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                                                                                                                                           Date : 20020409

                                                                                                                             Dossier : IMM-1809-01

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 392

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                     CAMPS JONES

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une mesure d'expulsion prise par une agente d'expulsion le 6 avril 2001, instruisant le demandeur de se présenter, le 18 avril 2001, en vue de son renvoi du Canada vers Trinité. Le juge Heneghan a sursis à l'exécution de cette mesure en attendant l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

Contexte

[2]                 Le demandeur est arrivé au Canada en 1989 en tant que visiteur et n'est pas reparti à l'expiration de son visa.


[3]                 Sa femme et lui ont quatre enfants nés au Canada dont les âges varient entre quatre et dix ans. Du fait que la femme travaille, c'est le demandeur qui prend soin des enfants durant la journée, les conduit à l'école et à d'autres activités et les ramène ensuite.

[4]                 En 1994, il a été arrêté et inculpé pour des infractions liées au trafic de drogues et a fait l'objet d'une mesure d'expulsion. Il n'a pas revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[5]                 En 1997, il a été reconnu coupable de possession de cocaïne aux fins de trafic, et de conspiration en vue d'importer de la cocaïne au Canada. Il a été condamné à des peines simultanées de cinq ans d'emprisonnement du chef de chaque infraction.

[6]                 Le demandeur s'est pourvu au regard de ces condamnations devant la Cour d'appel de l'Ontario et la Cour suprême du Canada et a été libéré sous caution en attendant l'issue de ces instances. Les deux recours ayant été rejetés, le demandeur a été mis en détention le 8 novembre 1999.

[7]                 Le 17 juin 2000, la Commission nationale des libérations conditionnelles lui a accordé la libération conditionnelle de jour qui est devenue totale le 17 avril 2001.

Questions en litige

1.         La libération conditionnelle fait-elle obstacle à l'expulsion du sujet du Canada?


2.          L'agente d'expulsion a-t-elle négligé les intérêts supérieurs des enfants nés au Canada?

3.         L'agente d'expulsion a-t-elle passé outre à des éléments de preuve pertinents?

[8]                 Dans son affidavit au soutien de sa demande, le demandeur dit s'appuyer sur les pièces jointes à la requête en sursis de même que sur l'ordonnance et la décision du juge de la requête. Cette ordonnance qui octroie au demandeur le sursis en attendant l'issue de la présente demande, constitue avec le dossier de la requête les pièces « A » et « B » annexées au susdit affidavit. Dans l'avis de demande de contrôle judiciaire, l'intéressé invoque les motifs suivants :

1.             Le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

                                  2.             Le tribunal a négligé les intérêts supérieurs des enfants.

3.             Le tribunal a passé outre à des éléments de preuve pertinents.

4.             La demande soulève des questions sérieuses.

5.             Le demandeur et sa famille subiront un préjudice irréparable s'il est lui-même renvoyé.

6.             La prépondérance des inconvénients joue en faveur du demandeur.

7.             Et tous autres motifs que l'avocat peut présenter avec l'assentiment de la Cour.

8.             Le paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration accorde le droit au sursis d'exécution.

  

[9]                 À l'audience, le défendeur ne s'est pas opposé à ce que la Cour procède, aux fins de la présente demande, à l'examen de la preuve figurant au dossier de la requête, bien que l'exposé des moyens du demandeur ne portât que sur une seule question, celle du sursis légal prévu au paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.


La condition de libéré conditionnel du demandeur devrait-elle faire obstacle à son expulsion du Canada?

[10]            Le demandeur allègue qu'il ne devrait pas être déporté vu sa condition de libéré conditionnel, à l'appui de quoi il invoque le paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration qui porte ce qui suit :


50(2) L'incarcération de l'intéressé dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction, antérieurement à la prise de la mesure de renvoi ou à son exécution, suspend l'exécution de celle-ci jusqu'à l'expiration de la peine, compte tenu des réductions légales de peine et des mesures de clémence. (Je souligne).


