint‑Vincent pour le Canada en janvier 2001. Elle a vécu et travaillé illégalement au Canada durant environ quatre ans. Elle a demandé l’asile le 14 février 2005, immédiatement après avoir appris qu’elle pouvait présenter une telle demande.

 

[6]               Elle est la mère de cinq fils, dont l’un est né au Canada. Deux de ses autres enfants vivaient aux États‑Unis jusqu’à récemment, dans la famille de leur père. Les deux restants vivent à Saint‑Vincent.

 

[7]               Il a été fait référence à la preuve objective produite au soutien du cas de Mme Myle, et plus particulièrement à la preuve médicale établissant que Mme Myle avait subi plusieurs lésions qui, selon toute vraisemblance, étaient dues aux violences. Des exemples de violences et de meurtres commis contre des femmes à Saint‑Vincent apparaissent dans les documents sur la situation dans le pays qui ont été versés dans le dossier de Mme Myle. Ces documents font état d’une absence de protection des femmes à Saint‑Vincent.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]               La Commission a estimé que Mme Myle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en raison d’une menace à sa vie, d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou d’un risque d’être soumise à la torture. Selon la Commission, elle n’a pas apporté une preuve crédible ou digne de foi au soutien de sa revendication.

 

[9]               Comme la Commission n’a pas cru qu’il était crédible ou plausible que les autorités n’auraient pas aidé Mme Myle si elle s’était adressée à elles, elle a estimé que Mme Myle n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante de l’absence d’une telle protection à Saint‑Vincent.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Les questions suivantes sont soumises dans les arguments des parties :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a dit que le témoignage de Mme Myle n’était pas crédible ou plausible?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas appliqué les Directives no 4 du président de la Commission intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe »?

3.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur quand elle a dit que Mme Myle pouvait se réclamer d’une protection de l’État à Saint‑Vincent?

4.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur quand elle a dit que la lenteur de Mme Myle à demander l’asile affectait sa crédibilité?

 

ANALYSE

            La norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle applicable aux questions de crédibilité et aux questions de fait est la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315; [1993] A.C.F. no 732 (QL), au paragraphe 4, Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39; [2003] A.C.F. no 108 (QL), au paragraphe 14, et Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 25; [2004] A.C.F. no 17 (QL)).

 

[12]           La norme de contrôle applicable à la question de l’existence d’une protection de l’État est la décision raisonnable simpliciter, car il s’agit d’une question mixte de droit et de fait qui requiert d’appliquer la norme juridique de la confirmation « claire et convaincante [de] l’incapacité de l’État d’assurer la protection » (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; [1993] A.C.S. no 74 (QL), au paragraphe 50) à un ensemble de faits (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193; [2005] A.C.F. no 232 (QL), aux paragraphes 9 à 12).

 

            La crédibilité et la vraisemblance du témoignage

[13]           S’agissant de la crédibilité et de la vraisemblance du témoignage de Mme Myle, celle‑ci ne semble pas avoir visité les États‑Unis; ce fait n’apparaît pas dans la transcription. Il n’apparaît pas non plus que ses enfants aux États‑Unis vivent avec leur père; il appert du témoignage que le père n’est plus en vie et que les enfants vivaient jusqu’à récemment avec une tante paternelle.

 

[14]           Quand un revendicateur atteste sous serment la véracité de certaines allégations, il faut présumer que les allégations sont véridiques, sauf s’il y a une raison de douter de leur véracité (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, au paragraphe 5). La Commission ne peut donc arbitrairement, sans raison valable, mettre en doute les allégations d’un revendicateur. Si la Commission doute de la crédibilité d’un revendicateur, elle doit exposer, en des termes clairs et explicites, les raisons qu’elle a de la mettre en doute (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236; [1991] A.C.F. no 228 (QL)). Le revendicateur peut ainsi réagir aux doutes et questions de la Commission touchant sa revendication.

