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Date : 20001130


Dossier : IMM-4971-99


OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 30 NOVEMBRE 2000.

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE GIBSON


ENTRE :



SOUDABEH VARASTEH BADRI

REZA VARASTEH BADRI

AMIN VARASTEH BADRI

BEHZAD BALANDARI

FARZAD BALANDARI



demandeurs



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION



défendeur



ORDONNANCE


     Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la section du statut ici en cause est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle audition et réexamen par une formation différente.

     Aucune question n'est certifiée.





                             Frederick E. Gibson

                                     J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.




Date : 20001130


Dossier : IMM-4971-99


ENTRE :



SOUDABEH VARASTEH BADRI

REZA VARASTEH BADRI

AMIN VARASTEH BADRI

BEHZAD BALANDARI

FARZAD BALANDARI



demandeurs



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION



défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]      Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention selon le sens attribué à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La SSR a rendu sa décision le 9 septembre 1999.

LES FAITS

[2]      Soudabeh Varasteh Badri (Soudabeh) est une citoyenne iranienne, comme le sont tous les autres demandeurs. Au moment de l'audience tenue par la SSR, elle avait 37 ans. Reza Varasteh Badri (Reza) et Amin Varasteh Badri (Amin) sont les frères de Soudabeh qui, au moment de l'audience tenue par la SSR, avaient respectivement 18 et 16 ans. Behzad Balandari et Farzad Balandari sont les fils de Soudabeh; lorsque l'affaire a été entendue par la SSR, ils avaient respectivement seize et six ans.

[3]      Soudabeh fonde sa revendication sur le motif que, si elle était obligée de retourner en Iran, elle serait persécutée du fait des opinions politiques qu'on lui impute et de sa présumée appartenance à un groupe social, à savoir en sa qualité de membre d'un groupe monarchiste en Iran. Reza et Amin invoquent, à l'appui de leurs revendications, les mêmes motifs que Soudabeh.

[4]      Les deux enfants de Soudabeh fondent leurs revendications sur celle de leur mère.

[5]      Reza allègue avoir commencé à se livrer à des activités politiques en Iran après qu'une autre soeur se fut enfuie de ce pays à cause de ses opinions politiques réelles et imputées. Reza allègue que lorsqu'il avait 12 ou 13 ans, il s'est lié d'amitié avec deux compagnons d'école dont il partageait les vues monarchistes. Les trois amis ont pris part à des séances au cours desquelles ils lisaient de la littérature monarchiste; ils distribuaient également de la littérature monarchiste. Les forces disciplinaires ont découvert leurs activités au mois de décembre 1996, lorsqu'ils distribuaient de la littérature monarchiste. Les trois amis se sont enfuis, mais l'un d'eux s'est fait attraper par les forces disciplinaires. Les parents de Reza lui en voulaient énormément lorsqu'ils ont découvert les activités auxquelles il s'était livré. Ils l'ont envoyé vivre chez un cousin. Les forces disciplinaires sont venues chercher Reza à la maison familiale. Reza a donc quitté l'Iran le 4 janvier 1997; il est arrivé au Canada par une route indirecte en utilisant un passeport iranien frauduleux.

[6]      Soudabeh et Amin ont attiré l'attention de la sécurité iranienne lorsque, à la demande d'une famille dont le fils avait été blessé en tentant d'esquiver la sécurité, ils ont aidé ce jeune homme. Soudabeh avait presque terminé ses études de médecine; elle était en mesure de traiter le jeune homme blessé. Avec l'aide d'Amin, Soudabeh a conspiré en vue d'essayer d'assurer la sécurité du jeune homme. Le jeune homme a été arrêté. Après son arrestation, il a apparemment déclaré que Soudabeh et Amin appuyaient également la monarchie. Soudabeh et Amin ainsi que les deux enfants de Soudabeh ont donc également fui l'Iran en utilisant de faux passeports iraniens. Comme c'était le cas pour Reza, ils sont arrivés au Canada en suivant une route détournée, et ils ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

LA DÉCISION DE LA SSR

[7]      La formation de la SSR, composée d'un seul membre, a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]
Les revendications de Mme Varasteh Badri, d'Amin Varasteh Badri et de Reza Varasteh Badri sont rejetées parce que, à mon avis, leurs histoires ne sont pas crédibles. Les revendications des deux enfants de Mme Varasteh Badri doivent également être rejetées étant donné qu'elles sont fondées sur la revendication de leur mère.

[8]      La SSR a fondé sa conclusion de manque de crédibilité sur des invraisemblances. Elle n'a pas mentionné de contradictions, d'incohérences ou de déclarations évasives de la part de Soudabeh, de Reza et d'Amin.

