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Date : 20020430

Dossier : IMM-2873-01

Référence neutre : 2002 CFPI 496

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                IYARE ABEL EFESE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, le 16 mai 2001, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur.

[2]                 Le demandeur voudrait que la Cour annule la décision de la Commission et ordonne au tribunal qui a rendu cette décision, ou à un autre tribunal de la Commission, de lui reconnaître le statut de réfugié.

[3]                 Subsidiairement, le demandeur voudrait que la Cour annule la décision de la Commission et renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'il soit statué de nouveau sur celle-ci.

Contexte

[4]                 Le demandeur, Iyare Abel Efese, est un citoyen du Nigéria. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté parce que des membres de la secte Ogboni l'ont attaqué physiquement, ont menacé de le tuer et le persécuteraient s'il retournait au Nigéria.


[5]                 La revendication du demandeur peut être décrite plus en détail de la manière suivante. La secte Ogboni est une société secrète très puissante au Nigéria. Elle a une structure hiérarchique et compte parmi ses membres des personnes très influentes, notamment des policiers, des juges, des soldats, des gouverneurs généraux et même des rois. Le père du demandeur, un fermier pauvre, a gravi les échelons au sein de l'organisation jusqu'à en devenir le leader adjoint pour tout le Nigéria. À sa mort en 1998, le demandeur a été invité par un membre de la secte à se joindre à celle-ci afin de pouvoir assister à l'inhumation de son père suivant les rites des Ogbonis. Si le demandeur avait choisi de se joindre à la secte et de lui laisser le soin d'enterrer son père, la secte aurait enlevé la langue, les yeux et les parties génitales de ce dernier, et le demandeur aurait dû manger certaines de ces parties. Le demandeur a refusé de devenir membre de la secte et a enterré son père avant que les Ogbonis puissent s'organiser pour le faire eux-mêmes. Les Ogbonis l'ont découvert et sont devenus furieux contre le demandeur. Des membres de la secte l'ont attaqué à quatre occasions et ont fait en sorte qu'il soit congédié. Bien que la police ait d'abord été attentive à ses plaintes, un policier lui a dit par la suite qu'il était lui-même un membre des Ogbonis et qu'il ne pouvait pas l'aider. Le demandeur s'est enfui au Canada. Il craint que les membres de la secte ne le tuent s'il retourne au Nigéria.

[6]                 La Commission a jugé que le demandeur n'était pas crédible. Elle a rejeté ses allégations concernant les Ogbonis, notamment parce que la preuve documentaire indiquait que les Ogbonis ne sont pas associés à des crimes de violence. En particulier, la Commission n'a pas considéré que les allégations du demandeur selon lesquelles des membres de la secte Ogboni l'ont attaqué physiquement, ont menacé de le tuer et le persécuteraient s'il retournait au Nigéria étaient crédibles.

[7]                 Le présent contrôle judiciaire concerne la décision de la Commission.


Prétentions du demandeur

[8]                 Le demandeur soutient qu'il a été victime de différentes formes de persécution, ce qui montre que sa crainte est authentique et lui donne un fondement objectif.

[9]                 Il soutient que l'affidavit d'Austin Biosah qui a été présenté à la Commission au soutien de sa revendication était un élément de preuve fondamental. Cet affidavit indique que la secte Ogboni a la réputation de pratiquer des rites avec du sang, et de proférer parfois des menaces de violence à l'endroit de personnes ciblées par des campagnes de recrutement qui ne veulent pas coopérer ou de personnes qui se sont attiré le mécontentement de ses membres.

[10]            Il soutient aussi que la Commission a agi de manière déraisonnable en se fondant sur sa propre preuve documentaire plutôt que sur celle qu'il avait présentée. Selon lui, la preuve documentaire de la Commission concernait davantage Port-Harcourt que Benin City, là où a pris naissance sa revendication. Il soutient également que la Commission a agi de manière déraisonnable en rejetant l'affidavit de M. Biosah.

[11]            Le demandeur prétend que la Commission semble avoir appliqué à son égard une norme de doute raisonnable, alors qu'il avait seulement à démontrer la véracité de son témoignage concernant la secte Ogboni suivant la prépondérance des probabilités.

