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Date : 20041025

Dossier : T-1307-03

Référence : 2004 CF 1497

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 octobre 2004

En présence de Madame la juge Heneghan                         

ENTRE :

                                                      JEANNE TO-THANH-HIEN

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Mme Jeanne To-Thanh-Hien (la demanderesse) demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) qui a rejeté sa plainte selon laquelle elle a fait l'objet de discrimination de la part de la Commission de la fonction publique du Canada (la CFP), contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et ses modifications (la Loi). Dans sa demande, le procureur général du Canada est désigné comme défendeur.


CONTEXTE

[2]                La demanderesse est une citoyenne française, née au Vietnam. Elle est arrivée au Canada en septembre 1987, à titre de résidente permanente, et elle a obtenu la citoyenneté canadienne en 1991. Avant son arrivée au Canada, la demanderesse avait présenté une demande de travail à la CFP. Cette démarche est confirmée par une lettre en date du 9 mars 1987, signée par un agent du programme de dotation de la CFP qui accusait réception de sa demande d'emploi. Cette lettre mentionnait qu'en matière d'emploi la préférence était accordée aux citoyens canadiens.

[3]                La demanderesse a reçu de la CFP une deuxième lettre le 3 avril 1987, dans laquelle on accusait réception de sa demande d'emploi dans un programme de services d'emploi pour les minorités visibles. Selon cette lettre, la CFP était disposée à prendre toutes les mesures possibles pour s'assurer que la demanderesse obtiendrait un emploi dans la fonction publique fédérale.


[4]                Après son arrivée au Canada, la demanderesse a envoyé des demandes d'emploi directement à différents organismes gouvernementaux. Elle a réussi à obtenir par intermittence quelques emplois temporaires, mais elle n'a pu se trouver un poste à temps plein. Le 13 septembre 1989, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant que la CFP faisait preuve à son égard, et de façon continue, de discrimination au titre de l'emploi depuis septembre 1987, pour des motifs d'origine nationale ou ethnique. Plus précisément, la demanderesse prétendait que la CFP avait omis de présenter sa candidature à des postes pour lesquels elle était qualifiée parce qu'elle n'était pas citoyenne canadienne.

[5]                Un enquêteur a été nommé pour examiner la plainte de la demanderesse et en avril 1990, il a déposé un rapport à la Commission dans lequel il recommandait que la plainte soit transférée au Tribunal canadien des droits de la personne au motif que la CFP appliquait une politique qui accordait, en matière d'emploi la préférence aux citoyens canadiens. L'enquêteur notait que cela était conforme à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, et ses modifications.

[6]                Comme il ressort du dossier du tribunal, le rapport d'enquête est en français. Les conclusions et recommandations prévoient ce qui suit :

Résultats de l'enquête

3.              La preuve démontre que les postulants ne détenant pas de citoyenneté canadienne ne sont présentés pour des postes dans la Fonction publique du Canada que lorsqu'il n'y a aucun candidat de citoyenneté canadienne. Cette pratique est conforme à la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique qui donne priorité lors de l'embauche aux citoyens canadiens.

4.              La preuve ne démontre pas que la plaignante s'est vue refuser un emploi parce qu'elle est d'origine française. Cependant la preuve démontre que celle-ci ne fut pas présentée pour des postes dans la Fonction publique à cause d'une politique qui défavorise les candidats qui ne sont pas d'origine nationale canadienne. Cette politique est conforme à une Loi du Parlement, et le mis en cause n'a pas fait preuve de l'existence d'un motif justifiable.

Recommandation

5.              Il est donc recommandé, en vertu de l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission demande au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte.


[7]                Entre-temps, la demanderesse a intenté une action devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada pour contester la constitutionnalisé de l'alinéa 16(4)c) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, précitée. Cet article stipule ce qui suit :


16.

...

(4) Dans le cadre d'un concours public et en vue de l'établissement, conformément à la présente loi, d'une liste d'admissibilité, la Commission apprécie s'il y a suffisamment de postulants qualifiés qui sont :

...

c) des citoyens canadiens autres que ceux visés par les alinéas a) ou b).

Elle peut, lorsqu'elle estime leur nombre suffisant, limiter la sélection prévue au paragraphe (1) soit aux postulants mentionnés à l'alinéa a), soit à ceux mentionnés aux alinéas a) et b), soit à ceux mentionnés aux alinéas a), b) et c).

16.

...

(4) Where, in the case of an open competition, the Commission is of the opinion that there are sufficient qualified applicants who are

...

(c) persons who are Canadian citizens who do not come within paragraph (a) or (b),

to enable the Commission to establish an eligibility list in accordance with this Act, the Commission may confine its selection of qualified candidates under subsection (1) to the applicants who come within paragraph (a), paragraphs (a) and (b) or paragraphs (a), (b) and (c).