 

[15]           La Commission ne doit pas non plus examiner le témoignage d’un revendicateur avec un zèle microscopique dans le dessein d’y déceler des contradictions, mais elle doit plutôt s’efforcer de comprendre le témoignage globalement et dans son contexte (Attokora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168; [1989] A.C.F. no 444 (C.A.F.) (QL)).

 

[16]           Le témoignage de Mme Myle relatif à l’absence d’une protection policière pour les femmes dans des situations semblables, ce dont il est question dans la preuve documentaire, requérait à tout le moins d’être étudié.

 

[17]           Le degré d’abus dont fait état l’évaluation psychologique de Mme Myle requiert à tout le moins un examen; par ailleurs, le rapport psychologique appelle un commentaire particulier à la suite de cet examen. Il doit être considéré comme une preuve apparentée, sauf si des contradictions y apparaissent qui permettraient de dire qu’il n’est pas crédible ou digne de foi (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116; [2003] A.C.F. no 162 (QL), au paragraphe 25).

 

[18]           Ainsi que l’écrivait le juge Konrad W. von Finckenstein dans la décision Fidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1190; [2003] A.C.F. no 1606 (QL), au paragraphe 12, la Commission ne doit pas « se contenter d’indiquer qu’elle [a] “examiné” le rapport. Elle [doit] expliquer de manière satisfaisante comment elle [a] tenu compte » du rapport psychologique. La Commission devait, dans son appréciation de la crédibilité de Mme Myle, être « réceptive et sensible » au rapport et à sa conclusion touchant l’état de Mme Myle (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 187; [2004] A.C.F. no 216 (QL), au paragraphe 19, et Krishnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 451; [2006] A.C.F. no 561 (QL), au paragraphe 23).

 

[19]           Mme Myle est semble‑t‑il une personne qui a subi un traumatisme. Elle a été victime de viol et a produit un rapport psychologique où il est écrit qu’elle souffre d’un trouble dépressif majeur (rapport psychologique, dossier de la demanderesse, page 58). La Commission devait considérer ce document pour apprécier la crédibilité de Mme Myle.

 

[20]           Dans la décision Mayeke c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 758 (QL), aux paragraphes 13 et 14, la Cour fédérale écrivait que la Commission doit tenir compte des effets d’une expérience traumatisante sur une revendicatrice, ajoutant que la confusion du témoignage d’une revendicatrice pouvait être le résultat d’un traumatisme :

De plus, en se concentrant sur les événements postérieurs aux viols, le tribunal a ignoré les effets qu’une telle expérience pourrait avoir chez la demanderesse. Les directives données par la présidente de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sont pertinentes :

 

                      Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol, et peuvent avoir besoin qu’on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive.

 

En particulier, la difficulté de concentration et la perte de mémoire sont inclues dans la liste des symptômes. En l’espèce les contradictions relevées portent essentiellement sur des incidents concernant l’évasion (par exemple, les personnes qui étaient présentes dans la jeep à ce moment là) et la confusion pouvait être expliquée par le traumatisme provoqué par les viols.

 

 

[21]           Dans la décision Bhardwaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1117 (QL), aux paragraphes 5 et 6, la Cour fédérale s’est également exprimée très clairement sur l’importance à accorder aux rapports médicaux dans l’évaluation de la crédibilité d’un revendicateur :

Contrairement à cette conclusion, à la page 389 du dossier du tribunal se trouve le rapport du Dr Donald E. Payne, en date du 8 mai 1995, qui a présenté à la SSR une évaluation psychiatrique de la mère, Neerja Bhardwaj. À la page 2 du rapport, figure la déclaration suivante :

 