50(2) A removal order that has been made against a person who was, at the time it was made, an inmate of a penitentiary, jail, reformatory or prison or becomes an inmate of such an institution before the order is executed shall not be executed before the person has completed the sentence or term of imprisonment imposed, in whole or as reduced by a statute or other law or by an act of clemency. (Emphasis added)


[11]            Le défendeur réplique qu'en l'espèce, le sursis objet du paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration ne joue pas du seul fait que le demandeur est libéré sous condition. Il allègue que l'article 128 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition 1992, ch. C-20 (Loi sur les mesures correctionnelles) a reconnu le principe voulant qu'un délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle continue de purger sa peine d'emprisonnement jusqu'à l'expiration de celle-ci, mais que ladite loi prévoit une dérogation expresse à ce principe aux fins d'application du paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration.

[12]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur les mesures correctionnelles s'énoncent comme suit :


128.(1) Le délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte continue, tant qu'il a le droit d'être en liberté, de purger sa peine d'emprisonnement jusqu'à l'expiration légale de celle-ci.

128. (1) An offender who is released on parole, statutory release or unescorted temporary absence continues, while entitled to be at large, to serve the sentence until its expiration according to law.

(3) Pour l'application du paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration et de l'article 40 de la Loi sur l'extradition, la peine d'emprisonnement du délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle totale ou d'office est, par dérogation au paragraphe (1), réputée être purgée sauf s'il y a eu révocation, suspension ou cessation de la libération ou si le délinquant est revenu au Canada avant son expiration légale. (Je souligne)

Despite subsection (1), for the purposes of subsection 50(2) of the Immigration Act and section 40 of the Extradition Act, the sentence of an offender who has been released on full parole or statutory release is deemed to be completed unless the full parole or statutory release has been suspended, terminated or revoked or the offender has returned to Canada before the expiration of the sentence according to law. (Emphasis added)


[13]            Le demandeur soutient que la dernière partie du paragraphe 128(3) de la Loi sur les mesures correctionnelles ne peut s'appliquer à son cas vu que, n'ayant pas quitté le Canada, il ne peut être considéré comme y étant revenu avant l'expiration de sa peine. À mon avis, cet argument n'est pas fondé. Aux termes du paragraphe 128(3) de la Loi sur les mesures correctionnelles, la peine du demandeur était réputée être purgée le jour où il a bénéficié d'une libération conditionnelle totale, le 17 avril 2001; ce n'était donc plus en vertu du paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration qu'on a sursis, à partir de cette date, à l'exécution de la mesure de renvoi le concernant. Je souscris aux observations du défendeur disant que le Parlement ne pouvait plus explicitement manifester son intention et je conclus que le demandeur est, par conséquent, sujet à expulsion. Ma collègue, Mme le juge Tremblay-Lamer, a traité cette même question dans la cause Gordon c. Canada (Procureur général), [1993] J.C.F. n ° 832, en ligne : QL, et décidé que la peine infligée à une personne qui a bénéficié d'une libération conditionnelle totale est réputée purgée en vertu du paragraphe 128(3) de la Loi sur les mesures correctionnelles. Elle dit à la page 3 de ses motifs : « ...Vu que le requérant bénéficie d'une libération conditionnelle depuis décembre 1991, il ne fait pas de doute que cette disposition s'applique à lui. » Je fais miens les motifs et la conclusion de ma collègue.

[14]            Le demandeur soutient également qu'il ne peut être expulsé du fait que sa libération conditionnelle est assortie de certaines conditions, notamment celle de se présenter une fois par mois à l'agent de libération conditionnelle ou de probation. Je trouve aussi que cet argument n'est pas fondé. La loi dispose clairement que la peine d'emprisonnement du délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle totale est réputée être purgée. Les conditions entourant une telle mesure ne peuvent contourner des dispositions de loi énoncées aussi clairement. La peine d'emprisonnement est réputée être purgée; partant, le sursis prévu au paragraphe 50(2) de la Loi sur l'immigration ne peut s'appliquer.

