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Date : 20060317

Dossier : T-1753-04

Référence : 2006 CF 358

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

ENTRE :

WEB PRESS GRAPHICS LTD.

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La question à trancher dans la présente espèce est celle de savoir si la demanderesse a droit au remboursement du montant payé par elle au titre de la taxe de vente fédérale sur les [TRADUCTION] « produits de prépresse » qu'elle fabrique pour ses clients. La présente affaire a été instruite sur la seule base d'un exposé conjoint des faits dont je reproduis ici les 23 premiers paragraphes :

[TRADUCTION]

CONTEXTE : Le processus d'impression de la demanderesse

1.             La demanderesse est un imprimeur et était, durant toute l'époque pertinente, un fabricant licencié de produits de prépresse et d'imprimés sous le régime de la Loi sur la taxe d'accise.


La prépresse et l'impression

2.             La création de produits de prépresse constitue la première des deux principales étapes du processus d'impression et comprend toutes les activités qui précèdent la production du travail d'impression au moyen d'une presse typographique.

3.             Les « produits de prépresse » (ainsi désignés ci-après) comprennent les illustrations prêtes à photographier, les photographies, les films et les travaux de composition servant à la production de la plaque d'aluminium qui remplit la fonction de support de l'image ou de l'impression utilisée pour la production d'imprimés.

4.             La prépresse comprend toutes les opérations préalables à l'impression, depuis le dessin et la préparation des illustrations jusqu'à la création de la plaque inclusivement.

5.             La plaque d'aluminium est le dernier produit de prépresse.

6.             La deuxième étape du processus d'impression consiste à fixer la plaque à un tambour et à transférer sur papier, au moyen d'encre, l'image que porte la plaque.

7.             On ne peut produire d'imprimés que si le dernier produit de prépresse, soit la plaque d'aluminium impressionnée, a d'abord été créé.


Démarche suivie par la demanderesse pour exécuter ses commandes

8.             La demanderesse, sur commande de ses clients, fabrique des produits de prépresse et s'en sert ensuite pour produire les imprimés commandés (prospectus, bulletins, brochures, etc.).

9.             Pour chaque commande, la demanderesse fabrique tout ou partie des produits de prépresse suivants : photographies, travaux de composition, illustrations prêtes à photographier et films à couleurs séparées prêts pour la plaque. Elle transfère ensuite les négatifs de chaque image sur une plaque d'aluminium servant à l'impression de reproductions.
.

10.         Les produits de prépresse fabriqués dans le cadre d'une commande ne peuvent servir qu'au client en question. La plaque porte le nom de celui-ci et peut être utilisée à la seule fin de produire des imprimés pour lui. Les travaux d'impression commandés sont tous différents.

11.         Les produits de prépresse fabriqués pour un client sont à sa disposition en tout temps.

12.         Il arrive à l'occasion que la demanderesse réutilise des produits de prépresse pour de nouveaux tirages (par exemple pour la réimpression d'un prospectus déterminé).

13.         En général, les produits de prépresse sont conservés par la demanderesse et restent en sa possession; il ne lui arrive que rarement de les remettre au client plutôt que de les détruire.

14.         Étant donné le caractère ponctuel de l'utilité des prospectus et autres documents publicitaires imprimés par la demanderesse, elle ne se servait habituellement des produits de prépresse que pour un seul travail d'impression et les détruisait dans la semaine suivant l'achèvement de celui-ci.

15.         Dans certains cas, la demanderesse obtenait de ses clients, ou achetait en franchise de taxe, certains éléments des produits de prépresse, par exemple les illustrations ou les dessins. Elle effectuait alors une transformation ultérieure de ces éléments et les incorporait à la plaque impressionnée.

16.         Dans tous les cas pertinents, la demanderesse a produit la plaque d'aluminium, qui est, comme on l'a vu, le dernier produit de prépresse nécessaire à la production d'imprimés.

