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     Date : 20000918

     Dossier : T-2326-98


     OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 18 SEPTEMBRE 2000

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM


Entre

     BARBARA MUELLER

     demanderesse

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur



     ORDONNANCE



     Pour les motifs énoncés dans les motifs de l'ordonnance, la Cour déboute la demanderesse de son recours en contrôle judiciaire et alloue les dépens au défendeur.

                                    

     « Max M. Teitelbaum »

     ________________________________

     J.C.F.C.




Traduction certifiée conforme,




Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.




     Date : 20000918

     Dossier : T-2326-98


Entre

     BARBARA MUELLER

     demanderesse

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TEITELBAUM


[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 6 novembre 1998 par laquelle le ministre a, en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), modifiée (la Loi), refusé de renoncer aux intérêts auxquels était tenue la demanderesse, sous le régime de la même loi, à l'égard de ses années d'imposition 1985 et 1986.

[2]      La demanderesse conclut à ordonnance portant annulation des intérêts, remboursement d'un trop-payé d'intérêts et allocation des frais et dépens de son recours.

LES FAITS DE LA CAUSE

[3]      La demanderesse a fait l'objet pour la première fois, en 1983, d'une vérification de la part de Revenu Canada, à l'égard de ses années d'imposition 1978, 1979, 1980, 1981 et 1982.

[4]      En 1984 et 1985, elle a reçu des avis de nouvelle cotisation, par l'effet desquels elle se trouvait devoir encore au fisc 25 552 $, à titre d'impôt, de pénalités et d'intérêts.

[5]      Le 26 août 1986, le ministre du Revenu national a fixé la somme à payer par la demanderesse à l'égard de son année d'imposition 1985, à 390,64 $, dont 360,00 $ au titre des cotisations au Régime de pensions du Canada.

[6]      Le 3 mars 1987, il a établi, toujours à l'égard de l'année d'imposition 1985, une nouvelle cotisation portant sur un montant additionnel de 842,94 $, dont la plus grande partie à titre d'impôt fédéral et provincial.

[7]      Le 10 août 1992, le ministre a redressé encore l'obligation fiscale de la demanderesse pour l'année d'imposition 1985, en portant à son crédit 1 625,46 $, dont à peu près la moitié représentait un crédit pour tous les impôts fédéral et provincial précédemment établis pour cette année-là. Le solde représentait le crédit pour tous les intérêts sur remboursement et sur arriérés, courus sur ces impôts.

[8]      Les cotisations et nouvelles cotisations susmentionnées pour l'année d'imposition 1985 eurent pour résultat final que la demanderesse ne devait payer aucun impôt fédéral ou provincial. Tous les intérêts précédemment établis pour l'impôt fédéral et provincial à payer ont été annulés lors du redressement fiscal du 10 août 1992. Seule demeurait à payer la somme de 360,00 $ au titre des cotisations au Régime de pensions du Canada.

[9]      Le seul intérêt exigé de la demanderesse à l'égard de l'année d'imposition 1985 était l'intérêt sur les cotisations au RPC, d'un montant de 20,40 $ et couru du 1er mai 1986 au 1er mai 1987, date à laquelle elle a réglé intégralement ses cotisations et l'intérêt y afférent. Aucune pénalité ne lui a été imposée à l'égard de son année d'imposition 1985.

[10]      Le 31 août 1987, le ministre a fixé pour la première fois la somme qu'elle avait à payer pour l'année d'imposition 1986 au titre de l'impôt fédéral et provincial, des cotisations au RPC et des intérêts courus, soit 573,97 $.

[11]      Le 10 août 1992, le ministre a redressé sa situation fiscale à l'égard de l'année d'imposition 1986, en lui accordant un crédit de 697,02 $, dont la moitié représentait le crédit pour tout l'impôt fédéral et provincial précédemment fixé. Le solde représentait le crédit pour l'intérêt sur arriéré de l'impôt précédemment établi.

[12]      Cette cotisation et la nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1986 eurent pour résultat final que la demanderesse n'était tenue à aucun impôt fédéral ou provincial pour cette année-là. Tous intérêts précédemment établis pour l'impôt fédéral et provincial ont été annulés dans le redressement fiscal du 10 août 1992. La cotisation de 184 $ au RPC fut maintenue.

