Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020925

    Dossier : IMM-5112-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1003

ENTRE :

KOOI WAN CHIN

demanderesse

- et -

LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Kooi Wan Chin (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision prise par M. Howard Spunt, gestionnaire de programme au Consulat général du Canada de Détroit, au Michigan. Par sa décision prise le 14 août 2001, M. Spunt, à titre de représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le défendeur), a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse en application de l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement).


LES FAITS

[2]                La demanderesse est citoyenne de Malaisie. Elle est la conjointe de fait de Daniel Ting Wai Shum. M. Shum, un citoyen canadien, a parrainé la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse. La demanderesse et M. Shum vivent dans une situation assimilable à une union conjugale depuis plus de trois ans et sont les parents de trois enfants qui sont citoyens canadiens.

[3]                La demanderesse a été reçue en entrevue par Halina Roznawski, une agente des visas, au Consulat général du Canada de Détroit, au Michigan, le 2 mai 2001. Au cours de l'entrevue, la demanderesse a déclaré qu'elle et M. Shum n'avaient pas encore de résidence au Canada et que M. Shum continuait à travailler à New York. M. Shum n'avait pas encore un emploi assuré au Canada, mais la demanderesse a affirmé que compte tenu de ses expériences de travail et de ses compétences, il pourrait facilement obtenir un emploi au Canada.

[4]                La demanderesse a déclaré que M. Shum avait l'intention de la rejoindre au Canada avec leurs enfants, mais elle n'a fourni aucun élément de preuve corroborant sa déclaration.

[5]                La demande de résidence permanente présentée par la demanderesse a été rejetée par une lettre datée du 2 mai 2001 au motif que la catégorie des parents n'incluait pas, selon la définition du Règlement, les conjoints de fait.


En outre, l'agente des visas a, dans sa lettre, exprimé des doutes quant aux intentions de M. Shum de venir résider au Canada avec la demanderesse et leurs enfants.

[6]                Par une lettre datée du 16 mai 2001, la demanderesse a sollicité que sa demande d'admission au Canada soit examinée pour des raisons d'ordre humanitaire en application de l'article 2.1 du Règlement. M. Spunt, le gestionnaire de programme au Consulat général du Canada de Détroit, a accepté d'examiner la demande de la demanderesse en application de l'article 2.1 du Règlement.

[7]                M. Spunt a effectivement examiné les facteurs d'ordre humanitaire qui touchaient la demanderesse et a conclu que, même si de tels facteurs existaient, M. Shum n'avait pas l'intention de venir résider au Canada. Il a rejeté la demande par une lettre datée du 14 août 2001. C'est cette décision qui donne lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[8]                Premièrement, la demanderesse allègue que M. Spunt, étant donné qu'il était le seul responsable de l'immigration à examiner la demande en application de l'article 2.1 du Règlement, avait l'obligation de procéder à sa propre enquête, incluant une entrevue, avant de prendre sa décision. La demanderesse s'appuie sur l'arrêt Pangli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 84 N.R. 216, (1987), 4 Imm. L.R. (2d) 266 (C.A.F.), au soutien de sa prétention selon laquelle seuls ceux qui entendent une affaire peuvent rendre une décision.


[9]                La demanderesse prétend que M. Spunt, étant donné qu'il s'appuyait sur l'information recueillie par l'agente des visas à une autre fin, soit l'examen d'une demande d'admission au Canada en tant que membre de la catégorie des parents, avait l'obligation de procéder à une enquête et d'examiner sa demande de façon indépendante. Son omission de le faire équivaut à une entrave de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[10]            La demanderesse allègue que M. Spunt avait l'obligation d'obtenir des éclaircissements quant aux contradictions manifestes contenues dans les notes au dossier utilisées pour prendre sa décision. Elle allègue en outre qu'il a apprécié les faits de façon erronée lorsqu'il a conclu que la demanderesse vivait à New York avec M. Shum et leurs enfants alors que sa demande de résidence permanente mentionnait qu'elle vivait en Malaisie.

[11]            La demanderesse prétend que M. Spunt a commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'elle avait l'intention de vivre à New York alors que les notes au dossier mentionnaient qu'elle et M. Shum [TRADUCTION] « en avaient assez de ne pas vivre ensemble » .

[12]            La demanderesse allègue qu'il était absurde de la part du gestionnaire de programme de tirer de la déclaration mentionnée au paragraphe précédent la conclusion qu'elle avait l'intention de vivre à New York avec M. Shum. La conclusion logique qui devait être tirée de l'affirmation selon laquelle ils en avaient assez de ne pas vivre ensemble était que la demanderesse voulait vivre au Canada avec M. Shum et leurs enfants.


LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[13]            Le défendeur soumet que la décision en litige doit être évaluée selon le devoir d'équité procédurale applicable et selon la norme de contrôle applicable.

[14]            Le défendeur s'appuie sur l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), pour soutenir que le devoir d'équité procédurale n'exige pas qu'une audience soit tenue pour que soit tranchée une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Il s'appuie en outre sur l'arrêt Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 266 N.R. 199, (2000) 11 IMM. L.R. (3d) 1 (C.A.F.), et sur l'affaire Silion c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 302 (C.F. 1re inst.), pour approuver la procédure par laquelle un gestionnaire de programme recueille l'information dans le contexte d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Selon le défendeur, les affaires précédemment mentionnées montrent que le principe selon lequel celui qui entend l'affaire doit rendre la décision ne s'applique pas.

[15]            Le défendeur soumet en outre que la demanderesse ne peut pas se plaindre maintenant d'une procédure qu'elle a précédemment acceptée. La demanderesse n'a pas exigé qu'une audience soit tenue lorsqu'elle a été informée que sa demande serait évaluée sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire.


[16]            Le défendeur soumet en outre que la preuve dont le gestionnaire de programme disposait était claire et qu'il n'y avait pas lieu pour lui de demander des éclaircissements quant à la preuve ou de donner à la demanderesse une autre possibilité de répondre. Le défendeur allègue de plus qu'il n'existe aucune obligation pour le décideur d'informer un demandeur de toutes les préoccupations qu'il peut avoir et à cet égard il s'appuie sur la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. 940 (C.F. 1re inst.).

LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]            La présente demande soulève les questions suivantes :

1.         Le gestionnaire de programme a-t-il omis de respecter un principe de justice naturelle ou de respecter l'équité procédurale qu'il était en droit tenu de respecter?

2.         Le gestionnaire de programme a-t-il tiré des conclusions de fait erronées, omis de prendre en compte des faits ou omis d'adéquatement prendre en compte des éléments de preuve lorsqu'il a rejeté la demande de la demanderesse?

ANALYSE


[18]            La première question en litige soulevée par la demanderesse est celle de savoir si le gestionnaire de programme a omis de respecter l'équité procédurale. La demanderesse soulève la question de savoir si M. Spunt a porté atteinte au principe voulant que « celui qui entend une affaire doit rendre la décision » .

[19]            Le principe précédemment mentionné a été examiné dans le contexte du droit de l'immigration dans l'affaire Silion, précitée. Dans l'affaire Silion, M. le juge MacKay a examiné une décision d'un agent des visas par laquelle la demande de visa d'emploi temporaire présentée par la demanderesse avait été rejetée. L'agent des visas s'était appuyé sur un compte rendu écrit de l'agent du programme d'immigration qui avait eu une entrevue avec la demanderesse. La Cour a conclu que la décision faisant l'objet du contrôle était essentiellement une décision administrative prise par l'agent des visas dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et elle a déclaré au paragraphe 11 :

Il s'agit essentiellement d'une décision administrative, que l'agent des visas a prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Eu égard aux circonstances de la présente affaire ou de toute autre affaire, il n'est pas nécessaire que l'agent des visas ait une entrevue personnelle avec la personne qui demande un visa. Dans certaines circonstances, l'omission de le faire pourrait être inéquitable, mais je ne suis pas convaincu que ce soit ici le cas. Dans ce cas-ci, l'API a eu une entrevue avec la demanderesse et a rendu compte du résultat de l'entrevue. Ce compte rendu a été examiné par l'agent des visas, qui a pris la décision. Le traitement des demandes et les comptes rendus y afférents par des membres du personnel font bien souvent normalement partie du processus administratif et il n'est pas surprenant que ce processus ait ici été suivi. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel l'agent des visas a rendu une décision judiciaire ou quasi judiciaire, qui pourrait donner lieu à l'application du principe voulant que celui qui entend une affaire doit rendre la décision y afférente, ou à l'inverse que celui qui rend la décision doit entendre le demandeur.

                                                                                                                                                           

Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel l'agent des visas a rendu une décision judiciaire ou quasi judiciaire qui pourrait donner lieu à l'application du principe voulant que celui qui entend une affaire doit rendre la décision, ou à l'inverse que celui qui rend la décision doit entendre le demandeur.


[20]            De la même façon, l'arrêt Baker, précité, a établi, au paragraphe 34, que la tenue d'une audience n'est pas une exigence dans les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire.

