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Date : 20051024

Dossier : IMM-10288-04

Référence : 2005 CF 1434

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGESNIDER

ENTRE :

FRIDAY ZAKKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Le demandeur est citoyen du Nigeria; il est arrivé au Canada en février 2004 et il a fait une demande d'asile : il prétend craindre d'être persécuté en raison de son orientation sexuelle. Selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a eu une relation homosexuelle dans un village de l'État de Kaduna, où il est né, avec un homme se nommant Y.M.. Au cours de leur relation, Y.M. a été surpris à avoir des relations sexuelles avec un autre homme se nommant S.. Les villageois ont confronté Y.M. et S., ils les ont battus et ils les auraient tués. Au cours de cet affrontement, on a dit au demandeur que son nom avait été mentionné relativement à Y.M.. En raison de cet incident, le demandeur s'est installé à Lagos, dans le sud du Nigeria, où il a vécu jusqu'à ce qu'il quitte son pays en 2004. Il prétend craindre que sa famille, ses parents et les habitants de son village d'origine le retrouvent à Lagos et l'y tuent.

[2]         Dans la décision rendue le 16 novembre 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. M. Zakka demande le contrôle judiciaire de cette décision.

[3]         La présente demande ne soulève qu'une seule question : La Commission a-t-elle mal compris la nature des prétentions du demandeur ou mal interprété la preuve documentaire relative au traitement réservé aux homosexuels au Nigeria, et ainsi rendu une décision manifestement déraisonnable?

[4]         En l'espèce, la norme applicable est la décision manifestement déraisonnable. Je ne peux annuler la décision en cause que si elle n'est pas étayée par la preuve, c'est-à-dire que si la Commission n'a pas tenu compte des preuves portant sur une question essentielle dont elle était saisie, ou si elle les a mal interprétées (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.)).


[5]         La décision repose essentiellement sur les conclusions suivantes :

  • Il y avait peu d'éléments donnant à penser que les villageois considéraient le demandeur comme homosexuel et, même à supposer qu'ils aient jamais eu de l'animosité à son égard, ils se sont désintéressés de lui dès qu'il a déménagé à Lagos.

  • Le Code criminel du Nigeria (le Code) interdit les actes homosexuels; cependant, il est improbable que le demandeur, ayant mené une vie discrète, attirerait l'attention des autorités; cela dit, même si c'était le cas et si des accusations étaient portées contre lui au titre des dispositions pertinentes du Code, il ne serait pas déclaré coupable sans la tenue d'un procès équitable.

  • Même si la preuve documentaire montre que « le milieu nigérian est très homophobe [...] le peuple est en général conscient de l'existence des pratiques homosexuelles et fait preuve d'une grande tolérance à cet égard » .

[6]         La Commission a essentiellement conclu que le demandeur pouvait vivre à Lagos (Nigeria) comme homosexuel sans craindre d'être persécuté ou de subir des traitements cruels et inusités de la part des personnes qu'il disait redouter.

[7]         Le demandeur soutient que la Commission n'a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité et qu'il était manifestement déraisonnable de sa part de conclure qu'il ne courrait aucun risque s'il rentrait dans le Nord du Nigeria. Cet argument est douteux à plus d'un titre.

[8]         Premièrement, contrairement à ce qu'affirme le demandeur, la Commission n'a pas accepté sans réserves le récit du demandeur dans son intégralité. La Commission n'a pas remis en cause l'homosexualité du demandeur; cependant, elle n'a pas convenu que les personnes que craignait le demandeur (les villageois) aient jamais considéré le demandeur comme un homosexuel. Vu que la preuve sur laquelle il s'appuyait pour dire craindre qu'il soit connu des villageois était du ouï-dire, c'est-à-dire une déclaration qui aurait été faite par sa mère, selon laquelle il avait fréquenté une femme pendant quatre ans lorsqu'il vivait dans son village, c'est à bon droit que la Commission a tiré la conclusion en cause. En résumé, le demandeur ne s'est pas acquitté de son fardeau de la preuve : il lui incombait de produire suffisamment de preuves crédibles montrant que les villageois pensaient qu'il était homosexuel et qu'il était donc en danger.

[9]         En outre, aucun élément de preuve ne tendait à montrer que quiconque parmi les personnes qu'il disait craindre l'ait pourchassé après qu'il eut quitté son village pour Lagos, où il a vécu pendant deux ans. Par conséquent, la Commission a pu raisonnablement conclure que, même si les villageois avaient eu de l'animosité à son égard, ils se sont désintéressés de lui lorsqu'il est parti pour Lagos.