[TRADUCTION] Je suis d’avis qu’elle souffre d’un trouble de stress post‑traumatique, ce qui concorde avec le fait qu’elle a été la cible de coups de feu, avec ses peurs constantes de danger pour sa famille en Inde et avec l’incident au cours duquel la police a menacé la famille de disparition. Le trouble de stress post‑traumatique fait partie de la catégorie de diagnostique du système de classification DSM‑IV de l’American Psychiatric Association, qui décrit l’évolution des symptômes caractéristiques qui suivent un événement psychologiquement perturbant qui se situe en dehors des limites de l’expérience humaine normale et qui est habituellement vécu dans la peur, la terreur et une impuissance marquées. Elle continue à souffrir de symptômes marqués tels que des difficultés à dormir accompagnées de cauchemars; des souvenirs dérangeants de ses expériences bouleversantes; un trouble croissant au rappel de l’expérience; de l’anxiété jointe à des maux de tête; des tremblements et une réaction de sursaut croissante; de la dépression et des idées noires; des pleurs et un retrait social; une mémoire et une concentration faibles; une irritabilité croissante; et une peur conditionnée, au Canada, de la police et des coups frappés à la porte. Elle est capable de contenir en grande partie son trouble émotionnel parce qu’elle a besoin d’être forte pour sa famille, particulièrement pour sa fille aînée.

 

J’estime que la SSR a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve que je viens de citer et, par conséquent, sous le régime de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, j’annule la décision quant à la mère, au père et à la sœur de Rashmi, et je renvoie leurs demandes devant un comité différemment constitué pour qu’il statue de nouveau sur l’affaire. La décision relative à Rashmi demeure valable.

 

[22]           La Commission a également mis en doute la crédibilité de Mme Myle parce que, selon elle, son récit était peu plausible. Il était tout à fait inapproprié de la part de la Commission, s’agissant du dossier de Mme Myle, de tirer des conclusions défavorables et de rejeter ainsi son témoignage, compte tenu de la preuve corroborante produite au soutien de sa revendication.

 

[23]           Vu cette preuve probante, la Commission n’était pas autorisée à dire, à la page 3 de sa décision, que l’attitude d’indifférence imputée à la police par Mme Myle n’était pas globalement plausible, parce que cette indifférence était raisonnablement possible, ainsi qu’il ressort de la décision Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249; [2005] A.C.F. no 1508 (QL), au paragraphe 25.

 

[24]           La Commission a commis une erreur susceptible de révision, parce qu’elle ne s’est pas référée explicitement dans sa décision à la preuve pertinente, par exemple le rapport psychologique. Ce document n’a pas été analysé dans la décision de la Commission et celle‑ci n’a donné aucune raison valide de ne pas en tenir compte. La Cour fédérale écrivait sans équivoque, dans la décision Mladenov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 66 (QL), aux paragraphes 10 et 13, qu’une décision de la Commission ne devrait pas être maintenue lorsqu’elle ne s’appuie pas sur les éléments de preuve pertinents :

En présumant que la conclusion de la commission à l’égard des changements survenus en Bulgarie a été un facteur déterminant dans sa décision, ce qui est le cas selon moi, la Commission aurait clairement dû prendre en considération, la lettre reçue des parents du requérant et lui accorder le poids qu’elle estime approprié après avoir déterminé si le changement de la situation en Bulgarie depuis le départ du requérant influait sur la crainte que celui‑ci éprouvait d’être persécuté s’il retournait dans son pays. La décision ne montre en aucune façon que la lettre a été prise en compte.

[…]

À mon avis, les preuves pertinentes en l’espèce, particulièrement les lettres reçues des parents du requérant, peu importe le poids que la Commission pourrait lui accorder, sont pertinentes en soi à l’égard d’au moins deux des principaux motifs sous‑tendant la décision de la Commission, soit le deuxième et le troisième, c’est‑à‑dire l’évaluation de la crainte de persécution dans son ensemble et le changement, de circonstances en Bulgarie. Il ne serait pas conforme aux principes d’équité applicables au fonctionnement de la SSR qu’une décision soit maintenue lorsqu’elle ne s’appuie pas sur les éléments de preuve pertinents que constituaient les lettres soumises avant la décision, ce qui empêche le requérant et la présente cour de savoir avec certitude si ces éléments de preuve ont été examinés.

