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Date : 20060516

Dossier : IMM-3954-05

Référence : 2006 CF 603

OTTAWA (ONTARIO), le 16 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

VICTOR INIGO CONTRERAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est un homosexuel séropositif du Mexique qui a su à un très jeune âge qu'il était attiré par les hommes. Il est devenu alcoolique en essayant de faire face au besoin de cacher son homosexualité dans une société machiste et homophobe. Il a obtenu un résultat positif à un test de dépistage du VIH en 1995.

[2]                Il a eu une relation sérieuse avec Jaime Razon, qui a débuté en septembre 1994. Lorsqu'ils ont emménagé ensemble, les parents de Jaime ont été irrités par la relation parce que le demandeur était homosexuel et séropositif.

[3]                Le demandeur croit que le père de Jaime a recruté la police fédérale pour le harceler. En avril 2001, le demandeur a été suivi dans les toilettes d'un centre d'achat et a été menacé. En août 2001, après qu'il eut mit un terme à sa relation avec Jaime, une Spirit noire, le modèle d'automobiles qu'utilise la police fédérale, a intercepté le demandeur et quatre hommes sont sortis de la voiture. Le demandeur s'est enfui en voiture alors que les quatre hommes criaient et tiraient des coups de feu dans sa direction.

[4]                Il s'est rendu à Londres, en Angleterre, en novembre 2001 et a tenté d'y obtenir un visa d'étudiant, qui lui a été refusé. Il est alors retourné au Mexique et s'est caché pendant trois jours avant de partir pour le Canada. Il est arrivé au Canada le 7 décembre 2001 et a déposé sa demande le 5 juillet 2002 après avoir appris qu'il pouvait présenter une demande d'asile fondée sur son orientation sexuelle ou sur le fait qu'il était séropositif.

LA DÉCISION

[5]                La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accepté les prétentions du demandeur quant à son identité ainsi que ses déclarations au sujet du fait qu'il est homosexuel et séropositif. Cependant, elle a rejeté sa demande parce qu'il n'a pas réussi à démontrer qu'il ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l'État. Il n'a présenté aucune preuve selon laquelle la police l'avait vraiment harcelé, ou qu'il ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l'État, parce qu'il n'a jamais tenté de l'obtenir.

LA NORME DE CONTRÔLE

[6]                Il est bien établi que la norme de contrôle au sujet du caractère adéquat de la protection de l'État est la décision manifestement déraisonnable (voir Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1189 et O.O.M.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1618).

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]                Le demandeur soulève les questions suivantes :

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne traitant pas de la crainte du demandeur d'être persécuté parce qu'il est homosexuel et séropositif?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d'admettre un élément de preuve présenté après l'audience?

3. La Commission a-t-elle commis une erreur en présumant qu'il existait une protection de l'État sans faire référence à la preuve documentaire?

4. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du droit du demandeur à la libre expression comme motif de sa demande d'asile?

ANALYSE

[8]                Le demandeur soutient que la Commission doit examiner chaque motif de la demande. Le demandeur a déclaré de nombreuses fois dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il craignait d'être persécuté au Mexique parce qu'il est homosexuel et séropositif. Pourtant, la Commission n'a pas traité de cette question, mais a simplement examiné la crainte du demandeur d'être attaqué par des policiers ou d'autres gens agissant pour le compte du père de Jaime. Le demandeur mentionne l'affaire J.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 41 Imm. L.R. (3d) 305, 2004 CF 1189, dans laquelle la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire parce que la Commission n'avait pas traité de la preuve documentaire au sujet de la discrimination contre les séropositifs et de la réprobation sociale dont ils étaient l'objet. Le demandeur soutient qu'il y a eu une erreur encore plus importante dans l'affaire en l'espèce parce que la Commission n'a pas reconnu qu'il existait de la persécution contre les séropositifs. De plus, lorsqu'elle a tiré sa conclusion au sujet du caractère adéquat de la protection de l'État, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire attestant qu'une telle protection n'existait pas. En outre, elle a refusé, sans donner de motifs, d'examiner un rapport de 2004 du Département d'État des États-Unis qui a été présenté après l'audience et qui était directement pertinent en l'espèce.