[8]                   La Commission a répondu au rapport d'enquête et à ses recommandations le 11 novembre 1990, en décidant de suspendre l'étude de la plainte en attendant la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'action intentée par la demanderesse et deux autres personnes, soit Elizabeth Lavoie et Janine Bailey.

[9]                La Section de première instance de la Cour fédérale, dans un jugement répertorié sous Lavoie c. Canada, [1995] 2 C.F. 623 (C.F. 1re inst.), a rejeté les actions au motif que même si l'alinéa 16(4)c) contrevenait à l'article 15, le traitement préférentiel était justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch. 11 (la Charte).

[10]            Dans l'appel formé devant elle, la Cour d'appel fédérale a rejeté les appels dans une décision répertoriée sous Lavoie c. Canada, [2000] 1 C.F. 3 (C.A.). Le juge Marceau a statué que les dispositions législatives ne contrevenaient pas à l'article 15. Madame la juge Desjardins, qui a souscrit au résultat, a statué que la disposition contestée « est le fruit d'un exercice raisonnable, par le législateur, des compétences qu'il a en matière de citoyenneté » . Pour sa part, le juge Linden a statué que l'alinéa 16(4)c) contrevenait au paragraphe 15(1) et ne pouvait se justifier au regard de l'article premier de la Charte.

[11]            La Cour suprême du Canada a, majoritairement, rejeté l'appel final fondé sur une contestation de la Charte dans la décision répertoriée sous Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769. La juge en chef McLachlin et la juge L'Heureux-Dubé, dans une décision conjointe qui constituait également le jugement du juge Binnie, ont statué que la l'alinéa 16(4)c) contrevenait au paragraphe 15(1) et ne se justifiait pas au regard de l'article premier. Le juge Bastarache, dont l'opinion a été partagée par les juges Gonthier, Iacobucci et Major, a statué que la contravention au paragraphe 15(1) pouvait se justifier au regard de l'article premier. La juge Arbour a estimé qu'il n'y avait pas eu contravention au paragraphe 15(1). Dans un jugement distinct, le juge Lebel a statué qu'il n'y avait pas eu contravention au paragraphe 15(1).


[12]            La demanderesse a été informée par la Commission, dans une lettre datée du 26 août 2002, que cette dernière analysait la décision de la Cour suprême pour déterminer si d'autres mesures devaient être prises avant que sa plainte soit transmise à la Commission pour décision. La décision se trouve dans le document 13 des documents certifiés par le secrétaire de la CCDP.

[13]            Selon son affidavit déposé dans la présente instance, la demanderesse a retenu les services d'un avocat pour l'aider à défendre sa plainte devant la Commission. L'avocat a écrit une lettre en son nom à la Commission le 19 mars 2003, dans laquelle il demandait où en était la plainte et réclamait qu'un enquêteur communique avec la demanderesse pour qu'elle puisse lui fournir d'autres renseignements. Dans une lettre datée du 20 mars 2003, la Commission a informé l'avocat de la demanderesse que le rapport serait publié sous peu et que les parties auraient la possibilité d'y répondre.

[14]            Le rapport d'enquête supplémentaire a été transmis à la demanderesse sous pli accompagné d'une lettre datée du 19 mars 2003. La lettre a été rédigée en français et la demanderesse, dans son affidavit, indique que son avocat a demandé que les documents soient préparés en anglais. La lettre du 19 mars 2003 indique que la demanderesse peut faire part de ses observations sur le rapport d'enquête supplémentaire si elle le souhaite, que ses commentaires doivent se limiter à 10 pages, et être transmis au plus tard le 14 avril 2003.

[15]            Dans le rapport d'enquête supplémentaire, l'enquêteur traite de la décision de la Cour suprême du Canada prononcée en mars 2002 dans l'affaire Lavoie, précitée, et fait les observations suivantes :


[Traduction]

La Cour suprême a déterminé que l'alinéa 16(4)c) de la LEFP contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte. Toutefois, elle a également statué que la distinction établie entre les citoyens et les non-citoyens est justifiée au regard de l'article premier de la Charte et constitue une « limite raisonnable » des droits à l'égalité. L'alinéa ne contrevient ni à la dignité humaine ni à la liberté des appelantes. Cette distinction n'est pas établie sur la base de « différences personnelles et réelles entre des individus » .

[16]            L'enquêteur a recommandé que la Commission rejette la plainte au motif que [Traduction] « eu égard à l'ensemble des circonstances de la plainte, il n'est pas justifié de nommer un tribunal pour mener une enquête » .

