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Date : 20030425

Dossier : IMM-5297-01

Référence neutre : 2003 CFPI 522

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                          BENEDICT OSAMUDIAMEN IRHUEGBAE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, qui vise la décision du 25 octobre 2001 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) (la Commission) a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur sollicite une ordonnance ayant pour effet


1.          de réviser et d'annuler la décision de la Section du statut de réfugié portant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et

2.          de renvoyer l'affaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en prescrivant que le même tribunal, ou subsidiairement un autre tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, déclare que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention, ou

3.          subsidiairement, d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, d'annuler la décision contestée et de renvoyer l'affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'il rende une nouvelle décision.

Contexte

Introduction

[3]                 Le demandeur est un citoyen du Nigéria qui prétend craindre avec raison d'être persécuté. Le demandeur soutient qu'il était engagé activement dans la lutte contre les sectes parmi les étudiants pendant qu'il était membre du syndicat d'étudiants de son université ainsi que d'un comité universitaire mixte. Il a obtenu un certificat de mérite de la Delta State University pour le travail accompli.

[4]                 Le 23 septembre 1998, le demandeur a prononcé une conférence contre les sectes à l'Université du Bénin. La conférence a mis en colère des adeptes de sectes et, quelques heures plus tard, le demandeur recevait une lettre de menaces où on lui demandait de quitter le campus dans les 48 heures, faute de quoi il subirait une mort violente. Le demandeur a signalé ces menaces à la police, qui a répondu qu'il lui faudrait identifier au moins deux adeptes avant qu'une enquête puisse être mise en branle. Selon le témoignage du demandeur, il avait été interdit aux policiers de pénétrer dans l'université sans y être conviés par le chef du service de sécurité, en l'occurrence le vice-chancelier, largement soupçonné d'être membre et bailleur de fonds de la secte des Buccaneers.

[5]                 Le demandeur a déclaré lors de son témoignage que, le deuxième soir après sa conférence, un conférencier a été assassiné, ce qui a été suivi d'autres meurtres à l'Université du Bénin et dans d'autres campus avoisinants. Le demandeur soutient également que sa résidence et son automobile ont fait l'objet de vandalisme pendant son absence et qu'il était suivi par des membres de sectes.


[6]                 Le demandeur a pris ces menaces de mort aux sérieux et il a décidé de s'enfuir du Nigéria lorsqu'un registraire de la Delta State University, que l'université et la police avaient promis de protéger, a été assassiné quelques semaines plus tard. Cela a été suivi par le meurtre de membres du syndicat d'étudiants à la University of Ife. Le demandeur prétend que son épouse et leur nouveau-né sont morts dans un accident d'automobile, alors qu'ils revenaient à la maison après l'avoir conduit à l'aéroport.

[7]                 Le demandeur soutient qu'il ne peut retourner au Nigéria parce qu'il ne peut s'y réclamer de la protection de l'État et que, par conséquent, il y serait tué.

Motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié)

[8]                 Par des motifs datés du 25 octobre 2001, la Commission a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[9]                 La Commission a jugé véridique le récit du demandeur quant aux actes de violence de membres de sectes dans les campus universitaires. Bien que la preuve documentaire ait révélé que les adhérents de sectes perpétraient bel et bien des actes de violence et des meurtres dans les campus universitaires au Nigéria, la Commission a conclu que le demandeur disposait d'une protection adéquate de l'État au Nigéria contre les actions de ces adhérents. La Commission a conclu que la preuve documentaire révélait que le gouvernement du Nigéria avait déclaré la guerre à ces sectes et était déterminé à éliminer ce type de criminalité, le président Obasanjo ayant d'ailleurs déclaré de haute priorité le règlement de ce problème.

[10]            La Commission n'a pas jugé crédible la déclaration du demandeur selon laquelle la police lui avait dit qu'il lui faudrait identifier au moins deux adhérents lui ayant adressé des menaces avant qu'elle puisse procéder à une enquête. Selon la Commission, la preuve documentaire ne faisait pas état d'une telle exigence de la police avant qu'une enquête soit mise en branle et qu'ensuite, des poursuites soient intentées pour contrer les actes criminels. La Commission a conclu que, si la police avait bien fait une telle déclaration au demandeur, celui-ci aurait probablement pu saisir d'une plainte un autre échelon de la force policière.

[11]            La Commission a conclu en outre que la preuve documentaire faisait état des mesures prises par le gouvernement pour assurer la protection des citoyens. Ceux-ci, la Commission a-t-elle reconnu, se méfient de la police. La Commission a conclu, toutefois, que le gouvernement avait engagé des initiatives en vue de réformer et de renforcer la police; les pratiques policières se sont ainsi améliorées et la plupart des policiers essaient maintenant de bien faire leur travail et de démontrer davantage de respect à l'égard des droits des citoyens.