[13]      Au 9 janvier 1999, un intérêt de 418,31 $ s'est accumulé sur la somme de 184 $ à payer par la demanderesse au titre de l'année d'imposition 1986. C'était l'intérêt couru sur les cotisations au RPC à compter du 1er mai 1987. Aucune pénalité n'a jamais été fixée pour l'année d'imposition en question.

[14]      J'ai essayé de reproduire avec exactitude les dates et les sommes qui seraient dues, mais j'ai pu me tromper. Pareille erreur, si erreur il y a, n'a aucun effet sur ma décision puisque ces facteurs ne sont pas les points litigieux soumis à la Cour. Ils ont pu faire partie du litige devant la Cour de l'impôt.

[15]      Le 20 août 1997, la demanderesse a invoqué le paragraphe 220(3.1) de la Loi pour demander au ministre de renoncer aux intérêts et pénalités qu'elle avait à payer, en application de la même loi, à l'égard de ses années d'imposition 1985 et 1986. Elle a produit d'autres détails dans une seconde lettre datée du 22 septembre 1997.

[16]      Barbara Spaans, agente de perception de Revenu Canada, examinant la demande de renonciation aux intérêts et pénalités, s'est appuyée sur les facteurs suivants pour la rejeter :

     (1)      la demanderesse avait les moyens de régler ce qu'elle devait au fisc, étant donné que son actif était substantiel;
     (2)      sa computation des intérêts était incorrecte;
     (3)      elle convenait avec Mme Spaans qu'aucun crédit promis par Revenu Canada n'était en souffrance; et
     (4)      plusieurs fonctionnaires de Revenu Canada ont examiné son dossier au fil de nombreuses années et ont vérifié l'exactitude des calculs relatifs à son compte.

[17]      Mme Spaans a rencontré la demanderesse à deux reprises et lui a parlé plusieurs fois au téléphone. Elle a aussi examiné les états financiers produits par cette dernière. Conformément à la politique observée en la matière par Revenu Canada, elle lui a demandé de produire un état financier pour son ménage, mais la demanderesse s'y est refusée. Elle a produit les renseignements financiers la concernant personnellement, mais non ceux de son conjoint de fait. Même à la lumière de l'état financier incomplet, la demande de renonciation n'était pas recevable au regard du critère des « difficultés » puisque la demanderesse avait des biens substantiels à son actif.

[18]      Mme Spaans a recommandé à son chef d'équipe, Mme Biblow, de rejeter la demande de renonciation aux intérêts et pénalités. Celle-ci ayant adopté cette recommandation, une lettre signée de M. J. Upton-Noot a été envoyée à la demanderesse le 15 juillet 1998.

[19]      Par la suite, Mme Spaans a reçu de cette dernière une lettre datée du 23 septembre 1998, qu'elle a traitée comme une demande de révision de la décision initiale (demande de révision au palier supérieur pour raisons d'équité). Elle l'a donc transmise avec les documents relatifs à Mme Co, qui est chargée des révisions de ce genre au Centre de services fiscaux de Vancouver.

[20]      Le 6 novembre 1998, M. Upton-Noot, directeur adjoint de la Division des recouvrements de Revenu, Centre de services fiscaux de Vancouver, a rendu la décision définitive sur la demande, faite par la demanderesse, de renonciation aux intérêts et pénalités. Pour parvenir à cette décision, il a pris en compte le sommaire de l'affaire préparé par Mme Co ainsi que les recommandations de celle-ci et de son supérieur hiérarchique, M. Vondette.

[21]      Le même jour, il a envoyé à la demanderesse une lettre pour l'informer de sa décision et pour lui expliquer la position de Revenu Canada.

[22]      Les lignes directrices de Revenu Canada en matière d'instruction des demandes fondées sur le paragraphe 220(3.1) de la Loi (demandes pour raisons d'équité) figurent dans sa Circulaire d'information no 92-2 : il peut y avoir renonciation aux intérêts ou pénalités payables à l'égard des années 1985 et suivantes, si ceux-ci tiennent à des facteurs indépendants de la volonté du contribuable, ou principalement aux actions de Revenu Canada, ou encore à l'insolvabilité du contribuable.

