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                                                                                                                                 Date : 20040416

                                                                                                                           Dossier : T-1050-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 576

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                                 COREY NASH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21 (LPRP) par laquelle le demandeur cherche à obtenir l'accès à des renseignements détenus par le Service correctionnel du Canada (SCC) concernant une enquête d' « évaluation de la menace et des risques » menée au profit du demandeur.


LES FAITS

[2]                Le demandeur est un agent de libération à l'établissement de Stony Mountain (ÉSM) au Manitoba. Le 31 mai 2001, un agent de sécurité préventive dans l'établissement, M. Tim Van Der Hoek, a reçu des renseignements confidentiels concernant une « prétendue menace » proférée par un détenu qui entretenait de la rancune à l'égard du demandeur. Le détenu avait prétendument préparé des plans avec des personnes dans la collectivité locale pour agresser le demandeur. D'après les renseignements personnels, l'agent Van Der Hoek a complété un Rapport de renseignements en matière de sécurité.

L'enquête

[3]                Le 8 juin 2001, ÉSM a ouvert une enquête sur la présumée menace. La Gendarmerie royale du Canada, détachement de Stonewall, ainsi que la police de Winnipeg ont été informées et ont reçu des copies du Rapport de renseignements en matière de sécurité. Le 25 juin 2001, le Comité régional d'examen des faits du SCC a ouvert une enquête d' « évaluation de la menace et des risques » au profit du demandeur. Elle a conclu que les renseignements provenant de la source confidentielle étaient peu, sinon aucunement crédibles, et selon l'ensemble des éléments de preuve recueillis, il était peu probable que la présumée menace aurait été mise à exécution contre le demandeur ou sa famille. De même, la GRC et la police locale ont conclu qu'il n'y avait aucun motif de compléter l'enquête criminelle ou de prendre d'autres mesures.


Les demandes de renseignements du demandeur concernant l'évaluation de la menace et des risques

[4]                Le SCC a divulgué, en vertu de la LPRP, des renseignements au demandeur lors des trois occasions suivantes :

1.          Le 13 décembre 2001, le SCC divulgue certains documents au demandeur en application du paragraphe 12(1) de la LPRP qui prévoit ce qui suit :


Droit d'accès

12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande :

Right of access

12. (1) Subject to this Act, every individual who is a Canadian citizen or a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act has a right to and shall, on request, be given access to

a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels;

(a) any personal information about the individual contained in a personal information bank; and

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d'une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l'institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

(b) any other personal information about the individual under the control of a government institution with respect to which the individual is able to provide sufficiently specific information on the location of the information as to render it reasonably retrievable by the government institution.



Le demandeur avait demandé ce qui suit :

a)         une copie de l'ébauche de l'évaluation de la menace et des risques du Comité régional d'examen des faits quant à un agent de libération à l'établissement de Stony Mountain, no 3100-16-01-06-18-510(F), remis au demandeur le 28 août 2001 pour qu'il puisse l'examiner;

b)         une copie finale du rapport susmentionné, s'il en existe une;

c)         une copie de l'ensemble des renseignements reçus pour la préparation de l'évaluation susmentionnée;

d)         une copie de l'ensemble des renseignements utilisés pour la préparation de l'évaluation susmentionnée.

Les documents qui ont été divulgués sont reproduits aux pages 302 à 436 de l'annexe « A » de l'affidavit de Judy Bray, déposé confidentiellement auprès de la Cour, conformément aux directives données par le protonotaire Hargrave le 23 juillet 2003.

2.         À la suite de la divulgation du 13 décembre 2001, le demandeur a déposé une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée en vertu de l'alinéa 29(1)b) de la LPRP qui est ainsi libellé :



Réception des plaintes et enquêtes

29. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à la protection de la vie privée reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes :

[...]

b) déposées par des individus qui se sont vu refuser la communication de renseignements personnels, demandés en vertu du paragraphe 12(1);

Receipt and investigation of complaints

29. (1) Subject to this Act, the Privacy Commissioner shall receive and investigate complaints

[...]

(b) from individuals who have been refused access to personal information requested under subsection 12(1);


En réponse à l'enquête du Commissaire à la protection de la vie privée, le SCC a divulgué des documents et des renseignements additionnels au demandeur le 8 novembre 2003, lesquels figurent aux pages 132 à 301 de l'affidavit confidentiel de Judy Bray.

