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                                                                                                                     Date : 20040929

                                                                                                        Dossier : IMM-7586-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1332

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                           RAJANAYAKI THURAISINGAM

                                                                                                                        demanderesse

                                                                    - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka, âgée de 63 ans. Elle a formulé une demande visant à obtenir le statut de réfugiée au sens de la Convention en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration et une audience a eu lieu le 29 avril 1999. La demande de la demanderesse a été rejetée et la Cour fédérale a rejeté sa demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La demanderesse s'est rendue aux États-Unis en juillet 2001 et y est demeurée jusqu'en octobre de cette année-là. Elle est alors revenue au Canada et a formulé une deuxième demande, laquelle a été rejetée par le commissaire A. C. Knevel de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans une décision datée du 25 août 2003. La demanderesse vise à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision.

Les questions en litige

[2]         La demanderesse soulève les questions suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en appliquant le principe de la chose jugée à la demande de la demanderesse?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve documentaire objectifs?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas de façon appropriée la demande de la demanderesse en application de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR)?


Analyse

Première question : La Commission a-t-elle commis une erreur en appliquant le principe de la chose jugée à la demande de la demanderesse?

[1]         Comme je l'ai fait remarquer, il s'agit de la deuxième demande de la demanderesse visant à obtenir le statut de réfugiée au sens de la Convention. La Commission a décidé que le principe de la chose jugée s'appliquait à la demande de la demanderesse (Vasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 160 F.T.R. 142) et elle n'a tenu compte que des éléments de preuve présentés dans le cadre de la présente demande qui n'auraient pas pu raisonnablement l'être dans la demande initiale. Étant donné que les motifs de la demande étaient les mêmes que ceux de la demande rejetée à l'origine, la Commission s'est concentrée sur la question de savoir s'il y avait eu des changements dans la situation du pays ou dans les circonstances particulières à la demanderesse, après la décision défavorable initiale, qui justifieraient une décision favorable.


[2]         La demanderesse soutient que la doctrine de la chose jugée ne devrait pas s'appliquer dans ces affaires de demande d'asile. Je ne peux y souscrire. La Commission a invariablement appliqué la conclusion de la décision Vasquez et son utilisation a été confirmée par la Cour, même lorsque la première décision avait été rendue dans le cadre de l'ancienne Loi sur l'immigration et la dernière dans le cadre de l'article 96 de la LIPR (Bhatti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (10 mars 2004) dossier no IMM-1966-03 et De Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1388 (C.F.) (QL)). Le principe de la chose jugée, tel que l'a récemment décrit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, a été appliqué correctement à l'égard de la décision de la Commission relative à l'article 96.

[3]         La doctrine n'est applicable qu'aux questions qui ont déjà été tranchées. La Commission n'avait pas été antérieurement saisie de la question de savoir si la demanderesse est une personne protégée au sens de l'article 97 de la LIPR. Par conséquent, la chose jugée ne s'applique pas à la conclusion de la Commission relative à l'article 97.

Deuxième question : La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve documentaire objectifs?


[4]         La Commission a conclu que la demanderesse n'avait présenté aucun élément de preuve convaincant, depuis qu'elle avait formulé sa première demande de statut de réfugiée, qui amènerait la Commission à [traduction] « conclure que sa situation a tant changé qu'il existe une possibilité sérieuse qu'elle serait persécutée si elle devait retourner au Sri Lanka aujourd'hui » . La demanderesse soutient que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à l'extorsion qu'elle a présentés et que la Commission a commis une erreur en concluant que seuls les gens d'affaires et les personnes ayant la capacité de payer faisaient l'objet d'extorsion. Je ne suis pas d'accord.

[5]         Puisque la demanderesse avait passé toute la période, entre la première demande et sa deuxième entrée au Canada, aux États-Unis, elle n'a pas été en mesure de fournir une nouvelle preuve originale de persécution. La demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve « récent » pour établir une crainte subjective.

[6]         La demanderesse a fait valoir que les nouveaux éléments de preuve documentaire qu'elle a présentés démontraient que le risque d'extorsion s'était accru. La Commission a examiné ces éléments de preuve et a fait remarquer que cette preuve documentaire [traduction] « concernait principalement les gens d'affaires et les personnes ayant la capacité de payer » . Après avoir examiné la preuve documentaire faisant partie du dossier, je note qu'elle faisait principalement référence aux gens d'affaires et à ceux ayant la capacité de payer; il n'y avait aucun élément de preuve « récent » liant la demanderesse à de telles personnes. Je ne suis pas convaincue que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve ou que ses conclusions étaient manifestement déraisonnables.