[23]      Les facteurs suivants sont pris en compte pour l'instruction des demandes dans ce domaine, à savoir :

     a)      si le contribuable ou l'employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;
     b)      si le contribuable ou l'employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;
     c)      si le contribuable a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;
     d)      si le contribuable a des difficultés qui compromettent sa capacité à payer les sommes dues;
     e)      si le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

[24]      Voici le processus d'instruction des demandes fondées sur le paragraphe 220(3.1) de la Loi au Centre de services fiscaux de Vancouver, où la demanderesse a fait sa demande :

     1)      L'agent de perception chargé du dossier du demandeur examine la demande et revoit le dossier pour s'assurer qu'il a en main des renseignements suffisants en vue d'une décision équitable.
     2)      Il examine la demande ainsi que le dossier y afférent puis soumet au chef d'équipe sa recommandation sur la question de savoir s'il y a lieu d'accueillir cette demande.
     3)      Le chef d'équipe examine le dossier et, selon le montant de la demande, soit rend la décision finale soit le soumet au chef de groupe pour décision ou transmission à l'échelon supérieur.
     4)      Le demandeur peut demander une révision ou fait « une demande de révision au palier supérieur pour raisons d'équité » s'il n'est pas satisfait de la décision initiale.

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

L'argumentation de la demanderesse

[25]      La demanderesse soutient que le principal point litigieux est l'écart entre la somme demandée par la Division des recouvrements, soit quelque 9 000 $, et la somme qu'elle a calculée elle-même d'après l'avis de nouvelle cotisation, soit à peu près 6 000 $. Cet écart tient à ce que le ministre ne voulait pas exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi.

[26]      À son avis, le ministre a agi illégalement en continuant à essayer de recouvrer un surcroît d'intérêts calculés sur son relevé de compte, lequel était erroné.

[27]      La demanderesse soutient encore que le ministre a commis une erreur de droit susceptible de censure faute de lui avoir accordé la possibilité de prendre part au processus d'instruction de sa demande, puisqu'elle n'a jamais pu parler aux deux personnes chargées de son dossier, Mme Co et M. Vondette.



L'argumentation du défendeur

[28]      Selon le défendeur, la seule question à trancher par la Cour est de savoir si la demanderesse a fait la preuve que le ministre n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire qu'il tient du paragraphe 220(3.1) de la Loi en rejetant la demande, faite par la demanderesse, d'annulation des intérêts et pénalités.

[29]      Il ressort, dit-il, des preuves et témoignages produits que le ministre a rendu sa décision de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle et compte tenu de tous les facteurs pertinents.

[30]      Le défendeur soutient encore que les chefs de conclusions figurant dans le mémoire de la demanderesse ne sont pas recevables.

LES DISPOSITIONS APPLICABLES


Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7



Grounds of Review

18(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

     (a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;
     (b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;
     (c) erred in law by making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;
     (d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that is made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;
     (e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or
     (f) acted in any other way that was contrary to law.

Motifs

18(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

     a) a agi sans compétence, outre-passé celle-ci ou refuse de l'exercer;
     b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;
     c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
     d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;
     e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;
     f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

LE POINT LITIGIEUX

[31]      Un seul point litigieux se dégage en l'espèce, comme suit :

         Le ministre a-t-il correctement interprété et exercé le pouvoir discrétionnaire qu'il tient du paragraphe 220(3.1) en rejetant la demande de renonciation faite par la demanderesse?

ANALYSE

Le but visé par le paragraphe 220(3.1)

[32]      Voici ce que prévoit le paragraphe 220(3.1) de la Loi :


220(3.1) Waiver of penalty or interest -- The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsection 152(4) and (5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer of partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

220(3.1) Renonciation aux pénalités et aux intérêts -- Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 153(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

[33]      Pour faciliter l'interprétation de la disposition ci-dessus, le ministre a mis en place des lignes directrices qu'on peut trouver dans la circulaire d'information no 92-2. Il y a renonciation aux intérêts ou pénalités dans les trois cas suivants, qui y sont énumérés :

     (i) des circonstances extraordinaires, telles une catastrophe naturelle ou une interruption des services, indépendantes de la volonté du contribuable et qui ont pu l'empêcher de faire un paiement dans les délais ou de se conformer à la Loi de l'impôt sur le revenu;
     (ii) les intérêts ou pénalités découlent principalement d'actions imputables à Revenu Canada, y compris le retard;
     (iii) le contribuable n'est pas en état de payer la somme due.