[17]            La demanderesse déclare dans son affidavit qu'elle a reçu la lettre du 19 mars 2003 le 3 avril 2003. En raison d'engagements antérieurs qu'elle avait pris pour un voyage à l'étranger, elle a demandé, par l'entremise de son avocat, une prorogation du délai à l'intérieur duquel elle pouvait déposer ses observations. La lettre demandant la prorogation de délai a été transmise à la Commission le 7 avril 2003. Dans une lettre en date du 8 avril 2003, signée par M. George Kolk, directeur de la Direction des enquêtes de la Commission, la demande de prorogation a été refusée. La lettre stipulait en partie ce qui suit :

[Traduction]

Vous déclarez que votre cliente n'a pas reçu le rapport d'enquête avant le 3 avril 2003. Postes Canada, par l'entremise de son service « Retracer un colis » , nous apprend que Mme To Thanh Hien n'a ramassé son rapport d'enquête que dix jours après que Postes Canada eut laissé une fiche l'informant qu'elle devait venir prendre l'enveloppe au bureau de poste local. Ci-joint une copie du rapport « Retracer un colis » de Postes Canada.

En outre, je note que votre cabinet et vous-même avez représenté les appelantes devant la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Par conséquent, votre cabinet et vous-même connaissez parfaitement les questions soulevées dans la plainte. Je ne vois pas quelles difficultés vous pourriez éprouver avant de produire les observations pour le compte de Mme To Thanh Hien.


Pour les raisons précitées, nous ne prorogerons pas le délai qui se termine le 14 avril. J'aimerais également vous rappeler que vos observations doivent se limiter à dix pages. Les observations au-delà de cette limite ne seront pas présentées à la Commission.

[18]            Dans une lettre en date du 14 avril 2003, l'avocat a déposé les observations au nom de la demanderesse devant la Commission. Dans une autre lettre datée du 29 avril 2003, l'avocat de la demanderesse a écrit à la Commission, s'opposant à la limite de dix pages pour les observations. La demanderesse a préparé d'autres renseignements, composés de copies des demandes d'emploi, de lettres de référence et d'évaluations du rendement. Ces documents, joints à d'autres observations, ont été présentés à la Commission accompagnés d'une lettre en date du 21 mai 2003.

[19]            Ce document incluait un « exposé des faits » préparé par la demanderesse dans lequel elle énumère chronologiquement une série d'événements et résume son opinion quant à l'iniquité de la préférence fondée sur la citoyenneté qui joue en sa défaveur. Ce document conclut sur la déclaration suivante concernant les réparations recherchées par la demanderesse :

[Traduction]

[46]          RÉPARATIONS RECHERCHÉES

Considérant tous les faits et la preuve présentés, la plaignante demande :

1)              que la préférence fondée sur la citoyenneté à l'alinéa 16(4)c) soit déclarée discriminatoire comme étant une exigence professionnelle non justifiée ;

2)              que la CFP soit tenue de trouver une façon moins intrusive de parvenir à ses objectifs ;

3)              qu'elle soit dédommagée pour toutes les pertes et le préjudice qu'elle a subis du fait de l'application de la préférence fondée sur la citoyenneté, pertes qui doivent être déterminées par un évaluateur.

[20]            Entre-temps, la CFP, dans une lettre en date du 15 mai 2003, a déposé ses observations suite aux observations originales déposées par la demanderesse et a en outre indiqué qu'elle était d'accord avec la recommandation qui avait été faite dans le rapport d'enquête supplémentaire selon laquelle toute autre intervention par le Tribunal canadien des droits de la personne n'était pas justifiée.

[21]            La Commission a répondu à l'avocat de la demanderesse dans une lettre datée du 28 mai 2003, signée par M. Kolk. Celui-ci accusait réception de la [Traduction] « soumission tardive d'observations en date du 21 mai 2003 » et informait que la lettre, mais non pas les pièces jointes, avait été remise à la CFP pour examen et observations. M. Kolk a fait référence à la limite de dix pages imposée aux observations et a indiqué que les pièces jointes ne seraient pas présentées à la Commission.

[22]            L'avocat de la demanderesse a écrit à M. Kolk le 28 mai 2003, s'opposant de nouveau à la manière dont la Commission procédait. L'avocat demandait aussi que les documents additionnels soient déposés devant la Commission. Finalement, l'avocat réclamait la communication réciproque de toutes nouvelles observations faites par la CFP [traduction] « de façon que l'équité procédurale soit respectée en permettant que nous soyons autorisés à traiter de ces nouvelles questions » .

[23]            Dans une lettre datée du 6 juin 2003, la CFP a écrit à la Commission en réponse aux nouvelles observations de la demanderesse. Cette lettre indique en partie ce qui suit :

[Traduction]


Merci de nous avoir donné l'occasion de répondre aux observations additionnelles de l'avocat de la plaignante datées du 21 mai 2003. Veuillez prendre note que nous n'avons pas obtenu de copie de la lettre datée du 29 avril 2003 dont il est question dans ces observations.

Bien que nous n'ayons pas reçu le document de Mme To-Thanh-Hien et de la liste des événements, nous sommes d'avis que les motifs mentionnés dans les observations additionnelles pour appuyer la demande de ne pas rejeter sa plainte ne font que répéter les premières observations soumises le 14 avril 2003, auxquelles nous avons déjà répondu le 15 mai 2003.

