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     T-381-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

E n t r e :

     BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY,

     requérante,

     et

     COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     intimé.

         Demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 7 février 1997 par laquelle le commissaire aux brevets a rejeté la demande présentée par la requérante en vertu de l'article 8 de la Loi sur les brevets en vue d'obtenir un certificat de correction                 

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

    

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL. L.

     T-381-97

E n t r e :

     BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY,

     requérante,

     et

     COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 7 février 1997 par laquelle le commissaire aux brevets (le commissaire) a rejeté la demande présentée par la requérante en vertu de l'article 8 de la Loi sur les brevets1 (la Loi) en vue d'obtenir un certificat de correction pour corriger la pétition déposée par la requérante en liaison avec la demande de brevet dans laquelle est omise une revendication supplémentaire de priorité fondée sur la demande no 07/907 261 déposée aux États-Unis le 1er juillet 1992.

    

         Les faits suivants ne sont pas contestés. La requérante a délivré un bon de travail le 10 mai 1993 en vue de faire déposer la demande de brevet no 2 099 211 dans laquelle elle revendique la priorité sur les demandes de brevet suivantes qui ont été déposées aux États-Unis :

     - la demande de brevet américain no 08/029 819 déposée le 11 mars 1993;
     - la demande de brevet américain no 08/006 423 déposée le 19 janvier 1993;
     - la demande de brevet américain no 07/907 261 déposée le 1er juillet 1992.

La demande de brevet américain no 08/029 819 est une continuation-in-part de la demande de brevet américain no 08/006 423, qui est elle-même une continuation de la demande de brevet américain no 07/907 261.

         Ces revendications de priorité ont été présentées en vertu de l'article 28 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, ch. 33 (3e suppl.), art. 10, dans sa rédaction alors en vigueur, au motif que la requérante avait déjà déposé une demande pour la même invention dans un autre pays qui reconnaît aux citoyens canadiens des droits réciproques en vertu de traités et de conventions, et au motif que la demande déposée au Canada l'avait été dans les douze mois de la date du dépôt de la première demande. La demande présentée au Canada relativement au brevet no 2 099 211 avait donc le même effet qu'une demande déposée à la date à laquelle la première demande avait été déposée dans un autre pays.

         La demande de brevet américain no 08/006 423 ne renferme aucun élément nouveau, étant donné qu'elle reprend la demande antérieure présentée aux États-Unis, et il n'était pas nécessaire qu'elle fasse partie de la revendication de priorité. La pétition de brevet a été rédigée et la revendication de priorité a été formulée dans la pétition au moment du dépôt de la demande de brevet canadien. Toutefois, lors de la rédaction de la pétition de brevet, la demande de brevet américain no 07/907 261 a été supprimée par inadvertance de la revendication de priorité à la place de la demande de brevet américain no 08/006 423.

         Conformément au paragraphe 34(1) de la Loi dans sa rédaction en vigueur à l'époque, la demande de brevet no 2 099 211 comprenait une divulgation écrite. On trouve la déclaration suivante à la page 2 de la divulgation (mémoire descriptif) :

         [TRADUCTION]                 
         La présente demande constitue une continuation-in-part de la demande no 08/006 423 qui a été présentée le 19 janvier 1993 et qui est incorporée intégralement aux présentes par renvoi et qui constitue elle-même une continuation de la demande de brevet américain no 07/907 261, qui a été déposée le 1er juillet 1992.                 

         La demande de brevet et la pétition dans laquelle se trouvait la revendication de priorité ont été déposées le 25 juin 1993. Le public a été autorisé à examiner la demande de brevet le 20 juillet 1994.

         L'erreur que contenait la revendication de date de priorité a été décelée pour la première fois en décembre 1996, et une demande de certificat de correction a été soumise au Bureau des brevets le 17 décembre 1996 en vertu de l'article 8 de la Loi et de l'article 352 des Règles sur les brevets, DORS/96-423 (les Règles).