[34]      Les facteurs prévus au paragraphe 10 de la Circulaire d'information entrent aussi en ligne de compte pour l'application de cette disposition, savoir :

     a) si le contribuable ou l'employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;
     b) si le contribuable ou l'employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;
     c) si le contribuable a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;
     d) si le contribuable a des difficultés qui compromettent sa capacité à payer les sommes dues;
     e) si le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

[35]      De même le paragraphe 14 de la Circulaire d'information :

     Si un contribuable ou un employeur estime que le Ministère n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et équitable, il peut alors demander, par écrit au directeur d'un bureau de district ou d'un centre fiscal d'examiner la situation.

[36]      Le paragraphe 220(3.1) a été interprété par la Cour dans Kaiser c. M.R.N. (1995), 95 D.T.C. 5187, page 5188, où le juge Rouleau a fait l'observation suivante :

     L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de circonstances échappant à leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.

Et un peu plus loin, aux pages 5188 et 5189 :

     Chaque cas doit être décidé selon son bien-fondé, de sorte qu'il puisse être tenu compte des circonstances propres à chaque contribuable le ministre, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1), doit tenir compte de considérations pertinentes propres au contribuable visé.

[37]      La même disposition a encore été interprétée par la Cour dans Fiducie familiale Orsini c. Revenu Canada (1996), 96 D.T.C. 6347, où le juge Cullen a fait, au paragraphe 9, l'observation suivante :

     La décision fondée sur la « disposition relative à l'équité » est de nature discrétionnaire. Il ne s'agit pas d'un cas où le décisionnaire doit en arriver à un certain résultat, mais plutôt d'un cas où il peut, après avoir examiné toutes les circonstances, en arriver à une certaine conclusion. Les décisions de nature discrétionnaire ne peuvent être rendues arbitrairement ou de mauvaise foi et, à l'instar toutes les autres décisions, elles peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Cependant, la portée du contrôle judiciaire est assez restreinte. La Cour fédérale ne devrait pas substituer sa décision à celle du représentant légal du ministre. Elle doit plutôt déterminer si la décision a été prise de façon inéquitable ou arbitraire ou de mauvaise foi. Dans la mesure où la preuve au dossier appuie la décision, la Cour ne devrait pas intervenir.

[38]      La Cour étant appelée en l'espèce à se prononcer sur l'application d'une disposition de procédure et sur une décision discrétionnaire du représentant du ministre, il se pose la seule question de savoir si ce dernier s'est acquitté, par l'intermédiaire de son représentant, de son obligation d'agir équitablement envers la demanderesse dans sa décision de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire qu'il tient du paragraphe 220(3.1) de la Loi pour renoncer aux intérêts auxquels elle était tenue pour ses années d'imposition 1985 et 1986.

[39]      Dans Succession de feu Henry H. Floyd c. Ministre du Revenu national, [1993] A.C.F. no 986, le juge Dubé s'est prononcé en ces termes, au paragraphe 9, sur la portée de l'obligation d'agir équitablement dans le contexte du paragraphe 220(3.1) :

     D'une manière générale, l'obligation d'agir équitablement emporte l'obligation d'observer les principes essentiels de la justice naturelle dans l'exercice de fonctions administratives (Voir Martineau c. Comité de discipline de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à la page 630).
     En common law, l'obligation d'équité procédurale incombe à toutes les autorités publiques qui rendent une décision administrative qui ne revêt pas de caractère législatif et qui a une incidence sur les droits, les privilèges ou les intérêts d'un particulier (Voir aussi Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653, et R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, aux pages 623 et 624).

[40]      En l'espèce, il ressort des preuves et témoignages produits que le ministre a pris en compte la situation financière de la demanderesse et a judicieusement apprécié tous les renseignements contenus dans les documents soumis par cette dernière. Je ne peux conclure qu'il ait agi de façon inique dans le processus de décision qui l'a amené à refuser d'exercer le pouvoir discrétionnaire qu'il tient du paragraphe 220(3.1).

[41]      D'ailleurs, la Loi est muette quant aux critères à observer par le défendeur dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire; il lui suffit d'agir de bonne foi et de ne pas prendre en compte des facteurs n'ayant aucun rapport avec l'affaire. J'accepte donc l'affirmation faite par le défendeur aux paragraphes 27 et 28 de son mémoire, à savoir que le ministre peut appliquer les critères de son choix pour autant qu'ils soient pertinents et qu'il agisse de bonne foi.