[24]            Dans une lettre datée du 2 juillet 2003, la Commission a informé la demanderesse que sa plainte avait été rejetée. La lettre indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

La présente a pour objet de vous informer de la décision prise par la Commission canadienne des droits de la personne au sujet de votre plainte (H31589) déposée contre la Commission de la fonction publique du Canada.

Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous avait été transmis antérieurement et toutes les observations déposées en réponse à ce rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte parce que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'était pas justifié.

Par conséquent, le dossier concernant cette affaire est maintenant clos.

La Commission comprend bien que ce n'est pas le résultat que vous espériez. Toutefois, je peux vous assurer que les commissaires ont examiné votre plainte très soigneusement avant de prendre leur décision.

Pour votre information, les parties à une plainte peuvent demander à la Section de première instance de la Cour fédérale de revoir une décision de la Commission aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. La demande à la Cour doit normalement être déposée dans les 30 jours qui suivent la réception de la décision de la Commission.


[25]            Le 25 juillet 2003, la demanderesse a déposé son avis de demande dans lequel elle réclamait le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications. Dans son avis de demande, elle réclamait la communication de [Traduction] « l'ensemble du dossier concernant toutes les procédures intentées devant la Commission » au sujet de sa plainte. Le 31 juillet 2003, la Commission a délivré le certificat suivant accompagné des documents qui y sont identifiés :

[Traduction]

Je, soussignée, Lucie Veillette, secrétaire à la Commission canadienne des droits de la personne (ci-après la CCDP), certifie par les présentes que les documents énumérés ci-dessous constituent tous les documents dont était saisie la CCDP quand elle a pris sa décision le 25 juin 2003, concernant la plainte de Jeanne To-Thanh-Hien déposée à l'encontre de la Commission de la fonction publique du Canada (H31589). Je certifie de plus que les copies ci-jointes sont des copies conformes de ces documents. Les documents ont été remis aux commissaires sous forme de CD Rom, sauf si le contraire est indiqué ci-dessous, et les copies ont été faites par l'impression des données contenues sur le CD Rom qui ont ensuite été agrandies afin d'en permettre la lecture.

1.              Formulaire de plainte daté du 23 septembre 1989 (page 1) ;

2.              Rapport d'enquête - Renseignements supplémentaires (original en français) en date du 21 mars 2003 (pages 2 à 4) ;

3.              Rapport d'enquête - Renseignements supplémentaires (traduit en anglais) en date du 21 mars 2003 (pages 5 à 7) ;

4.              Lettre de Scott Serson à George Kolk en date du 3 avril 2003 (page 8) ;

5.              Lettre de David Yazbeck à George Kolk en date du 14 avril 2003 (page 9) ;

6.              Réponse au rapport d'enquête supplémentaire de David Yazbeck (pages 10 à 19) ;

7.              Lettre de Gaston Arseneault à George Kolk en date du 15 mai 2003 (pages 20 à 25) ;

8.              Lettre de David Yazbeck à Sylvie McNicoll en date du 21 mai 2003 (pages 26 à 29) ;

9.              Lettre de Marie-Claude Turgeon à George Kolk en date du 6 juin 2003 (pages 30 et 31) ;

10.            Rapport d'enquête en date du 30 avril 2990 (sic) (pages 32 et 33) ;

11.            Lettre de Gaston Arseneault à Michel Paré en date du 17 juillet 1990 (pages 34 à 36) ;

12.            Chronologie (page 37) ; et

13.            Document remis aux commissaires pour la réunion de la Commission le 25 juin 2003 (pages 6 à 42).

PRÉTENTIONS DES PARTIES


[26]            La demanderesse prétend que la décision de la Commission de rejeter sa plainte soulève des questions de droit concernant ses droits, la Loi et la Charte, Par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision juste. Elle soutient également que sa demande de contrôle judiciaire soulève une question secondaire concernant l'équité procédurale, la rigueur et le fait de savoir si toutes les considérations pertinentes ont été prises en compte, et que ces questions secondaires peuvent également être examinées au regard de la norme de la décision juste.

[27]            La demanderesse prétend également que la Commission a commis une erreur de droit en s'appuyant sur la décision de la Cour suprême dans l'affaire Lavoie, précitée, pour conclure que cette décision réglait définitivement sa plainte. Elle soutient que les questions soulevées dans cette affaire étaient tout à fait différentes de celles qui sont soulevées dans sa plainte et que la Cour suprême a traité du motif analogue de la citoyenneté, alors que sa plainte déposée devant la Commission était fondée sur l'origine nationale ou ethnique. En outre, elle prétend que sa plainte traite de discrimination systémique et que cette question n'a pas été examinée par la Cour suprême.

[28]            La demanderesse mentionne un autre argument qui remet en question l'équité procédurale dans la conduite de l'enquête, l'imposition d'une limite de dix pages à ses observations, le refus d'accorder une prorogation du délai à l'intérieur duquel elle pouvait déposer ses observations et le refus de communiquer toutes les observations faites par la CFP dans ses réponses au rapport. Elle soutient que l'enquête n'a été ni juste ni rigoureuse.