[12]            Il soutient que la Commission a déjà reconnu, suivant la prépondérance des probabilités, qu'un revendicateur du statut de réfugié au sens de la Convention était persécuté par des représentants de l'État agissant pour le compte de la secte Ogboni. Il fait valoir que, dans une décision récente de la Cour fédérale, Brown Nosakhare c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2001 CFPI 772, Mme le juge Tremblay-Lamer a reconnu que la secte Ogboni peut être un agent de persécution.

[13]            Le demandeur soutient finalement que les contradictions concernant la date de son congédiement ne sont pas déterminantes en l'espèce et ne constituent pas en soi un motif raisonnable de rejeter sa revendication.

Prétentions du défendeur

[14]            Le défendeur rappelle que la Commission a jugé que le demandeur n'était pas crédible, soulignant que :

1.          les principales allégations du demandeur ne concordaient pas avec la preuve documentaire;

2.          le témoignage du demandeur n'était pas compatible avec sa propre preuve documentaire sur un point important, et le demandeur n'a pas pu fournir une explication raisonnable;


3.          l'exposé circonstancié écrit du demandeur comportait une omission importante que le demandeur n'a pas pu expliquer de manière satisfaisante.

[15]            Le défendeur soutient que la Commission a analysé avec soin la preuve documentaire et qu'elle a expliqué de manière convaincante pourquoi elle avait accordé plus de poids aux documents produits en preuve qu'elle considérait dignes de foi et fiables, et moins de poids à l'affidavit de M. Biosah. Selon lui, la Commission a le droit de se fonder sur des éléments de preuve documentaire plutôt que sur le témoignage du revendicateur.

[16]            Le défendeur soutient que chaque revendication du statut de réfugié est examinée en fonction des faits, de sorte que les décisions que la Commission a rendues dans le passé ne démontrent pas que celle-ci a commis une erreur dans son évaluation de la preuve en l'espèce.

[17]            Le défendeur soutient également que le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité.

[18]            Il soutient finalement que la décision de la Commission concernant la crédibilité ne peut être infirmée par la Cour que si l'on peut considérer que la Commission a tiré ses conclusions de fait de manière abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. Selon lui, la décision de la Commission est raisonnable, de sorte que le présent contrôle judiciaire devrait être rejeté.


[19]            Questions en litige

1.          La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

2.          Le demandeur peut-il obtenir les mesures de redressement demandées?

Dispositions législatives pertinentes

[20]        La Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, telle que modifiée, contient la définition suivante de « réfugié au sens de la Convention » :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

  

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


Analyse et décision

[21]            Question no 1

La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

La Commission a jugé que le demandeur n'était pas crédible. Les questions de crédibilité relèvent de la compétence de la Commission, celle-ci agissant comme un juge des faits au regard des revendications du statut de réfugié. Monsieur le juge Blanchard parle du degré de retenue dont il faut faire preuve à l'égard des conclusions de la Commission concernant la crédibilité dans la décision Tariq c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 738 (QL); 2001 CFPI 465, aux paragraphes 5 et 6 :

En ce qui concerne la question de la crédibilité, la présente Cour a statué qu'il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions tirées par la Section du statut au sujet de la crédibilité. C'est la Section du statut qui a l'avantage d'observer les témoins directement et qui est la mieux placée pour déterminer la crédibilité. Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans l'arrêt Aguebor c. Canada (MCI) [(1993), 160 N.R. 315] :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

À mon avis, la conclusion que la Section du statut a tirée au sujet de la crédibilité ne peut pas être considérée comme manifestement déraisonnable. La Section du statut a signalé les réponses peu précises que le demandeur avait données, les incohérences figurant dans le témoignage écrit et dans le témoignage oral et les lettres de soutien fournies par le PPP, dans lesquelles il n'est pas mentionné que le demandeur a été détenu à plusieurs reprises à cause de son appartenance au PPP. L'inférence que la Section du statut a faite à partir de cet élément de preuve, à savoir que le demandeur n'était pas entièrement crédible, n'est pas déraisonnable au point d'attirer l'intervention de la présente Cour.

