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Date : 20041108

Dossier : T-650-03

Référence : 2004 CF 1571

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                       ROBERT WAYNE VELEY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                MICHAEL PROVAN, en sa qualité

                                            de directeur de l'établissement Fenbrook

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Les présents motifs sont délivrés en même temps que les motifs du jugement rendu dans l'affaire Christopher Leach, 2004 CF 1570, une affaire analogue. Le dispositif est le même, et il repose sur les mêmes motifs. Les faits sont semblables, mais non identiques. Les deux affaires concernent des transfèrements non sollicités d'un établissement correctionnel à un autre et se rapportent à des décisions qui obligeaient des détenus à se soumettre à une évaluation de nature sexuelle et éventuellement - selon les résultats de l'évaluation - à un traitement de nature sexuelle. Les deux affaires s'articulent autour de dispositions figurant dans les textes suivants : la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement), l'Instruction permanente 700-04 (l'IP), enfin la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

LES FAITS

[2]                Brièvement, les faits sont les suivants : M. Veley purge une peine d'emprisonnement à perpétuité après avoir été reconnu coupable du meurtre au second degré d'une prostituée. M. Veley avait retenu les services de la femme, l'avait frappée plusieurs fois à la tête avec un démonte-pneus et avait jeté son corps nu hors de son véhicule. La victime était morte de froid. M. Veley avait déjà été accusé d'agression sexuelle sur une amie à lui. La Couronne a retiré l'accusation d'agression sexuelle après que M. Veley fut reconnu coupable de meurtre.

[3]                Après son admission dans un établissement fédéral, M. Veley, comme tous les détenus, a subi une évaluation. On a établi pour lui un plan correctionnel dans lequel on disait qu'il avait sans doute du mal à composer avec sa sexualité.

[4]                En juin 1999, M. Veley fut, à sa demande, transféré à l'établissement Fenbrook. Le transfèrement fut accordé parce que, à l'époque, son pointage pour l'adaptation à l'établissement était de niveau « faible » . Il a par la suite demandé un transfèrement à l'établissement Beaver Creek, un établissement à sécurité minimale. Pour pouvoir être transféré à Beaver Creek, son niveau de sécurité en tant que délinquant devait être ramené de « moyen » à « minimum » .


[5]                Le 23 août 2001, le directeur intérimaire de l'établissement Fenbrook refusait d'abaisser le niveau de sécurité de M. Veley. Selon le directeur intérimaire, il y avait une contradiction entre les recommandations de l'équipe de gestion des cas et celles du conseil de gestion de l'unité à propos de l'abaissement du niveau de sécurité. Le conseil de gestion de l'unité avait décelé de possibles [traduction] « difficultés non résolues de nature sexuelle » et, jusqu'à ce qu'elles soient résolues, l'attribution d'un niveau de risque modéré pour la sécurité publique s'imposait. D'où le niveau de sécurité moyen attribué à M. Veley, et son transfèrement à l'établissement Beaver Creek a donc été refusé.

[6]                Pour régler les possibles [traduction] « difficultés de nature sexuelle » , on transféra M. Veley au centre régional de traitement, en Ontario, pour une évaluation de son état de délinquant sexuel, en application de l'IP. M. Veley a d'abord signé un consentement à subir l'évaluation, mais, après son transfèrement, il a refusé de s'y soumettre. Il est retourné à l'établissement Fenbrook le 14 mars 2002.


[7]                L'agent de gestion des cas a rédigé un rapport d'étape du plan correctionnel pour M. Veley après son retour à Fenbrook. Comme M. Veley continuait de refuser de se soumettre à l'évaluation de son état de délinquant sexuel, et à cause du comportement qu'il manifestait à ce propos - pensée rigide, intimidation, agressivité, attitude défensive et extrême entêtement - il a été considéré comme un délinquant sexuel non traité. Son pointage pour l'adaptation à l'établissement est passé de faible à modéré, le résultat étant qu'il ne remplissait plus les conditions imposées pour pouvoir rester à Fenbrook. Un transfèrement non sollicité à l'établissement de Joyceville fut recommandé.

[8]                M. Veley a reçu le 29 mai 2002 avis de son transfèrement non sollicité. L'avis soulignait l'importance d'évaluer le degré de déviance sexuelle aux fins d'élaborer un plan satisfaisant de réinsertion. M. Veley s'est opposé à son transfèrement.