3.          À la suite de la divulgation du 8 novembre 2002, le demandeur a déposé une deuxième plainte au Commissariat à la protection de la vie privée. Cette plainte a occasionné la divulgation de renseignements supplémentaires le 9 janvier 2003, lesquels figurent aux pages 5 à 131 de l'affidavit confidentiel de Judy Bray.

[5]                Avant les trois divulgations, le SCC a révisé certains renseignements en conformité avec l'article 26 de la LPRP qui est ainsi libellé :


Renseignements concernant un autre individu

26. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l'article 8.

Information about another individual

26. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) about an individual other than the individual who made the request, and shall refuse to disclose such information where the disclosure is prohibited under section 8.


L'article 8 de la LPRP limite la divulgation de renseignements personnels de la manière suivante :



Communication des renseignements personnels

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

Disclosure of personal information

8. (1) Personal information under the control of a government institution shall not, without the consent of the individual to whom it relates, be disclosed by the institution except in accordance with this section.


L'article 3 de la LPRP définit comme suit l'expression « renseignements personnels » :


« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

"personal information" means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

a) les renseignements relatifs [...] à son âge [...];

(a) information relating to the ...age... of the individual,

b) les renseignements relatifs... à son casier judiciaire [...];

(b) information relating to the ...criminal... history of the individual...,

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

[...]

(c) any identifying number, symbol or other particular assigned to the individual,

[...]

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l'exclusion de celles qui portent sur un autre individu [...];

[...]

(e) the personal opinions or views of the individual except where they are about another individual...,

[...]

g) les idées ou opinions d'autrui sur lui;

[...]

(g) the views or opinions of another individual about the individual,

[...]


i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,


Les renseignements révisés comprenaient l'identification des détenus, les numéros matricules des détenus, leurs dossiers judiciaires et autres détails personnels concernant des personnes autres que le demandeur.

[6]                À la suite des trois divulgations susmentionnées, le demandeur a déposé une autre plainte au Commissariat à la protection de la vie privée. Le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que bien que la plainte du demandeur était bien fondée, la divulgation de renseignements additionnels par le SCC avait satisfait à toute obligation due au demandeur concernant le droit d'accès aux renseignements personnels et que l'affaire était maintenant réglée.

[7]                Le demandeur a ensuite introduit la présente demande auprès de la Cour fédérale pour qu'elle examine l'affaire.

L'ANALYSE


[8]                La question en litige dans la présente demande consiste à savoir si le SCC était justifié de retenir, en vertu de la LPRP, les renseignements demandés par le demandeur. Le demandeur prétend que les renseignements divulgués par le SCC n'étayent pas les conclusions du Rapport d'évaluation de la menace et des risques du Comité régional d'examen des faits. Le demandeur prétend qu'il ne cherche pas à obtenir l'identité de l'indicateur dans son dossier, mais cherche à obtenir l'essentiel des entrevues afin de déterminer si les conclusions du Comité régional d'examen des faits peuvent être justifiées.

[9]                Le défendeur prétend que les renseignements personnels qui n'ont pas été communiqués au demandeur ne peuvent être divulgués sans le consentement des personnes auxquelles les renseignements se rapportent. Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas le droit d'obtenir ces renseignements étant donné qu'il ne s'agit pas de renseignements personnels sur lui-même. Le défendeur prétend que tous les autres renseignements demandés par le demandeur lui ont déjà été divulgués.

[10]            La présente demande présentée en vertu de la LPRP n'est pas une révision du Rapport d'évaluation de la menace et des risques du SSC concernant le demandeur. Une demande présentée en vertu de l'article 41 de la LPRP nécessite que la Cour procède à un examen détaillé des documents en litige et détermine si des exceptions obligatoires ou discrétionnaires ont été correctement appliquées par le responsable de l'institution dont relèvent les documents en litige, voir Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R. 147 (1re inst.); Rubin c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 210 F.T.R. 84 (1re inst.); Richards c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2003] A.C.F. no 1918 (1re inst.).