         Environ six mois après la demande de Bristol-Myers et au cours de la période de confidentialité prévue par la Loi, deux autres demandes de brevets visant des inventions semblables ont été déposées :

         i.      la demande canadienne no 2 150 944, déposée le 7 décembre 1993 par Rhône-Poulenc Rorer S.A., qui revendiquait la priorité sur la demande française 92/14813 déposée le 9 décembre 1992 (la demande de Rhône-Poulenc);
         ii.      la demande canadienne no 2 149 021, déposée le 13 décembre 1993 par Upjohn Company, qui revendiquait la priorité sur la demande américaine 07/990 579 déposée le 15 décembre 1992 (la demande d'Upjohn).

     ************

         Dans sa décision, le commissaire a déclaré :

         [TRADUCTION]                 
         Il est constant que, dans le cas qui nous occupe, l'erreur en cause est une erreur d'écriture. On ne saurait toutefois, pour les motifs suivants, corriger une erreur dont la correction à ce moment-ci serait antérieure de quelque six mois à une revendication de priorité contenue dans une demande présentée en 1993 :                 
             - suivant les dispositions en vigueur au moment de la présentation [la nouvelle règle 142]3, la revendication de priorité devait être présentée dans les six mois du dépôt;                 
             - le public pouvait examiner la demande en fonction de la date de la revendication de priorité et l'exactitude et la fiabilité des renseignements du document que le public peut examiner constituent un aspect essentiel de cette procédure;                 
             - après que le public est autorisé à examiner la demande de brevet, des tiers peuvent s'être fiés aux renseignements contenus dans la demande et pourraient être lésés si une partie était ajoutée à la revendication de priorité.                 
         Pour en venir à cette décision, j'ai tenu compte des objectifs fondamentaux de la procédure à suivre pour revendiquer une priorité, ainsi que des objectifs fondamentaux justifiant l'établissement de la procédure à suivre pour permettre au public d'examiner la demande.                 

         Notre Cour a interprété l'article 8 de la Loi dans l'arrêt Bayer Aktiengesellschaft c. Commissaire aux brevets, (1980), 53 C.P.R. (2d) 70. À la page 74 de cet arrêt, le juge Mahoney déclare :

             L'article 8 prévoit que " les erreurs d'écriture [...] peuvent être corrigées au moyen d'un certificat sous l'autorité du commissaire ". Le terme " peuvent " signifie que cela est facultatif, et non pas impératif ou obligatoire. Rien dans l'article 8 ne permet de conclure que l'intimé est tenu de délivrer un certificat de correction lorsqu'il constate que la correction demandée concerne une erreur d'écriture. Il est libre de le faire ou de ne pas le faire et la Cour ne saurait se substituer à lui sur ce point. Le bref de mandamus ne saurait être utilisé pour exiger de l'intimé qu'il délivre un certificat en vertu de l'article 8 de la Loi sur les brevets4.                 

         Ainsi, même lorsqu'une erreur est reconnue comme étant une simple erreur d'écriture, le commissaire aux brevets a toute latitude pour décider s'il y a lieu ou non de la corriger. À mon avis, cette interprétation vaut toujours, malgré l'adoption subséquente de l'article 35, qui a remplacé l'article 141 des Règles5. Cette modification aux Règles, dans le contexte de l'article 8 de la Loi, a simplement pour effet de permettre officiellement au " requérant " de demander la correction d'erreurs d'écriture évidentes dans les documents qu'il indique. Cette demande que le requérant fait en vertu de l'article 35 des Règles demeure toutefois assujettie à l'approbation du commissaire, comme le prévoit l'article 8 de la Loi.

         La décision du commissaire était donc discrétionnaire. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autres, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre, de la Cour suprême du Canada, a écrit :

         [...] C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.                 

