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Date : 20060206

Dossier : T-1156-05

Référence : 2006 CF 129

Ottawa (Ontario), le 6 février 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

DONALD J. VOGAN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 3 juin 2005, la Commission de la fonction publique (CFP), par une lettre « à titre gracieux » , a rejeté la demande de tenue d'une enquête qu'avait présentée M. Vogan en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R. 1985, ch. P-33 (la LEFP). M. Vogan prétend que la « décision » en cause n'est pas valable, illégale et qu'elle doit être annulée. J'ai conclu que cette décision doit être maintenue.

LE CONTEXTE

[2]                M. Vogan n'est pas représenté par un avocat. Il a fait des efforts dignes d'éloge pour respecter les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) en ce qui a trait à la production des documents nécessaires aux fins de la présente demande. En dépit de ses efforts, il a produit des documents et un affidavit (comportant des annexes) désorganisés et très confus.

[3]                Après qu'il eut été élagué, le dossier n'était pas considérable. Les renseignements contextuels exposés ici sont tirés des renseignements figurant dans le dossier et des déclarations faites lors de l'audition de la demande. Ils ne sont peut-être pas totalement exacts. En fin de compte, je n'ai pas rendu ma décision en fonction de ceux-ci. J'ai, en fait, statué en me fondant sur les circonstances entourant la demande de M. Vogan en date du 10 février 2005. Il n'en reste pas moins qu'un bref rappel de l'historique de celle-ci donne le contexte de l'affaire.

[4]                M. Vogan a été employé par le Ministère de la Défense nationale (MDN) à la base des FC de Kingston à titre d'auxiliaire de métier, pour des durées déterminées, à partir de 1980. Il a eu un certain nombre de contrats à durée déterminée. Alors qu'il était employé, il a obtenu sa qualification professionnelle de maçon. Je crois comprendre que son emploi à la base a duré jusque vers novembre 1993.

[5]                Au début des années 1990, M. Vogan a déposé trois plaintes distinctes relatives à son emploi. La première avait trait à la nomination, en 1993, d'un certain M. Silva à un poste de maçon. M. Vogan alléguait une violation du principe du mérite et la CFP a fait une enquête. Si l'on a découvert un certain nombre d'anomalies dans les pratiques de recrutement, il a été conclu que sa plainte n'était pas fondée.

[6]                Sa deuxième plainte concernait le processus de sélection relatif à un poste pour lequel un certain M. Norgard avait aussi posé sa candidature. Là encore, la CFP a fait une enquête et elle a conclu que cette plainte n'était pas fondée.

[7]                La troisième plainte avait trait à un certain M. Johnson et à l'obtention par celui-ci d'un certificat de plâtrier qualifié des autorités provinciales. Ce certificat aurait été obtenu grâce aux déclarations d'un major de la base selon lesquelles M. Johnson avait accumulé, au cours de son travail comme peintre, suffisamment d'expérience en plâtrage pour avoir droit à sa qualification professionnelle. M. Vogan conteste cette qualification au motif que le plâtrage relève de la maçonnerie, non pas de la peinture; il est donc d'avis qu'elle a été obtenue de manière frauduleuse. M. Vogan a emprunté plusieurs voies de recours pour élever sa contestation à ce sujet, mais aucune ne relevait de la LEFP. En d'autres termes, c'est le 10 février 2005 que M. Vogan a demandé pour la première fois que la CFP fasse une enquête au sujet de M. Johnson.

[8]                Le dossier révèle que la CFP a reçu une demande de M. Vogan le 14 octobre 1994 afin de faire examiner les enquêtes antérieures relatives à Messieurs Silva et Norgard. La réponse de la CFP en date du 4 novembre 1994 indique que, en ce qui concerne M. Silva, il a été conclu, au terme de l'enquête, que [TRADUCTION] « le principe du mérite n'avait pas fait l'objet de compromissions » . Au moment où le rapport relatif à l'affaire a été produit, on a demandé à M. Vogan s'il avait des observations à faire, mais il n'en a pas fait. Le dossier a été clos en septembre 1993. En ce qui concerne M. Norgard, l'enquête a révélé que si M. Vogan avait été inscrit en deuxième place sur la liste d'éligibilité, son emploi a été d'une durée plus longue que celui du candidat reçu. La plainte n'était donc pas fondée et lorsque l'enquête a été complétée, cette liste avait expiré et aucune nomination n'avait été effectuée. Le dossier a été clos en février 1994.

