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Date : 20050916

Dossier : IMM-9700-04

Référence : 2005 CF 1243

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

UJITHA SANJAYA RATHNAYAKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

VUE D'ENSEMBLE

[1]                Si, dans une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, les conclusions de fait sont, selon la norme de contrôle applicable, manifestement déraisonnables, il faut alors réexaminer les faits eux-mêmes en analysant au complet le dossier sur le fondement duquel les conclusions ont été tirées compte tenu tant des éléments de preuve présentés par le demandeur lui-même que des éléments de preuve relatifs à la situation qui existe dans le pays concerné.

            Ce procédé rappelle le pentimento. Il s'agit, comme le peintre, de gratter la toile pour retrouver le dessin original afin de reconstituer la trame d'un récit dont les faits ont été masqués ou mal interprétés.

[2]                « Lorsque la conclusion de non-crédibilité repose sur des invraisemblances relevées par le tribunal, la Cour peut, à l'occasion d'un contrôle judiciaire, intervenir pour annuler la conclusion si les motifs invoqués ne sont pas étayés par les éléments de preuve dont était saisi le tribunal, et la Cour ne se trouve pas en pire situation que le tribunal connaissant de l'affaire pour examiner des inférences et conclusions fondées sur des critères étrangers aux éléments de preuve tels que le raisonnement ou le sens commun [...][1] »

[3]                « Que le requérant soit ou non un témoin digne de foi - et j'ai déjà indiqué que les motifs de la Commission de conclure qu'il ne l'était pas se fondaient sur des erreurs - cela ne l'empêche pas d'être un réfugié à la condition que ses opinions et ses activités politiques soient susceptibles de conduire à son arrestation et à sa punition[2] » .

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[4]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[3] (la LIPR), de la décision en date du 3 novembre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile présentée en vertu de l'article 96 de la LIPR par le demandeur, qui demandait aussi qu'on lui reconnaisse la qualité de « personne à protéger » au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

CONTEXTE

[5]                M. Ujitha Sanjaya Rathnayaka est un citoyen du Sri Lanka. Il craint d'être persécuté du fait de son appartenance à l'Alliance des jeunes pour la paix. M. Rathnayaka a reçu des menaces de la part de Cinghalais (une bande de Cinghalais avait attaqué un camp) qui l'ont intimé de quitter le groupe[4].

[6]                La Commission a accepté que M. Rathnayaka avait travaillé avec le Groupe national des jeunes et l'Alliance pour la paix, mais a exprimé des doutes quant à sa crédibilité relativement aux risques de persécution auxquels il serait exposé[5].

QUESTION EN LITIGE

[7]                La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité au point de rendre une décision manifestement déraisonnable?

ANALYSE

[8]                La Commission a expliqué que M. Rathnayaka avait signalé à la police qu'un groupe de sbires était allé chez sa mère en mai 2003, avant qu'il ne passe dans la clandestinité[6].

[9]                Sur le fondement de la preuve, la Commission a conclu : « Puisqu'il a jugé bon de porter plainte à la police, il ne la craint visiblement pas[7] » .

[10]            En fait, M. Rathnayaka n'a pas signalé l'incident à la police. La Commission a mal interprété la preuve. M. Rathnayaka a clairement indiqué qu'il avait signalé un incident antérieur à la police, mais pas celui-ci. Le FRP porte la mention suivante : [TRADUCTION] « J'avais peur de me rendre une fois de plus au poste de police et de signaler l'incident parce qu'à l'époque [...][8] »

[11]            Le dernier incident que M. Rathnayaka avait signalé à la police remontait à avril 2003 et concernait des faits différents[9].

[12]            Cette erreur est importante parce que la Commission a fait reposer sa conclusion quant à la crédibilité sur le fait que M. Rathnayaka avait approché la police en mai 2003. Cette conclusion a eu une influence déterminante sur la conclusion que la Commission a tirée au sujet du manque de crédibilité de M. Rathnayaka. Si la Commission n'avait pas mal interprété ces éléments de preuve, elle n'aurait pas pu tirer d'inférence négative sur ce point[10].

[13]            M. Rathnayaka s'est caché chez un collègue. La Commission a conclu que les forces de sécurité auraient pu trouver M. Rathnayaka même s'il était demeuré caché[11].

[14]            Sans disposer d'explications satisfaisantes, la Commission a tiré une conclusion arbitraire en estimant qu'entre mai et août 2003, les forces de sécurité auraient pu trouver M. Rathnayaka alors qu'il se cachait chez un ami dans une autre région que la sienne[12].

[15]            La Commission a également conclu : « si les forces de sécurité le recherchaient, elles auraient pu aisément l'empêcher de quitter le pays, à l'aéroport » [13].

[16]            Il s'agit en soi d'une simple spéculation de la part de la Commission. Rien dans la preuve citée par la Commission n'indiquait que les forces de sécurité présentes à l'aéroport auraient été au courant des antécédents de M. Rathnayaka.

[17]            La seule autre réserve formulée par la Commission avait trait au retard. La décision de la Commission ne pourrait être confirmée si elle reposait uniquement sur la question du retard[14].

DISPOSITIF

[18]            Suivant cette analyse, la décision de la Commission était manifestement déraisonnable compte tenu des conclusions de fait qu'elle a tirées.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         L'affaire sera renvoyée à la Commission pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

2.         Aucune question n'est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9700-04

INTITULÉ :                                                    UJITHA SANJAYA RATHNAYAKA

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 7 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Maureen Silcoff                                                 POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Gebeyehu                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

MAUREEN SILCOFF                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS, c.r.                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice et

Procureur général adjoint



[1] Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no37 (QL), le juge MacKay.

[2] Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.), [1989] A.C.F. no 444 (QL), les juges Heald, Mahoney et Hugessen (le juge Hugessen).

[3] L.C. 2001, ch. 27.

[4] Dossier de la demande, affidavit du demandeur, exposé circonstancié et motifs du Formulaire de renseignements personnels (FRP), sur le fondement des éléments de preuve subjectifs ou personnels ainsi que sur ceux concernant l'Alliance des jeunes pour la paix.

[5] Dossier de la demande, motifs, aux pages 4 et 5.

[6] Dossier de la demande, motifs, à la page 6.

[7] Supra.

[8] Dossier de la demande, affidavit du demandeur, pièce A, exposé circonstancié du FRP.

[9] Dossier de la demande, affidavit de P. Vettraino, transcription, aux pages 16 et 17.

[10] Dossier de la demande, motifs, à la page 6.

[11] Dossier de la demande, motifs, à la page 5.

[12] Supra.

[13] Supra.

[14] Page 215 de la transcription au sujet du visa de six mois, ainsi qu'il a été expliqué.

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