[42]      En ce qui concerne la conclusion par la demanderesse au paragraphe 29 de son mémoire, que le ministre a commis plusieurs erreurs de droit susceptibles de censure, le défendeur invoque la décision rendue par la Cour dans Barron c. Canada (Ministre du Revenu national), [1996] A.C.F. no 461, où le juge en chef adjoint Jerome a conclu que le comité chargé d'examiner, sous l'angle de l'équité, la demande d'allégement discrétionnaire, avait commis une erreur susceptible de censure faute d'avoir communiqué aux demandeurs les facteurs dont il tiendrait compte dans l'instruction du dossier et faute de leur avoir donné la possibilité de se faire entendre de vive voix. La Cour a en outre jugé que ce comité avait commis une erreur par sa mauvaise application des dispositions portant allégement discrétionnaire, en concluant que la demande des demandeurs ne rentrait pas dans le champ d'application de ces dernières.

[43]      En appel, cette décision a été infirmée : jugé que la décision du ministre était discrétionnaire et que la Cour ne pourrait y toucher que si cette décision avait été rendue de mauvaise foi, si le ministre avait ignoré certains facteurs pertinents ou pris en compte des facteurs étrangers à l'affaire, ou si sa décision était erronée en droit. Prononçant le jugement de la Cour, le juge Pratte a fait l'observation suivante au paragraphe 5 de Barron c. Ministre du Revenu national), [1997] A.C.F. no 175 :

     Avant d'exposer les motifs pour lesquels nous estimons que ces conclusions sont erronées, il est peut-être utile de rappeler que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère un pouvoir discrétionnaire au ministre et que, à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu d'un tel pouvoir, le rôle de la cour de révision ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire. La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte des faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit.

Et au paragraphe 6 :

     Les conclusions du juge portant que le ministre a omis de communiquer aux intimés les facteurs dont il tiendrait compte en exerçant son pouvoir discrétionnaire et de leur donner l'occasion de faire des observations pour appuyer leurs demandes sont manifestement contraires à la preuve produite. Il ressort du dossier qu'un fonctionnaire du ministère du Revenu national a invité les intimés à se prévaloir du paragraphe 154(4.2) et que ces derniers ont reçu une circulaire d'information leur expliquant la nature de cette disposition et la façon dont le ministre exercerait son pouvoir discrétionnaire. Il ressort également du dossier que les intimés ont eu pleinement l'occasion de faire des observations pour appuyer leurs demandes. Il est vrai qu'ils n'ont pas eu l'occasion de faire des observations orales, mais la règle est claire : sauf dans des cas exceptionnels, l'équité procédurale n'exige pas la tenue d'une audience.

[44]      Il ressort du dossier que la demanderesse a eu deux conversations téléphoniques avec l'agente de perception et lui a envoyé des conclusions écrites à plusieurs reprises. Plus spécifiquement, elle a fait sa demande initiale au ministre le 20 août 1997, puis lui a fait parvenir des conclusions le 22 septembre 1997 et de nouveau le 23 septembre 1998.

[45]      Qui plus est, j'ai ajourné l'audition de l'affaire pour lui donner le temps d'obtenir de son comptable un affidavit au sujet des erreurs de calcul qu'aurait pu commettre le défendeur. Elle n'a pas produit cet affidavit comme elle l'avait promis.

[46]      Par application des principes dégagés par la Cour d'appel fédérale dans Barron, op. cit., je juge équitable et de bonne foi le processus suivi par le ministre dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'il tient du paragraphe 220(3.1). La demanderesse s'est vu donner à diverses reprises la possibilité de participer au processus de décision, et elle s'en est pleinement prévalue. Le ministre n'a pas rendu une décision fondée sur des facteurs étrangers à l'affaire, et je ne peux certainement pas conclure que cette décision est erronée en droit.


[47]      Pour ces motifs, je conclus qu'il n'y a en l'espèce aucune erreur susceptible de censure et qui justifie l'intervention de la Cour dans la décision du ministre. La Cour déboute la demanderesse de son recours et alloue les dépens au défendeur.

     « Max M. Teitelbaum »

     ________________________________

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario),

le 18 septembre 2000



Traduction certifiée conforme,




Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

        

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-2326-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Barbara Mueller c. Procureur général du Canada


LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)


DATE DE L'AUDIENCE :          11 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM


LE :                      18 septembre 2000



ONT COMPARU :


Mme Barbara Mueller                  la demanderesse occupant pour elle-même

Mme Heather Hill                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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