[9]                Le 20 novembre 1996, M. Vogan a de nouveau demandé à la CFP d'examiner les pratiques du MDN en matière de recrutement en ce qui concerne M. Silva. La CFP a répondu dans un courrier en date du 5 décembre 1996. La partie pertinente de ce document se lit comme suit :

[TRADUCTION] D'après ce que je peux comprendre de votre lettre, les faits que vous soulevez au sujet de M. A. Silva se sont produits en 1992 et en 1993. En juin 1995, vous avez porté plainte auprès de la Commission de la fonction publique au sujet des qualifications de M. Silva. Vos allégations ont fait l'objet d'une enquête et il a été conclu qu'elles n'étaient pas fondées. Vous en avez été informé en août 1995. S'il y avait d'autres questions ou irrégularités de recrutement alléguées à l'époque, il vous incombait de les faire valoir à ce moment. Le dossier a été clos en septembre 1995. Depuis lors, vous n'avez pas communiqué avec nous. La politique de la Commission de la fonction publique est de ne plus enquêter sur les allégations relatives à des faits ou à des incidents qui se sont produits plus d'un an avant le dépôt de la plainte. Nous n'entreprendrons donc plus aucune démarche au sujet de la nomination de M. Silva.

[10]            Cela m'amène à la demande de M. Vogan en date du 10 février 2005, par laquelle il a demandé à la CFP d'examiner ses plaintes concernant M. Silva et M. Johnson. Je répète que cette demande adressée à la CFP relative à M. Johnson était une première, en dépit du fait que 12 ans environ s'étaient écoulés depuis les faits. M. Vogan ne conteste pas les résultats de l' « enquête Norgard » . M. Norgard est maintenant décédé.

[11]            À l'appui de se demande, M. Vogan a exposé les faits relatifs aux incidents, il a cité les dispositions selon lui pertinentes de la LEFP et il a référé la CFP à une décision de la Cour fédérale à l'appui de sa position selon laquelle [TRADUCTION] « il n'y a pas de dates-limites, surtout lorsqu'il s'agit du mérite eu égard aux qualités requises pour le poste créé » . Vu cette jurisprudence, il a invité instamment la CFP à respecter son obligation de rouvrir l'enquête.

LA DÉCISION

[12]            La CFP a répondu à la demande de M. Vogan dans son courrier en date du 3 juin 2005, qui était qualifié de [TRADUCTION] « lettre à titre gracieux » , par lequel elle a informé M. Vogan que sa demande avait été examinée en partie sur la base de sa « Politique concernant les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la [LEFP] » , dont copie lui avait été envoyée antérieurement. La CFP a dit que cette demande ne répondait pas aux critères énoncés dans cette politique, notamment en ce qui a trait au délai allant de trois à six mois dans lequel toute question doit être soulevée. La lettre disait en outre que les demandes de M. Vogan datant de 1994 et 1995 tendant à la réouverture de l'affaire avaient été rejetées. En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour fédérale invoquée par M. Vogan, la CFP a relevé que celle-ci avait trait aux demandes présentées au titre de l'article 12.1 de la LEFP, non pas de l'article 7.1, et que, de toute manière [selon un arrêt ultérieur de la Cour d'appel fédérale Davies c. Canada (Procureur général) (2005), 330 N.R. 283 , 25 Admin. L.R. (4th) 74 (C.A.F.)], l'enquête visée par l'article 12.1 doitêtre entamée avant la clôture du concours. La CFP a rejeté la demande de M. Vogan.