 

[25]           Dans la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35; [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 17, la Cour écrivait que la preuve la plus importante doit être mentionnée expressément et analysée dans la décision du tribunal :

Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

            Les directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[26]           Il importe de souligner que la décision ne respecte pas l’esprit des Directives de la Commission concernant la persécution fondée sur le sexe. Les Directives sont évoquées, mais l’analyse qu’elles proposent requiert une forme d’examen et la décision ne fait pas apparaître une prise en compte des décisions de principe sur ce point.

 

[27]           La conclusion de la Commission selon laquelle les autorités de Saint‑Vincent font de sérieux efforts pour offrir une protection de l’État aux victimes de violence domestique n’est tout simplement pas confirmée par les documents disponibles. Les rapports de groupes qui ont analysé la situation des femmes dans ce pays et ceux du Département d’État des États‑Unis versés dans le dossier mentionnent clairement que la protection offerte est insuffisante et que, en réalité, les victimes peuvent rarement s’en réclamer. C’est là également la position avancée par la jurisprudence de la Cour fédérale, dont la plus récente fut signalée à la Commission dans la présente affaire. Il est reconnu dans cette jurisprudence que chaque cas est un cas d’espèce.

 

[28]           Le « Country Report on Human Rights Practices – 2004 » du Département d’État des États‑Unis, dans sa section relative aux femmes (dossier du tribunal, page 63), précise que la violence contre les femmes est encore un problème à Saint‑Vincent, parce que les victimes ne recherchent pas l’aide des autorités qui ne sont pas disposées à les aider. Une formation est en cours cependant pour éventuellement sensibiliser les parties concernées et tenter de changer les choses :

[TRADUCTION]

La violence contre les femmes pose encore de sérieuses difficultés. Durant l’année, la police a reçu 66 dénonciations de viol. Sur ce nombre, 22 avaient été portées devant les tribunaux, 42 faisaient l’objet d’enquête et deux avaient été abandonnées, faute de preuve. En 2003, les femmes ont dénoncé plus de 1 000 cas de violences physiques, sexuelles, affectives et autres violences domestiques. Le Domestic Violence/Matrimonial Proceedings Act proscrit la violence domestique. La SVGHRA [Association des droits de la personne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines] a indiqué que, dans de nombreux cas, la violence domestique demeurait impunie en raison d’une culture dans laquelle les victimes apprennent à ne pas rechercher l’aide de la police ou à ne pas poursuivre les délinquants.

 

La SVGHRA a organisé de nombreux séminaires et ateliers dans tout le pays afin de sensibiliser les femmes à leurs droits. Des banques de développement ont versé des fonds, par l’entremise de la Caribbean Association for Family Research and Action, en vue de la mise sur pied d’un programme de prévention, de formation et d’intervention en matière de violence domestique. La police a reçu une formation sur le sujet, laquelle mettait l’accent sur la nécessité de rédiger des rapports et, si la preuve est suffisante, d’engager des poursuites judiciaires. Afin de lutter contre la pression sociale exercée sur les victimes pour qu’elles abandonnent leurs accusations, certains tribunaux imposent des amendes aux personnes qui déposent des accusations, mais qui refusent de témoigner.

 

[29]           On peut lire ce qui suit dans le document intitulé « Saint‑Vincent‑et‑Grenadines : violence conjugale, y compris les réactions de la police aux plaintes (de 2002 à avril 2003) », préparé par la Direction des recherches de la Commission (dossier du tribunal, page 116) :

La police répond à tous les appels liés à des cas de violence conjugale. Selon la coordonnatrice [de la SVGHRA], les policiers [TRADUCTION] « font leur travail » en ce qui concerne le dépôt des plaintes de violence conjugale et réagissent au problème de façon appropriée. Dans le passé, les femmes avaient tendance à se désister des plaintes qu’elles portaient contre les auteurs de violence conjugale. Cependant, cette tendance a quelque peu changé et bien que beaucoup d’entre elles refusent encore de poursuivre les procédures liées à leur cas après l’avoir soumis à la police, les femmes sont de plus en plus nombreuses à vouloir se prévaloir des recours juridiques.

