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Date : 20050517

 

Dossier : IMM-10049-04

 

Référence : 2005 CF 710

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), ce 17e jour de mai 2005

 

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

  LENKE JUNGWIRTH

 

  demanderesse

  et

 

 

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

  défendeur

 

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

  • [1] La demanderesse, Mme Lenke Jungwirth, est une citoyenne hongroise d’origine rome de 26 ans qui allègue une crainte fondée d’être persécutée en raison de son ethnicité. Elle a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du 20 octobre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission ») a conclu que Mme Jungwirth n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Je n’ai trouvé aucune raison de modifier cette décision. Voici mes motifs pour rejeter la demande.

  • [2] Mme Jungwirth est arrivée initialement au Canada en août 1999 et a revendiqué le statut de réfugié. En août 2000, le statut de réfugié lui a été refusé et, en mars 2001, elle est retournée en Hongrie.

  • [3] Mme Jungwirth a allégué qu’elle était victime d’actes de discrimination constants et croissants en Hongrie en raison de son origine rome, le tout ayant culminé avec une agression contre elle-même et son frère en août 2001. Cette agression est survenue alors qu’ils rentraient à pied du travail, tard le soir. Trois hommes les ont agressés, battant son frère jusqu’à ce qu’il perde conscience et les menaçant de mort tous les deux. Les assaillants se sont enfuis lorsque l’oncle de Mme Jungwirth s’est approché. La police, appelée sur les lieux, a rédigé un rapport sur l’incident. Le frère de la demanderesse a été hospitalisé pendant trois jours. Aucun coupable n’a été arrêté, puisqu’il faisait noir au moment de l’agression et que les assaillants n’ont pu être identifiés. Mme Jungwirth est revenue au Canada le 23 novembre 2001 et a présenté une demande le même jour.

  • [4] Aux fins de cette demande, la Commission a déterminé que les événements antérieurs à mars 2001 étaient chose jugée, donc elle s’est limitée à la période de neuf mois allant de mars 2001 à la fin de novembre 2001.

  • [5] À l’audience, la demanderesse a allégué qu’elle avait fait un suivi auprès de la police quatre fois et qu’elle et son frère avaient cherché à obtenir réparation par l’entremise du gouvernement autonome rom, en vain. Aucun de ces renseignements ne figurait dans son Formulaire de renseignements personnels (« FRP »). La Commission a conclu que les explications données par Mme Jungwirth de ses efforts pour obtenir la protection de l’État n’étaient pas crédibles en raison des incohérences entre son témoignage oral et les renseignements contenus dans son FRP.

  • [6] La Commission a estimé que Mme Jungwirth n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, car elle n’avait pas cherché à obtenir une telle protection, s’étant limitée à signaler l’incident à la police locale, qui s’était rendue sur les lieux et avait rédigé un rapport de l’incident. Rien n’indique que la police ni aucun autre organisme d’État était responsable de l’agression ou avait participé à celle-ci.

  • [7] Mme Jungwirth n’a pas cherché à obtenir la protection de l’Ombudsman (Commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques), du procureur public ou d’autres organes de protection de l’État en Hongrie, comme la police régionale. Elle n’a pas non plus demandé l’aide d’aucune des organisations non gouvernementales se portant à la défense des droits des minorités comme la Fondation pour les droits civils des Roms (Roma Civil Rights Foundation – RPA), le Bureau de défense juridique des minorités nationales et ethniques (Legal Defence Bureau for National and Ethnic Minorities – NEKI), le Centre européen des droits des Roms (European Roma Rights Centre – ERRC), le Comité Helsinki hongrois (Hungarian Helsinki Committee – HHC) ou le parlement rom.

  • [8] La seule question plaidée devant moi était de déterminer si la Commission avait commis une erreur dans son application de la loi de la protection de l’État aux faits de la présente affaire.

  • [9] Il existe des opinions divergentes sur la norme de contrôle relativement aux verdicts de protection de l’État. Dans de nombreuses décisions, il a été établi que la norme à appliquer était celle de la décision manifestement déraisonnable : Horvath et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CFPI 1206 (T.D.); Carmona c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1298.

  • [10] Dans d’autres cas, il a été déterminé qu’il s’agissait d’une question de droit et de fait pour laquelle la norme de la décision raisonnable simpliciter devrait s’appliquer : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Smith, [1999] 1 CF 310 (T.D.); Racz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1293; Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 193. La juge Tremblay-Lamer a effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle dans le cadre de la cause Chaves, au terme de laquelle elle a déterminé qu’il faudrait faire preuve de moins de déférence à l’endroit des conclusions de la Commission à cet égard. Je ne trouve aucun motif pour m’éloigner de son analyse.

  • [11] Dans la présente affaire, en appliquant la norme de la décision raisonnable, je ne trouverais rien à redire au sujet des conclusions de la Commission.