[9]                Le 3 juin 2002, après examen du refus, le directeur intérimaire de l'établissement Fenbrook approuvait le transfèrement non sollicité de M. Veley à Joyceville. L'approbation s'appuyait sur le fait que M. Veley n'avait plus le niveau de sécurité requis pour rester à Fenbrook, et cela parce qu'il était considéré comme un délinquant sexuel non traité. M. Veley fut informé qu'il pouvait faire appel de la décision de transfèrement en s'adressant au second niveau de la procédure de règlement des griefs des détenus, mais il n'a pas fait appel.

[10]            Après avoir demandé et obtenu une prorogation de délai auprès de la Cour fédérale, M. Veley a déposé une demande et une demande modifiée de contrôle judiciaire de la décision de transfèrement, ainsi que de la décision l'obligeant à subir une évaluation de son comportement sexuel, et éventuellement un traitement. Les moyens invoqués à l'appui du redressement sollicité dans la demande modifiée sont les suivants :


[traduction]

1.              Le décideur a manqué à son obligation d'agir équitablement, parce qu'il s'en est rapporté à des accusations et des conclusions d'abus sexuels plutôt qu'à des éléments de preuve. Lesdites accusations et conclusions n'ont jamais été soumises à une cour de justice, et le demandeur n'avait aucun moyen de refuser si ce n'est simplement les dénier.

2.              Le décideur a commis une erreur de droit et a ignoré les droits conférés au demandeur par l'article 7, l'article 9, l'alinéa 11d) et l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, parce qu'il a supposé que le demandeur était coupable d'une infraction criminelle pour laquelle il n'a jamais été jugé ou condamné, et parce qu'il a exigé qu'il se soumette à une évaluation et à un traitement en tant que délinquant sexuel.

3.             Le décideur a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'il a tirée d'une manière abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments qu'il avait devant lui.

4.              Le décideur a agi sur la foi de fausses preuves qui, aux fins pour lesquelles elles ont servi, équivalaient à de faux témoignages.

5.              Les autres moyens que l'avocat pourra indiquer et que la Cour permettra.

[11]            Par la suite, M. Veley a déposé un avis de question constitutionnelle, en conformité avec l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications. Il donnait notamment avis de son intention [traduction] « de mettre en doute la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, du paragraphe 37 de l'Instruction permanente 700-04 du Service correctionnel du Canada, et en particulier des mots "que ces infractions aient donné lieu à des condamnations ou non" » . S'agissant du redressement, il disait qu'il [traduction] « sollicite une réparation selon le paragraphe 24(1) de la Charte, réparation dont l'effet serait de radier les mots susmentionnés de l'IP 700-04 et de déclarer que le transfèrement du demandeur a été fait d'une manière non conforme au droit canadien » . L'avis était adressé au procureur général du Canada et aux procureurs généraux de chacune des provinces et chacun des territoires.

[12]            Avant l'audience, le greffe, à ma demande, a communiqué aux avocats des deux parties ma directive selon laquelle ils devaient se préparer à s'exprimer sur les principes exposés dans la décision Giesbrecht c. Canada (1998), 148 F.T.R. 81, 10 Admin. L.R. (3d) 246 (C.F. 1re inst.), dans la décision Condo c. Canada (Procureur général) (2003), 239 F.T.R. 158, 301 N.R. 355 (C.A.F.) et dans la décision Anderson c. Canada (Officier des opérations, Quatrième groupe des opérations maritimes) (1996), 141 D.L.R. (4th) 54, 205 N.R. 350 (C.A.F.). L'arrêt Anderson nous enseigne qu'un contrôle judiciaire ne sera pas accordé s'il existe un autre recours adéquat qui n'a pas été épuisé. La décision Giesbrecht applique l'arrêt Anderson au contexte correctionnel, et en particulier aux circonstances entourant le transfèrement non sollicité d'un détenu. Le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance, estimait qu'il était prématuré de déposer une demande de contrôle judiciaire avant que ne soit épuisée la procédure de règlement des griefs prévue dans la Loi et le Règlement. Un contrôle judiciaire n'est opportun qu'après qu'est rendue une décision définitive dans la procédure de règlement des griefs. L'arrêt Condo confirme les principes exposés dans la décision Giesbrecht.