LES ARGUMENTS

[13]            M. Vogan a allégué que la CFP a commis un certain nombre d'erreurs. La plupart, sinon toutes, ont trait au fond de la plainte originale et à son insatisfaction incessante de l'issue de l'enquête originale. Il prétend qu'il incombait à la CFP de se pencher sur les questions de [TRADUCTION] « fraude et de délais » , comme il le demandait. En outre, elle aurait dû étudier la demande présentée en vertu de l'article 12.1 de la LEFP.

[14]            Le défendeur soutient que la réponse donnée « à titre gracieux » ne constitue pas une décision qui peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. L'auteur du document le qualifie de lettre à titre gracieux. M. Vogan avait auparavant fait des demandes de réouverture d'enquête et, en 1996, la président de la CFP l'a informé que l'on clorait le dossier relatif à la nomination faite pour le concours no 93-MDN-ONT-342 [M. Silva]. Le défendeur maintient donc que le courrier en date du 14 décembre 1996 constitue la décision de la CFP en l'espèce, et que c'est celle-ci qui aurait dû être contestée dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

[15]            Subsidiairement, si cette décision peut pas faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle est la décision raisonnable. Afin de clarifier le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'article 7.1 de la LEFP, la CFP a établi une politique énonçant les critères selon lesquels elle peut décider d'effectuer une enquête en vertu de cette disposition. Cette politique impose un délai de trois mois, qui peut être prolongé à six moins, à compter de la date des faits allégués visés par la demande d'enquête. L'imposition de délais ne constitue pas une restriction répréhensible du pouvoir discrétionnaire de la CFP. Chose plus importante, en l'espèce, en refusant de rouvrir l'enquête conclue 12 ans auparavant, elle a exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire. Enfin, si M. Vogan a soutenu que sa demande aurait dû être étudiée au titre de l'article 12.1, elle n'a été présentée qu'en vertu du seul article 7.1.


LA DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

[16]            Je vais d'abord laisser de côté la question de savoir si le courrier de la CFP, en date du 3 juin 2005, constitue une décision qui peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire; M. Vogan m'invite à instruire sa demande de contrôle comme si la décision avait été rendue en vertu tant de l'article 7.1 que de l'article 12.1 de la LEFP. Il maintient que la Cour a le pouvoir de réunir les instances et d'ordonner qu'elles soient entendues ensemble et simultanément.

[17]            M. Vogan concède qu'il a fait sa demande d'enquête en vertu de l'article 7.1. À l'audience, il est devenu manifeste que, après avoir reçu la décision de la CFP, il a demandé le 5 juillet que la CFP réexamine sa demande en vertu de l'article 12.1. Dans le courrier en date du 15 septembre 2005, la Direction de la gestion de cas et de la compétence de la CFP l'a informé de sa position en ces termes :

[TRADUCTION] La présente fait suite à notre lettre du 6 juillet 2005 concernant votre demande de réexamen de la décision de ne pas rouvrir une enquête effectuée par la Commission de la fonction publique (CFP) au sujet d'un concours qui remonte à 1993. Vous nous avez informé que vous avez déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale dans cette affaire. Tel est la voie de recours appropriée en l'espèce et la Commission n'interviendra pas puisque la Cour fédérale est saisie des questions pertinentes.

Par conséquent, la Direction générale des enquêtes ne donnera pas suite à votre demande et nous avons donc clos notre dossier.

[18]            Le défendeur soutient qu'il n'est pas approprié d'examiner « les deux » décisions parce que, dans le cadre de l'instance en contrôle judiciaire, on ne doit pas aller au-delà du dossier dont le décideur était en possession au moment où il s'est prononcé. J'abonde dans son sens. Quoiqu'il en soit, il est difficile d'imaginer que l'on pourrait ajouter quoi que ce soit au dossier relativement à la plainte concernant M. Johnson, pour laquelle la CFP n'a jamais fait d'enquête parce que M. Vogan n'en avait jamais demandé aucune (avant le 10 février 2005).

[19]            Je suis d'avis qu'il faut attacher plus d'importance à la Règle 302, selon laquelle la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. La question qui se pose est donc la suivante : la décision en cause était-elle fondée sur l'article 7.1 seulement, ou sur les articles 7.1 et 12.1 de la LEFP? Dans le premier cas, je ne peux pas accueillir la demande de M. Vogan; dans le deuxième, je le peux.

