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Date : 20050304

Dossier : IMM-6200-04

Référence : 2005 CF 320

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                              ALFREDO CORRALES BOLANOS

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 17 juin 2004 par la Section de la protection des réfugiés (tribunal) qui ne reconnaissait pas à M. Alfredo Corrales Bolanos (demandeur) la qualité de réfugié au sens de la Convention,ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi).


FAITS PERTINENTS

[2]                Le demandeur est citoyen du Costa Rica. Il était assistant-gérant et administrait deux bars, un magasin de bonbons, un restaurant et quatre théâtres. Ses problèmes auraient commencé le 15 juillet 2003, suite au congédiement de deux employées qu'il soupçonnait d'avoir volé à son bar et d'y avoir vendu des drogues.

[3]                Entre le 15 juillet 2003 et le 30 août 2003, journée de son départ pour le Canada, le demandeur allègue qu'il aurait reçu plusieurs appels téléphoniques le menaçant de mort, sa voiture aurait été vandalisée et il aurait été suivi à plusieurs reprises.

[4]                Il allègue être allé à un poste de police, mais ils n'ont pas pris son cas au sérieux et lui auraient dit de se rendre au Département d'investigation judiciaire. Il l'a fait, mais on lui aurait dit d'enregistrer les appels téléphoniques et d'attendre que l'enquête commence. Il a décidé de quitter son pays pour venir au Canada pour revendiquer le statut de réfugié.


QUESTIONS EN LITIGE

[5]                1.         Le tribunal, a-t-il violé la règle audi alteram partem en se référant aux guides jurisprudentiels et aux directives internes?

2.         Le tribunal a-t-il erré dans son analyse de l'incapacité de l'État à protéger le demandeur?

ANALYSE

1.         Le tribunal a-t-il violé la règle audi alteram partem en se référant aux guides jurisprudentiels et aux directives internes?

[6]                Le demandeur soumet qu'il y a atteinte à la règle de l'audi alteram partem car le tribunal a accepté comme élément de preuve des directives internes. Or, comme le tribunal le mentionne dans sa décision, l'alinéa 159(1)h) de la Loi

précise :


Présidence de la Commission - Fonctions

159. (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d'office des quatre sections; à ce titre :

h) après consultation des vice-présidents et du directeur général de la Section de l'immigration et en vue d'aider les commissaires dans l'exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel;

Duties of Chairperson - Chairperson

159. (1) The Chairperson is, by virtue of holding that office, a member of each Division of the Board and is the chief executive officer of the Board. In that capacity, the Chairperson

(h) may issue guidelines in writing to members of the Board and identify decisions of the Board as jurisprudential guides, after consulting with the Deputy Chairpersons and the Director General of the Immigration Division, to assist members in carrying out their duties;



[7]                De plus, la politique sur l'utilisation de guides jurisprudentiels de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié indique que le pouvoir conféré au président est dans le but d'aider les commissaires dans l'exécution de leurs fonctions :


L'alinéa 159(1)h) de la Loi confère deux pouvoirs distincts au président : celui de donner des directives et celui de préciser les décisions qui serviront de guide jurisprudentiel. L'exercice de ces deux pouvoirs vise le même objectif : aider les commissaires dans l'exécution de leurs fonctions. (emphase dans le texte original)

Les circonstances dans lesquelles le président peut envisager d'exercer son autorité en vue de préciser les décisions qui serviront de guide jurisprudentiel sont les suivantes :

* Traiter de questions importantes pour la Commission

* Aborder une question d'actualité

* Dissiper une ambiguïté dans le droit

* Éliminer l'incohérence dans le processus décisionnel

Une décision qui sert de guide jurisprudentiel peut porter sur une question de droit ou une question mixte de fait et de droit.

Section 159(1)(h) of the Act gives the Chairperson two separate powers - 1) to issue guidelines and 2) to identify decisions as jurisprudential guides. The stated purpose for the exercise of both of these powers is the same - to assist members in carrying out their duties. [emphasis in original text]

The circumstances in which the Chairperson may consider exercising his or her authority to identify a decision as a jurisprudential guide are as follows:

* To address an issue of importance to the Board,

* To address an emerging issue,

* To resolve an ambiguity in the law, or

* To resolve inconsistency in decision-making.

A decision may be identified as a jurisprudential guide on either a question of law or a question of mixed law and fact.