[13]            À l'audience, j'ai d'abord entendu les arguments se rapportant au point de savoir si M. Veley pouvait introduire une procédure de contrôle judiciaire étant donné qu'il n'avait pas épuisé la procédure de règlement des griefs prévue dan la Loi et le Règlement. J'ai suspendu ma décision et j'ai également entendu les arguments se rapportant à la demande de contrôle judiciaire pour le cas où j'arriverais à la conclusion que M. Veley peut introduire une telle demande. Je suis arrivée à la conclusion qu'il ne le peut pas.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[14]            La procédure de règlement des griefs est régie par les articles 90 et 91 de la Loi. Ces dispositions sont reproduites ci-après. La procédure exposée dans le Règlement est détaillée, et les dispositions réglementaires applicables sont jointes aux présents motifs comme annexe « A » . Pour plus de commodité, le paragraphe 37 de l'IP et l'article 24 de la Charte sont également reproduits ci-après.


Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition,

L.C. 1992, ch. 20

90. Est établie, conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

Corrections and Conditional Release Act,

S.C. 1992, c. 20

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders' grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.


Instructions permanentes (IP)

(700-04)

Publiées en vertu de l'autorité de la commissaire du Service correctionnel du Canada 2003-08-29

37 Les délinquants sexuels suivants doivent y être aiguillés pour y subir une évaluation :

    * Les délinquants qui purgent actuellement une peine pour une infraction sexuelle;

    * Les délinquants qui ont des antécédents d'infractions sexuelles;

    * Les délinquants dont l'infraction à l'origine de la peine actuelle ou les antécédents criminels comportent des infractions sexuelles, que ces infractions aient donné lieu à des condamnations ou non.

Standard Operating Practices (SOPs)

700-04

Issued under the authority of the Commissioner of the Correctional Service of Canada 2003-08-29

37 The following offenders shall be referred for specialized sex offender assessment:

    * Offenders whose current offence is a sexual offence;

    * Offenders who have a history of sexual offences;

    * Offenders whose current or past offences involved sexual offences, whether or not the latter resulted in conviction.Annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982, partie I, Charte canadienne des droits et libertés, ch. 11 (R.-U)

[L.R.C., 1985, Appendice II no 44](la Charte)

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Canadian Charter of Rights and Freedoms, being Part I of the Constitution Act, 1982, Schedule B, Canada Act, 1982, c. 11 (U.K.)

[R.S.C., 1985, Appendix II no. 44](the Charter)

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

(2) Where, in proceedings under subsection (1), a court concludes that evidence was obtained in a manner that infringed or denied any rights or freedoms guaranteed by this Charter, the evidence shall be excluded if it is established that, having regard to all the circumstances, the admission of it in the proceedings would bring the administration of justice into disrepute.


CONCLUSIONS DES PARTIES

[15]            Comme on pouvait le prévoir, le défendeur fait valoir que les principes exposés dans les décisions Giesbrecht, Condo et Anderson sont applicables et qu'il m'incombe de conclure que la demande de contrôle judiciaire est prématurée. Selon le défendeur, un demandeur ne devrait pas être autorisé [traduction] « à court-circuiter le processus et à saisir la justice » .


[16]            Le demandeur a eu un peu de mal à s'en tenir à la question de l'existence d'un autre recours adéquat et à ne pas s'égarer dans des considérations de fond. Essentiellement, M. Veley soutient que sa demande ne devrait pas être rejetée du seul fait qu'il existe un autre recours adéquat. À son avis, nous n'avons pas ici affaire à un simple transfèrement. M. Veley voudrait que le débat porte tout de suite sur ce qu'il voit comme une atteinte à ses droits fondamentaux. Il dit que, même s'il est juste d'affirmer que la procédure de règlement des griefs lui permet de contester le transfèrement, le décideur de troisième niveau en matière de grief - le commissaire - n'est pas un tribunal compétent. Sur ce point, M. Veley invoque l'arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, dans lequel la Cour suprême du Canada a jugé que la Commission nationale des libérations conditionnelles, n'étant pas un tribunal compétent au sens du paragraphe 24(1) de la Charte, ne pouvait pas accorder réparation selon le paragraphe 24(2). En conséquence, il affirme que la procédure de règlement des griefs n'offre pas de réparation au sens constitutionnel et qu'elle ne constitue donc pas pour lui un autre recours adéquat.

