Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040428

Dossier : T-1884-01

Référence : 2004 CF 627

Montréal (Québec), le 28 avril 2004

EN PRÉSENCE DE Me RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

ENTRE :

                                             N.M. PATERSON & SONS LIMITED

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                    LA CORPORATION DE GESTION DE LA VOIE

                                               MARITIME DU SAINT-LAURENT

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par la défenderesse au sujet de questions non réglées qui avaient été posées lors de l'interrogatoire préalable supplémentaire du représentant de la demanderesse, lequel a eu lieu le 11 juillet 2003. Le représentant, M. Alexander Paterson, a initialement été interrogé au préalable les 8 et 9 août 2002.

[2]                La requête s'inscrit dans le contexte d'une action dans laquelle la demanderesse cherche à obtenir des dommages-intérêts s'élevant à environ 30 000 000 $ en tout, son navire, le Windoc, ayant heurté, le 11 août 2001, le pont levant 11 du canal Welland qui appartient à la défenderesse et est exploité par cette dernière.

[3]                Dans sa déclaration, la demanderesse fait état de la perte de recettes nettes, de pertes d'entreprise, notamment en ce qui a trait à l'achalandage, ainsi que de pertes en capital subies par suite de la collision, lesquelles sont estimées à un montant annuel d'environ 2 000 000 $.

[4]                Dans un affidavit déposé à l'appui de la requête ici en cause, la défenderesse déclare que les réponses relatives aux questions non réglées sont nécessaires pour que la détermination de la demande en dommages-intérêts de la demanderesse soit examinée d'une façon appropriée.

Le droit applicable aux questions posées dans le cadre de la communication préalable

[5]                Comme l'a dit le juge MacKay dans la décision Sydney Steel Corp. c. Omisalj (Le), [1992] 2 C.F. 193, page 197 :

[...] [L]e critère relatif au bien-fondé d'une question posée dans le cadre d'un interrogatoire préalable [...] est de savoir si les renseignements sollicités par une question peuvent être pertinents aux points qui, au stade de l'interrogatoire préalable, sont litigieux dans les actes de procédure déposés par les parties.

[6]                C'est fondamentalement ce qu'exige l'alinéa 240a) des Règles de la Cour fédérale (1998).

[7]                Dans une décision antérieure, Reading & Bates Construction Co. et al. c. Baker Energy Resources Corp. et al. (1988), 24 C.P.R. (3d) 66, page 70, le juge McNair de la présente cour avait énoncé le principe suivant au sujet de la production de documents, principe qui s'applique également, autant que je sache, à une question qui est posée dans le cadre de la communication préalable :

La question de savoir quel document se rapporte vraiment aux questions en litige est tranchée selon le principe suivant : il doit s'agir d'un document dont on peut raisonnablement supposer qu'il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire, ou qui sont susceptibles de le lancer dans une enquête qui pourra produire l'un ou l'autre de ces effets.

[8]                Compte tenu de ce principe, je déterminerai maintenant s'il convenait de poser les questions et de demander les documents en cause.

Analyse


[9]                Avant de passer aux questions non réglées, la demanderesse demande essentiellement que l'affidavit soumis par la défenderesse soit radié étant donné que la justification qui y est donnée à l'appui des renseignements demandés n'est pas fondée sur la connaissance personnelle du déclarant, mais est plutôt tirée de l'avis fourni au déclarant par un expert-comptable dont la défenderesse avait retenu les services.

[10]            Je n'ai pas l'intention de radier l'affidavit soumis par la défenderesse. Le paragraphe 81(1) des Règles prévoit, dans le cadre d'une requête, la production d'un affidavit fondé sur ce que le déclarant croit être les faits. Cependant, le paragraphe 81(2) des Règles renferme une mise en garde : la chose pourrait influer sur le poids à accorder à pareil affidavit. L'article 81 des Règles est ainsi libellé :

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts with the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included.

(2) Lorsqu'un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

[11]            Je n'ai pas l'intention de tirer ici des conclusions défavorables puisque, à mon avis, la plupart des renseignements et documents dont la production est ici ordonnée se rapportent à des questions dont M. Paterson a déjà traité pendant son interrogatoire préalable, les 8 et 9 août 2002.

[12]            J'examinerai maintenant les questions non réglées en utilisant la numérotation que les parties ont utilisée dans leurs observations écrites.

[13]            En ce qui concerne la question 25, elle comporte en fait trois questions accessoires :

25(1)     Faire savoir si M. Paterson était au courant de la pratique des sociétés de garder des navires qui ne sont pas activement exploités afin d'obtenir une allocation de la Commission du blé pour la cargaison;

25(2)     Faire savoir si Paterson est l'une des sociétés;

25(3)     Faire savoir s'il a été décidé de garder deux navires ou plus à cause de la Commission canadienne de blé.

[14]            Quant à la question 25(1), je crois que la demanderesse y a répondu lors de son interrogatoire préalable, le 8 août 2002 (voir page 76, réponse 239, transcription du 8 août 2002, page 216 du dossier de la requête de la défenderesse).


[15]            Pour ce qui est de la question 25(3), je crois que la défenderesse peut à juste titre poursuivre ce genre d'enquête; en effet, si la demanderesse avait l'habitude de garder des navires qui ne sont pas actifs en vue d'obtenir une allocation de la Commission du blé pour la cargaison, la décision pourrait influer sur la valeur du Windoc au moment de la collision.