[8]                Puisque l'alinéa 159(1)h) est basé sur le paragraphe 65(3) de l'ancienne Loi sur l'immigration j'ajouterais les commentaires du juge Richard, tel qu'il l'était, dans l'affaire Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1995] 1 C.F. 741, (1re inst.) au paragraphe 20 :


La section du statut a reçu un mandat important en matière d'intérêt public et elle a un rôle clair dans l'élaboration des politiques en ce qui concerne l'application de la définition de "réfugié au sens de la Convention", dans la mesure où le paragraphe 65(3) [mod., idem, art. 55] autorise le président, après consultation, à donner par écrit des directives aux membres en vue de les assister dans l'exécution de leurs fonctions. Ainsi, en mars 1993, le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a donné des directives concernant les "Revendications du statut de réfugié de femmes craignant d'être persécutées en raison de leur sexe", lesquelles prescrivent le genre d'analyse recommandée, lorsqu'il s'agit de déterminer si une femme a raison de craindre d'être persécutée en raison de son sexe. L'importance de cette participation à l'établissement des politiques, lorsqu'on détermine le degré de retenue dont il faut faire preuve envers un tribunal administratif, a été reconnue dans l'arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557: "Lorsqu'un tribunal participe à l'établissement de politiques, il faut faire preuve d'une plus grande retenue à l'égard de son interprétation de la loi."

[9]                La partie demanderesse suggère que les références à son homosexualité, par le tribunal, et le fait que le tribunal ait utilisé le guide jurisprudentiel concernant l'homosexualité (pièce A-2.3) pour expliquer et justifier sa position, constitue une violation de la règle audi alteram partem. La partie demanderesse ne soumet aucun élément à l'effet que l'utilisation de ce guide puisse entraîner une pareille violation.

[10]            Qui plus est, le tribunal a discuté cette question en obiter, suite à la mention de la partie demanderesse et la décision du tribunal n'est aucunement basée sur cette question. En définitive, l'argument ne repose sur aucun fondement.

[11]            Quant aux autres questions traitées par le tribunal en rapport avec un autre guide jurisprudentiel (pièce A-2.2), la partie demanderesse n'a pas réussi à me convaincre que le tribunal avait commis une erreur justifiant l'intervention de notre Cour.

[12]            Je trouve donc que l'argument du demandeur, qu'il y a eu violation du principe audi alteram partem, n'est aucunement fondé.

2.         Le tribunal, a-t-il erré dans son analyse de l'incapacité de l'État à protéger le demandeur?

[13]            Pour ce qui est du deuxième argument du demandeur, à l'effet que le tribunal a erré en concluant qu'il serait possible de jouir de la protection des autorités au Costa Rica, je reprends une partie de la décision du tribunal qui résume bien les circonstances de l'affaire :

En effet, de son propre témoignage, nous pouvons voir que la première fois où il s'adresse à une personne en autorité, ses persécuteurs ont peur et prennent la poudre d'escampette. La deuxième fois, on lui dit qu'on va l'aider et qu'une enquête est déclenchée. Le demandeur quant à lui n'attend même pas deux semaines avant de quitter son pays, sachant quand même qu'une enquête est déclenchée. Il ne donne pas non plus le nom des suspects, ne mentionne pas l'incident qui le fait décider d'aller se plaindre (le fait qu'une auto l'ait suivi), et se trompe dans la date de congédiement des dites personnes. On ne peut conclure de son témoignage que les autorités de son pays auraient refusé de l'aider. (Voir la page 4 des motifs de la décision du tribunal, rendue le 17 juin 2004.)

[14]            Or, en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer qu'un État est capable de protéger ses citoyens. De plus, pour établir qu'un État est incapable de protéger un demandeur d'asile, il appartient à ce dernier de démontrer, par une preuve claire et convaincante, l'incapacité de l'État à le protéger (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689).

[15]            Dans Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] A.C.F. no 1376 (A-388-95), le juge Décary précise au paragraphe 5 :

Lorsque ltat en cause est un état démocratique, comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez ltat en cause : plus les états seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui ...

[16]            Dans le présent cas, le tribunal a premièrement conclu que de la protection était disponible au Costa Rica, et deuxièmement, que le demandeur avait quitté moins de deux semaines après avoir déposé sa plainte au bureau de police, ne donnant donc même pas la chance aux autorités de compléter leur enquête.

[17]            Le tribunal n'a donc pas erré en concluant que le demandeur ne s'était pas déchargé de son fardeau de démontrer par une preuve claire et convaincante de l'incapacité du Costa Rica à le protéger.

CONCLUSION

[18]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

                                                                ORDONNANCE


LA COUR ORDONNE QUE :

-          La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

-            Aucune question pour certification.

                 « Pierre Blais »                 

    J.C.F.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                       IMM-6200-04              

INTITULÉ :                                       ALFREDO CORRALES BOLANOS c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal                        

DATE DE L'AUDIENCE :               2 mars 2005

MOTIFSDE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE: M. le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                     4 mars 2005

COMPARUTIONS :

Me Claudia Aceituno

POUR LE DEMANDEUR

Me Edith Savard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claudia Aceituno                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal, Québec

Me John H. Sims, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec


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