[29]            Le défendeur prétend que la décision de la Commission de rejeter la plainte de la demanderesse peut faire l'objet d'un contrôle en appliquant la norme de la décision raisonnable. En outre, il soutient que la Commission ne s'est prononcée sur aucun point de droit et, par conséquent, qu'elle ne peut avoir commis d'erreur de droit. De plus, il prétend que la décision est raisonnable et qu'il n'y a pas eu manquement à l'équité procédurale, notamment à la justice naturelle.

ANALYSE

[30]            La demanderesse conteste la décision de la Commission de rejeter sa plainte de discrimination en matière d'emploi, plus précisément en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale. Elle allègue qu'il y a eu discrimination contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi, qui stipulent ce qui suit :


7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.


[31]            Les motifs de distinction illicite sont énoncés au paragraphe 3(1) de la façon suivante :



3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.


[32]            L'article 43 autorise la Commission à faire enquête sur une plainte dans les termes suivants :


43. (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l'enquêteur » , d'enquêter sur une plainte.

(2) L'enquêteur doit respecter la procédure d'enquête prévue aux règlements pris en vertu du paragraphe (4).

(2.1) Sous réserve des restrictions que le gouverneur en conseil peut imposer dans l'intérêt de la défense nationale ou de la sécurité, l'enquêteur muni du mandat visé au paragraphe (2.2) peut, à toute heure convenable, pénétrer dans tous locaux et y perquisitionner, pour y procéder aux investigations justifiées par l'enquête.

(2.2) Sur demande ex parte, un juge de la Cour fédérale peut, s'il est convaincu, sur la foi d'une dénonciation sous serment, qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la présence dans des locaux d'éléments de preuve utiles à l'enquête, signer un mandat autorisant, sous réserve des conditions éventuellement fixées, l'enquêteur qui y est nommé à perquisitionner dans ces locaux.

(2.3) L'enquêteur ne peut recourir à la force dans l'exécution du mandat que si celui-ci en autorise expressément l'usage et que si lui-même est accompagné d'un agent de la paix.

(2.4) L'enquêteur peut obliger toute personne se trouvant sur les lieux visés au présent article à communiquer, pour examen, ou reproduction totale ou partielle, les livres et documents qui contiennent des renseignements utiles à l'enquête.

(3) Il est interdit d'entraver l'action de l'enquêteur.

(4) Le gouverneur en conseil peut fixer, par règlement :

a) la procédure à suivre par les enquêteurs;

b) les modalités d'enquête sur les plaintes dont ils sont saisis au titre de la présente partie;

c) les restrictions nécessaires à l'application du paragraphe (2.1).

43(1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an "investigator", to investigate a complaint.

(2) An investigator shall investigate a complaint in a manner authorized by regulations made pursuant to subsection (4).

(2.1) Subject to such limitations as the Governor in Council may prescribe in the interests of national defence or security, an investigator with a warrant issued under subsection (2.2) may, at any reasonable time, enter and search any premises in order to carry out such inquiries as are reasonably necessary for the investigation of a complaint.

(2.2) Where on ex parte application a judge of the Federal Court is satisfied by information on oath that there are reasonable grounds to believe that there is in any premises any evidence relevant to the investigation of a complaint, the judge may issue a warrant under the judge's hand authorizing the investigator named therein to enter and search those premises for any such evidence subject to such conditions as may be specified in the warrant.

(2.3) In executing a warrant issued under subsection (2.2), the investigator named therein shall not use force unless the investigator is accompanied by a peace officer and the use of force has been specifically authorized in the warrant.

(2.4) An investigator may require any individual found in any premises entered pursuant to this section to produce for inspection or for the purpose of obtaining copies thereof or extracts therefrom any books or other documents containing any matter relevant to the investigation being conducted by the investigator.

(3) No person shall obstruct an investigator in the investigation of a complaint.

(4) The Governor in Council may make regulations

(a) prescribing procedures to be followed by investigators;

(b) authorizing the manner in which complaints are to be investigated pursuant to this Part; and

(c) prescribing limitations for the purpose of subsection (2.1).


[33]            Une fois l'enquête terminée, un rapport doit être remis à la Commission. Cette dernière peut ensuite régir de plusieurs façons, qui sont énoncées à l'article 44, de la manière suivante :


44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

(2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(4) Après réception du rapport, la Commission :

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).


[34]            En l'espèce, la Commission a décidé de rejeter la plainte. La lettre du Tribunal indique que [Traduction] « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'était pas justifié » . Cette formulation reprend le libellé du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[35]            La demanderesse prétend que la décision de la Commission de rejeter sa plainte peut faire l'objet d'un contrôle en appliquant la norme de la décision juste. Elle soutient que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que la décision du plus haut tribunal d'appel dans l'affaire Lavoie, précitée, c'est-à-dire le jugement de la Cour suprême du Canada, traitait des questions soulevées dans sa plainte. Je ne suis d'accord avec aucune de ces propositions.