[12]            La Commission a préféré la preuve documentaire à celle du demandeur, concluant que les sources d'où elle émane sont fiables, indépendantes et dénuées de tout intérêt dans l'issue d'une revendication quelconque.


[13]            La Commission a reconnu que, bien que la protection de l'État ne soit pas parfaite au Nigéria, elle est toutefois adéquate. La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas présenté une preuve claire et convaincante quant au fait que le gouvernement ne voulait ou ne pouvait le protéger. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas de possibilité raisonnable ou sérieuse que le demandeur soit persécuté s'il devait retourner au Nigéria.

[14]            Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision de la Commission portant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

Prétentions du demandeur

[15]            Le demandeur soutient que les motifs pour lesquels la Commission a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention sont abusifs, arbitraires et manifestement déraisonnables. Le demandeur soutient que sa revendication se fonde sur son appartenance à un certain groupe social, soit celui des opposants aux sectes secrètes au Nigéria.


[16]            Le demandeur prétend qu'était erroné le critère appliqué par la Commission pour établir s'il pouvait se réclamer de la protection de l'État. Il soutient qu'on a rejeté dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 l'exigence prévue dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n ° 1189 (QL) (C.A.) de l'effondrement complet de l'appareil étatique pour pouvoir conclure en l'absence de protection de l'État. Il soutient qu'un demandeur peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention s'il démontre que, malgré les efforts consentis par l'État, celui-ci ne peut le protéger, et s'il existe aussi des éléments de preuve quant au fait que le demandeur sera vraisemblablement traité de manière différente. Le demandeur soutient avoir présenté une preuve manifeste faisant voir que le gouvernement du Nigéria n'est pas en mesure de le protéger, et aussi que la Commission a fait abstraction d'éléments de preuve essentiels démontrant l'absence de protection de l'État.

[17]            Le demandeur soutient que l'appréciation par la Commission de la preuve présentée pour démontrer l'absence de protection de l'État avait un caractère abusif et manifestement déraisonnable. Il prétend que la Commission s'est fourvoyée dans son analyse concernant les échelons des forces policières et les modes de poursuite, puisque ce dont elle était saisie ce n'était pas une affaire pénale générale, mais bien une affaire particulière reliée au problème des sectes parmi les étudiants. Il soutient que la preuve documentaire fait voir clairement que le gouvernement n'est pas en mesure de protéger les victimes de sectes et que la décision de la Commission ne tenait pas compte des éléments dont celle-ci disposait.

Prétentions du défendeur


[18]            Le défendeur est en désaccord avec l'interprétation donnée par le défendeur à la décision Villafranca, précitée. Il soutient que le critère juridique servant à établir si l'on peut se réclamer de la protection de l'État consiste à se demander, non pas s'il y a effondrement complet de l'appareil étatique, mais si l'État consent des efforts sérieux pour protéger ses citoyens. Le défendeur est également en désaccord avec la prétention du demandeur selon laquelle deux critères juridiques différents sont appliqués dans Villafranca et dans Ward, précitées. Le défendeur soutient que ces deux décisions appliquent essentiellement le même critère et que l'élément « fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens » du critère utilisé dans Villafranca est essentiellement équivalent à l'élément « confirmer d'une façon claire et convaincante » du critère appliqué dans Ward. Le défendeur soutient que les motifs de la Commission démontrent que celle-ci a appliqué le critère juridique approprié pour établir si le demandeur disposait ou non d'une protection adéquate de l'État.


[19]            Le défendeur prétend qu'il ressort des motifs de la Commission que celle-ci a examiné avec soin l'ensemble de la preuve. Il soutient qu'était raisonnable la décision de la Commission d'accorder plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage du demandeur. Il ajoute que les motifs de la Commission font voir que la conclusion défavorable de celle-ci quant à la crédibilité ne se fondait pas sur des spéculations, mais plutôt sur une preuve documentaire pertinente. Selon le défendeur, le demandeur a décrit à tort cette preuve comme se rapportant uniquement aux pratiques policières générales au Nigéria, alors qu'en fait elle portait sur des cas spécifiques. Le défendeur soutient que la Commission n'avait pas l'obligation de résumer dans ses motifs l'ensemble de la preuve documentaire pertinente étayant sa conclusion selon laquelle le demandeur disposait d'une protection adéquate de l'État. Il prétend que la preuve documentaire démontre clairement et sans équivoque que, bien que la violence des sectes constitue un grave problème dans les campus universitaires, l'État a consenti des efforts sérieux pour s'attaquer à ce problème et les étudiants jouissent donc d'une protection adéquate de l'État. Selon le défendeur, les arguments du demandeur équivalent à un désaccord avec l'appréciation de la preuve par la Commission, ce qui n'est pas un fondement permettant en droit à la Cour d'infirmer la décision de celle-ci. Le défendeur demande par conséquent le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Questions en litige

[20]            1.          L'appréciation générale de l'ensemble de la preuve par la Commission était-elle déraisonnable, abusive et arbitraire? La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en dénaturant ou en comprenant mal une preuve importante dont elle était valablement saisie?