[17]            M. Veley, se référant à la décision De Luca c. Canada (Procureur général) (2003), 231 F.T.R. 8 (1re inst.), affirme que c'est contrevenir à la Charte que de traiter un détenu comme s'il avait été reconnu coupable alors qu'il ne l'a jamais été. Il dit aussi que la décision Coscia c. Canada (Procureur général) 2004 CF 1004, a élargi le raisonnement suivi dans l'affaire De Luca et qu'elle mentionne expressément que ce raisonnement n'était pas limité aux circonstances de l'affaire De Luca.


[18]            Le demandeur dit qu'il est un condamné à perpétuité et qu'il sera sous surveillance pour le reste de ses jours. Il a été reconnu coupable du meurtre d'une femme, mais n'avait jamais été condamné auparavant pour des infractions sexuelles. Sans contester un aspect quelconque des dispositions législatives qui permettent à la Commission nationale des libérations conditionnelles de faire cas de son refus de se soumettre à une évaluation sexuelle, il dit que la question qui se pose aujourd'hui est celle de savoir s'il est constitutionnel d'habiliter le SCC à imposer une évaluation et un traitement à des détenus. Si la réponse est affirmative, alors ce pouvoir doit être conféré par des dispositions législatives et non par des instructions permanentes. Cette question constitutionnelle ne peut être résolue par la procédure de règlement des griefs parce que cette procédure deviendrait alors difficile à gérer. La représentation d'un détenu par un avocat n'est pas une obligation, et les détenus sont peu scolarisés et ont peu de qualifications. Par ailleurs, se demande M. Veley, qui au sein du SCC dira que l'instruction permanente n'est pas constitutionnelle?

[19]            Bref, selon M. Veley, ce sont là des points qui méritent d'être étudiés. Lorsque l'affaire est claire et que l'instruction permanente est la base d'un transfèrement non sollicité, elle doit être examinée. Oui, le commissaire pouvait annuler la décision, mais il y a ici une atteinte constitutionnelle qui doit être rectifiée. Il est clair que le paragraphe 37 a été appliqué. M. Veley dit qu'il s'est présenté et qu'il a avancé une question constitutionnelle qu'il appartient à la Cour de trancher.

ANALYSE

[20]            Je reproduis d'emblée les observations que je faisais dans la décision Worthington c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 1546, au paragraphe 24 :

[traduction] La simple existence d'une question constitutionnelle ne signifie pas que la Cour est obligée de la trancher. Il est bien établi en droit canadien que, si un juge peut statuer sur une affaire sans devoir examiner une question constitutionnelle, alors c'est ainsi qu'il doit s'y prendre : R.J. Sharpe, K.E. Swinton et K. Roach, The Charter of Rights and Freedoms, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2002), page 97 [...]


[21]            Il importe de ne pas perdre de vue la substance de ce que sollicite M. Veley. Ce qui est en cause, c'est le transfèrement non sollicité, un transfèrement fondé semble-t-il sur son refus de se soumettre à une évaluation sexuelle. Il conteste cette décision en invoquant diverses présumées contraventions à la Charte bien que, durant l'audience, l'argumentation n'ait porté que sur son article 9. À mon avis, la réparation recherchée en vertu du paragraphe 24(1) constitue une méthode possible de corriger les maux qui, selon M. Veley, sont présents.

[22]            La jurisprudence de la Cour suprême du Canada révèle une tendance constante des tribunaux à déférer aux procédures d'arbitrage et aux procédures de règlement des griefs, et une tendance correspondante à restreindre le droit des parties d'introduire des procédures parallèles ou cumulatives devant les tribunaux. Je n'en donnerai que deux exemples : l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, et l'arrêt Martin c. Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board et procureur général de la Nouvelle-Écosse), [2003] 2 R.C.S. 504.