[9]      Parmi les invraisemblances mentionnées par la SSR, il y avait celles dont il sera ci-dessous fait mention. Premièrement, et encore une fois la conclusion d'invraisemblance était simplement inférée, la SSR a dit ce qui suit au sujet de la revendication de Reza:

[TRADUCTION]
Toutefois, puisqu'il était un jeune homme apparemment précoce au point de vue politique, il a décidé de participer [aux activités du mouvement monarchiste en distribuant de la littérature]. Le mouvement auquel il a décidé d'adhérer luttait pour le retour de la monarchie qui avait été déposée environ 16 ans plus tôt, soit deux ans avant sa naissance.

[10]      Deuxièmement, la SSR estimait qu'il était invraisemblable qu'un mouvement monarchiste se serve de personnes aussi jeunes que Reza pour distribuer de la littérature. Voici ce qu'elle a dit :

[TRADUCTION]
Si cela est vrai, le fait que l'Iran Paad [le mouvement monarchiste] soit prêt à exposer de jeunes adolescents à pareil risque manifeste un manque de coeur remarquable.

Plus loin dans ses motifs, la SSR a dit ce qui suit à ce sujet :

[TRADUCTION]
Même si elle était consciente de son jeune âge en ce qui concerne sa qualité de membre, l'organisation, selon Reza Varasteh Badri, n'a pas hésité à le mettre en danger en lui faisant faire un travail manifestement dangereux.

Encore une fois, la remarque précitée n'est pas une conclusion directe d'invraisemblance, mais je considère que cela laisse entendre que la SSR a conclu que le témoignage de Reza, en ce qui concerne la distribution de brochures, était invraisemblable.

[11]      Troisièmement, tout en reconnaissant que :

[TRADUCTION]
[...] trois photocopies de l'avis de comparution que l'appareil judiciaire iranien aurait censément délivré à Amin Badri, à Mme Badri et à Reza Badri ont été déposées [...]

la SSR a remis en question la vraisemblance de pareilles mesures de la part des autorités iraniennes en disant ce qui suit :

[TRADUCTION]
Pourquoi le régime délivrerait-il un avis de comparution à de présumés monarchistes au lieu d'envisager de délivrer un mandat d'arrestation? On peut se demander combien de gens se livreraient de leur plein gré à un appareil policier répressif après avoir reçu pareil avis.

[12]      Quatrièmement, en se reportant en bonne partie à certains éléments de preuve documentaire dont elle disposait plutôt qu'au témoignage des demandeurs et à certains autres éléments de preuve documentaire, la SSR a conclu à l'invraisemblance de la position que les demandeurs avaient prise, à savoir que Reza appuyait par son travail une organisation monarchiste appelée Iran Paad et que le jeune homme que Soudabeh et Amin avaient aidé appuyait également, depuis l'Iran, la même organisation. Voici ce que la SSR a dit :

[TRADUCTION]
L'une des questions cruciales que pose la revendication consiste à savoir si la documentation traitant de la situation existant dans le pays étaye la prétention des intéressés selon laquelle l'Iran Paad est une organisation qui est viable et active en Iran.

En fait, aucun des demandeurs n'a déclaré que l'Iran Paad était une [TRADUCTION] « [...] organisation qui [était] viable et active en Iran » . Ils ont plutôt témoigné que les membres de l'Iran Paad, et les gens qui appuyaient les idéaux de l'organisation sans en être membres, travaillaient en Iran, avec ou sans l'assentiment ou de l'organisation et qu'ils soient dirigés ou non par l'organisation, en vue de distribuer de la littérature et d'appuyer les objectifs de l'organisation. La SSR a fait remarquer que, selon la preuve documentaire dont elle disposait, l'Iran Paad ne se livrait pas à des activités ouvertes en Iran [TRADUCTION] « [...] parce que, si elle s'y livrait, cela mettrait ses membres en danger » . La SSR a fait remarquer que, selon cette preuve documentaire, les partis ou les gouvernements qui nient que l'Iran Paad se livre à des activités en Iran [TRADUCTION] « [...] le font en vue de permettre à l'organisation de poursuivre son travail sans ennui » . La SSR a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION]
À mon avis, cette thèse est absurde.

Aucun élément de preuve et, de fait, aucune explication justifiant cette conclusion n'ont été fournis à l'appui.

[13]      Cinquièmement, la SSR a conclu à l'invraisemblance de l'explication que les demandeurs avaient donnée en ce qui concerne le fait qu'ils avaient quitté l'Iran depuis l'Aéroport international de Téhéran en utilisant de faux passeports iraniens. La SSR a retenu la preuve dont elle disposait, selon laquelle les pots-de-vin sont chose courante en Iran et que pareils pots-de-vin sont régulièrement versés pour [TRADUCTION] « [...] graisser la patte du système [...] » , par exemple lorsqu'il s'agit de quitter le pays depuis l'aéroport de Téhéran. La SSR a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION]
En l'espèce, rien ne montre qu'un pot-de-vin ait été versé en vue de faciliter le départ. Selon la preuve, de faux documents ont été utilisés.