[20]            Lorsque je me penche sur la décision du 3 juin, il me semble évident que le décideur s'est fondé tant sur l'article 7.1 que l'article 12.1 lorsqu'il s'est prononcé sur la demande de M. Vogan. Le défendeur fait valoir à bon droit que, sur le formulaire, M. Vogan n'a coché que la case visant l'article 7.1. Cependant, ses conclusions se rattachaient essentiellement aux articles 7.1 et 12.1, et la CFP a suivi M. Vogan dans cette voie et invoqué ces deux dispositions de la LEFP lorsqu'elle a rejeté sa demande. On peut donc dire que, en l'espèce, la présente demande de contrôle vise une décision unique qui est fondée sur deux dispositions distinctes de la LEFP. Je vais donc, comme M. Vogan m'invite à le faire, examiner la décision en cause au regard des articles 7.1 et 12.1 de la LEFP. Je suis d'avis que cette démarche est aussi conforme à la réponse de la CFP du 15 septembre relative à la demande de M. Vogan du 15 juillet.

LA DÉCISION CONCERNANT LES QUALIFICATIONS

[21]            À la lumière de cette conclusion, je dois statuer sur la demande d'enquête de M. Vogan concernant les qualifications de M. Johnson et de M. Silva conformément au principe de l'arrêt Davies qui est, selon moi, déterminant. Je dois suivre les observations qu'y a formulées le juge en chef de la Cour d'appel fédérale, plus précisément au paragraphe 40. Je ne peux pas accueillir la demande d'enquête concernant les qualifications de M. Johnson ou de M. Silva présentée par M. Vogan. La décision de la CFP est correcte et la norme de contrôle est donc sans pertinence.

LA DÉCISION CONCERNANT LE MÉRITE

[22]            Il ne reste donc plus qu'à examiner la décision concernant la demande d'enquête relative à la nomination M. Silva présentée par M. Vogan (où il a allégué une atteinte au principe du mérite). Je reviens à la question de savoir si le courrier de la CFP du 3 juin 2005 constitue une « décision » qui peut faire l'objet d'une instance en contrôle judiciaire.

[23]            Comme je l'ai relevé plus haut, la CFP a dit à M. Vogan que sa réponse était faite « à titre gracieux » . À bon droit à mon avis. M. Vogan n'a pas formulé d'observations concernant le premier rapport de la CFP après avoir été invité à le faire; il n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision originale de la CFP; il n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de rejet de sa demande de réouverture de l'enquête de 1994; il n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de 1995 par laquelle il a été conclu que ses allégations n'étaient pas fondées; et il n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de 1996, dans laquelle il était précisément dit que la CFP n'entreprendrait [TRADUCTION] « donc plus aucune démarche au sujet de la nomination de M. Silva » .

[24]            Dans la décision Besner c. Canada (Commission de la fonction publique), [2000] A.C.F. no 1684 (1re inst.), le juge Blais a conclu qu'une affaire ne peut durer éternellement du seul fait que les parties entretiennent une correspondance, lorsqu'une décision antérieure indique que le dossier sera clos. Le juge Campbell est allé dans le même sens dans l'affaire Hughes c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (2004), 22 Admin. L.R. (4th) 49 (C.F.). Dans ces deux affaires, la Cour a conclu que les réponses aux demandes des demandeurs respectifs n'étaient rien de plus que des lettres à titre gracieux et qu'elles ne pouvaient pas faire l'objet d'une instance en contrôle judiciaire.

[25]            Je penche vers la même solution en l'espèce. Cependant, je suis troublée par deux pièces de la correspondance que la CFP a envoyée à M. Vogan entre le moment où il a fait sa demande et la date où la « lettre à titre gracieux » a été envoyée. La première, en date du 10 février 2005, émanait de la Direction générale des recours. On y a accusé réception du courrier de M. Vogan et dit :

[TRADUCTION] Au cours des prochaines semaines, votre demande sera examinée afin de vérifier si elle est justifiée au regard de la « Politique concernant les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique » de la Commission de la fonction publique, dont vous trouverez copie ci-jointe.