[23]            Je ne crois pas que les jugements De Luca et Coscia viennent en aide à M. Veley. Tous deux concernent des décisions de la section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles. L'affaire De Luca soulevait une question d'interprétation législative et de contravention à une disposition particulière de la Loi. Dans l'affaire Coscia, la Cour avait affaire à une expression qui était susceptible de plusieurs significations et qui était employée sans que sa signification soit indiquée au détenu. Dans chacune de ces deux affaires, le détenu était sur le point d'être libéré. Ici, nous avons plutôt affaire à un transfèrement non sollicité, ainsi qu'aux raisons qui le justifient.

[24]            Le transfèrement non sollicité d'un détenu a toujours été considéré par la jurisprudence de la Cour comme une décision administrative : Acorn c. Canada (Procureur général) 2004 CF 1438, au paragraphe 7. Par ailleurs, un transfèrement non sollicité est également considéré comme une décision qui ne peut être contestée qu'au moyen d'un grief. Cette procédure doit être épuisée avant que le détenu concerné ne puisse solliciter un contrôle judiciaire. M. Veley a peut-être raison - et je ne prétends pas disposer ici de la question - de dire que le commissaire n'est pas un tribunal compétent pour ce qui est d'accorder réparation selon le paragraphe 24(1) de la Charte, mais cela, à mon avis, ne dispense pas M. Veley de son obligation d'épuiser la procédure de règlement des griefs.

[25]            Libre à lui de faire valoir ses droits fondamentaux dans la procédure de règlement des griefs. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait au premier niveau de cette procédure (dossier du demandeur, volume 2, onglet S). Même si le commissaire ne peut officiellement déclarer que les mots « sauf admission du délinquant » figurent implicitement dans le paragraphe 37 de l'Instruction permanente, ni que les mots « qu'il soit reconnu coupable ou non » en sont exclus, le commissaire peut, et même doit, instruire tous les arguments de M. Veley selon lesquels il y a eu contravention à la Charte, et en disposer. Si le commissaire estime que la disposition contestée contrevient à la Charte, il est tenu de ne pas l'appliquer : arrêt Weber, précité.


[26]            Dans l'arrêt Froom c. Canada (Ministre de la Justice) 2004 CAF 352, la Cour d'appel fédérale écrivait, au paragraphe 12 :

[traduction] Il est bien établi que la Cour fédérale a le pouvoir de se dessaisir d'une demande de contrôle judiciaire si le demandeur est à même d'exercer un autre recours adéquat : Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001) 288 N.R. 8, (2001) 41 Admin. L.R. (3d) 200 (C.A.F.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3. Pour savoir s'il convient qu'elle se dessaisisse de la demande, la Cour se demandera si l'autre recours est adéquat, et non s'il est parfait [...]

[27]            Dans l'arrêt Anderson, le juge Stone n'a pas été convaincu que les coûts et les ennuis entraînés par le cheminement de la plainte le long de la hiérarchie de commandement justifiaient l'intervention de la Cour dans la procédure de règlement des griefs. Je suis du même avis en ce qui concerne l'argument de M. Veley selon lequel cette procédure deviendrait difficile à gérer au motif que la représentation par un avocat n'est pas obligatoire.

[28]            À mon avis, la procédure de règlement des griefs exposée dans la Loi et dans le Règlement constitue effectivement un autre recours adéquat. S'il en est ainsi, c'est parce que M. Veley est à même de faire examiner dans cette procédure le fond des présumées violations de la Charte. Il peut obtenir gain de cause sans qu'il faille recourir au paragraphe 24(1) de la Charte. Autrement dit, son éventuel succès ne dépend pas uniquement d'un recours fondé sur le paragraphe 24(1), et il pourra toujours introduire une procédure de contrôle judiciaire contre la décision finale rendue dans la procédure de règlement des griefs.

[29]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Je relève que mon collègue, le juge Mosley, est récemment arrivé à la même conclusion dans l'affaire Patterson c. L'établissement de Bath 2004 CF 1373. L'avocat du défendeur a confirmé que le grief de M. Veley sera entendu d'après les points soulevés dans cette demande. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je refuse d'adjuger des dépens.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                        _ Carolyn A. Layden-Stevenson _          

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-650-03

INTITULÉ :                                                    ROBERT WAYNE VELEY

c.