  • [12] La présomption générale est que l’État est capable d’offrir une protection à ses citoyens. En l’absence d’un élément de preuve clair et convaincant de l’incapacité de l’État de le faire, la Cour ne doit pas intervenir dans les conclusions de la Commission : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689. La protection accordée par l’État n’a pas à être parfaite : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232 (CFA).

  • [13] Selon la demanderesse, lorsque la Commission a conclu qu’elle ne courait aucun risque pour lequel il n’existait pas de protection de l’État, la Commission a ignoré l’importante preuve documentaire à l’effet que les lois, les politiques et les programmes en Hongrie ne fournissent pas une protection efficace ou adéquate de l’État.

  • [14] De plus, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur de compréhension de la définition de la protection de l’État car elle avait tenu compte d’un facteur non pertinent, c’est-à-dire l’existence d’une protection de la part d’institutions n’appartenant pas à l’État : Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1996] ACF no 90 (T.D.); Thakur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 65 FTR 158 (T.D). Le but des organisations et des organismes de défense des droits de la personne n’est pas d’offrir une protection contre le crime. Ce rôle est dévolu à la police : Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 CF 771 (T.D.) au paragraphe 57; Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 CF 339 (T.D.) au paragraphe 23.

  • [15] Le défendeur déclare que les efforts allégués de la demanderesse pour obtenir la protection de l’État (les suivis auprès de la police) n’étaient pas crédibles et que la demanderesse n’avait pas expliqué pourquoi elle n’avait pas cherché à obtenir une protection auprès d’organisations autres que la police. Il n’y avait rien de manifestement déraisonnable dans les conclusions de la Commission. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État peut protéger la demanderesse : Ward, précitée.

  • [16] Le défendeur soutient que la Commission avait pris en considération tous les éléments de preuve, qui soutenaient ses conclusions, et n’était pas tenue de citer tous les éléments de preuve contradictoires : Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1614 (T.D.); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CFA).

  • [17] J’ai examiné les éléments de preuve prétendument ignorés par la Commission. En l’espèce, la police n’était pas un agent de persécution, comme dans Molnar, précitée, l’allégation étant plutôt que la police n’avait pas été en mesure d’offrir une protection efficace. La plupart des éléments évoqués par la demanderesse à ce sujet ne servent pas sa cause, puisque soit ils ne sont pas pertinents quant aux faits, soit ils se fondent sur des renseignements désuets. La présence ou l’absence de racisme dans le bureau du procureur n’est tout simplement pas un enjeu ici, car il n’y a eu aucun refus de la part de la police de faire enquête ni aucune allégation d’inconduite de la part de la police. Dans tous les cas, même en 1998, lorsque les experts appelés à se prononcer à ce sujet ont été interrogés, il n’y avait pas d’unanimité sur ce point.

  • [18] Ainsi que l’a noté le juge Blais dans l’affaire Racz, précitée, aux paragraphes 22 à 24, la jurisprudence de cette Cour a été divisée sur la question de savoir si une protection efficace de l’État est offerte aux Roms en Hongrie. De nombreuses décisions ont soutenu qu’une telle protection peut être fournie par des organismes dirigés ou financés par l’État, en plus de la police : Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CF 1re inst. 698; Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CF 1re inst. 281; Karoly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 412; T.C. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1097; Szorenyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CF 1382.

  • [19] Dans tous les cas, relativement à la question de savoir si la Commission a indûment tenu compte de la capacité du bureau de l’Ombudsman ou du gouvernement autonome minoritaire de protéger la demanderesse, la Commission n’a pas pris en considération ces institutions dans le contexte d’offrir une protection contre la violence, mais plutôt dans celui d’offrir une protection contre la discrimination constante alléguée par la demanderesse. La demanderesse a allégué avoir été victime de discrimination de la part de son employeur et d’autres parties, ce qui aurait mené à l’agression contre elle-même et son frère.

 

 

 

 


 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

[20]  Par conséquent, je conclus que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’une protection adéquate de l’État ne lui avait pas été offerte en Hongrie et que la Commission n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions. La requête de Mme Jungwirth est en conséquence rejetée.

 

[21]  Aucune question sérieuse d’importance générale n’a été proposée et aucune n’est certifiée.

 

 

 

  ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 « Richard G. Mosley »

  Juge de la Cour fédérale


  COUR FÉDÉRALE

 

  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  IMM-10049-04

 

INTITULÉ :  LENKE JUNGWIRTH

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 11 mai 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :  Le 17 mai 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Grice (pour Jack Davis)  POUR LA DEMANDERESSE

 

Karen Dickson  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JACK DAVIS  POUR LA DEMANDERESSE

Davis and Grice

1110 Finch Avenue West, Suite 706

Toronto (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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