En fait, la preuve montre que les demandeurs s'étaient adressés à un passeur à qui ils avaient remis des sommes élevées. Il semblerait que la SSR n'ait pas tenu compte du fait que certaines sommes versées au passeur avaient peut-être de fait servi à soudoyer les fonctionnaires concernés en vue de faciliter le départ des demandeurs depuis l'aéroport de Téhéran.

[14]      Quant à l'avis qu'elle a exprimé au sujet du fait qu'il était invraisemblable que Reza ait pris part aux activités d'une [TRADUCTION] « organisation peu importante malgré son jeune âge » , la SSR a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]
Lors de l'audience, il ne m'a pas donné l'impression d'être un partisan politique passionné. Il donnait plutôt l'impression d'être un jeune homme sans prétentions. Il est difficile de croire qu'il ait assisté à des séances politiques hebdomadaires de lecture avec ses amis lorsqu'il avait 13 ou 14 ans.

La SSR avait apparemment une idée bien arrêtée au sujet des caractéristiques des jeunes partisans politiques en Iran. L'avocate n'a pas été en mesure de m'indiquer les éléments de preuve dont la SSR disposait à l'appui de sa position.

[15]      En outre, la SSR estimait qu'il était invraisemblable que Soudabeh demande à son frère, qui était beaucoup plus jeune qu'elle, de l'aider et qu'ils prennent tous les deux [TRADUCTION] « [...] tant de risques [...] » afin de s'occuper d'un jeune homme qui avait été blessé en tentant de fuir les autorités iraniennes, en particulier lorsque les membres de la famille de ce jeune homme s'étaient eux-mêmes contentés d'appuyer leur jeune parent en tentant d'obtenir l'aide de Soudabeh par l'entremise de son jeune frère Amin. Soudabeh a témoigné qu'elle avait aidé le jeune homme à cause de ses connaissances et de sa formation médicales et de ses idées politiques, qui correspondaient à celles du jeune homme, même si, comme elle l'a déclaré, elle n'était pas elle-même active sur le plan politique. Il semble que la SSR n'ait pas tenu compte de cette explication qui, en l'absence d'une conclusion selon laquelle Soudabeh n'était pas un témoin crédible, semblerait raisonnable et convaincante. Quant au fait que Soudabeh a demandé l'aide d'Amin, il semble ressortir clairement de la preuve que c'était Amin, à la demande de la famille du jeune homme, qui avait demandé à Soudabeh de l'aider à un moment où il habitait chez elle.

[16]      Enfin, la SSR a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION]
Il est intéressant de noter l'allégation selon laquelle Mehdi [le jeune homme blessé] avait été pris au sérieux lorsqu'il les avait désignés [Soudabeh et Amin] à titre de membres de sa cellule. Il ne serait de fait agi d'une cellule bien étrange -- deux jeunes garçons et une femme médecin deux fois plus âgée qu'eux.

Encore une fois, la SSR ne disposait d'aucun élément de preuve se rapportant à la composition habituelle ou normale des cellules monarchistes en Iran. En outre, il est peut-être encore plus important de noter que la preuve dont disposait la SSR ne montrait clairement pas que Mehdi eût désigné Soudabeh et Amin à titre de membres d'une cellule dont il était membre, mais qu'elle montrait plutôt que Mehdi avait déclaré qu'ils partageaient ses vues monarchistes.

ANALYSE

[17]      Dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration2, Monsieur le juge Décary a dit ce qui suit, paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. [...]

En mentionnant l'affaire Giron, le juge se référait à la décision Giron c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration3.

[18]      Dans ce cas-ci, je suis convaincu qu'à l'audience qui a eu lieu devant moi et dans ses observations écrites, l'avocat du demandeur s'est acquitté de l'obligation qui incombait à ses clients de démontrer que les inférences que la SSR avait faites n'étaient pas raisonnables, compte tenu de la preuve dont celle-ci disposait. Je suis convaincu que ces inférences sont « [...] déraisonnables au point d'attirer notre intervention » . La SSR pouvait à bon droit tirer les conclusions auxquelles elle est arrivée au sujet des revendications des demandeurs, mais elle ne pouvait pas le faire en se fondant sur des conclusions d'invraisemblance qui n'étaient étayées ni en totalité ni en partie par la preuve dont elle disposait, telles qu'elles ressortent des motifs qui ont été mis à la disposition de la Cour.

CONCLUSION

[19]      Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR ici en cause est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle audition et réexamen par une formation différente. Ni l'un ni l'autre avocat n'a proposé la certification d'une question. Aucune question n'est certifiée.





                             Frederick E. Gibson

                                     J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 30 novembre 2000


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE LA PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :                  IMM-4971-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          SOUDABEH VARASTEH BADRI et autres
                         c.
                         MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 23 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON EN DATE DU 30 NOVEMBRE 2000.


ONT COMPARU :

Patrick Saul                      POUR LE DEMANDEUR
Mandana Namazi                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander, Holburn, Beaudin et Lang      POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1 L.R.C. (1985), ch. I-2.

2 (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

3 (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).

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