 

Depuis 1992, le système du Tribunal de la famille permet aux victimes de violence conjugale d’avoir accès aux recours juridiques. Le Tribunal de la famille offre gratuitement des services judiciaires et de consultation. Les victimes peuvent également chercher de l’aide auprès de la SVGHRA, de Marion House ‑ agence de services sociaux non gouvernementale ‑ et du ministère du Développement social.

 

[…]

 

Elle [une conseillère et coordonnatrice du programme d’aide à la jeunesse de Marion House] a corroboré l’information fournie par la coordonnatrice de la SVGHRA au sujet des refuges et des bureaux d’aide juridique, mais a fourni de l’information contradictoire au sujet des réactions de la police aux plaintes de violence conjugale en les qualifiant de [TRADUCTION] « minimes ». Elle a ajouté que de nombreux agents étaient [TRADUCTION] « de peu d’utilité » lorsqu’il s’agissait de renseigner les victimes de violence conjugale au sujet de leur droits reconnus par la loi. Selon la coordonnatrice, la plupart des cas ne sont pas pris au sérieux et sont traités avec indifférence. Le public a généralement tendance à adopter une attitude de marginalisation envers le problème de la violence conjugale; en outre, comme le pays n’est pas grand, les victimes ont le sentiment de ne disposer d’aucune protection et de n’avoir [TRADUCTION] « nulle part où aller ».

 

La police arrête peu d’auteurs de violence conjugale et rend rapidement la liberté à ceux qu’elle arrête. De nombreux auteurs de violence conjugale sont eux‑mêmes policiers. Les cas qui se rendent en cour sont souvent rejetés, soit en raison d’un manque d’éléments de preuve, soit pour des motifs techniques. Les services offerts aux victimes sont [TRADUCTION] « minimes ». Marion House peut orienter les femmes à la recherche d’un recours juridique vers des avocats qui offrent bénévolement leurs services.

 

 

[30]           Un changement d’attitude est nécessaire pour que les autorités protègent véritablement les victimes, ainsi qu’on peut le lire dans le document intitulé [traduction] « La représentante de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines souligne devant les Nations Unies les efforts faits par son gouvernement pour faire relever du droit les questions intéressant les femmes », un document daté du 23 janvier 1997 (dossier du tribunal, page 74) :

[TRADUCTION] En présentant le rapport le 16 janvier, la représentante de la nation insulaire a déclaré que, malgré la promulgation d’une loi sur la violence domestique, un changement d’attitude de la part des fonctionnaires chargés d’appliquer les lois était encore nécessaire pour mettre fin à la violence exercée contre les femmes dans son pays. L’attitude courante était que ce qui se passait dans les foyers était « l’affaire de la famille concernée ». Dans l’esprit de beaucoup, persistait la croyance selon laquelle l’homme a le droit de battre sa conjointe. Reflétant les normes culturelles antagonistes de la région, les femmes de Saint‑Vincent devaient réaliser leur plein potentiel et rester toutefois soumise aux hommes. L’un des moyens d’assurer leur subordination restait la manière forte.

 

 

[31]           Une importante décision a été rendue en juillet 1999 à propos des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et à propos de la violence domestique : Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1142 (QL). Le juge Douglas Campbell y écrivait ce qui suit, aux paragraphes 2 et 18 à 20, à propos du fait de ne pas porter attention aux Directives :

En plus de traiter de cette évidente erreur susceptible de contrôle judiciaire qui exige un réexamen de la demande de Mme Griffith, afin d’assurer un réexamen complet et équitable de sa demande et, bien sûr, de celui d’autres femmes qui se trouvent dans sa situation, j’estime nécessaire de faire une remarque quant au défaut de la SSR de respecter adéquatement ses propres Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Les « Directives portant sur le sexe »).