[21]            Je suis d'avis, en me fondant sur la jurisprudence précédemment mentionnée, que la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce ne donne pas lieu à l'application du principe voulant que celui qui entend une affaire doit rendre la décision. Il s'agit d'une décision administrative prise dans l'exercice d'un grand pouvoir discrétionnaire, semblable aux circonstances de l'affaire Silion, précitée. À mon avis, la procédure adoptée en l'espèce respecte l'équité procédurale.

[22]            L'autre question est celle de savoir si le gestionnaire de programme avait l'obligation d'informer la demanderesse des doutes qu'il avait quant aux intentions de son conjoint de fait de venir résider au Canada.

[23]            Dans la décision Ahmed, précitée, la Cour a examiné la question de l'obligation de l'agent des visas d'informer un demandeur des doutes soulevés au cours du traitement de la demande. Dans l'affaire Ahmed, la Cour a, au paragraphe 8, conclu comme suit :

Contrairement à ce que l'avocat soutient, je ne suis pas disposé à dire qu'un agent des visas est tenu d'aviser une partie requérante lorsqu'il doute que celle-ci puisse obtenir 70 points d'appréciation et de lui fournir l'occasion de dissiper ces doutes. Cet argument équivaut à dire que, chaque fois qu'un agent des visas pense qu'une demande de résidence permanente pourrait être refusée, il doit indiquer la décision prévue à l'avance et donner à la partie requérante une autre chance de respecter les exigences. Même si un agent des visas peut effectivement agir de la sorte, il n'est nullement tenu de le faire (voir, p. ex., l'arrêt Prasad c. M.C.I., IMM-3373-94, 2 avril 1996 (C.F. 1re inst.)).

[24]            En l'espèce, il y a dans les notes du STIDI des éléments qui amènent à penser que l'agente des visas avait des doutes quant aux intentions de M. Shum de venir s'installer au Canada.


[25]            Je partage l'opinion du défendeur qui prétend qu'il n'était pas nécessaire de demander des éclaircissements parce que la preuve est claire sur la question des intentions de M. Shum. Je partage en outre son opinion selon laquelle il n'y avait aucune obligation pour M. Spunt d'informer la demanderesse de ses doutes sur cette question. La demanderesse pouvait clarifier totalement la situation quant aux intentions de M. Shum de déménager au Canada. Elle pouvait fournir des éléments de preuve permettant d'appuyer ces intentions, ce qu'elle n'a pas fait.

[26]            Par conséquent, les prétentions de la demanderesse à cet égard ne peuvent pas être retenues.

[27]            Je vais maintenant traiter des prétentions de la demanderesse quant aux conclusions de fait soi-disant erronées que le gestionnaire de programme a tirées. Ces prétentions ne sont pas retenues lorsqu'elles sont appréciées selon la norme de contrôle applicable.

[28]            Selon l'arrêt Baker, précité, la norme de contrôle à l'égard des raisons d'ordre humanitaire est la décision raisonnable. Alors, la question à examiner est celle de savoir si le décideur pouvait, suivant la preuve dont il disposait, raisonnablement conclure que le conjoint de fait de la demanderesse n'avait pas l'intention de venir vivre au Canada avec elle.

[29]            À mon avis, la preuve précédemment mentionnée démontre clairement que la conclusion de fait tirée par M. Spunt s'appuie de façon logique sur la preuve dont il disposait. Dans les circonstances, sa conclusion selon laquelle M. Shum n'avait pas l'intention de venir au Canada était raisonnable.


[30]            En outre, il est bien établi que le décideur est réputé avoir pris en compte toute la preuve dont il dispose, à moins que le contraire ne soit démontré. À cet égard, je renvoie à l'arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.). La Cour ne devrait pas intervenir quant aux conclusions de fait tirées par M. Spunt.

[31]            Pour les motifs énoncés, je conclus qu'il n'existe aucun fondement qui justifie que la Cour intervienne à l'égard de la décision faisant l'objet du contrôle judiciaire.

[32]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33]            Il n'y a pas de question aux fins de la certification soulevée dans la présente demande.

                                                    ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« E. Heneghan »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 septembre 2002

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                    Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     IMM-5112-01

INTITULÉ :                                                    KOOI WAN CHIN

                                                                                                                                       demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE JEUDI 19 SEPTEMBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                   Le 25 septembre 2002

COMPARUTIONS :                          Ravi Jain

Pour la demanderesse

Greg G. George

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Ravi Jain

                                                                        121, rue Queen Ouest, bureau 22200

                                                                        Toronto (Ontario) M5H 3T9

Pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                              Date : 20020925

                              Dossier : IMM-5112-01

ENTRE :

KOOI WAN CHIN

                                                        demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                 


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.