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                                                                                                                     Date : 20040305

                                                                                                                 Dossier : T-656-03

                                                                                                      Référence : 2004 CF 320

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 5 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                ROBERT GEORGE SMITH

                                                    caporal, matricule 32023

                                                                                                                              demandeur

                                                                    - et -

                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Le caporal Robert Smith est membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) depuis 28 ans. Il désire devenir vérificateur de l'exploitation locale au Centre d'information de la police canadienne (vérificateur au CIPC) à Vancouver. De ce poste découle une promotion au grade de sergent. Le 30 juin 2000, le caporal Smith a décidé d'afficher un avis dans le Système d'information sur la gestion des ressources humaines (le SIGRH) mentionnant son intérêt pour un tel poste. Un poste s'est libéré au CIPC et une recherche a fait ressortir l'intérêt du caporal Smith. Il a toutefois été éliminé du concours sans entrevue ou contact, prétendument parce qu'il a été déterminé qu'il ne possédait pas l'expérience nécessaire.

[2]         Le 5 décembre 2001, le caporal Smith a décidé de déposer un grief connu sous le nom de demande d'intervention (la DI) en vertu des Consignes du commissaire (règlement des différends en matière de promotions et d'exigences de postes), DORS/2000-141 (les CC). Dans une lettre datée du 12 février 2003, J. F. Michel Bachand, insp. (l'arbitre), a rejeté sa demande. Le caporal Smith vise à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision. Plus précisément, il demande à la Cour d'annuler la décision de l'arbitre et de recommander qu'il soit promu au grade de sergent.

Les questions en litige

[3]         Voici les questions en litige soulevées par la présente demande :

1.    La demande de contrôle judiciaire du caporal Smith a-t-elle été introduite hors délai?

2.    L'arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de révision?


Analyse

Question no 1 :            La demande de contrôle judiciaire du caporal Smith a-t-elle été introduite hors délai?

[4]         Le défendeur fait valoir que le caporal Smith n'a pas demandé de prorogation de délai à la Cour avant de déposer sa demande de contrôle judiciaire le 24 avril 2003. Puisque l'arbitre a rendu sa décision le 12 février 2003, la demande de contrôle judiciaire du demandeur devrait être rejetée du fait qu'elle est hors délai (Joudrey c. Canadian Atlantic Railway, une filiale de la société Canadien Pacifique Ltée, [1995] A.C.F. no 1159 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Purcell, [1994] A.C.F. no 1649 (1re inst.) (QL)).

[5]         L'article 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 énonce :


Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication [...] à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated ... to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the expiration of those 30 days.


[6]         Bien que je sois d'accord avec le défendeur que la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce est celle de l'arbitre, datée du 12 février 2003, et que la demande a été déposée tardivement, je fais remarquer qu'il y a en l'espèce des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, je suis prête à exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur du caporal Smith et à examiner la demande au fond.


Norme de contrôle

[7]         L'arbitre a pour rôle d'examiner les différends dans le domaine spécialisé du processus en vue des promotions et des exigences de postes au sein de la GRC. La Cour a statué que, dans le contexte de la procédure de règlement des griefs prévue par la loi, il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la conclusion de fait d'un arbitre dans le domaine technique des promotions à la GRC (Brennan c. Canada (Gendarmerie royale), [1998] A.C.F. no 1629 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12). Bien que dans la décision Brennan, il ait été décidé que la norme était celle de la décision raisonnable simpliciter, dans la décision Shephard c. Canada (Gendarmerie royale), [2003] F.C.J. no 1638 (C.F.) (QL), au paragraphe 36, on a conclu que la norme de contrôle était celle de la décision manifestement déraisonnable. Je reconnais qu'il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision de l'arbitre.

[8]         Toutefois, peu importe la norme de contrôle, pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l'arbitre ne devrait pas être maintenue.

Question no 2 :            L'arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de révision?

[9]         Le document au coeur du présent litige, c'est le code d'emploi 575, lequel mentionnait que les candidats devaient :

[...] [avoir] [u]ne certaine expérience de l'exploitation locale du CIPC ou des services du CIPC.


La conclusion de l'arbitre concernant ce code était que :

[traduction]

Le code d'emploi est tout à fait clair à l'effet que le candidat doit posséder une ou plusieurs années d'expérience professionnelle d'affectation particulière à un des services du CIPC identifiés.

Il n'y avait aucune analyse de la part de l'arbitre sur la façon dont il a tiré cette conclusion.