Autres motifs invoqués dans l'avis de demande


[15]            En ce qui concerne ces motifs, je note que le demandeur s'appuie dans son affidavit du 11 juin 2001 sur [Traduction] « sur les pièces jointes au dossier de la requête en sursis, de même que sur l'ordonnance et la décision du juge de la requête » . Ces documents, incluant un affidavit donné sous serment le 10 avril 2001 au soutien de la requête en sursis, étaient annexés à l'affidavit du demandeur daté du 11 juin 2001 à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire. L'intéressé n'a abordé aucun de ces « motifs » dans son exposé du droit et des arguments. Il n'a donc traité non plus, dans cet exposé, aucune de ces questions, bien que le défendeur ait consenti, comme je l'ai dit plus tôt, à ce que ces documents soient pris en considération. À l'audience, l'avocat du demandeur a soumis ces documents à l'attention de la Cour, mais il a axé son argumentation sur le sursis d'origine législative en raison de la condition de libéré conditionnel de son client. Le défendeur a soutenu que les documents en question ne constituent pas un fondement probatoire permettant à la Cour de conclure que l'agente a exercé erronément son pouvoir discrétionnaire.

[16]            J'ai examiné les points énumérés dans l'avis de demande sur lesquels le demandeur fonde le présent contrôle judiciaire, y compris le motif selon lequel l'agente d'expulsion a négligé les intérêts supérieurs des enfants nés au Canada et qu'elle a passé outre à des éléments de preuve pertinents. J'ai revu tous les documents présentés, y compris la déclaration sous serment datée du 21 avril 2001 de l'agente d'expulsion, Elizabeth Melowany, et celle du demandeur, datée du 10 avril 2001, présentée au soutien de sa demande de sursis. Après étude des éléments de preuve présentés et de la manière dont l'agente d'expulsion a exercé son pouvoir discrétionnaire, je suis persuadé que le demandeur n'a pas établi un fondement probatoire permettant à la Cour de conclure que l'agente susdite a commis, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, une erreur susceptible de contrôle. Je conclus, par conséquent, au regard des autres « motifs » invoqués dans l'avis de demande de l'intéressé, que rien ne justifie, en l'espèce, une intervention de la Cour.

[17]            Le demandeur m'a soumis, pour étude et certification, les deux questions suivantes :


            1.         Si l'on exige du demandeur qu'il se présente une fois par mois devant un agent de libération conditionnelle ou de probation, que cette condition n'a été ni annulée ni modifiée et que la caution n'expire qu'en 2004, est-il possible de dire que le demandeur a purgé sa peine et qu'il est, par conséquent, passible d'expulsion nonobstant la déclaration de la Cour suprême du Canada dans Regina c. C.A.M., 105 C.C.C. (3d) 327, p. 359, disant qu'un libéré conditionnel continue de purger sa peine pour toute la durée qui l'assortit quels que soient les changements effectués dans les conditions qui la régissent?

2.         La condition imposée par un agent de libération conditionnelle ou de probation exigeant du délinquant qu'il se présente une fois par mois devant lui n'est-elle pas une décision qui émane d'un fonctionnaire judiciaire à laquelle on ne peut contrevenir en vue d'exécuter une mesure d'expulsion, et cette condition ne fait-elle pas corps avec la peine que le délinquant continue de purger?

[18]            Je suis convaincu que ces questions-là ne sont ni graves ni n'ont une portée générale comme le veut le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration et qu'elles trouvent leur réponse dans le texte précis de l'article 128 de la Loi sur les mesures correctionnelles. Les questions proposées ne seront donc pas certifiées.

[19]            Pour les susdits motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire visant la décision prise le 6 avril 2001 par E. Malowany, agente d'expulsion à l'immigration, est rejetée.

                                                                                                                              « Edmond P. Blanchard »      

                                                                                                                                                                 Juge                         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                 IMM- 1809-01

  

INTITULÉ :                                           CAMPS JONES c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                 23 janvier 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge Blanchard

  

DATE DES MOTIFS :                        9 avril 2002

   

COMPARUTIONS :

M. Munyonzwe Hamalengwa                               POUR LE DEMANDEUR

M. Lorne McClenaghan                                                    POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Munyonzwe Hamalengwa                               POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

  
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