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                                                                                                                      Date : 20041117

                                                                                                           Dossier : IMM-7942-03

                                                                                                       Référence : 2004 CF 1604

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                         NANTHAGOBAL THAVACHELVAM

                                                                                                                               demandeur

                                                                    - et -

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                Le demandeur, Nanthagobal Thavachelvam, est un Tamoul âgé de 32 ans et originaire de Jaffna, au Sri Lanka, qui est entré au Canada le 17 septembre 1995. Il a prétendu craindre d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier (les Tamouls) pour revendiquer le statut de réfugié, mais sa revendication a été rejetée. En mai 2001, il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (CH), demande qui a été rejetée par une décision datée du 30 juin 2003. Le 6 décembre 2002, le demandeur a demandé à faire l'objet d'un examen des risques avant renvoi (ERAR), en invoquant les risques auxquels il serait exposé s'il devait retourner au Sri Lanka. Par décision datée du 18 mars 2003, l'agente d'ERAR a conclu que le demandeur ne courrait pas de risque s'il devait retourner au Sri Lanka. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'ERAR.

Questions en litige

[2]                Le demandeur soulève les deux questions qui suivent.

1.          L'agente d'ERAR a-t-elle enfreint un principe de justice naturelle en ne tenant pas compte de certaines observations présentées par l'avocat du demandeur lors de l'examen de sa demande pour CH?

2.          L'agente d'ERAR, lorsqu'elle a pris sa décision, a-t-elle fait abstraction d'éléments de preuve démontrant qu'un jeune Tamoul serait exposé à un risque s'il devait retourner au Sri Lanka?

Question préjudicielle

[3]                Le défendeur demande qu'on modifie l'intitulé de la présente cause en ne mentionnant plus le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en tant que partie; le dossier de la présente affaire a été transféré à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), laquelle relève du solliciteur général du Canada. Il convient que le solliciteur général du Canada soit le défendeur en l'espèce, et on fera droit à cette demande.


Analyse

1re question en litige - L'agente d'ERAR a-t-elle enfreint un principe de justice naturelle en ne tenant pas compte de certaines observations présentées par l'avocat du demandeur lors de l'examen de sa demande pour CH?

[4]                Le demandeur soutient que l'agente d'ERAR aurait dû prendre en compte certains documents transmis à Citoyenneté et Immigration Canada le 7 avril 2003 ou, subsidiairement, qu'on aurait dû lui fournir l'occasion de formuler des commentaires au sujet de l'ERAR avant que cet examen ne soit mené à bien. Je ne suis pas convaincu que l'un ou l'autre des arguments ici avancés soit bien fondé.

[5]                Il existe une certaine confusion en l'espèce du fait de la nature connexe de l'examen CH et de l'ERAR ainsi que du processus auquel CIC a eu recours pour évaluer les deux demandes en cause. La demande pour CH du demandeur comportait des allégations selon lesquelles il serait exposé à des risques, et cela a entraîné la prise des mesures suivantes :


1.          L'agente d'examen CH devait obtenir une analyse du risque d'un agent [traduction] _ ayant des compétences spécialisées quant aux risques associés à divers pays » . En l'espèce, l'agente d'examen CH, suivant en cela la procédure habituelle de CIC, a transmis le volet analyse du risque à l'agente d'ERAR même ayant procédé à l'ERAR sous examen.

2.          Après avoir été établi, le rapport sur l'avis quant au risque, accompagné d'une lettre d'envoi datée du 18 mars 2003, a été transmis au demandeur, à qui on a fourni l'occasion d'examiner le rapport et de formuler des commentaires relativement à toutes erreurs ou omissions. L'avis quant au risque était intitulé « Examen des risques avant renvoi » et il est identique à l'ERAR dont je suis saisi.

3.         Le demandeur a formulé ses commentaires dans une lettre datée du 7 avril 2003.

4.         Le 12 mai 2003, l'agente d'ERAR a répondu aux observations du 7 avril 2003 en concluant être toujours d'avis que le demandeur ne courrait pas de risque s'il devait retourner au Sri Lanka.

5.          Par une décision datée du 30 juin 2003, l'agente d'examen CH a rejeté la demande pour CH après avoir pris en compte l'avis quant au risque et les autres éléments de la situation du demandeur.


[6]                Le processus d'ERAR qui se déroulait en parallèle a été mené à bien le 18 mars 2003. Le défendeur soutient que l'agente d'ERAR était dessaisie à compter du 18 mars 2003, alors qu'a été rendue la décision relative à l'ERAR.

[7]                Il semble aller contre le simple bon sens, en l'espèce, d'accorder au demandeur l'occasion de commenter un document établi par une agente dans le cadre d'une décision relative aux CH et de ne pas lui accorder une même occasion à l'égard d'un document identique établi par la même agente dans le cadre de l'ERAR. Malgré tout, les deux processus sont régis de façon différente par la loi. L'obligation de fournir au demandeur un avis quant au risque lorsque se découle le processus pour CH existe parce que, dans ce cadre, l'avis constitue simplement l'un parmi différents éléments de preuve devant être communiqués au demandeur avant que l'agente d'examen CH ne rende sa décision (Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.F.) (QL)). Dans le cadre du processus d'ERAR, par contraste, l'ERAR est établi par l'agent d'ERAR et la décision en cause lui incombe. Il n'est pas nécessaire de communiquer une « ébauche » de l'ERAR au demandeur avant la prise de la décision.