MICHAEL PROVAN,

en sa qualité de directeur de

l'établissement Fenbrook

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:                LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                   le 8 novembre 2004

COMPARUTIONS :

JOHN HILL                                                     POUR LE DEMANDEUR

KATHERINE HUCAL                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOHN HILL                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                                         ANNEXE « A »

                                                   des

             motifs de l'ordonnance datés du 8 novembre 2004

                                    et concernant l'affaire

                               ROBERT WAYNE VELEY

                                                     et

                        MICHAEL PROVAN, en sa qualité

de directeur de l'établissement Fenbrook

                                               T-650-03

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES


Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

DORS/92-620

74. (1) Lorsqu'il est insatisfait d'une action ou d'une décision de l'agent, le délinquant peut présenter une plainte au supérieur de cet agent, par écrit et de préférence sur une formule fournie par le Service.

Corrections and Conditional Release Regulations,

SOR/92-620

74. (1) Where an offender is dissatisfied with an action or a decision by a staff member, the offender may submit a written complaint, preferably in the form provided by the Service, to the supervisor of that staff member.

(2) Les agents et le délinquant qui a présenté une plainte conformément au paragraphe (1) doivent prendre toutes les mesures utiles pour régler la question de façon informelle.

(2) Where a complaint is submitted pursuant to subsection (1), every effort shall be made by staff members and the offender to resolve the matter informally through discussion.

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), le supérieur doit examiner la plainte et fournir copie de sa décision au délinquant aussitôt que possible après que celui-ci a présenté sa plainte.

(3) Subject to subsections (4) and (5), a supervisor shall review a complaint and give the offender a copy of the supervisor's decision as soon as practicable after the offender submits the complaint.

(4) Le supérieur peut refuser d'examiner une plainte présentée conformément au paragraphe (1) si, à son avis, la plainte est futile ou vexatoire ou n'est pas faite de bonne foi.

(4) A supervisor may refuse to review a complaint submitted pursuant to subsection (1) where, in the opinion of the supervisor, the complaint is frivolous or vexatious or is not made in good faith.

(5) Lorsque, conformément au paragraphe (4), le supérieur refuse d'examiner une plainte, il doit fournir au délinquant une copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que celui-ci a présenté sa plainte.

(5) Where a supervisor refuses to review a complaint pursuant to subsection (4), the supervisor shall give the offender a copy of the supervisor's decision, including the reasons for the decision, as soon as practicable after the offender submits the complaint.


75. Lorsque, conformément au paragraphe 74(4), le supérieur refuse d'examiner la plainte ou que la décision visée au paragraphe 74(3) ne satisfait pas le délinquant, celui-ci peut présenter un grief, par écrit et de préférence sur une formule fournie par le Service :

a) soit au directeur du pénitencier ou au directeur de district des libérations conditionnelles, selon le cas;b) soit, si c'est le directeur du pénitencier ou le directeur de district des libérations conditionnelles qui est mis en cause, au responsable de la région.

75. Where a supervisor refuses to review a complaint pursuant to subsection 74(4) or where an offender is not satisfied with the decision of a supervisor referred to in subsection 74(3), the offender may submit a written grievance, preferably in the form provided by the Service,

(a) to the institutional head or to the director of the parole district, as the case may be; or

(b) where the institutional head or director is the subject of the grievance, to the head of the region.

76. (1) Le directeur du pénitencier, le directeur de district des libérations conditionnelles ou le responsable de la région, selon le cas, doit examiner le grief afin de déterminer s'il relève de la compétence du Service.

76. (1) The institutional head, director of the parole district or head of the region, as the case may be, shall review a grievance to determine whether the subject-matter of the grievance falls within the jurisdiction of the Service.

(2) Lorsque le grief porte sur un sujet qui ne relève pas de la compétence du Service, la personne qui a examiné le grief conformément au paragraphe (1) doit en informer le délinquant par écrit et lui indiquer les autres recours possibles.

(2) Where the subject-matter of a grievance does not fall within the jurisdiction of the Service, the person who is reviewing the grievance pursuant to subsection (1) shall advise the offender in writing and inform the offender of any other means of redress available.

77. (1) Dans le cas d'un grief présenté par le détenu, lorsqu'il existe un comité d'examen des griefs des détenus dans le pénitencier, le directeur du pénitencier peut transmettre le grief à ce comité.

77. (1) In the case of an inmate's grievance, where there is an inmate grievance committee in the penitentiary, the institutional head may refer the grievance to that committee.

