Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990623


Dossier : T-53-90

Entre :

     DAME MARGUERITE PELLETIER et

     DAME GISÈLE DE MADDELEIN,

     Appelantes,

     - et -

     GAZODUC TRANS-QUEBEC ET MARITIMES INC.,

     Intimée,

     - et -

     L'HONORABLE MINISTRE DE L'ÉNERGIE,

     DES MINES ET DES RESSOURCES,

     Mis-en-cause,

     - et -

     LADITE DAME GISÈLE DE MADDELEIN,

     Appelante en reprise d'instance.

     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DENAULT

[1]      L'appelante en appelle d'une décision du comité d'arbitrage sur les pipelines rendue le 17 juillet 1989 qui a fixé à quelques centaines de dollars l'indemnité à laquelle elle avait droit en raison de l'expropriation d'une partie de son terrain pour y faire passer un pipeline pour le transport du gaz naturel entre Boisbriand et Lévy-Lauzon.

[2]      Le comité a estimé que l'utilisation la meilleure de la propriété au moment de la prise de possession par l'expropriante, en septembre 1981, était un terrain à vocation agricole ou sylvicole. L'appelante prétend qu'on aurait plutôt dû évaluer son terrain comme une gravière et une sablière, ce qui aurait justifié une indemnité beaucoup plus considérable, et que le comité a commis dans sa décision des erreurs justifiant l'intervention de cette Cour.

[3]      Aux termes de l'article 101 de la Loi sur l'office national de l'énergie, L.R.C. c. N-7, un appel d'une décision du comité d'arbitrage ne peut être interjeté que sur une question de droit ou de compétence. En pareil cas, l'appel à la Cour s'avère de portée assez étroite1, celle-ci ne pouvant alors contrôler que la légalité de la décision et non son bien-fondé, tout en laissant le bénéfice du doute à l'autorité responsable de la décision, surtout lorsque celle-ci bénéficie - c'est le cas en l'espèce - d'une expertise dans le domaine2.

[4]      Le procureur3 de l'appelante plaide les mêmes arguments qu'il a fait valoir et qui ont tous été repris par le comité d'arbitrage, à savoir que a) lors de la prise de possession du terrain de l'appelante le 24 septembre 1981, celle-ci exploitait une gravière et une sablière; b) qu'elle y détenait des droits acquis, et que, c) même si la compagnie à qui elle avait cédé des droits d'exploitation en 1978 avait négligé de se procurer les permis nécessaires à cette exploitation alors qu'elle s'était engagée par contrat à les obtenir, les sables et graviers avaient une valeur nette indépendamment des lois et règlements.

L'appelante exploitait-elle, le 24 septembre 1981, une gravière et une sablière?

[5]      En résumé, le comité d'arbitrage a d'abord retenu de la preuve que si les auteurs de l'appelante, par l'entremise d'un tiers, avaient exploité une carrière de gravier de 1958 à 1962, aucune preuve concluante ne permettait cependant de conclure à une telle exploitation entre 1962 et 1978 et que même entre 1978 et 1981, le contrat intervenu avec Carrières et Excavations St-Roch Inc. ne permettait pas de croire à une exploitation véritable4. À cet égard, la lecture de la preuve faite devant le comité d'arbitrage ne me permet pas de relever d'erreurs significatives dans l'appréciation des faits. Il est vrai que la preuve révélait la vente de certaines quantités de sable pour des montants minimes entre 1975 et 19785. La Cour du Québec dans Champagne c. Tribunal d'appel en matière de protection du territoire agricole, [1992] R.P.T.A. 45 (C.Q.), p. 47, a jugé que: "pour constituer une erreur de droit, l'appréciation des faits faite par le tribunal d'appel doit être telle qu'elle a conduit à une décision déraisonnable."

[6]      En l'espèce, j'estime que le comité d'arbitrage n'a pas commis une telle erreur. En effet, le comité d'arbitrage a, à juste titre, retenu l'enseignement de la Cour d'appel du Québec en Aylmer (Ville d') c. Quesnel, JE 88-916 (C.A.), p. 8, à l'effet que "exploiter signifie "faire valoir", "tirer profit de . . ." . La Cour d'appel avait d'abord précisé que des ". . . petites quantités de sable prélevées ou vendues . . . constituaient tout au plus une utilisation minime dont le rendement dépendait beaucoup plus du hasard des circonstances que d'une intention réelle des occupants de poursuivre et continuer l'exploitation de la carrière comme telle." En somme, la signature du contrat, en 1978, avec Carrières et Excavations St-Roch Inc. démontrait certes de la part de l'appelante et de sa mère (Marguerite Pelletier) l'intention de poursuivre l'exploitation de la carrière. Mais il appert par ailleurs du témoignage de Gilles Savoie, Directeur de Carrières et Excavations St-Roch Inc., qu'il était davantage intéressé, à cette époque, à exploiter la carrière voisine de celle de l'appelante, celle-ci appartenant à la succession Lauzon-Prévost, et qu'il n'a jamais payé à l'appelante le montant minimum de 5 000 $ par année, comme prévu à la clause 3 du contrat (voir note 4), dans la mesure où il n'a jamais commencé à exploiter la gravière. Bref, il n'était pas déraisonnable de la part du comité d'arbitrage de conclure, en l'espèce, que l'appelante n'exploitait pas une sablière entre 1978 et 1981.