[22]            La Commission a écrit :


Le tribunal n'estime pas crédible que les Ogbonis essaient de tuer le revendicateur, parce que les allégations de ce dernier ne concordent pas avec la preuve documentaire.

[...]

Le tribunal estime également que la contradiction suivante est importante parce qu'elle touche l'enchaînement des événements qui sont au coeur de la revendication, soit le moment auquel se sont produites les attaques du groupe Ogboni. La lettre fournie par le revendicateur venant de Joe-Phillips Technical Services, un ancien employeur, ne concordait pas avec son témoignage de vive voix et son Formulaire de renseignements personnels (FRP) en ce qui concerne la date de son congédiement. Dans son témoignage de vive voix, le revendicateur a dit que la première attaque s'est produite le 31 juillet ou 1er août 1998, la deuxième, le 14 août 1998 et la troisième, le 21 août 1998. D'après son FRP et son témoignage de vive voix, il a été congédié quelques jours après la troisième attaque. Or d'après la lettre de Joe-Phillips Technical Services, le revendicateur aurait travaillé pour cette entreprise du 15 octobre 1998 au 20 août 1999, soit pendant un an après la date de son congédiement mentionnée dans son FRP. Lorsqu'on a signalé au revendicateur qu'il avait dit avoir été congédié après la troisième attaque, soit en août 1998, il a répondu qu'il ne croyait pas avoir dit cela. Le tribunal ne considère pas cette explication comme raisonnable.

[23]        La Commission a fait remarquer que, selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage, le demandeur a été congédié quelques jours après la troisième attaque par les Ogbonis, laquelle serait survenue le 21 août 1998. Or, d'après la lettre de recommandation de son employeur, Joe-Phillips Technical Services, le revendicateur aurait travaillé pour cette entreprise du 15 octobre 1998 au 20 août 1999, soit pendant environ un an après la date de son congédiement mentionnée dans son FRP. Interrogé à ce sujet, le demandeur n'a fourni aucune explication raisonnable. La Commission peut prendre en compte des contradictions internes dans son évaluation de la crédibilité.

[24]        La Commission a aussi fait remarquer dans sa décision que le demandeur n'avait pas indiqué dans son FRP qu'il avait porté plainte à la police en août 1999, après qu'un membre de la secte fut revenu demander la dépouille de son père. Le demandeur a déclaré à l'agent au point d'entrée que les membres étaient revenus le 1er août 1999 pour avoir la dépouille de son père. Il a déclaré qu'il avait signalé cet incident à la police et que celle-ci lui avait dit de ne pas revenir. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi son FRP ne disait rien à ce sujet, le demandeur a répondu qu'il ne pouvait pas s'en rappeler ni l'expliquer.

[25]            Comme je l'ai dit précédemment, la Commission a compétence pour tirer des conclusions concernant la crédibilité. Compte tenu de l'examen de la preuve qu'elle a effectuée, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur en ce qui concerne la crédibilité.

[26]            La Commission a aussi indiqué qu'elle préférait certains documents produits en preuve à l'affidavit de M. Biosah, et elle a expliqué pourquoi. La Commission peut agir ainsi et n'a pas commis d'erreur à cet égard.

[27]            Je suis convaincu que la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a conclu, en se fondant sur les éléments de preuve crédibles dont elle disposait, que les Ogbonis ne tentaient pas de tuer le demandeur.

[28]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[29]        Vu cette décision, je ne me prononcerai pas sur la question no 2, qui traite des mesures de redressement.

[30]            Aucune des parties n'a souhaité proposer une question grave de portée générale à des fins de certification.

ORDONNANCE

[31]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                 « John A. O'Keefe »         

                                                                                                           Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 30 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                        IMM-2873-01

INTITULÉ :                       Iyare Abel Efese c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 21 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :     Le 30 avril 2002

   

COMPARUTIONS :

Kingsley I. Jesuorobo                                           POUR LE DEMANDEUR

Stephen Gold                                                        POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo                                           POUR LE DEMANDEUR

North York (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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