Les factures de la demanderesse

17.         La demanderesse établissait en général deux sortes de factures pour ses clients :
A.            Des factures « ventilées » , où étaient inscrits séparément un ou plusieurs éléments au titre des produits de prépresse et des imprimés, et qui portaient :

     i. soit des prix distincts pour les produits de prépresse et les imprimés,

     ii. soit le prix de vente total des produits de prépresse et des imprimés;

B.             Des factures « globalisées » , faisant état des seuls imprimés et portant un seul prix de vente.

18.         La demanderesse n'appliquait pas de procédure de facturation uniforme, et la forme de la facture dépendait souvent du vendeur qui prenait la commande ou du désir exprimé par le client.

19.         Dans tous les cas pertinents, quelle que soit la forme de la facture établie, la réalité commerciale de la transaction est la même et peut se décrire comme suit :

a. le client commande un travail d'impression, et l'imprimeur lui propose un devis;

b. ce travail d'impression comprend aussi bien les produits de prépresse que les imprimés;

c. l'imprimeur effectue au moins une des étapes de la prépresse;

d. le client approuve les produits de chaque étape de la prépresse, principalement la plaque impressionnée;

e. l'imprimeur produit ensuite les imprimés et les livre au client.

20.         Dans tous les cas pertinents, quelle que soit la forme de la facture établie, la demanderesse payait la taxe de vente fédérale sur le total du prix de vente final.

Le calcul du prix de vente total

21.         Pour calculer le prix de vente final des imprimés pour le client, la demanderesse additionnait tous les coûts afférents à la production de ces imprimés - y compris les coûts de prépresse -, puis ajoutait à ce total une marge bénéficiaire brute ou marge commerciale.

22.         Les coûts afférents à la production des imprimés, comme l'explique M. Kevin Turnbull dans son rapport d'expert en date du 24 juin 20051, sont les suivants :

a. les charges indirectes, c'est-à-dire tous les coûts autres que les frais de vente, d'administration et financiers, soit l'amortissement pour dépréciation, les primes d'assurance, les loyers, les frais d'entretien et de réparation, les coûts des services publics et les dépenses automobiles;

b. les achats de matériel (papier, encre et autres articles);

c. les salaires et autres frais de main-d'oeuvre liés :

     i. à la fabrication des produits de prépresse,

     ii. à la production d'imprimés.

23.         La demanderesse payait la taxe de vente fédérale sur le prix de vente total des imprimés vendus à ses clients, qui comprenait la valeur des produits de prépresse.

[2]                Les parties sont aussi convenues que si la défenderesse est déclarée redevable du remboursement demandé, celui-ci devrait être fixé à la somme de 272 797,00 $, à majorer des dépens taxables et des intérêts applicables.

[3]                Enfin, les avocats ont limité la question à trancher par la Cour au seul point de savoir si la demanderesse a ou non « vendu » , au sens de la Loi sur la taxe d'accise, les produits de prépresse en cause.

[4]                La taxe de vente fédérale, à l'époque pertinente, était imposée par l'article 50 de la Loi sur la taxe d'accise, dont voici les passages applicables :

50.(1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente au taux spécifié au paragraphe (1.1) sur le prix de vente ou sur la quantité vendue de toutes marchandises :

a) produites ou fabriquées au Canada :

(i) payable, dans tout cas autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas (ii) ou (iii), par le producteur ou fabricant au moment où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou au moment où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle ce ces dates qui est antérieure à l'autre,

[...]

(iii) payable, dans un cas où les marchandises sont destinées à l'usage du producteur ou fabricant, par le producteur ou fabricant au moment où il affecte les marchandises à son usage [...]

[5]                Le paragraphe 51(1) prévoit une exemption de la taxe :

51. (1) La taxe imposée par l'article 50 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des marchandises mentionnées à l'annexe III, excepté les marchandises mentionnées à la partie XIII de cette annexe qui sont vendues ou importées par des personnes exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente en application du paragraphe 54(2).


