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Date : 20010406

Dossier : IMM-3674-00

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 301

Ottawa (Ontario), le vendredi 6 avril 2001

En présence de Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                                          MARIEL BEHAGAN

                                                                                                                                     demanderesse

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]                 Après avoir entendu les arguments des avocats, j'ai fait savoir aux parties que, tout en différant ma décision concernant les frais, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire. Voici mes motifs.


[2]                 Mariel Behagan demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 22 juin 2000 par laquelle elle a vu sa demande de résidence permanente refusée par une agente d'immigration au motif que son fils Calinmor est inadmissible pour des raisons médicales au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

LES FAITS

[3]                 Madame Behagan est arrivée au Canada en 1997 à titre d'aide familiale résidante. Après s'être conformée aux exigences du « Programme concernant les aides familiaux résidants » , elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Sa demande couvrait son époux, son fils Calinmor, âgé de sept ans, et d'autres enfants. L'époux et les enfants de Mme Behagan vivent actuellement aux Philippines.


[4]                 Dans son affidavit, Mme Behagan a déclaré que son fils Calinmor était âgé de sept mois lorsqu'elle a appris qu'il avait un souffle cardiaque. Calinmor a été vu par un cardiologue des Philippines, le Dr Amatong, qui a recommandé que l'enfant soit suivi, soulignant qu'il était impossible de dire si celui-ci aurait besoin d'une intervention médicale plus tard, qu'il n'aurait peut-être jamais besoin d'intervention chirurgicale et qu'il ne devait pas être traité comme un enfant spécial. À la date à laquelle Mme Behagan a présenté sa demande de résidence permanente au Canada, son fils Calinmor, qui était alors âgé de sept ans, agissait alors apparemment comme tout autre garçon de son âge. Il était très actif, faisait du sport avec ses amis et n'avait pas besoin d'être suivi par un médecin ou de prendre des médicaments.

[5]                 Le 8 mars 2000, l'agente d'immigration a envoyé à Mme Behagan une lettre dont voici quelques extraits pertinents :

[TRADUCTION] J'ai reçu une déclaration médicale indiquant que Calinmor Cubilo Behagan souffre d'une cardiopathie congénitale liée à une sténose de l'artère pulmonaire, que son état risque de se détériorer sans intervention chirurgicale et qu'il devra probablement être vu par des spécialistes et être admis dans un hôpital de soins tertiaires pour être traité. Cette situation donnera vraisemblablement lieu à un fardeau excessif pour les services de santé.

Ces renseignements m'incitent à conclure que Calinmor Cubilo Behagan pourrait constituer un danger pour la santé publique au Canada ou occasionner un fardeau excessif pour les services de santé ou sociaux au Canada. C'est pourquoi je pourrais refuser votre demande de résidence permanente.

Avant que je décide si votre enfant est admissible ou non, vous pouvez répondre à la description de l'état de santé des personnes à votre charge en fournissant tout nouveau renseignement médical que vous possédez.

Vous avez jusqu'au 8 mai 2000 pour faire parvenir au médecin qui a examiné les personnes à votre charge les nouveaux renseignements qui ne sont pas déjà dans le dossier médical des autorités de l'immigration. Vous devez soumettre les renseignements en même temps que la lettre jointe. Si les renseignements ne sont pas rédigés en français ou en anglais, vous devez également y ajouter une traduction satisfaisante.

[6]                 En réponse, Mme Behagan a fait parvenir des renseignements médicaux, y compris une lettre dans laquelle le Dr Andanar, qui a suivi Calinmor depuis 1995, fait état des problèmes de santé que Calinmor a connus, soit l'impétigo, la bronchite et l'amygdalite aiguë ainsi qu'une infection virale et des verrues. Aucun problème cardiaque n'a été mentionné.


[7]                 Dans une lettre datée du 22 juin 2000, Mme Behagan a été informée que sa demande de résidence permanente avait été refusée, parce qu'elle n'avait pas présenté d'éléments de preuve indiquant que son fils Calinmor Behagan n'était pas une personne décrite à l'article 19 de la Loi.

[8]                 Pour des raisons apparemment liées au fait que la demande a été traitée à l'intérieur, l'agente d'immigration n'a jamais eu en main les déclarations médicales faisant état de l'opinion du médecin agréé et de l'approbation de cette opinion par un autre médecin. Cependant, il appert des notes consignées dans le CAIPS que l'agente d'immigration a obtenu les renseignements figurant dans la partie narrative des déclarations médicales. Voici le texte de la première version narrative :

[TRADUCTION] Cet enfant de six ans souffre d'une cardiopathie congénitale liée à une sténose de l'artère pulmonaire (dilatation post-sténotique). Il se peut que ses possibilités d'emploi soient limitées plus tard dans le cas des postes comportant des tâches physiques exigeantes. Une radiographie pulmonaire indique une cardiomégalie et un segment proéminent du cône artériel. Le gradiant de pression de la valvule pulmonaire, qui s'élève à 55 mmHg, est élevé au point où une intervention chirurgicale est recommandée. L'enfant, dont l'état risque de se détériorer sans chirurgie, aura probablement besoin d'être vu par des spécialistes et d'être admis dans un hôpital de soins tertiaires pour recevoir des traitements, ce qui risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé selon le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[9]                 Ce sont là les renseignements qui ont mené à la lettre « d'équité » initiale du 8 mars 2000. Après avoir reçu les renseignements médicaux de Mme Behagan, l'agente d'immigration a obtenu une autre description narrative dans laquelle le médecin agréé a formulé les remarques suivantes :


[TRADUCTION] Après avoir examiné ces renseignements, j'estime qu'ils ne modifient pas l'évaluation initiale faite par les Drs Saint-Germain et Hindle le 9 février 2000.