         Plus tard, dans l'arrêt Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada, [1994] 2 C.F. 247, à la page 260, la Cour d'appel fédérale a exprimé l'avis suivant :

             Le fait d'avoir tenu compte de certains facteurs non pertinents ne met pas en péril une décision en matière de politique; c'est seulement lorsqu'une telle décision est fondée entièrement ou principalement sur des facteurs non pertinents qu'elle est contestable. Il n'incombe pas au tribunal de juger si une décision est [TRADUCTION] " sage ou ne l'est pas ". (Voir Cantwell c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. 1re inst.), à la page 46, le juge MacKay). Étant donné que ces questions portent sur des " jugements de valeur ", notre Cour ne doit pas " [siéger] à titre d'organisme d'appel en vue de déterminer si le ministère responsable a pris la bonne décision ". (Voir le juge Strayer dans Vancouver Island Peace Society c. Canada , [1992] 3 C.F. 42 (C.F. 1re inst.), à la page 49.)                 

     [...]

             En d'autres termes, pour qu'un tribunal intervienne, on doit s'être fondé principalement sur des questions non pertinentes ainsi que sur une absence de preuve à l'appui de la décision du ministre.                 

         Qui plus est, je suis d'avis qu'en conférant au commissaire à l'article 8 de la Loi le pouvoir discrétionnaire général d'autoriser la correction d'erreurs d'écriture, le législateur fédéral a clairement fait savoir qu'il s'en remettait à la compétence spécialisée du commissaire. En conséquence, la Cour doit faire preuve de retenue en ce qui concerne la détermination, par le commissaire, des facteurs dont elle devait tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire et la Cour ne devrait infirmer cette décision que si elle est déraisonnable (voir l'arrêt Pezim c. C.-B. (Superintendant of Brokers), (1994), 114 D.L.R. (4th) 385, aux pages 404 à 406).

         En l'espèce, la bonne foi du commissaire n'est pas en cause et je suis d'avis qu'elle a attentivement tenu compte des éléments de preuve qui justifiaient sa décision. Après examen des facteurs dont elle a expressément tenu compte dans sa décision, je suis convaincu qu'il était raisonnable pour le commissaire d'exercer son pouvoir discrétionnaire comme elle l'a fait et ce, même si le présumé préjudice subi par des tiers peut être spéculatif.

         En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y aura pas d'adjudication de dépens, étant donné que l'intimée n'en a pas demandés.

OTTAWA (Ontario)

Le 24 octobre 1997.

    

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-381-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Bristol-Myers Squibb Company
                     c. Commissaire aux brevets
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      29 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Pinard le 24 octobre 1997

ONT COMPARU :

     Me Anthony G. Creber                  pour la requérante
     Me Jennifer L. Wilkie
     Me F.B. Rick Woyiwada                  pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Gowling, Strathy & Henderson              pour la requérante
     avocats et procureurs
     Ottawa (Ontario)
     Me George Thomson                      pour l'intimée
     Sous-procureur général du Canada
__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée. L'article 8 de la Loi est ainsi libellé :
         8. Un document en dépôt au Bureau des brevets n'est pas invalide en raison d'erreurs d'écriture; elles peuvent être corrigées sous l'autorité du commissaire.

     2      35. Les erreurs d'écriture contenues dans tout document relatif à une demande, autre que le mémoire descriptif, un dessin ou un document attestant un transfert ou un changement de nom, peuvent être corrigées par le demandeur lorsqu'elles ont été substituées à ce que l'auteur voulait évidemment dire.

     3      142. Sous réserve de l'article 65, pour l'application du paragraphe 28.4(2) de la Loi, en ce qui concerne une demande :      [...]          b) elle [la revendication de priorité] est présentée dans les six mois suivant la date du dépôt de la demande;      [...]

     4      À l'époque de cet arrêt, le libellé de l'article 8 était essentiellement le même. Il portait : " Les erreurs d'écriture dans tout document en dépôt au Bureau des brevets ne seront pas considérés comme invalidant le document; mais, lorsqu'il s'en découvre, elles peuvent être corrigées au moyen d'un certificat sous l'autorité du commissaire. "

     5      141. Tout document ayant trait à une demande autre qu'un mémoire descriptif ou un dessin, peut être corrigé par le commissaire s'il est convaincu que le document renferme une erreur de copiste.

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