[6]                L'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi exonère les articles suivants, désignés plus haut « produits de prépresse » , de la taxe de vente fédérale :

Composition typographique, planches métalliques, cylindres, matrices, film, oeuvres d'art, dessins, photographies, matériel en caoutchouc, matériel en plastique et matériel en papier, lorsqu'ils portent l'empreinte d'une image destinée à la reproduction par impression, ou mettent en vedette ou comportent une telle image, et qu'ils sont fabriqués ou importés par un fabricant ou producteur, ou vendus à un fabricant ou producteur, pour servir exclusivement à la fabrication ou à la production d'imprimés.

[7]                La demanderesse a d'abord soutenu qu'elle avait droit à l'exemption demandée au motif que les articles en question étaient « fabriqués » par elle pour servir exclusivement à la production d'imprimés. Elle a maintenant abandonné cette thèse, et avec raison : les termes de l'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi ne peuvent être interprétés séparément des termes du paragraphe 51(1) qui leur donnent force de loi et qui exigent que les marchandises soient « vendues ou importées par des personnes exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente » . Par conséquent, comme nous le disions plus haut, la seule question qui reste maintenant est celle de savoir si les articles en question ont été « vendus » par la demanderesse à ses clients.

[8]                Au cours de la présentation de leurs moyens, les deux avocats ont fixé leur attention presque exclusivement sur ce qui se passait après que les produits de prépresse avaient rempli leur fonction originelle et que les prospectus ou autres imprimés avaient été livrés aux clients. À mon humble avis, cette approche est erronée. D'après ce que je crois comprendre des faits, l'imprimeur fabrique les produits de prépresse spécialement pour le client, conformément à ses instructions et sous sa supervision d'ensemble, et la fonction principale de ces produits - leur seule fonction en général - est de servir à la production d'imprimés. Une fois l'impression achevée, les produits de prépresse ont rempli leur objet et n'ont pratiquement aucune valeur résiduelle, sauf dans le rare cas d'une réimpression.

[9]                En général, les produits de prépresse ne sont pas remis au client après l'impression parce qu'il est probable que, comme l'imprimeur, il n'en aura rien à faire. La seule inférence que je puisse tirer de l'exposé conjoint des faits, en particulier des paragraphes 10 à 13 reproduits ci-dessus, est que ces produits sont alors assimilés à des déchets, à peu près dénués qu'ils sont de valeur d'usage et même de valeur de récupération. Mais ce qui arrive aux produits de prépresse après qu'ils ont rempli leur fonction ne peut déterminer la réponse à la question de savoir s'ils ont été vendus par le producteur au consommateur. Il n'est pas du tout surprenant que ce dernier n'exige habituellement pas qu'ils lui soient alors remis, puisqu'il n'en a plus besoin. Il a obtenu ce qu'il voulait, soit les imprimés publicitaires, et les produits de prépresse ne sont qu'un élément qu'il a dû acheter pour atteindre son objectif final. Mais il ne fait aucun doute que le client seul a le droit de décider du sort des produits de prépresse, même s'il exerce rarement ce droit.

[10]            À mon avis, sont ici remplies toutes les conditions nécessaires pour qu'il y ait vente sous le régime de la Loi (qui ne définit pas ce terme). Les marchandises ont été conçues et fabriquées spécialement à la demande du client et lui sont exclusives. Elles ont ensuite été utilisées aux fins de son entreprise; il lui reste loisible de décider de leur sort jusqu'à leur destruction; et il a payé un prix qui, comme le montrent clairement les pièces accompagnant les factures, comprend sans aucun doute non seulement le prix du produit final - les imprimés publicitaires -, mais aussi celui des produits intermédiaires nécessaires, qui appartiennent maintenant au client dont le nom y est inscrit. La propriété des marchandises est transmise de l'imprimeur au client en contrepartie d'une somme d'argent : c'est là, en droit, une vente.