L'appelante bénéficiait-elle de droits acquis à l'exploitation d'une gravière et d'une sablière?

[7]      Il importe de rappeler que selon la preuve, les auteurs de l'appelante avaient exploité une carrière de gravier de 1958 à 1962. À l'époque, aucune loi ne contrôlait cette activité. Le 21 décembre 1972 fut sanctionnée la Loi de la qualité de l'environnement 6. L'article 22 de cette Loi oblige quiconque entreprend l'exploitation d'une industrie quelconque à obtenir un certificat d'autorisation du Directeur des services de protection de l'environnement. Le 5 août 1977, est aussi entré en vigueur le règlement relatif aux carrières et sablières7. Aux termes de l'article 2 de ce règlement, "nul ne peut entreprendre l'exploitation d'une carrière ou d'une sablière . . . à moins d'avoir obtenu du Directeur un certificat d'autorisation conformément à l'article 22 de la Loi." Par ailleurs, la Loi sur la protection du territoire agricole 8 fut sanctionnée le 22 décembre 1978. Aux termes de l'article 26 de cette Loi, dans une région agricole désignée, une personne ne peut, sans l'autorisation de la Commission, utiliser un lot à une fin autre que l'agriculture.

[8]      Il va de soi que ces nouvelles lois limitaient singulièrement le droit à la libre exploitation d'une carrière de gravier ou de sable. Or, en l'espèce, dans la mesure où, nous l'avons vu précédemment, la preuve permettait au comité d'arbitrage de conclure qu'entre 1962 et 1978 l'appelante n'avait pas exploité sa carrière, il n'était pas déraisonnable de conclure aussi à l'abandon de cette exploitation et, partant, qu'aucun droit acquis n'avait pu naître à l'encontre des restrictions légales qui sont apparues après 1962.

[9]      En effet, d'une part l'appelante, qui avait le fardeau de démontrer l'existence de droits acquis aux fins de justifier un usage dérogatoire, n'a pas fait la preuve de la continuation de l'exploitation de sa carrière. D'autre part, la preuve démontre plutôt que l'exploitation de cette carrière avait cessé pendant une période suffisamment longue - de 1962 à la signature du contrat de 1978 - faisant présumé une intention d'abandon9. La Commission de protection du territoire agricole avait d'ailleurs refusé à Carrières et Excavations St-Roch, le 2 novembre 1979, l'autorisation d'utiliser à des fins autres qu'agricoles (exploitation d'une gravière) les lots de l'appelante au motif que la gravière n'avait pas été utilisée depuis environ 25 ans10.

Les sables et graviers avaient-ils une valeur nette indépendamment des lois et règlements?

[10]      L'analyse de cette question pourrait amener la Cour à distinguer, sur le plan théorique, l'utilisation possible ou probable d'une partie de terrain sujette à expropriation. En l'espèce, la Cour n'entend cependant pas élaborer sur la question dans la mesure où, de toute façon, l'appelante n'a présenté aucune preuve des quantités de sable ou de gravier que contenait cette carrière ni aucun état, même approximatif, de sa valeur.

[11]      Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

                                 _________________________

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

le 23 juin 1999

__________________

     1      Ouellette, Yves, Les Tribunaux administratifs au Canada - Procédure et preuve , Les Éditions Thémis, 1997, p. 374.

     2      Le contrôle judiciaire de l'action gouvernementale, Recours Québec 1999, Publications CCH Ltée, p. 1409.

     3      L'appelante n'était pas accompagnée de son procureur à l'audition, celui-ci étant hospitalisé. Elle a cependant insisté pour procéder et a plaidé, en substance, les arguments soulevés par son procureur dans son exposé des points d'arguments.

     4      La clause 3 du contrat stipulait: "Au moment où l'acheteuse commencera à exploiter la gravière, elle garantit aux venderesses un montant minimum de 5 000 $ annuellement, payable en 5 versements de 1 000 $ chacun au 15 de chaque mois de août, septembre, octobre, novembre et décembre." Il est en preuve que ces montants n'ont pas été payés.

     5      407 $ en 1975 (p. 297 du dossier d'appel), 63 $ et 393 $ en 1977 (p. 293 et 295), et 249 $ en 1978 (p. 292 et 294).

     6      L.Q. 1972, c. 49.

     7      A.C. 2521-77, 3 août 1977, Gazette officielle du Québec, 17 août 1977, No. 31, p. 3931.

     8      L.Q. 1978, c. 10.

     9      Voir Charron Excavation Inc. c. Ville de Blainville , JE 78-468 (C.A.), No. 09-000359-778, p. 12, et Val Bélair (Ville de) c. Denis, JE 93-1101 (C.S.), No. 200-05-000107-917, (appel rejeté et requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée).

     10      Dossier d'appel, p. 195 à 203.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.