2.          La Commission a-t-elle appliqué un critère erroné pour établir si le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l'État?

3.          La Commission a-t-elle conclu erronément que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté?

4.          La Commission a-t-elle interprété erronément la preuve dont elle était saisie?

5.          La décision de la Commission tenait-elle compte de l'ensemble des éléments de preuve dont celle-ci disposait?

Dispositions législatives pertinentes

[21]            La définition suivante figure au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, précitée :


« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

"Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

Analyse et décision

[22]            Je propose de traiter d'abord de la deuxième question en litige, que voici :

La Commission a-t-elle appliqué un critère erroné pour établir si le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l'État?

La Commission a déclaré ce qui suit, à la page 3 de ses motifs :


Le tribunal reconnaît que bien que la protection offerte par l'État au Nigéria ne soit pas parfaite, elle est tout de même adéquate. Le tribunal trouve que le revendicateur n'a pas fourni une confirmation claire et convaincante du refus ou de l'incapacité du gouvernement à le protéger. Selon l'affaire Villafranca, aucun gouvernement n'est en mesure d'assurer la protection de tous ses citoyens en tout temps. Le tribunal estime que le Nigéria est un État qui fait preuve d'un contrôle efficace de son territoire. Une police militaire et des autorités civiles sont bien en place dans ce pays, qui fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens.

À la lumière des susdits motifs, le tribunal conclut que le revendicateur peut se prévaloir de la protection de l'État au Nigéria et qu'il n'y a pas de possibilité raisonnable ou sérieuse qu'il soit persécuté s'il retournait au Nigéria.

[23]            Le demandeur soutient que la Commission a recouru à un critère erroné pour apprécier la protection de l'État, et qu'il a présenté une preuve claire démontrant qu'il ne peut se réclamer de la protection du gouvernement nigérian. Le défendeur, pour sa part, soutient que les motifs de la Commission permettent de constater qu'elle a appliqué le critère juridique approprié.

[24]            Dans la décision Villafranca, précitée, de 1992, la Cour d'appel fédérale a écrit ce qui suit, aux paragraphes 6 et 7 :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement [...] ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la Convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c'était le cas dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [...] un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.


[25]            Dans la décision Ward, précitée, de 1999, la Cour suprême a écrit ce qui suit, aux pages 724 à 726 :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[...]

Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection.[...]


[26]            La Cour suprême a fait remarquer, dans Ward, qu'à titre d'exemples de confirmation claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection, « un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée » .

[27]            Le demandeur a présenté des éléments de preuve concernant des personnes dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées. Il a fait mention dans son témoignage d'un autre conférencier qu'on avait assassiné le deuxième soir suivant la conférence qu'il avait donnée. Ce conférencier était un autre activiste de la lutte contre les sectes (page 19 du dossier du tribunal). Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a déclaré qu'un registraire de la Delta State University, l'université où il avait étudié, lui avait dit en mai 1999 qu'on lui avait offert la protection de la police contre les membres des sectes. Or, quelques semaines plus tard, ce registraire était assassiné. La Commission n'a pas déclaré cet élément de preuve non crédible. La Commission a conclu, de même, que le demandeur n'avait pas soumis une preuve claire et convaincante du fait qu'il ne peut se réclamer de la protection de son État. À mon avis, toutefois, le demandeur a bel et bien présenté une preuve concernant des personnes dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées (c.-à-d. le registraire de la Delta State University assassiné). La Commission a mentionné cette preuve dans sa décision, mais pas en regard de l'incapacité de l'État de protéger le demandeur. Tel qu'il est déclaré dans Ward, l'une des façons de démontrer l'incapacité de l'État d'assurer la protection d'une personne consiste à démontrer son incapacité à protéger des personnes dans une situation semblable à la sienne. Il s'agit là, par conséquent, d'une erreur susceptible de révision de la Commission.

[28]            En raison de ma conclusion relativement à la deuxième question en litige, il ne me sera pas nécessaire de traiter des autres questions.

[29]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[30]            Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé la certification d'une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[31]            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

                                                                                 « John A. O'Keefe »            

                                                                                                             Juge                        

Ottawa (Ontario)

Le 25 avril 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-5297-01

INTITULÉ :              BENEDICT OSAMUDIAMEN IRHUEGBAE

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le mardi 7 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                                        Le vendredi 25 avril 2003

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo                                              POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo                                              POUR LE DEMANDEUR

3e étage

968, avenue Wilson

Toronto (Ontario)

M3K 1E7

Morris Rosenberg, c.r.                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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