 

[…]

 

C. La connaissance, la compréhension et la sensibilité exigées pour évaluer la crédibilité dans la présente affaire

 

Tel qu’indiqué, savoir comment décider s’il faut croire un revendicateur du statut de réfugié qui a été la victime de violences conjugales est crucial. Les Directives portant sur le sexe, sous la rubrique « D. Problèmes spéciaux lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié », indiquent clairement :

 

Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu’on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. De façon analogue, les femmes qui ont fait l’objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner.

 

Le « type de symptômes » auquel on peut s’attendre de femmes qui ont été battues est décrit ci‑dessous dans la note de bas de page à la référence qui vient d’être citée :

 

Une discussion sur le syndrome de la femme battue figure dans R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852. Dans Lavallee, le juge Wilson traite du mythe concernant la violence familiale : « Elle était certainement moins gravement battue qu’elle le prétend, sinon elle aurait quitté cet homme depuis longtemps. Ou, si elle était si sévèrement battue, elle devait rester par plaisir masochiste ». La Cour ajoute qu’une autre manifestation de cette forme d’oppression est « apparemment la réticence de la victime à révéler l’existence ou la gravité des mauvais traitements ». Dans Lavallee, la Cour a indiqué que la preuve d’expert peut aider en détruisant ces mythes et servir à expliquer pourquoi une femme reste dans sa situation de femme battue. [Non souligné dans l’original.]

 

En conséquence, les Directives portant sur le sexe laissent entendre que pour évaluer les actions d’une femme qui est la victime de violence conjugale, il est essentiel d’utiliser des connaissances particulières pour aboutir à une appréciation juste et équitable.

[Renvois omis.]

 

            La protection de l’État

[32]           La Commission n’a pas véritablement pris en compte le témoignage relatif à l’absence de protection de la part des autorités dans le cas précis de Mme Myle. Celle‑ci a évoqué plusieurs cas de voisines qui avaient déposé des plaintes auprès de la police et n’avaient obtenu d’elle aucune protection ni aucun recours. Selon la Commission, aucune indication n’avait été donnée à propos du présumé abuseur et l’on ne savait pas s’il était encore incarcéré, ou si même il l’avait été, pour s’être livré à des violences contre les femmes. Puisque la documentation de base montre clairement que souvent, les victimes n’ont pas la possibilité d’obtenir la même protection, cela suffit à justifier l’examen de la question, pour qu’elle soit à tout le moins résolue selon les règles.

 

[33]           Dans la décision King c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 774; [2005] A.C.F. no 979 (QL), le juge John A. O’Keefe a fait droit à la demande de contrôle judiciaire et renvoyé la décision à la Commission pour nouvelle décision car, selon lui, la Commission ne s’était référée qu’à une partie de la preuve documentaire, celle qui appuyait sa conclusion selon laquelle une protection de l’État existait à Saint‑Vincent. La Commission ne s’était pas référée à la preuve contraire, contenue dans le même document, qui montrait que les autorités ne réagissaient pas nécessairement comme il le fallait aux plaintes de violence domestique. (Voir aussi la décision P.K.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1460; [2004] A.C.F. no 1767 (QL).)

 

[34]           Pareillement, dans la décision Re W.T.S., [2001] D.S.S.R. no 73, aux paragraphes 5 et 6, la Commission, se fondant sur la documentation qu’elle avait devant elle et qui concernait la situation dans le pays, avait jugé que la violence contre les femmes, et en particulier la violence domestique, demeurait problématique à Saint‑Vincent et que la protection de l’État « n’est pas très efficace ».

 

[35]           Dans la décision Griffith, précitée, la Cour avait examiné la question de la protection de l’État et celle de la possibilité de refuge intérieur, dans le contexte de la violence domestique à Saint‑Vincent. Elle s’était exprimée ainsi, aux paragraphes 14 et 15 :

Au cours de l’audience orale devant la Cour, l’avocat du défendeur a soutenu que les questions relatives à la crédibilité de la demanderesse n’ont pas affecté l’issue de l’audience de la SSR, puisque la décision finale qui a été prise a été que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (« PRI ») dont elle ne s’est pas prévalue. J’ai rejeté cette observation à l’audience parce que la conclusion qu’une PRI pouvait aboutir, était abordable et accessible repose sur une compréhension totale de la situation de la revendicatrice, ce qui implique une évaluation convenable de la crédibilité de la revendicatrice.