[36]            Il est bien établi qu'une décision de la Commission de rejeter une plainte présentée aux termes de la Loi est une décision administrative. Elle peut faire l'objet d'une intervention judiciaire sur certains motifs, c'est-à-dire lorsqu'il est démontré que la Commission a commis une erreur de compétence ou de nature procédurale ou lorsque la décision est autrement fondée sur une erreur de droit. À cet égard, je cite l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, dans lequel le juge Sopinka disait ceci à la page 899 :


À mon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a). Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l'arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l'équité procédurale.

[37]            Par la suite, dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et al., [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, dit ceci à la page 136 :

Il est établi en droit que, lorsqu'elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d'enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission exerce des « fonctions d'administration et d'examen préalable » (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) , [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)). Il suffit que la Commission soit « convaincue [que] compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié » (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s'agit d'un seuil peu élevé et les faits de l'espèce font en sorte que la Commission pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu'il y avait « une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante » (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne ), précité, paragraphe 30, à la page 899, juge Sopinka, approuvé par le juge La Forest dans Cooper, précité, à la page 891).

[38]            Dans le même arrêt, la Cour a de plus traité du degré élevé de retenue judiciaire dont elle fait preuve à l'égard de la Commission quand celle-ci traite d'un rapport d'enquête. À la page 137, la Cour s'exprime en ces mots :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis » , « devrait » , « normalement ouverts » , « pourrait avantageusement être instruite » , « des circonstances » , « estime indiqué dans les circonstances » , qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a )) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.


[39]            La jurisprudence précitée indique clairement que la décision faisant l'objet du contrôle est une décision hautement discrétionnaire, qui peut faire l'objet d'un contrôle en appliquant la norme de la décision raisonnable. Contrairement aux observations de la demanderesse, la Commission n'a pas traité d'une question de droit ni interprété une loi. Le rapport d'enquête supplémentaire fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lavoie, précitée, à titre d'information additionnelle, c'est-à-dire d'information supplémentaire obtenue depuis que la Commission a suspendu l'étude de la plainte de la demanderesse en 1990. À mon avis, il s'agissait de renseignements pertinents que la Commission devait examiner pour décider de l'opportunité de transmettre la plainte de la demanderesse à un tribunal ou de la rejeter.

[40]            L'instance qui a été intentée par la demanderesse contestait la constitutionnalité de la préférence en matière d'emploi accordée aux citoyens canadiens dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, précitée. L'objet de sa plainte en vertu de la Loi était une pratique discriminatoire en matière d'emploi aux termes des articles 7 et 10 de la Loi en s'appuyant sur les motifs de distinction illicite fondés sur l'origine nationale ou ethnique, énoncés à l'article 3.


[41]            La pratique discriminatoire que la demanderesse a identifiée dans sa plainte à la Commission était directement reliée à la préférence fondée sur la citoyenneté énoncée dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, précitée, bien qu'elle ait mentionné que les motifs de distinction illicite étaient ceux de l'origine nationale ou ethnique. Les tribunaux, y compris la Cour suprême, ont traité de la question soulevée par la demanderesse, c'est-à-dire la citoyenneté, et ils ont finalement conclu que la préférence accordée aux citoyens du Canada avait résisté à un examen minutieux fondé sur la Charte et n'était pas discriminatoire, au sens constitutionnel. Je ne vois aucun fondement légitime qui puisse justifier l'argument de la demanderesse selon lequel la décision de la Cour suprême n'a pas traité de sa préoccupation dans le contexte des droits de la personne et de la Loi. Les circonstances de l'espèce peuvent être distingués de celles qui existaient dans l'arrêt Commission canadienne des droits de la personne c. Ministre du Revenu national et al. (2003), 242 F.T.R. 175, décision sur laquelle la demanderesse s'est appuyée.

[42]            Cette dernière affaire portait sur le contrôle judiciaire d'une décision d'un tribunal nommé en vertu de la Loi. Le tribunal a appliqué le critère de discrimination énoncé dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. À la page 178, la Cour dit que ce critère ne s'applique pas aux lois sur les droits de la personne et s'exprime en ces termes :

La définition du terme « discrimination » au sens du paragraphe 15(1) de la Charte, dont il est d'ailleurs question dans l'arrêt Law, ne s'applique pas à la législation sur les droits de la personne. Dans l'arrêt Law, la Cour suprême du Canada était nettement préoccupée par le sens à donner à la norme constitutionnelle d'égalité énoncée dans la Charte. Elle n'a pas laissé entendre que sa démarche devrait être appliquée plus largement aux codes ou aux lois sur les droits de la personne contenus dans la législation provinciale ou fédérale. (Souligné dans l'original.)

La Cour a ensuite examiné la décision du tribunal, en appliquant la norme de la décision raisonnable, et a conclu que sa décision, qui a été de rejeter la plainte, respectait cette norme.