Veuillez confirmer votre approbation. Je vous remercie.

Valerie Hindle MD, médecin principal à l'ambassade du Canada à Manille

Les notes consignées dans le CAIPS indiquent également que l'agente d'immigration a appris subséquemment qu'après avoir examiné les documents supplémentaires, le Dr Saint-Germain a déclaré [TRADUCTION] « je conviens que ces renseignements ne modifient pas l'évaluation actuelle menant à l'inadmissibilité » .

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Deux questions sont soulevées au sujet de la décision de l'agente d'immigration :

1)          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en concluant que l'admission de Calinmor entraînerait un fardeau excessif pour les services de santé, parce qu'elle n'a pas lié l'état de santé à cette conclusion?

2)          L'agente d'immigration a-t-elle commis un manquement à l'obligation d'équité en omettant de révéler à la demanderesse les renseignements qu'elle avait en main et qui indiquaient que l'état de santé de Calinmor entraînerait un « fardeau excessif » ?


ANALYSE

(i) Y-a-t-il eu omission de lier l'état de santé à la conclusion de l'existence d'un « fardeau excessif » ?

[11]            Dans l'affaire Rabang c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 8 Imm. L.R. (3d) 233 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Sharlow, alors juge de la Section de première instance, a revu en profondeur les décisions dans lesquelles la Cour fédérale a examiné le lien à établir entre l'état de santé d'une personne et la conclusion selon laquelle l'admission de la personne concernée entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Voici les commentaires qu'elle a formulés à ce sujet :

17             On a soutenu à l'audition que je devais présumer que les aspects non médicaux de l'avis étaient fondés sur les connaissances spécialisées ou l'expertise du médecin agréé. Or, je ne saurais faire une telle présomption. Notre Cour a dit plusieurs fois qu'un médecin agréé n'a pas le droit de présumer qu'un état de santé particulier ou une incapacité particulière doit nécessairement entraîner un fardeau excessif : Deol c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 145 N.R. 156 (C.A.F.); Jiwanpuri c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 109 N.R. 293 (C.A.F.); Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Litt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 26 Imm. L.R. (2d) 153 (C.F. 1re inst.).

18             Notre Cour a également dit plusieurs fois que l'avis d'un médecin agréé sur la question du fardeau excessif pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire et devait être justifié s'il était contesté. L'avis médical qui n'est pas fondé sur la preuve ne saurait être justifié : Mohamed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.); Ahir c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] 1 C.F. 1098 (C.A.); Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 311 (1re inst.); Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] 1 C.F. 274 (1re inst); Fong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 126 F.T.R. 235 (1re inst); Gao c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 61 F.T.R. 65 (1re inst).


19             On a soutenu, pour le compte du ministre, qu'appliquer une telle norme aux médecins agréés imposerait à ces derniers un fardeau administratif inacceptable. Je n'accepte pas cet argument. Le médecin agréé a l'obligation légale de donner son avis sur un certain nombre de questions de fait en se fondant sur des éléments de preuve. Exiger que le médecin agréé décrive de tels éléments de preuve en réponse à une demande de contrôle judiciaire n'est pas excessif.

20             Dans un certain nombre d'affaires dont notre Cour a été saisie, des éléments de preuve établissant le coût social ont été produits pour justifier l'avis d'un médecin agréé sur le fardeau excessif. Je renvoie, à titre d'exemple, à l'affaire Ma , précitée, à la décision Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1639, IMM-288-99 (29 octobre 1999) (C.F. 1re inst.), et à l'instance qui s'est déroulée devant la Section de première instance dans l'affaire Thangarajan , précitée (décision publiée à (1998) 152 F.T.R. 91), et dans l'affaire connexe Yogeswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 129 F.T.R. 151 (deux décisions confirmées par la Cour d'appel fédérale le 24 juin 1999), [1999] A.C.F. no 1022.

21             On a également soutenu, pour le compte du ministre, qu'il incombait aux demandeurs de convaincre le médecin agréé que le fardeau que Patrick entraînerait sur les services sociaux et de santé financés à même les deniers publics ne serait pas excessif, et que ces derniers n'ont produit aucun élément de preuve à cet égard. Cet argument ne traite pas du problème fondamental que soulève la présente affaire. Le problème est que le dossier ne contient aucun élément de preuve sur la question cruciale du fardeau excessif.