[9]                Il m'apparaît évident que le demandeur se méprend au sujet de la décision de la Commission. La Commission a conclu qu'en général le demandeur était crédible et elle a accepté son témoignage au sujet de son homosexualité, du fait qu'il est séropositif et de ses craintes d'être persécuté et de subir de la discrimination en raison de cela. Elle n'a simplement pas accepté ses allégations au sujet du fait qu'il ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l'État parce qu'il est homosexuel et séropositif ou qu'il était poursuivi par des hommes de main (soi-disant des membres de la police fédérale qui auraient été embauchés ou encouragés par le père de Jaime).

[10]            Par conséquent, comme la Commission l'a affirmé, l'affaire repose sur l'existence de la protection de l'État.

[11]            Le dossier révèle que le demandeur n'a jamais tenté de se prévaloir de la protection de l'État pour l'un ou l'autre des trois motifs de persécution qu'il a fait valoir. Il a résidé au Mexique pendant six ans en tant qu'homosexuel séropositif, a habité avec son partenaire et a été capable de se procurer les médicaments nécessaires contre le VIH. Il a même déclaré qu'il avait [TRADUCTION] « toujours eu [...] un bon [...] niveau de vie » (transcription p. 38).

[12]            La preuve documentaire, y compris le rapport de 2004 du Département d'État qui n'a pas été examiné, ne tranche pas définitivement la question au sujet de la protection de l'État. Elle mentionne la discrimination et les actes de persécution contre les homosexuels, mais elle atteste aussi les efforts du gouvernement en vue de régler la situation et ceux d'organisations non gouvernementales qui tentent d'améliorer la façon dont les homosexuels sont traités.

[13]            La Commission, en tant que juge des faits, prend ses décisions en se fondant sur les documents et le témoignage. Même si la Cour aurait pu tirer une conclusion différente en se fondant sur la même preuve, elle ne peut intervenir que si la décision est manifestement déraisonnable. Il est bien établi que la protection n'a pas besoin d'être parfaite, mais la force policière et les autorités civiles en place doivent déployer des efforts sérieux en vue de protéger les citoyens. En l'espèce, je ne peux pas conclure que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable compte tenu du témoignage et de la preuve documentaire.

[14]            En ce qui a trait au rapport de 2004 du Département d'État, il est bien établi que la Commission doit examiner les facteurs suivants pour décider si elle accepte des documents présentés après l'audience :

1. la pertinence et la valeur probante du document;

2. toute preuve nouvelle qu'il apporte;

3. si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29.

[15]            Bien que le rapport de 2004 du Département d'État ait une grande valeur probante, son contenu au sujet de la protection de l'État est loin d'être décisif. Comme le reste de la preuve documentaire, le rapport donne à voir les deux côtés de la médaille. Par conséquent, la Commission avait le droit de refuser ce document au motif qu'il ne présentait aucune preuve nouvelle.

[16]            Il ne reste qu'à traiter de l'argument du demandeur selon lequel la Commission aurait commis une erreur en ne tenant pas compte du droit du demandeur à la libre expression comme motif de sa demande d'asile. Expressément, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de son droit à la libre expression. Le demandeur soutient qu'il a transformé sa vie au Canada en devenant un défenseur des droits des personnes atteintes du SIDA ou infectées par le VIH et qu'il lui serait impossible de continuer dans cette veine au Mexique. Le demandeur s'appuie sur l'affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, selon laquelle une personne qui s'associe à une organisation qui milite en faveur de la dignité humaine entre dans la définition de l'appartenance à un groupe social particulier. La Commission n'a pas examiné si le demandeur pouvait être considéré comme un « réfugié sur place » en raison de son droit de vivre ouvertement et de promouvoir les droits de la personne qui sont essentiels à sa dignité.

[17]            Le demandeur n'a pas mentionné ce fait dans son FRP. De plus, aucune preuve n'a été présentée à la Commission attestant le fait que le demandeur serait un militant au Canada à un point tel qu'il attirerait l'attention publique, ou le fait qu'être un militant l'exposerait à des risques au Mexique. Son travail bénévole se limite au fait d'être un pair-conseiller. Aucune preuve n'a été présentée permettant de croire que son travail au Canada justifie une demande d'asile à titre de « réfugié sur place » . Bien que le demandeur semble être très fier de son travail et trouver que ses activités sont gratifiantes, cela ne devrait pas servir de fondement à l'obtention de l'asile.

[18]            Par conséquent, la demande ne peut pas être accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3954-05

INTITULÉ :                                       VICTOR INIGO CONTRERAS

                                                                                                                

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                              

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 9 mai 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge von Finckenstein

DATE DES MOTIFS :                       Le 16 mai 2006

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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