[8]                Je suis en outre convaincue qu'en l'espèce, cette séparation existant entre les deux processus n'a pas porté préjudice au demandeur. Ce dernier aurait pu demander le contrôle judiciaire de la décision pour CH, mais il ne l'a pas fait. Le demandeur dispose de la faculté - dont il s'est prévalu - de demander le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'ERAR. Ses droits sont protégés malgré cette étrange procédure source de confusion. Je ne suis pas convaincue qu'il y a eu en l'occurrence erreur susceptible de révision.

2e question en litige - L'agente d'ERAR, lorsqu'elle a pris sa décision, a-t-elle fait abstraction d'éléments de preuve démontrant qu'un jeune Tamoul serait exposé à un risque s'il devait retourner au Sri Lanka?

[9]                Selon le demandeur, l'agente d'ERAR a commis une erreur en faisant abstraction de la preuve documentaire révélant que les jeunes Tamouls courent un risque. Pendant l'audience, le demandeur a fait divers renvois à des documents allant dans ce sens; il s'agit de documents fiables de sources indépendantes, comme le U.S. Department of State Report on Human Rights Practices. L'agente n'ayant pas mentionné expressément cette preuve qui étaye la position du demandeur, ce dernier soutient-il, je devrais en déduire que l'agente en a fait abstraction.

[10]            Je ne puis infirmer la décision de l'agente que si je conclus en son caractère manifestement déraisonnable. À l'aune de cette sévère norme de contrôle, ce qu'il s'agit de se demander c'est si la décision peut ou non recevoir appui d'un quelconque élément de preuve présenté à l'agente.


[11]            L'agente s'est penchée avec soin sur le risque particulier pouvant être couru par le demandeur. Dans sa décision, elle traite de chaque allégation de risque avancée par ce dernier, en faisant mention de ses observations ainsi que de la preuve documentaire pertinente. Elle analyse également la situation générale dans le pays en cause, en tenant compte de tous les documents auxquels le demandeur l'a renvoyée. L'examen de la décision révèle que l'agente n'a pas fait abstraction d'éléments de preuve « contraires » ; l'agente mentionne expressément la violence qui perdure. Je suis en outre convaincue au vu du dossier, qu'on fait plusieurs fois mention dans la preuve de l'amélioration de la situation au Sri Lanka.

[12]            L'agente d'ERAR aurait assurément pu mentionner de façon plus détaillée les parties de la preuve qui étayent les prétentions du demandeur. Ce dernier, toutefois, n'a signalé aucun élément de la preuve documentaire ou par affidavit qui ait clairement été exclu de l'analyse de l'agente, comme cela avait été le cas dans Toro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.) (QL). Il y avait clairement la preuve, dans cette dernière affaire, que le tribunal n'avait tenu aucun compte des documents que le demandeur lui avait fournis. Dans l'affaire qui nous occupe, tous les documents ont été soumis à l'agente et dûment appréciés. C'est à l'agente et non à notre Cour qu'il incombe d'apprécier la preuve.


[13]            Notre Cour a déjà statué que, bien qu'un décideur aux fins de la procédure d'immigration n'ait pas à faire mention de chacun des éléments de preuve qu'on lui a soumis, lorsque certains de ces éléments viennent en contradiction avec ses conclusions, il doit à tout le moins en reconnaître l'existence (Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 140, par. 13 (C.F. 1re inst.) (QL)). Lorsqu'on lit la décision en son entier, on peut constater que l'agente d'ERAR avait conscience des éléments de preuve contraires à ses conclusions et qu'elle en a tenu compte. Ce ne fut pas une erreur que de ne pas reprendre phrase par phrase les divers énoncés enfouis dans la preuve documentaire et pouvant étayer la position du demandeur.

[14]            Je souligne, finalement, que le demandeur sera renvoyé vers Colombo et non dans les régions du nord ou de l'est du Sri Lanka. Le demandeur ainsi que ses père et mère et frères et soeurs (sauf l'une d'elles) se sont établis à Colombo en 1991. La plupart des énoncés auxquels le demandeur m'a renvoyée concernent des risques au nord et à l'est du Sri Lanka. Ces énoncés sont sans rapport avec la situation du demandeur et n'avaient assurément pas à être mentionnés expressément par l'agente d'ERAR.

[15]            Pour résumer cette question, je suis convaincue que l'agente n'a fait abstraction d'aucun élément de preuve et que la preuve étaye sa décision.


Conclusion

[16]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l'une ni l'autre partie n'a demandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          L'intitulé de la cause est modifié par le remplacement comme partie du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration par le solliciteur général du Canada.

2.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                  « Judith A. Snider »                     

                                                                                                                                         Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7942-03

INTITULÉ :                                                    NANTHAGOBAL THAVACHELVAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 10 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    La juge Snider

DATE DE L'ORDONNANCE :                    Le 17 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yehuda Levinson

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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