 

L’histoire que la demanderesse doit raconter à propos des mauvais traitements qu’elle a subis, et des mesures qu’en conséquence elle a prises ou non, n’est qu’une partie de ce qui est exigé pour corroborer sa revendication du statut de réfugié. L’autre partie, c’est la connaissance, la compréhension et la sensibilité que la SSR doit posséder pour évaluer correctement l’histoire de la demanderesse. Ainsi, la réponse à la question de savoir si une PRI est une option possible pour la demanderesse doit comprendre une analyse très précise et éclairée de la question de savoir si cette solution est raisonnable du point de vue de la demanderesse, compte tenu de son état d’esprit et de ses conditions de vie découlant des mauvais traitements. La demanderesse est la seule personne qui peut raconter l’histoire. Savoir comment décider s’il faut la croire est crucial.

[Renvoi omis.]

 

 

[36]           La question de la protection de l’État n’est pas examinée dans la décision, si ce n’est dans quelques phrases. Il semble que la Commission n’a pas relevé, dans le témoignage, les contradictions intrinsèques susceptibles de rendre plus difficile pour elle la tâche de tirer des conclusions sans équivoque.

 

[37]           Après l’audience, mais avant que la Commission rende sa décision, le conseil de Mme Myle avait présenté à la Commission une décision toute récente sur un cas semblable relatif à Saint‑Vincent, une décision qui semble avoir appelé l’attention de la Commission sur la question de la protection de l’État et celle de la PRI. Dans la décision Franklyn, précitée, le juge Yves de Montigny écrivait ce qui suit, aux paragraphes 25 à 27 :

En l’espèce, je ne pense pas qu’il était objectivement raisonnable de conclure que la demanderesse aurait dû insister pour obtenir la protection de la police après que celle‑ci l’eut envoyée promener. Vu les antécédents pitoyables de St‑Vincent‑et‑les‑Grenadines en matière de protection des femmes agressées, il n’est pas difficile de concevoir les difficultés énormes que les femmes aux pratiques sexuelles peu orthodoxes peuvent subir lorsqu’elles portent plainte relativement aux sévices physiques qu’elles ont subis. Pour ces motifs, et suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, je suis d’avis que la Commission n’a pas été suffisamment sensible à ses malheurs et qu’elle a été trop exigeante en ce qui concerne la preuve permettant d’établir que l’État était incapable de la protéger : voir N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 107 F.T.R. 25 (C.F.), [1995] A.C.F. no 889 (QL), une cause où les faits étaient semblables.

 

En ce qui concerne la PRI, le droit est bien fixé : « la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge » (Rasaratnam c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 C.F. 706, à la page 710, [1991] A.C.F. no 1256 (QL)). En l’espèce, la Commission a inféré du fait que la demanderesse avait cherché un nouvel emploi ailleurs (dans les Grenadines ou dans les pays voisins de Saint Martin et de Grenade), qu’elle se considérait elle‑même comme capable de parvenir à vivre à l’écart de son ex‑petit ami et sans subir de harcèlement de sa part si elle avait pu trouver un emploi.

 

Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a fait cette supposition. Non seulement la demanderesse elle‑même a contesté cette supposition au cours de sa déposition devant la Commission (transcription, à la page 38), mais il est illogique de penser qu’une île séparée de Saint Vincent par un simple bras de mer de quelques kilomètres de large et facilement accessible par traversier ou par avion pourrait fournir un havre sûr à la demanderesse. La Commission aurait dû savoir que ces îles ne sont pas densément peuplées et que leur superficie est faible, et qu’il serait relativement facile à toute personne résolue à y retrouver quelqu’un. La Commission pouvait facilement avoir accès à ces renseignements, comme ils faisaient partie du dossier régional du pays qui constitue un élément du dossier. La demanderesse n’avait pas besoin de produire des preuves à cet égard.