[16]            De plus, le 8 août 2002 (voir pages 75 à 78 de la transcription établie à cette date), la demanderesse a déjà commencé à répondre à cette série de questions.

[17]            La question 25(3) est donc pertinente; il faudra y répondre. Étant donné la conclusion qui a été tirée, il n'est pas nécessaire de répondre à la question 25(2).

[18]            Les questions 26 et 35 peuvent être examinées ensemble.

[19]            La question 26 exige la production de tous les états financiers de la société demanderesse dans son ensemble.


[20]            La demanderesse a admis, lors de son interrogatoire préalable, le 8 août 2002, que la société demanderesse était composée de deux divisions, la division du grain et la division maritime. Elle a également admis qu'il s'agissait néanmoins en fait [traduction] d' « une seule société » et que les sommes provenant de la division maritime pouvaient servir au paiement des dépenses de la division du grain et vice-versa. Il semble également que les deux divisions financent leurs activités par l'entremise de la [traduction] « division du siège social » . Toutefois, jusqu'ici, la demanderesse a uniquement fourni des renseignements financiers au sujet de sa division maritime. À mon avis, compte tenu de tous ces éléments factuels, la question 26 est une question juste et pertinente. Il faudra donc y répondre. Par conséquent, il faudra également répondre à la question 35 visant la production des états financiers vérifiés consolidés de toute la société pour l'année 2002. Cette documentation existe et je ne vois réellement pas quel serait le préjudice subi par la demanderesse si elle la produisait. Je me rends bien compte que la défenderesse veut voir la documentation afin de s'assurer que les renseignements qu'elle contient correspondent aux renseignements qui se trouvent dans les états des résultats.

[21]            La question 28 comporte deux questions accessoires qui sont ainsi libellées :

28(1)     Il est présumé que la flotte vaut 15 millions de dollars. Demander à M. Price comment on est arrivé à ce chiffre.

28(2)     Produire le dossier Ernst & Young jusqu'à la date de l'accident.

[22]            Quant à la question 28(1), l'avocat de la demanderesse s'est engagé à indiquer à la défenderesse le calcul sur lequel le chiffre de 15 millions de dollars est basé. La réponse sera suffisante pour répondre pleinement à la question 28(1).


[23]            Pour ce qui est de la question 28(2), elle semble viser la production des documents de travail et des dossiers d'un conseiller qui a produit au profit de la demanderesse, en 1995 ou en 1996, une analyse coûts-avantages relative à la cessation d'une partie des activités de la demanderesse.

[24]            Il faut se rendre compte que la documentation demandée se rapporte à une analyse qui a été effectuée six ans avant la collision ici en cause. Il semble que la demanderesse n'ait pas l'intention de fonder sa preuve sur cette analyse. De plus, la question que la Cour devra en fin de compte trancher se rapporte à la valeur du Windoc juste avant la collision.

[25]            Il n'est donc pas nécessaire de répondre à la question 28(2) puisque je ne puis voir comment la documentation demandée par la défenderesse pourrait jeter la lumière sur des questions pertinentes en l'espèce.

[26]            Quant à la question 31, elle exige que la demanderesse transmette à la défenderesse une opinion exprimée par un tiers. La question n'est pas pertinente et il n'est pas nécessaire d'y répondre.

[27]            La question 33 porte sur la production d'un rapport d'évaluation concernant une vente qui a eu lieu le 22 juillet 2001, par laquelle les actions des membres de la famille Paterson qui étaient en cause dans la division maritime avaient été vendues à un cousin, l'actionnaire principal de la division du grain.

[28]            Je reconnais que le rapport pourrait contenir une discussion des projets d'avenir que la demanderesse entretient pour sa flotte et en particulier pour le Windoc et que ces projets pourraient avoir des incidences sur la valeur à attribuer au Windoc. Le fait que la demanderesse a déjà produit certains renseignements financiers sur ce point n'empêche pas la production du rapport d'évaluation eu égard aux circonstances. Le fait que la vente du 11 juillet 2001 a été conclue entre les membres de la famille pourrait être examiné au fond par la Cour si la documentation demandée était produite en preuve à l'instruction.

[29]            Il faudra donc répondre à la question 33.

                                        ORDONNANCE

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

-            La demanderesse répondra, dans les trente (30) jours qui suivront la date de la présente ordonnance, aux questions 25(3), 26, 35 et 28(1) dans la mesure indiquée par l'avocat de la demanderesse, ainsi qu'à la question 33;

-            La demanderesse comparaîtra de nouveau, dans les trois semaines qui suivront la production des réponses aux questions susmentionnées, pour répondre aux questions additionnelles qui pourraient se poser par suite des réponses ainsi données;


-            Étant donné que le succès est partagé, les dépens suivront l'issue de la cause.

_ Richard Morneau _

                                                                                         Protonotaire                    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-1884-01

INTITULÉ :                                                   N.M. PATERSON & SONS LIMITED

c.

LA CORPORATION DE GESTION DE LA VOIE

MARITIME DU SAINT-LAURENT

LIEU DE L'AUDIENCE                               MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE                             LE 19 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

David F.H. Marler                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Murray Froese

Simon Barker                                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marler et associés                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Knowlton (Québec)

Fernandes Hearn                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.