Troisième question : La Commission a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas de façon appropriée la demande de la demanderesse en application de l'article 97 de la LIPR?

[7]         Comme je l'ai fait remarquer, la notion de chose jugée ne s'applique pas à l'obligation dont est tenue la Commission, en application de l'article 97, d'examiner la question de savoir si la demanderesse courrait un risque. La demanderesse fait valoir que la Commission n'a pas examiné la question de façon appropriée, dans le cadre de l'article 97. Je suis encore une fois en désaccord.

[8]         La Commission a reconnu son obligation d'examiner la question de savoir si la demanderesse courrait un risque, soit de menace à sa vie ou de traitements ou peines cruels et inusités, soit d'être soumise à la torture, si elle devait retourner au Sri Lanka. Il ne s'agit donc pas d'une situation où la Commission n'a pas reconnu sa responsabilité de procéder à une analyse de la preuve aux fins de l'article 97. Ce qui n'est pas clair, c'est la question de savoir si la Commission a incorrectement appliqué la doctrine de la chose jugée à cet égard. C'est-à-dire, aux fins de son analyse relative à l'article 97, la Commission s'est-elle limitée aux éléments de preuve « récents » sans tenir compte de ceux qui auraient pu être présentés lors de la première audience sur le statut de réfugiée?


[9]         En l'espèce, la Commission n'a disposé d'aucun élément de preuve lié à une demande distincte en application de l'article 97. La demanderesse aurait vraisemblablement pu identifier des éléments de preuve documentaire ou des éléments de preuve liés à sa crainte subjective dans le cadre de l'article 97. À mon avis, il incombait à la demanderesse de le faire si elle désirait que la Commission tienne compte de ces éléments de preuve. Elle ne l'a pas fait. Je ne puis accepter qu'il y ait quelque obligation de la part de la Commission - en l'absence d'observations ou d'éléments de preuve concernant cette question - de réexaminer la demande d'asile initiale en tenant pour acquis qu'elle devient automatiquement une demande relative à l'article 97 dans le cadre de l'examen ultérieur. La Commission peut tirer ses conclusions en se fondant sur la preuve qui lui a été présentée. En l'espèce, il n'y avait aucun élément de preuve qui aurait amené la Commission à conclure que la demanderesse était une personne à protéger en vertu de l'article 97.


[10]       Je note également que, lors de l'argumentation finale du conseil de la demanderesse devant la Commission, il n'a pas été question d'autre chose que des motifs énoncés dans la Convention. Il n'y a eu aucune référence à d' « anciens » éléments de preuve (qui auraient pu être présentés au cours de la précédente demande) dont la demanderesse a demandé l'examen par la Commission à l'appui de sa demande relative à l'article 97. La demande d'asile constituait le seul fondement de l'ensemble des observations formulées par la demanderesse, qui a été représentée par un conseil tout au long de l'audience. Dans des circonstances où il n'y a pas de demande relative à l'article 96 et où aucun élément de preuve n'est présenté pour étayer un besoin de protection, sauf dans la mesure où cela est lié à la demande de statut de réfugié au sens de la Convention, un demandeur ne peut s'attendre à ce que la Commission fouille dans les éléments de preuve pour deviner lesquels pourraient étayer une demande relative à l'article 97. C'est à la demanderesse qu'il appartient de présenter ses meilleurs arguments.

[11]       Il aurait été préférable que la Commission déclare clairement qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve convaincant lié aux motifs de l'article 97. Toutefois, son omission de le faire en l'espèce ne constitue pas, à mon avis, une erreur. Cependant, même si la Commission avait commis une erreur, je conclurais que cette erreur était sans importance (Athansius c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] F.C.J. no 915 (C.F.) (QL) et Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1540 (C.F.) (QL)).

Conclusion

[12]       La demanderesse propose que je certifie la question suivante :

1.         L'affaire Vasquez constitue-t-elle une décision erronée quant à sa conclusion relative à l'applicabilité du principe de la chose jugée aux audiences sur le statut de réfugié?


[13]       J'ai déterminé que la question ne devrait pas être certifiée. La jurisprudence démontre que la Cour a invariablement, et incontestablement, accepté les conclusions de la décision Vasquez et que, par conséquent, cette question ne constitue pas un point litigieux.

[14]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée;

2.          Aucune question n'est certifiée.

     « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                  

     Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-7586-03

INTITULÉ :                                                             RAJANAYAKI THURAISINGAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 15 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                           LE 29 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Kumar S. Sriskanda                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Bridget A. O'Leary                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kumar S. Sriskanda                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Barrister & Solicitor

Scarborough, Ontario

Morris Rosenberg                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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