(2) Le comité d'examen des griefs des détenus doit présenter au directeur ses recommandations au sujet du grief du détenu aussitôt que possible après en avoir été saisi.

(2) An inmate grievance committee shall submit its recommendations respecting an inmate's grievance to the institutional head as soon as practicable after the grievance is referred to the committee.

(3) Le directeur du pénitencier doit remettre au détenu une copie de sa décision aussitôt que possible après avoir reçu les recommandations du comité d'examen des griefs des détenus.

(3) The institutional head shall give the inmate a copy of the institutional head's decision as soon as practicable after receiving the recommendations of the inmate grievance committee.

78. La personne qui examine un grief selon l'article 75 doit remettre copie de sa décision au délinquant aussitôt que possible après que le détenu a présenté le grief.

78. The person who is reviewing a grievance pursuant to section 75 shall give the offender a copy of the person's decision as soon as practicable after the offender submits the grievance.

79. (1) Lorsque le directeur du pénitencier rend une décision concernant le grief du détenu, celui-ci peut demander que le directeur transmette son grief à un comité externe d'examen des griefs, et le directeur doit accéder à cette demande.

79. (1) Where the institutional head makes a decision respecting an inmate's grievance, the inmate may request that the institutional head refer the inmate's grievance to an outside review board, and the institutional head shall refer the grievance to an outside review board.

(2) Le comité externe d'examen des griefs doit présenter au directeur du pénitencier ses recommandations au sujet du grief du détenu aussitôt que possible après en avoir été saisi.

(2) The outside review board shall submit its recommendations to the institutional head as soon as practicable after the grievance is referred to the board.


(3) Le directeur du pénitencier doit remettre au détenu une copie de sa décision aussitôt que possible après avoir reçu les recommandations du comité externe d'examen des griefs.

(3) The institutional head shall give the inmate a copy of the institutional head's decision as soon as practicable after receiving the recommendations of the outside review board.80. (1) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le directeur du pénitencier ou par le directeur de district des libérations conditionnelles, il peut en appeler au responsable de la région.

80. (1) Where an offender is not satisfied with a decision of the institutional head or director of the parole district respecting the offender's grievance, the offender may appeal the decision to the head of the region.

(2) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le responsable de la région, il peut en appeler au commissaire.

(2) Where an offender is not satisfied with the decision of the head of the region respecting the offender's grievance, the offender may appeal the decision to the Commissioner.

(3) Le responsable de la région ou le commissaire, selon le cas, doit transmettre au délinquant copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que le délinquant a interjeté appel.

(3) The head of the region or the Commissioner, as the case may be, shall give the offender a copy of the head of the region's or Commissioner's decision, including the reasons for the decision, as soon as practicable after the offender submits an appeal.

81. (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l'examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s'en désiste.

81. (1) Where an offender decides to pursue a legal remedy for the offender's complaint or grievance in addition to the complaint and grievance procedure referred to in these Regulations, the review of the complaint or grievance pursuant to these Regulations shall be deferred until a decision on the alternate remedy is rendered or the offender decides to abandon the alternate remedy.

(2) Lorsque l'examen de la plainte ou au grief est suspendu conformément au paragraphe (1), la personne chargée de cet examen doit en informer le délinquant par écrit.

(2) Where the review of a complaint or grievance is deferred pursuant to subsection (1), the person who is reviewing the complaint or grievance shall give the offender written notice of the decision to defer the review.

82. Lors de l'examen de la plainte ou du grief, la personne chargée de cet examen doit tenir compte :

a) des mesures prises par les agents et le délinquant pour régler la question sur laquelle porte la plainte ou le grief et des recommandations en découlant;

b) des recommandations faites par le comité d'examen des griefs des détenus et par le comité externe d'examen des griefs;

c) de toute décision rendue dans le recours judiciaire visé au paragraphe 81(1).

82. In reviewing an offender's complaint or grievance, the person reviewing the complaint or grievance shall take into consideration

(a) any efforts made by staff members and the offender to resolve the complaint or grievance, and any recommendations resulting therefrom;

(b) any recommendations made by an inmate grievance committee or outside review board; and

(c) any decision made respecting an alternate remedy referred to in subsection 81(1).



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