Lorsque cet examen sera complété, vous serez avisé par écrit s'il est décidé, le cas échéant, de procéder à une enquête en l'espèce.

[26]            Le courrier suivant, en date du 18 février 2005, émanait du bureau du président de la Commission de la fonction publique. Il y a aussi accusé réception de la lettre de M. Vogan et il a informé celui-ci que :

[TRADUCTION] Conformément à la procédure normale, la Direction générale des recours examinera les documents que vous avez produits et décidera si d'autres enquêtes sont justifiées, ou non. Vous voudrez bien noter que, à cet égard, elle prendra sa décision en fonction de la « Politique concernant les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique » de la CFP. On m'a indiqué qu'une copie vous en a été envoyée par le greffe.

Je tiens à vous assurer que votre demande d'enquête recevra toute l'attention qu'elle mérite. M. Maurice Gohier, le greffier par intérim de la Direction générale des recours, vous contactera très bien bientôt pour informer de la décision qu'aura prise la CFP.

[27]            Il me semble que la CFP a clairement exposé à M. Vogan sa position au sujet de sa demande d'enquête concernant la nomination de M. Silva dans son courrier du 5 décembre 1996, et que la lecture de la politique aurait dû l'amener à conclure que sa demande serait rejetée; cependant, je dois quand même dire que la CFP a peut-être induit en erreur M. Vogan en laissant entendre qu'elle était disposée à examiner sa demande. En effet, c'est ce que donne à penser la formulation utilisée par la CFP dans son courrier. On ne peut que déplorer la manière dont on s'est exprimé dans ces deux courriers. Si la première lettre fait état d'un examen de la demande afin de décider si elle est justifiée, les deux lettres parlent d'une « décision » . Dans les circonstances, je suis d'avis, même si je ne me prononce pas de manière définitive sur ce point, que la prudence exige, pour la suite de l'instance, que je tienne pour acquis que le courrier du 3 juin 2005 constitue une « décision » pouvant faire l'objet d'une instance en contrôle judiciaire.

[28]            Les questions qui se posent sont bien circonscrites. Il faut d'abord décider quelle est la norme de contrôle applicable, et ensuite si la « décision » en cause résiste à l'examen vu cette norme.

[29]            L'article 7.1 de la LEFP dispose que la Commission peut effectuer les enquêtes et vérifications qu'elle estime indiquées sur toute question relevant de sa compétence. Elle n'est pas tenue de le faire. Elle prend sa décision en vertu de son pouvoir discrétionnaire. La question est de savoir jusqu'à quel point il faut faire preuve de retenue à l'égard du décideur. Dans la décision Mercer c. Canada (Procureur général) 2005 C.F. 1567, le juge de Montigny a conclu que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les décisions de la CFP relatives à la tenus d'une enquête est la décision raisonnable simpliciter. Je suis d'avis que l'analyse et la conclusion du juge de Montigny sont correctes. Cependant, en l'occurrence, la question n'est pas de savoir s'il faut qu'une enquête soit faite, mais celle de savoir s'il faut rouvrir une enquête qui a été complétée et close, quatre fois en l'espèce.

[30]            Dans l'arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général) 2005 CAF 404, la Cour d'appel fédérale a fait cette mise en garde au paragraphe 50 : les facteurs que comportent l'analyse pragmatique et fonctionnelle doivent être appliqués au cas par cas. Par conséquent, j'ai précisément appliqué ces quatre facteurs aux faits précis dont je suis saisi.

[31]            En l'espèce, il n'y a pas de disposition privative et pas de droit légal d'appel. Il s'agit d'un facteur neutre. Le décideur dispose d'une expertise considérable en ce qui a trait à l'application de la LEFP, notamment lorsqu'il doit décider si une enquête est justifiée. Au vu de ce seul élément, on peut penser que la retenue judiciaire est de mise, et ce d'autant plus qu'il s'agit de savoir s'il faut rouvrir une enquête. Cela milite en faveur d'une grande retenue.