[12]            À cette analyse, j'ajouterais simplement l'exigence énoncée à l'article 22 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement), selon lequel un médecin doit, au moment de décider si l'admission d'une personne entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, examiner la mesure dans laquelle la prestation de services sociaux ou de santé dont la personne pourrait avoir besoin au Canada est limitée au point où l'utilisation de ces services par la personne pourrait raisonnablement empêcher ou retarder la prestation de ces services à des citoyens ou résidents permanents du Canada.


[13]            Dans la présente affaire, aucun élément de la preuve n'indique que le médecin agréé a examiné la prestation de services sociaux ou de santé qui sont disponibles pour traiter l'état de Calinmor ou a analysé la mesure dans laquelle le traitement nécessaire entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé ou dans laquelle l'utilisation de ces services par Calinmor pourrait raisonnablement empêcher ou retarder la prestation de ces services à des citoyens ou résidents permanents du Canada.

[14]            En l'absence d'une analyse de cette nature fondée sur des éléments de preuve pertinents, la déclaration médicale n'était pas suffisamment détaillée pour justifier la conclusion selon laquelle l'admission de Calinmor entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada. Le fait qu'une personne a un problème médical qui nécessitera vraisemblablement un traitement ne signifie pas en soi que l'admission de cette personne risquerait d'entraîner un fardeau excessif.

(ii) Y a-t-il eu manquement à l'obligation d'équité?

[15]            Le défendeur a invoqué les motifs que j'ai exprimés dans l'affaire Hersi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 2136, IMM-5476-99 (11 décembre 2000) (C.F. 1re inst.) pour soutenir que le respect de l'obligation d'équité ne nécessitait pas la communication de la déclaration médicale dans la présente affaire, parce que l'agente d'immigration a pleinement expliqué, dans la lettre d'équité, les éléments de preuve que la demanderesse devait établir.

[16]            Toutefois, la conclusion tirée dans l'affaire Hersi était fondée sur le fait que la lettre envoyée à la partie demanderesse comportait des renseignements détaillés au sujet des éléments de preuve à établir. Comme je l'ai souligné dans l'affaire Hersi, au paragraphe 22, « la déclaration médicale initiale ne contenait pas d'autres renseignements que ceux qui avaient été communiqués à M. Hersi » .


[17]            Dans la présente affaire, la lettre d'équité ne faisait pas état de tous les éléments de preuve à établir, parce que l'agente n'y a pas indiqué la préoccupation exprimée dans la partie narrative de la déclaration médicale et déjà citée : [TRADUCTION] « il se peut que ses possibilités d'emploi soient limitées plus tard dans le cas des postes comportant des tâches physiques exigeantes » . Selon l'alinéa 22g) du Règlement, un médecin doit tenir compte de l'employabilité éventuelle au moment de décider si un fardeau excessif sera imposé aux services sociaux ou de santé. Par souci d'équité, il était nécessaire de divulguer cet aspect de l'avis du médecin, afin que Mme Behagan connaisse les éléments de preuve demandés et soit en mesure de répondre à cette demande.

[18]            À mon avis, ce manquement à lui seul suffit à annuler la décision négative de l'agente d'immigration.

(iii) Existe-t-il des raisons spéciales justifiant l'attribution de frais?

[19]            Madame Behagan a demandé des frais nominaux ou des frais fixes en raison de ce qu'elle a appelé l'omission répétée des représentants du ministre de tenir dûment compte des décisions que la Cour fédérale a rendues ainsi que de l'article 22 du Règlement. Le défendeur s'est opposé à toute attribution de frais, soutenant qu'aucune raison ne justifiait une décision en ce sens.


[20]            Comme Madame le juge Sharlow l'a souligné dans l'affaire Rabang, précitée, la Cour fédérale a mentionné à maintes reprises qu'un médecin n'a pas le droit de présumer qu'un état de santé particulier doit nécessairement entraîner un fardeau excessif et que l'avis médical qui n'est pas fondé sur la preuve ne saurait être justifié. Les avocats ne m'ont cité aucun jugement dans lequel des frais ont été accordés par suite de l'omission de tenir compte de ces énoncés. Il se peut qu'à l'avenir, des frais soient attribués par suite de l'omission de tenir compte des exigences énoncées dans la jurisprudence et à l'article 22 du Règlement; cependant, après avoir examiné attentivement la question, je ne crois pas que des frais sont justifiés en l'espèce.

[21]            Aucune question à faire certifier n'a été formulée.

JUGEMENT

[22]            EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l'agente d'immigration en date du 22 juin 2000 est annulée.

2.          La demande du droit d'établissement doit être renvoyée pour réexamen par un agent d'immigration différent et par deux médecins agréés différents. L'agent d'immigration doit tenir compte des décisions que la Cour fédérale a rendues et qui sont mentionnées dans les présents motifs de jugement ainsi que des exigences de l'article 22 du Règlement sur l'immigration de 1978.

« Eleanor R. Dawson »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                           IMM-3674-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       MARIEL BEHAGAN

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 28 MARS 2001

JUGEMENT ET MOTIFS

DU JUGEMENT PAR :                                                MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 6 AVRIL 2001

ONT COMPARU

Me TONY CLARK                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Me BRAD HARDSTAFF                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Me TONY CLARK

CALGARY (ALBERTA)                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

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