[11]            Je ne vois rien de contraire à ce point de vue dans l'arrêt de la Cour d'appel Canada c. Tom Baird & Associates Ltd., [1997] A.C.F. no 1579. Dans cette affaire, le contribuable commandait et achetait des produits de prépresse à un producteur, les envoyait à un imprimeur pour la production de prospectus, puis facturait séparément à son client les imprimés et les produits de prépresse. Comme dans la présente espèce, les produits de prépresse, une fois qu'ils avaient rempli leur fonction, étaient considérés dans les faits comme des déchets. Le ministre invoque une distinction d'avec Baird en se fondant sur le fait qu'il y avait dans cette affaire une « vente » , attestée par des documents, des produits de prépresse au client et, de fait, il a remboursé la taxe à la présente demanderesse dans les cas, relativement rares, où ses factures faisaient état d'un prix séparé pour les produits de prépresse. Cependant, cette distinction ne me paraît pas valable, puisque la réponse à la question de savoir s'il y a eu vente ou non ne peut dépendre des pièces où la transaction est enregistrée après qu'elle a été faite. S'il en était ainsi, la forme l'emporterait vraiment sur le fond. Dans l'arrêt Baird, le juge Létourneau, s'exprimant au nom de la Cour, parle d'un [TRADUCTION] « droit propriétal » du client sur les produits de prépresse comme argument à l'appui de la thèse que le producteur ne les avait pas [TRADUCTION] « utilisés » dans une vente ultérieurement documentée à ce client.

[12]            À mon sens, il faut inférer l'existence d'une telle vente des faits convenus dans la présente espèce, même en l'absence de documents. Il ne pouvait y avoir que deux propriétaires possibles des produits de prépresse : l'imprimeur et le client; et seul ce dernier avait le droit de décider de leur sort final, ce droit étant une caractéristique nécessaire de la propriété. Il est possible que, comme l'affirme le ministre, le juge Létourneau aie fait allusion aux droits de propriété intellectuelle du client, mais il est hors de doute qu'une autre personne que l'imprimeur avait aussi acquis les droits afférents aux objets matériels formant les produits de prépresse, et que cette autre personne ne pouvait être que le client.

[13]            On aura compris à la lecture de l'exposé qui précède que, sauf révérence, je ne souscris pas à la décision Staz Communications Inc. c. Le ministre du Revenu national (2003), appel no AP-2001-004, du Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE). Dans cette affaire, où les faits étaient pratiquement identiques à ceux de la présente instance, le TCCE a déclaré que la preuve ne le convainquait pas qu'il y avait eu vente des produits de prépresse (désignés « articles de représentation » dans le texte français de la décision). Cette conclusion semble cependant avoir été fondée sur l'opinion que le contribuable était tenu de démontrer « clairement » l'existence d'une vente. C'est là une erreur de droit, car ce seuil est trop élevé. L'avocat du ministre n'a pas contesté dans la présente espèce que le critère applicable est seulement la prépondérance de la preuve - qui est le critère normal au civil -, soit en l'occurrence le point de savoir s'il est plus probable qu'improbable qu'il y ait eu vente. En outre, le TCCE paraît n'avoir pris en considération que la preuve directe (dont il semblait douter dans une certaine mesure de la crédibilité) et n'a nullement essayé de tirer les inférences nécessaires touchant la réalité commerciale des opérations en cause. Comme je le disais plus haut, cette réalité, dans la présente espèce, m'amène à conclure qu'il y a eu vente. Et les parties étant convenues des faits, la question de la crédibilité ne se pose pas.

[14]            La demande sera accueillie et les frais d'action seront taxés. Les parties sont convenues que, dans ce cas, le ministre devrait rembourser la somme de 272 797,00 $, majorée des intérêts [TRADUCTION] « applicables » . Je suppose que les avocats se sont entendus sur les dates et les taux d'intérêt; si tel n'est pas le cas, une requête en directives devra être déposée sous le régime de l'article 369 des Règles.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La défenderesse paiera à la demanderesse la somme de 272 797,00 $, majorée des intérêts applicables et des dépens qui seront taxés.


« James K. Hugessen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1753-04

INTITULÉ :                                        WEB PRESS GRAPHICS LTD.

                                                            c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 9 MARS 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 17 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Meldon Ellis

POUR LA DEMANDERESSE

Kris Klein

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ellis Business Lawyers

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

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