[32]            L'objet fondamental de la loi est de faire en sorte que le processus de recrutement pour le service public se déroule dans le respect du principe du mérite : Buttar c. Canada (Procureur général) (2000), 186 D.L.R. (4th) 101; 254 N.R. 368 (C.A.F.). L'objet de l'enquête visée par l'article 7.1 est qu'il soit donné une recommandation à la CFP afin qu'elle soit en mesure de prendre les mesures correctives qu'elle estime indiquées. Le pouvoir de donner une recommandation est discrétionnaire; l'exercice de celui-ci n'est pas obligatoire (voir la décision Mercer). En l'espèce, la retenue s'impose vu qu'une enquête (à laquelle le demandeur a pu participer sans entrave) a eu lieu et que la demande tend à la réouverture de celle-ci. La Cour doit faire preuve d'une grande retenue.

[33]            Enfin, se pose la question de savoir si les faits invoqués par le demandeur sont suffisamment solides pour justifier la réouverture d'une enquête qui a été effectuée. Il s'agit d'une question de fait, qui impose à la Cour une grande retenue.

[34]            Ayant pesé tous ces facteurs, au regard des faits très particuliers de l'espèce, je dois conclure que la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable, ce qui signifie que la Cour doit faire preuve d'une grande retenue. La décision qui est manifestement déraisonnable est irrationnelle ou à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; Barreau du Nouveau-Brunswickc. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247.

[35]            La décision de la CFP n'est pas manifestement déraisonnable. La correspondance du greffier indique que la demande de M. Vogan a été examinée en partie sur la base de la politique de la CFP. Elle ne répondait pas aux critères qui y sont énoncés. En outre, on a tenu compte des demandes de réouverture antérieures qui avaient été rejetées. Enfin, le décideur a conclu que le temps constituait un facteur pertinent dans les circonstances. Vu la teneur du dossier - à part les pages 56 à 105 de l'affidavit de M. Vogan, auquel il a annexé des documents qu'il [TRADUCTION] « réservait pour sa demande de contrôle judiciaire » mais qu'il n'a pas produits devant la CFP - je ne peux pas conclure que la décision en cause était clairement irrationnelle. En outre, à supposer que je fasse erreur sur la norme de contrôle applicable, je conclus que, de toute manière, cette décision doit être maintenue au regard de la norme de la décision raisonnable, qui est plus exigeante.

[36]            M. Vogan est d'avis que la nomination de M. Silva n'était pas justifiée, et cela a fait l'objet d'une enquête il y a quelque 12 ans, même plus. M. Vogan a eu toute latitude pour intervenir dans ce processus, et c'est ce qu'il a fait. Il n'a pas fait valoir ses observations sur le rapport d'enquête alors qu'il avait été invité à le faire. À trois reprises, il a demandé la réouverture de l'enquête. Elle lui a été refusée deux fois et à une autre occasion, il a été conclu que ses plaintes étaient sans fondement. Il n'a alors jamais sollicité de contrôle judiciaire. C'est à lui qu'il incombait d'agir diligemment en temps utile et d'exercer les recours qui lui étaient ouverts. En outre, à supposer même que toutes les allégations de M. Vogan soient intégralement fondées (et je ne me prononce pas en ce sens), aujourd'hui, son plaidoyer en faveur d'une enquête quelque 12 ans après les faits est totalement inutile parce qu'aucune mesure réparatrice n'est possible.

[37]            La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le défendeur a sollicité les dépens. Je les lui accorderai conformément à l'extrémité inférieure de la colonne III du tarif B.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les dépens sont adjugés au défendeur, contre le demandeur; ils seront taxés conformément à l'extrémité inférieure de la colonne III du tarif B.

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1156-05

INTITULÉ :                                        DONALD J. VOGAN

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 31 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE: LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 6 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS:

Donald J. Vogan

POUR LE DEMANDEUR

Pour son propre compte

Elizabeth Kikuchi

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Donald J. Vogan

Battersea (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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