[43]            Contrairement aux arguments de la demanderesse, il semble que la Commission n'ait pas décidé d'appliquer le critère de l'arrêt Law, précité, mais qu'elle soit parvenue à une décision en s'appuyant sur les documents dont elle était saisie, y compris la décision dans l'affaire Lavoie, précitée, décision qui concluait que l'examen de la plainte de la demanderesse n'était pas justifié. Cette décision ne constituait qu'une partie des documents dont la Commission était saisie, selon le certificat qui a été délivré par la Commission, en conformité avec la règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[44]            En l'espèce, il n'y a pas eu d'examen de la plainte. Aucune preuve n'indique que la Commission a appliqué, à bon droit ou non, le critère de la discrimination constitutionnelle. Il est raisonnable, toutefois, de déduire qu'elle a examiné les documents dont elle était saisie, notamment la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lavoie, précitée..

[45]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Brown (2001), 286 N.R. 395 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué que lorsqu'un tribunal s'est prononcé sur une contestation constitutionnelle relative à une disposition législative, la même contestation ne peut être soulevée au regard de la Loi, Aux paragraphes 5 et 6, elle dit ceci :

[5] Nous sommes tous d'avis que la demande doit être accueillie et que la décision du juge-arbitre doit être annulée. Le juge-arbitre n'a pas fondé sa décision sur l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, vraisemblablement parce que Mme Brown n'avait pas donné l'avis de question constitutionnelle requis par le paragraphe 57(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7. Toutefois, la Cour a déjà rejeté une contestation, fondée sur l'article 15 de la Charte, de la validité de la limite légale au nombre de semaines de prestations et, en particulier, de l'inclusion des « prestations spéciales » , comme les prestations de maternité, dans le calcul du nombre de semaines de prestations auquel un demandeur a droit : Sollbach c. Canada (Procureur général) (1999), 252 N.R. 137 (C.A.F.).


[6] Comme la Cour a conclu que la limite légale au nombre de semaines de prestations régulières payables à une demanderesse ayant reçu des prestations de maternité au cours de la même période de prestations n'était pas discriminatoire aux fins de l'article 15 de la Charte, il serait injustifiable de conclure que la même disposition est discriminatoire aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, l'avocat n'a pas été en mesure de nous citer une décision appuyant la proposition voulant qu'en appel d'une décision du Conseil arbitral, il est loisible au juge-arbitre d'adopter une interprétation excluant de la Loi sur l'assurance-emploi une disposition claire et autrement valide au motif que celle-ci est contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[46]            À mon avis, le même raisonnement s'applique en l'espèce. L'essentiel de la plainte de la demanderesse repose sur un cas de discrimination dans le cadre de l'application, à son cas, d'une politique d'emploi qui était fondée sur un traitement différentiel lié à l'origine nationale ou ethnique, c'est-à-dire la préférence fondée sur la citoyenneté prévue à l'alinéa 16(4)c) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, précitée. Elle n'a pas soulevé cette contestation dans l'abstrait. Selon la décision du juge de première instance, il y avait des preuves concernant sa situation personnelle. À cet égard, je fais référence aux pages 630 et 631 de ce jugement, répertorié sous [1995] 2 C.F. 623 (C.F. 1re inst.), où il est dit ceci :

Mme To Thanh Hien est une rédactrice de langue française. Avant son arrivée au Canada en 1987, elle a fait une demande à la CFP pour un emploi dans la fonction publique du Canada, et son nom a été inscrit dans le répertoire national de la CFP. Elle a également été renvoyée au Programme de services d'emploi pour les minorités visibles, Région de la Capitale nationale, de la CFP.

À son arrivée au Canada, Mme To Thanh Hien, n'ayant pas reçu de nouvelles de la CFP, a postulé un emploi en s'adressant directement à divers ministères du gouvernement fédéral et à la Chambre des communes. De septembre 1987 à mars 1989, une agence de placement l'a présentée pour un certain nombre de postes temporaires au gouvernement fédéral. En postulant directement, Mme To Thanh Hien a réussi à obtenir un emploi à temps partiel à la Chambre des communes comme rédactrice de langue française.


En novembre 1987, Mme To Thanh Hien a pris connaissance de la préférence fondée sur la citoyenneté. Elle en a été informée par écrit en décembre 1987. Du 15 décembre 1987 au 10 juin 1988, elle a travaillé comme secrétaire et commis de bureau à Agriculture Canada. En avril 1988, elle a appris qu'Agriculture Canada cherchait à combler un poste IS-03 pour une période déterminée, comme rédactrice de langue française. Le chef des services de rédaction estimait que Mme To Thanh Hien pouvait occuper le poste; cependant, il lui a été conseillé de ne pas faire de « demande de présentation de candidat nommément désigné » pour la demanderesse, vu qu'elle n'avait pas la citoyenneté canadienne. Il n'y a aucune preuve selon laquelle Agriculture Canada aurait fait une « demande de présentation de candidat nommément désigné » à la CFP. En mai 1988, Agriculture Canada a commencé à doter ce poste pour une période déterminée par voie de concours public. La CFP a présenté onze candidats, mais la demanderesse ne faisait pas partie de ce groupe. Mme To Thanh Hien croyait qu'elle n'avait pas été présentée parce qu'elle n'était pas citoyenne canadienne à l'époque.

