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Date : 20050406

Dossier : IMM-3507-04

Référence : 2005 CF 456

Toronto (Ontario), le 6 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN                              

ENTRE :

LASZLO LASZLO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Laszlo Laszlo, est un Roumain homosexuel âgé de 27 ans qui prétend craindre d'être persécuté en raison de son orientation sexuelle. Il affirme avoir été expulsé de la maison par son père et avoir été battu à plusieurs reprises par des camarades de classe, des personnes habitant la même ville que lui et les autorités parce qu'il est gai.


[2]         À une occasion, il a été amené au poste de police parce que des policiers voulaient savoir où son amant se trouvait. Comme il refusait de le leur dire, les policiers l'ont battu, encore une fois jusqu'à ce qu'il perde conscience. La police prétendait qu'un adolescent de 16 ans avait été attaqué et elle croyait que le demandeur et son ami était les auteurs de cette agression. Le demandeur a passé deux semaines à l'hôpital. À sa sortie, il a appris que son ami était emprisonné pour avoir agressé l'adolescent.

[3]         Le demandeur a été sans cesse harcelé par la suite. Comme son ami était en prison et qu'il ne savait pas s'il était encore en vie, le demandeur a décidé de quitter la Roumanie. Il s'est rendu en Hongrie, où il a rencontré quelqu'un qui l'a aidé à obtenir les documents nécessaires pour venir au Canada. Il est arrivé au Canada le 15 novembre 2000 et a demandé l'asile.

[4]         La Commission n'a pas considéré que la prétention du demandeur selon laquelle il était homosexuel était crédible parce qu'il ne connaissait aucun groupe ou organisation d'homosexuels dans son pays et qu'il ne participait pas à la vie de la communauté homosexuelle au Canada. La Commission a également jugé non crédibles de nombreux autres aspects de son histoire et a considéré que son témoignage n'était pas digne de foi.


QUESTION EN LITIGE

[5]         La Commission a-t-elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables en s'appuyant sur des stéréotypes et des conclusions dénuées de fondement?

NORME DE CONTRÔLE

[6]         Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions relatives à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17).

ANALYSE

[7]         Le demandeur prétend :

(a)        que la conclusion relative à son homosexualité est fondée sur un profil stéréotypé des homosexuels;

(b)        que plusieurs conclusions de fait tirées par la Commission, par exemple celles concernant ses antécédents de travail, la preuve médicale, la condamnation de son ami et la persécution dont les gais sont victimes en Roumanie, ne sont pas étayées par la preuve au dossier.


[8]         En ce qui a concerne la prétention (a), le demandeur attire l'attention de la Cour sur le passage suivant de la décision de la Commission :

En dépit de sa prétention qu'il est homosexuel et qu'il a été maltraité pendant plusieurs années en raison de son orientation sexuelle, le demandeur ne connaissait aucun groupe ni aucune organisation d'homosexuels dans son pays. Il n'était pas au courant de l'existence d'une organisation appelée « Accept » qui se voue à la promotion des droits des homosexuels. Il semblerait raisonnable de s'attendre à ce qu'un homosexuel soit au courant de l'existence d'une organisation de défense des droits des homosexuels, surtout si le tribunal doit croire le demandeur qui prétend que les homosexuels dans son pays sont maltraités et marginalisés.

En outre, en raison de sa prétendue orientation sexuelle, le demandeur a quitté son pays; toutefois, il a témoigné qu'il n'est pas engagé dans la communauté gaie au Canada, et qu'il habite seul.

[9]         Au soutien de sa prétention, il rappelle la décision rendue dans l'affaire Trembliuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1590, où le juge Gibson a écrit aux paragraphes 5, 6 et 8 :

5 À la clôture de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, j'ai informé les avocats que j'accueillerais la demande sur le fondement que la SPR avait appliqué au demandeur un point de vue stéréotypé du style de vie et des préoccupations des personnes homosexuelles y compris le point de vue qu'un homme comme le demandeur, s'il était homosexuel, se dissocierait de l'Église catholique romaine et des écoles catholiques romaines, bien qu'il soit né catholique. La SPR a également adopté un point de vue stéréotypé sur la façon dont un prêtre de l'Église catholique romaine se comporterait en ce qui a trait à sa cohabitation et à ses rapports avec un jeune homme comme le demandeur dans le contexte actuel en Amérique du Nord. Sur ce dernier point, le demandeur a allégué qu'il résidait avec un prêtre de l'Église catholique romaine dans un appartement à deux chambres, avec le soutien de sa marraine, dans le but d'être proche de l'école catholique romaine qu'il fréquentait. La SPR a écrit :


Je juge cette situation invraisemblable pour deux raisons. La première est que je ne crois pas qu'un prêtre risquerait sa réputation professionnelle en vivant dans un appartement de deux pièces avec un étudiant de dix-huit ans. Une personne raisonnable s'attendrait à ce que, étant donné le climat actuel en Amérique du Nord et, en fait, partout dans le monde concernant les agressions sexuelles commises à l'endroit de mineurs et de jeunes adultes par le clergé catholique, un prêtre ferait preuve d'une prudence raisonnable dans ses relations avec des jeunes sous sa responsabilité. Je ne crois pas que le demandeur habite dans un appartement de deux pièces avec le père Stepan, car je ne crois pas qu'un prêtre se comporterait de façon à risquer sa réputation professionnelle.