[10]       Le deuxième problème que me pose cet argument est que, apparemment, le demandeur croit qu'il doit rentrer dans son village pour y vivre. Le dossier montre qu'il s'est installé à Lagos, où il a vécu pendant deux ans sans y être persécuté avant de venir au Canada. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 73 (la LIPR), et d'ailleurs le régime général de protection des réfugiés, ont pour principe fondamental que le demandeur d'asile, qu'il demande le statut de réfugié en vertu de l'article 96, ou de personne à protéger en vertu de l'article 97, doit établir qu'il court un risque dans tout le pays. En l'espèce, le demandeur n'a pas produit de preuves indiquant qu'il ne pouvait raisonnablement pas vivre à Lagos. Le fait qu'il risquait peut-être toujours d'être persécuté dans son village (et la Commission n'a pas tiré de conclusion à ce sujet), ne voulait pas automatiquement dire qu'il était une personne à protéger. Il était raisonnable de la part de la Commission d'évaluer le risque couru par le demandeur en fonction du fait qu'il pouvait vivre à Lagos où il avait déjà résidé pendant deux ans avant de venir au Canada.

[11]       Le demandeur soutient que, en raison des lourdes peines prévues par la loi pénale, il risque d'être persécuté à l'avenir en tant qu'homosexuel; qu'il sera incapable de vivre ouvertement comme homosexuel à Lagos, ou ailleurs. Je suis d'avis que le dossier dont disposait la Commission n'étaye pas cet argument. Il y a eu une certaine controverse au sujet de la disposition du Code précisément applicable au demandeur et de la durée de la peine dont il serait éventuellement passible et il est possible que la Commission ait fait erreur à ce sujet en l'espèce. Cependant, la peine éventuellement applicable n'est pas la question en cause en l'occurrence. La vraie question est la suivante : quelques puissent être les règles du Code, le demandeur court-il probablement des risques, notamment d'être persécuté, parce qu'il est homosexuel? En résumé, parmi les preuves produites devant la Commission, y en avait-il indiquant que le demandeur pouvait craindre d'être arrêté ou que des personnes vivant une situation semblable pouvaient légalement faire l'objet de harcèlement arbitraire et de détention? En l'espèce, le demandeur ne peut pas se contenter d'invoquer l'existence d'une loi pour démontrer qu'il court un risque. J'insiste sur le fait que je ne veux pas dire par là que la Commission peut ne pas tenir compte de l'existence des lois et des peines. À tout le moins, l'existence de lois et des peines qui y sont prévues constituent des facteurs dont la Commission doit tenir compte. Cependant, le demandeur d'asile ne peut pas se contenter de faire état de l'existence d'une loi pour établir ses prétentions; à elle seule, elle est insuffisante. Cela est encore plus vrai en l'espèce.

[12]       Devant la Commission, le demandeur n'a pas fait valoir qu'il craignait de se faire arrêter ou que l'État, de manière arbitraire, arrêtait et inculpait les personnes pour atteintes aux lois réprimant l'homosexualité. D'ailleurs, lorsque l'avocat du demandeur lui a demandé au cours de l'audience si une raison quelconque l'empêchait de rentrer à Lagos, il a donné pour seule réponse qu'il craignait « les membres de la famille » ; il n'a pas dit craindre les autorités à Lagos. En l'espèce, malgré la volumineuse preuve documentaire du dossier, le demandeur n'a pu porter à mon attention qu'un seul cas d'homosexuel ayant dû répondre d'une accusation au pénal et il s'agissait d'un homme qui aurait agressé un garçon de sept ans. En résumé, le demandeur n'a pas allégué qu'il craignait l'application des lois; la preuve documentaire n'indique pas non plus que les personnes sont arrêtées et inculpées de manière arbitraire, uniquement parce qu'elles sont homosexuelles.

[13]       Le demandeur a soutenu que, vu la dureté des lois, la police ne serait pas capable de le protéger s'il était agressé par les personnes qu'il dit craindre. Le problème que me pose cet argument est que le demandeur ne l'a pas fait valoir devant la Commission. Ce n'est pas lors de l'audience de contrôle judiciaire que le demandeur peut soulever des arguments qu'il n'a pas fait valoir, à son regret, devant la Commission.

[14]       Je signale aussi que la Commission a tenu compte de toute la preuve documentaire. Elle a accepté la preuve qui montrait que le Nigeria était « homophobe » , tout en signalant les éléments de preuve montrant que les homosexuels pouvaient vivre de manière relativement ouverte dans les grandes villes comme Lagos. La Commission n'était pas tenue de mentionner de manière explicite chaque article donnant des exemples de cette « homophobie » .

[15]       Le défendeur concède - à bon droit selon moi - que la Commission a fait erreur lorsqu'elle a déclaré que « Lagos et Katiste ne sont pas situées dans la région du Nigeria à prédominance musulmane et, par conséquent, ne seraient pas soumises à l'application de la charia » . Elle avait raison en ce qui concerne Lagos, mais pas au sujet de Katiste. Cependant, cet élément n'a que peu d'importance. L'erreur commise est sans conséquence.

[16]       En conclusion, la décision de la Commission n'est pas manifestement déraisonnable. Le demandeur ne m'a pas convaincue que certaines des conclusions principales n'étaient pas étayées par la preuve ou que la Commission a mal interprété la preuve produite par le demandeur.

[17]       La demande sera rejetée. Il n'y a aucune question de portée générale à certifier.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

            1.          La demande est rejetée;

            2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-10288-04

INTITULÉ :                                        FRIDAY ZAKKA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 18 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 24 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS:

Sina Ogunleye                                                   POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Sina Ogunleye                                                   POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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