Le 7 mars 1989, à la suite d'un concours public, la demanderesse a été nommée, pour une période déterminée, à un poste de secrétaire (ST-SCY-02) au ministère du Secrétariat d'État. Avant l'expiration de cette période, qui allait du 12 avril au 28 juillet 1989, elle a été réaffectée au Bureau de la traduction du ministère du Secrétariat d'État. Elle a été rééaffectéée de nouveau, à une autre direction du ministère du Secrétariat d'État, du 23 mai au 3 novembre 1989. Cependant, à compter du 15 mai 1989, Mme To Thanh Hien a été nommée à un deuxième poste ST-SCY-02, pour une période déterminée, au même ministère. Elle devait occuper ce poste du 15 mai 1989 au 30 mars 1990. Bien qu'elle ait accepté par écrit l'offre de nomination le 20 juin 1989, elle a affirmé, dans son témoignage, ne pas avoir compris qu'elle avait été nommée à un autre poste, pour une période de dix mois, et non pas simplement réaffectée.

[47]            Les jugements de la Section de première instance de la Cour fédérale, de la Cour d'appel fédérale et de la Cour suprême du Canada font part d'opinions diverses mais, au bout du compte, la majorité des juges qui ont examiné les questions soulevées par la demanderesse ont conclu qu'il n'y avait pas de discrimination. Dans ce contexte, la décision de la Commission de ne pas examiner la plainte était raisonnable.

[48]            Toutefois, la demanderesse a également soulevé la question de l'équité procédurale. L'enquête a-t-elle été menée d'une façon équitable, neutre et rigoureuse, comme il en a été question dans la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (C.F. 1re inst.), confirmée à (1996), 205 N.R. 380 (C.A.F.). Dans cette décision, le juge de première instance dit ceci à la page 600 :

Pour déterminer le degré de rigueur de l'enquête qui doit correspondre aux règles d'équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu: les intérêts respectifs du plaignant et de l'intimé à l'égard de l'équité procédurale, et l'intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif


[...]

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

[49]            La demanderesse fait valoir que l'enquête a été insuffisante et qu'elle a été privée de la possibilité de soumettre d'autres documents à l'enquêteur en rapport avec le rapport d'enquête supplémentaire. La demanderesse a inclus ses observations supplémentaires et ses documents dans l'affidavit qu'elle a déposée dans la présente instance. Bien que cette prétention soit douteuse, au vu de la nature de la procédure du contrôle judiciaire dans le cadre de laquelle le contrôle se fait uniquement sur la base des documents dont le décideur est saisi, je suis convaincue que les documents « supplémentaires » ne changent pas le résultat.

[50]            Il est clair que la demanderesse a eu la possibilité de répondre au Rapport d'enquête supplémentaire. Le fait qu'elle n'ait pas été autorisée à allonger sa réponse ne change pas ce fait. Un tribunal a le droit d'établir des limites à ce qu'il est prêt à accepter, puisqu'il est maître de sa propre procédure. À cet égard, je fais référence à la décision Beno c. Canada (Procureur général), [2002] 3 C.F. 499 (C.F. 1re inst.). Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la manière dont l'enquête et l'enquête supplémentaire ont été menées.

[51]            De même, je ne vois aucune erreur découlant du fait que la lettre du 6 juin 2003, de la CFP à la Commission, n'a pas été communiquée à la demanderesse. Cette lettre ne traite d'aucune question de fond, en réponse aux observations supplémentaires de la demanderesse en date du 21 mai 2003. La CFP répète tout simplement la position qu'elle avait adoptée antérieurement, c'est-à-dire que la plainte devrait être rejetée. Selon le certificat exigé par la règle 317, la Commission était saisie des observations de la demanderesse en date du 21 mai 2003, de même que de la lettre du 6 juin 2003. La non-communication de la lettre du 6 juin 2003 à la demanderesse n'a pas entraîné de manquement à l'équité procédurale. Cette lettre ne soulevait aucun nouvel argument qui exigeait une réponse de la demanderesse.

[52]            Par conséquent, la demanderesse n'a pas réussi à démontrer que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle ou avait manqué à l'équité procédurale dans la manière dont elle a traité de sa plainte. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

(Signature) « E. Heneghan »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

                                                     


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1307-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         JEANNE TO-THANH-HIEN

c.                                   

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 20 avril 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    la juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                   le 25 octobre 2004

COMPARUTIONS :

James Cameron                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Brian Evernden                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                 POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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