6 La conclusion de la SPR que le demandeur n'avait pas une orientation homosexuelle était fondée sur ce qu'elle a considéré comme étant des invraisemblances, soit ne pas chercher à fréquenter la communauté homosexuelle à Toronto, ne pas savoir grand'chose de la Journée de fierté des lesbiennes et des gais à Toronto et fréquenter une école catholique romaine et, à l'occasion, l'Église catholique romaine. Le demandeur a témoigné que sa seule préoccupation à son arrivée au Canada était d'améliorer sa formation et de régulariser son statut au Canada.

[...]

8 Vu les faits, je suis convaincu que les conclusions tirées par la SPR sont si déraisonnables qu'elles nécessitent l'intervention de la Cour. Ces conclusions sont fondées sur un profil stéréotypé qui ne peut tout simplement pas s'appliquer à toute personne ayant une orientation homosexuelle et à tous les prêtres de l'Église catholique romaine. Elles ne tiennent compte ni des arguments ni du témoignage vraisemblable fournis par le demandeur dans son explication.


[10]       Les faits en l'espèce sont cependant différents. D'abord, la plus grande partie de ces observations portent sur la conduite de prêtres. Ensuite, il s'agit d'observations sur une conduite plutôt que d'observations sur la connaissance ou l'intérêt. En l'espèce, la Commission a simplement conclu logiquement qu'une personne appartenant à une minorité persécutée devrait s'intéresser au traitement réservé aux autres membres de cette minorité dans le pays où elle se réfugie ou à la communauté à laquelle elle appartient. En outre, le demandeur a lui-même produit un volumineux document provenant d' « Accept » au soutien de sa demande. Il lui incombait de convaincre la Commission des détails de celle-ci. Le fait qu'il ne connaissait pas cette association aidant les homosexuels dans son pays (et dont il a produit un document) peut être retenu contre lui. Il est vrai que le choix des termes employés par la Commission aurait pu être plus heureux, mais il n'est pas question en l'espèce de stéréotypes comparables à ceux décrits dans Tremliuk, précité. En fait, il s'agit d'un cas où le demandeur n'a pas établi son homosexualité au moyen d'éléments de preuve crédibles. Comme la Cour l'a dit dans Zamanibakhsh c. M.C.I., [2002] CFPI 1137 :

La SSR ne pouvait pas conclure selon la prépondérance des probabilités que le demandeur était de fait un homosexuel parce qu'elle ne croyait tout simplement pas son histoire. Selon mon interprétation de la décision, la SSR a tiré une conclusion générale de non-crédibilité et a conclu que le demandeur n'était pas un homosexuel actif.

L'homosexualité fait partie intégrante d'un être humain. Afin de prouver pareille orientation, le demandeur doit présenter des éléments de preuve factuels qui démontrent pareille orientation. Le demandeur a la charge de la preuve et la SSR a conclu qu'il n'avait pas satisfait à cette obligation.

[11]       En ce qui concerne la prétention (b), il n'est pas contesté que la Commission peut tirer des conclusions en se fondant sur la présence d'invraisemblances, le bon sens et la raison. Il incombe au demandeur de réfuter les conclusions tirées par la SSR au sujet de la crédibilité (voir Kahandani c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 1769).

[12]       Cependant, même si cette partie de la décision de la Commission contient des erreurs ou des généralisations (comme le demandeur le prétend), ces conclusions étaient clairement secondaires - il s'agissait en fait de remarques incidentes - par rapport à sa conclusion principale selon laquelle elle n'a pas jugé crédibles les allégations d'homosexualité du demandeur.


[13]       Cette situation est très semblable à celle dont était saisi le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) dans Polyakov c. M.C.I., [1996] A.C.F. no 300 :

9 Compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, la Commission a conclu que le requérant n'avait pas démontré qu'il était un homosexuel. Ainsi que je l'ai déclaré aux parties au cours de l'audience, il serait absolument impossible de qualifier cette conclusion de déraisonnable. Le requérant a témoigné devant la Commission qu'alors qu'il vivait en Moldavie et depuis son arrivée au Canada, il n'avait pas établi de relations homosexuelles.

10 La Commission est allée plus loin et elle a conclu que le témoignage donné par le requérant au sujet de son orientation sexuelle était peu crédible. Parce qu'elle ne pouvait pas - et qu'elle n'a pas - accepté son récit, la Commission ne pouvait pas non plus accepter - et elle n'a pas accepté - qu'il pouvait être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social déterminé, à savoir les homosexuels. En conséquence, la question soulevée par le requérant au sujet de l'agent de persécution n'est pas pertinente.

[14]       Aussi, je ne suis pas convaincu, après avoir examiné la preuve, que la Commission, qui est un tribunal spécialisé, a tiré une conclusion manifestement déraisonnable au regard de la crédibilité du demandeur en ce qui concerne son orientation sexuelle et ce, en dépit de l'excellente présentation de son avocat. Par conséquent, la présente demande ne peut être accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

          « K. von Finckenstein »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-3507-04

INTITULÉ :                                                            LASZLO LASZLO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 5 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE VON FINCKENSTEIN

COMPARUTIONS :    

Gregory Willoughby                                                   POUR LE DEMANDEUR

Mielka Visnic                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

Gregory Willoughbyo                                         POUR LE DEMANDEUR

London (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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