[10]       L'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales permet à la Cour de prendre des mesures dans le cadre d'un contrôle judiciaire lorsqu'une décision ou une ordonnance est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le décideur dispose. Dans sa décision, l'arbitre n'a fait aucune référence que ce soit à l'un ou l'autre des éléments de preuve documentaire que le caporal Smith a présentés à l'appui de son interprétation du code d'emploi 575. L'arbitre déclare dans sa décision qu'il a examiné les observations des parties ainsi que la politique pertinente, mais rien dans la décision ne traite directement des principales observations du caporal Smith au sujet de cette question d'une importance capitale. Bien que l'arbitre ne soit pas tenu de faire référence à chaque code d'emploi ou argument présenté par le demandeur, il est extrêmement déconcertant qu'il n'ait aucunement fait référence à l'argument du demandeur concernant l'interprétation du code d'emploi 575. Pour ces motifs, je conclus que la décision de l'arbitre était abusive et arbitraire et qu'il n'a pas tenu compte d'éléments de preuve importants.


[11]       De plus, le caporal Smith fait valoir que dans son cas, les principes d'équité procédurale ont été niés du fait que l'arbitre n'a pas motivé son interprétation du code d'emploi 575. Encore une fois, je suis d'accord. L'article 24 des CC énonce :


L'arbitre rend sa décision et les motifs de celle-ci par écrit et en remet une copie au demandeur et au défendeur.

The adjudicator shall give their decisions in writing, with reasons, and shall provide a copy of their decisions to the complainant and respondent.


[12]       J'ai examiné avec soin la décision de l'arbitre et je ne puis trouver aucun motif. La décision de l'arbitre tient essentiellement au fait qu'il est [traduction] « tout à fait clair » d'après le libellé du code d'emploi 575 que l'interprétation du Service des affectations relativement aux exigences de postes est correcte et non celle du caporal Smith. Affirmer que quelque chose est clair ne constitue pas un motif. Cette conclusion selon laquelle le code d'emploi 575 est [traduction] « tout à fait clair » , sans autre explication, ne suffit tout simplement pas. Le code d'emploi 575 ne fait pas référence au fait de posséder une ou plusieurs années d'affectation particulière à un des services identifiés. Qu'est-ce qu'un « service identifié » ? Comment l'arbitre en est-il venu à interpréter « une certaine expérience de l'exploitation locale du CIPC » comme signifiant « une ou plusieurs années d'expérience d'affectation particulière à un des services identifiés » ? L'arbitre était tenu d'expliquer pourquoi il préférait l'interprétation du Service des affectations relativement au code d'emploi 575 à celle fournie par le caporal Smith. Il ne l'a pas fait.


[13]       En effet, comme l'a fait valoir le défendeur, l'arbitre possède une certaine expertise dans l'interprétation du sens de la terminologie utilisée au sein de la GRC. C'était précisément la différence dans les interprétations proposées relativement au code d'emploi 575 que la décision de l'arbitre visait à résoudre et à expliquer. Cela n'a pas été fait.

[14]       Le défendeur a présenté plusieurs explications qui appuieraient la compréhension qu'avait l'arbitre du code d'emploi 575. Le défendeur n'a cependant pas été en mesure d'indiquer un motif fourni par l'arbitre pour étayer sa décision. En ce qui concerne l'évaluation de l'équité procédurale, il ne suffit pas que le défendeur donne ses propres motifs concernant la décision d'un arbitre pour tenter de démontrer que l'arbitre n'a pas violé les principes de justice naturelle. L'arbitre était tenu, en vertu de l'article 24 des CC, de motiver lui-même sa décision. Il ne l'a pas fait. Cela constitue une erreur susceptible de révision.

Conclusion


[15]       Pour ces motifs, la décision de l'arbitre ne devrait pas être maintenue. Le caporal Smith demande que j'annule la décision de l'arbitre en recommandant qu'il soit promu au grade de sergent rétroactivement à octobre 2001. Bien que je puisse annuler la décision, et je le ferai, il n'est ni possible ni opportun pour moi soit de recommander une promotion ou de faire des conjectures sur la façon dont le code d'emploi 575 aurait dû être interprété par l'arbitre. Par conséquent, j'annulerai la décision et exigerai que l'affaire soit renvoyée à un arbitre différent pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La décision de l'arbitre, datée du 12 février 2003, est annulée et l'affaire est renvoyée à un arbitre différent pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

2. Les dépens sont adjugés au caporal Smith.

                                                                                                                  _ Judith A. Snider _             

                                                                                                                                         Juge                         

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-656-03

INTITULÉ :                                                    ROBERT GEORGE SMITH, caporal, matricule 32023

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER

(COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 5 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Robert George Smith                                         POUR SON PROPRE COMPTE

Ken Manning                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert George Smith                                         POUR SON PROPRE COMPTE

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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