 

 

 

[38]           La décision Franklyn n’a pas été prise en compte dans l’analyse de la Commission et, même si la manière de voir de la Commission est juste, il lui incombait d’étudier les autres points de vue et de les exclure avant d’arriver à une conclusion. Dans une décision récente, Smith c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2004] F.C.J. no 2190 (QL), où il était question de la protection de l’État offerte aux victimes de violence domestique à Saint‑Vincent, le juge Michael L. Phelan écrivait ce qui suit, aux paragraphes 7 et 8 :

[TRADUCTION] La preuve documentaire renfermait des commentaires tant favorables que défavorables sur la protection de l’État offerte aux femmes violentées. La Commission a choisi d’accepter la preuve documentaire la plus récente. Elle est arrivée à la conclusion que la demanderesse ne s’était pas réclamée de tous les éléments de la protection de l’État qui lui étaient offerts, notamment l’aide juridique et les plaintes aux autorités judiciaires.

 

Il n’y a rien de manifestement déraisonnable dans la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas prouvé que la protection de l’État était insuffisante. [Non souligné dans l’original.]

 

Il faut se rappeler que, comme l’explique le juge Phelan, il est nécessaire d’examiner les divers points de vue offerts par la preuve avant d’arriver à une conclusion. La décision de la Commission dans la présente affaire, qui est un cas d’espèce, requiert de mettre en perspective le cas de la demanderesse en regard d’autres cas comparables au sien.

 

[39]           Il me semble que, vu les documents produits dans le dossier de Mme Myle, et compte tenu du peu de cas qu’elle a fait de la preuve produite, la Commission n’était pas, sans autre justification, autorisée à tirer la conclusion qu’elle a tirée.

 

[40]           Le cas de Mme Myle, en particulier, requiert une évaluation fondée sur les documents qui concernent la situation ayant cours à Saint‑Vincent. Il n’est pas nécessaire qu’une protection de l’État soit parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334; [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL)). Cependant, des affirmations générales sur la situation de Mme Myle demeurent intenables.

 

La question de la lenteur à demander l’asile

[41]           Selon la jurisprudence de la Cour, la lenteur d’une personne à demander l’asile doit être considérée parmi d’autres facteurs dans l’examen de la situation globale. Des circonstances atténuantes peuvent conduire une femme à ne pas demander l’asile immédiatement, si elle a subi un traumatisme et si elle craint par conséquent de retourner dans son pays pour le cas où sa demande d’asile serait refusée. Cela ne signifie nullement que la lenteur d’une personne à demander l’asile pourra toujours être justifiée; cependant, une telle situation requiert un examen et ce n’est qu’après un tel examen qu’une conclusion peut être tirée.

 

[42]           Dans sa déclaration initiale, Mme Myle avait donné des raisons détaillées expliquant sa lenteur à demander l’asile. C’est un pasteur qui, à l’église, lui avait appris qu’elle pouvait demander l’asile. Elle était constamment accompagnée d’un membre de Montreal City Mission, qui l’avait aidée après que son cas eut été soumis à cette organisation. Ainsi, dans l’affaire Griffith, comme dans maints autres cas de violence domestique, il s’était écoulé un long délai avant que la personne concernée demande l’asile; cependant, cela n’autorise pas nécessairement une conclusion générale sans un examen à l’appui.

 

DISPOSITIF

[43]           Pour les motifs susmentionnés, il n’appartient pas à la Cour de statuer sur une affaire qui est du ressort de la Commission; cependant, la Cour se doit, dans ce cas d’espèce, de renvoyer l’affaire pour réexamen et pour nouvelle décision fondée sur la preuve tant subjective qu’objective, laquelle devra être analysée, ne serait‑ce que brièvement, mais d’une manière qui reconnaisse son caractère propre, garantissant ainsi une décision raisonnée. L’affaire est donc renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7075‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   ROSITA VASCILCA MYLE

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 JUILLET 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 JUILLET 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lisa Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEWART ISTVANFFY

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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