[11]            Après un examen approfondi de la preuve au dossier confirmée et des prétentions des parties, je conclus que le SCC a retenu à bon droit des renseignements personnels concernant des personnes autres que le demandeur. Avant le dépôt de la présente demande, le SCC avait déjà divulgué au demandeur les documents suivants dont il avait fait la demande :

a)         quatre versions provisoires de l'évaluation de la menace et des risques;

b)         la version finale de l'évaluation de la menace et des risques;

c)         les conclusions finales du Comité régional d'examen des faits (sans suppression de renseignements confidentiels);

d)         le Rapport de renseignements en matière de sécurité du SCC, daté du 31 mai 2001 (sans suppression de renseignements confidentiels);

e)         le Rapport d'observation ou déclaration d'un agent du SCC, rédigé par l'agent de sécurité préventive dans l'établissement, Tim Van Der Hoek, daté du 12 mars 2002;

f)          40 pages de notes d'entrevue et d'autres notes manuscrites qui se trouvent aux pages 268 à 301 et aux pages 431 à 436 de l'affidavit confidentiel de Judy Bray.

[12]            J'ai examiné ces documents et je conclus qu'une bonne partie des renseignements qui avaient été antérieurement retranchés de certains documents parce qu'ils étaient confidentiels ont été mis à la disposition du demandeur.


[13]            Le demandeur prétend qu'il ne cherche pas à obtenir l'identité de l'indicateur dans son dossier, mais cherche à obtenir l'essentiel des entrevues de l'indicateur ainsi que d'autres entrevues qui ont dû être effectuées afin d'étayer les conclusions tirées dans le Rapport d'évaluation de la menace et des risques. Il prétend qu'il existe des notes d'entrevue et que le défendeur a refusé sans motif légitime de les divulguer. J'ai examiné l'affidavit confidentiel de Judy Bray ainsi que les documents confidentiels qui y sont joints et je conclus qu'il n'y a rien qui étaye la prétention du demandeur. Je conclus que le demandeur ne fait que spéculer quant à l'existence de ces notes d'entrevue parce qu'il n'accepte pas les résultats de l'enquête du Comité régional d'examen des faits du SCC sur son dossier.

[14]            Indépendamment de l'affidavit confidentiel de Judy Bray, je suis également convaincu par le témoignage sous serment de Barry Iles, un analyste en protection des renseignements personnel travaillant pour le gouvernement canadien. Il déclare dans son affidavit que les seules notes d'entrevue qui existent ont été mises à la disposition du demandeur. De plus, le Commissaire à la protection de la vie privée, après un examen approfondi des plaintes du demandeur, a conclu que les notes existantes avaient été divulguées au demandeur. La réponse finale du Commissaire à la protection de la vie privée au demandeur, datée du 28 avril 2003, mentionne notamment ce qui suit :

[traduction]

En ce qui concerne votre prétention que le SCC n'a pas fourni l'ensemble des notes d'entrevue, nous avons établi que le SCC n'a pas procédé à des entrevues complètes avec toutes les personnes dont le nom était mentionné dans le rapport et, par conséquent, dans certains cas, très peu de notes ont été prises. Je suis convaincu que, à la suite de notre enquête, l'ensemble des notes et transcriptions prises durant l'évaluation de la menace et des risques du SCC ont été envoyées au Bureau régional des Prairies à la fin de l'examen des faits et que ces notes vous ont été divulguées.

Afin d'être convaincus que le SCC a récupéré tous les renseignements personnels qui étaient estimés pertinents à votre demande de communication, nous lui avons également demandé de vérifier l'ensemble de ses dossiers dans le fichier de renseignements personnels PSE 911(Discipline). À la suite de cet exercice, le SCC a trouvé certains renseignements vous concernant, mais il s'agissait de doubles des renseignements qui vous avaient déjà été remis. [Non souligné dans l'original]

[15]            Puisque j'ai conclu que les notes d'entrevue demandées par le demandeur n'existent pas et que la non communication des renseignements révisés est justifiée parce qu'ils concernent des renseignements personnels sur des personnes autres que le demandeur, la présente demande doit être rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La présente demande présentée en vertu de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels soit rejetée.

                                                                                                                           _ Michael A. Kelen _              

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1050-03

INTITULÉ :                                                    COREY NASH

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 5 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCES :                                  LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Corey Nash                                                       POUR LE DEMANDEUR

Plaideur en personne

Tracy King                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Plaideur en personne                                          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                                                                                       


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