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                                                                 Date : 20020319

                                                             Dossier : IMM-1705-01

                                         

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

                              MARCH SHIPPING

                 Filiale de Nortec Marine Agencies Inc.

                                                             demanderesse

                                  - et -

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire du dépôt, àl'encontre de la demanderesse, d'un certificat émis en vertu du paragraphe 92.1(1) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1985, ch. I-2 et de directives l'enjoignant à déposer un cautionnement à l'égard des huit déserteurs du navire « SEABREEZE I » émises aux termes du paragraphe 92(2) de ladite loi est rejetée.

La question suivante est certifiée conformément au paragraphe 83(1) de la Loi :


Dans le cas d'une personne ou d'une société qui a été déclarée agissant comme « mandataire » d'un commettant (ce commettant étant un « transporteur » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration) au moment oùle « véhicule » (également défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration) a été amené au Canada, ce mandataire reste-t-il un transporteur, et est-il donc à ce titre responsable aux termes de la partie V de la Loi sur l'immigration quand, et à partir du moment où, son mandat se termine pour cause de faillite, de liquidation ou de mise sous séquestre du commettant, quand un accord intervient entre le commettant et le mandataire ou quand le commettant ne répond plus ou ne donne plus de directives au mandataire quant à son mandat?

                                                                   « Yvon Pinard »            

                Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                                 Date : 20020319

                                                             Dossier : IMM-1705-01

                                                Référence neutre : 2002 CFPI 294

ENTRE :

                              MARCH SHIPPING

                 Filiale de Nortec Marine Agencies Inc.

                                                             demanderesse

                                  - et -

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD:

   La demanderesse cherche à obtenir le contrôle judiciaire du dépôt, à son encontre, d'un certificat émis en vertu du paragraphe 92.1(1) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1985, ch. I-2 (la « Loi » ) le 8 janvier 2001 (Cour fédérale du Canada, Section de première instance, dossier no IMM-101- 01) et de directives l'enjoignant àdéposer un cautionnement àl'égard des huit déserteurs du navire « SEABREEZE I » émises en vertu du paragraphe 92(2) de la Loi par le ministère de la Citoyennetéet de l'Immigration.


   La demanderesse est une filiale de Nortec Maritime Agencies Inc. Avant la saisie du navire, la demanderesse agissait àtitre de mandataire de celui-ci à la demande et au nom de la société Premier Operations Ltd., propriétaire et exploitante dudit navire. Vers le 13 septembre 2000, Premier Operations Ltd. devint insolvable et fut, par conséquent, soumise aux procédures de liquidation des Bermudes vers le 18 septembre 2000.

   Le 14 septembre 2000, le navire a été saisi dans le port de Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada, par la Unitor A.S.A.

   La déclaration générale concernant le navire est datée du 14 septembre 2000 et indique comme propriétaires « Premier Cruises » et comme mandataire « March Shipping » .

   Le 28 septembre 2000, trois membres du personnel ont désertéle navire : Marko Luzagic, Orlando Ancona Sinclair et Neven Urosevic.

   Alors que la demanderesse rendait des services àla DLJ Capital Funding Inc., créancière hypothécaire du navire, quatre autres membres du personnel ont déserté le navire : Aleksandar Bogdanovic et Ivana Zecevic, le 20 octobre 2000; Ratko Antovic, le 16 novembre 2000; et Pavle Andesilic, le 6 décembre 2000.

   Le 7 décembre, le navire fut vendu à la DLJ Capital Funding Inc. Le même jour, un autre membre du personnel désertait le navire, Dejan Matijevic.

   La demanderesse a reçu un Avis aux créanciers par lettre du 22 décembre 2000.

   D'après les huit déserteurs ex-membres du personnel du navire, la demanderesse a été enjointe de déposer un cautionnement aux termes du paragraphe 92(2) de la Loi. Pour chacun des déserteurs, ce cautionnement s'élevait à 15 000 dollars, soit un dépôt total de 120 000 dollars.


Le 8 janvier 2001, un certificat daté du 8 janvier 2001 a été signifié à la demanderesse déclarant que 105 000 dollars n'avaient pas été déposés, conformément aux directives émises aux termes du paragraphe 92(2) de la Loi.

Voici les dispositions pertinentes de la Loi :


2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[. . .]

"transporteur"Personne ou groupement, y compris leurs

mandataires, qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen. S'entend en outre, pour l'application des paragraphes 89(2) à (7), des articles 92 et 93 et de l'alinéa 114(1)cc), de l'exploitant d'un pont ou d'un tunnel ou d'une administration aéroportuaire désignée aux termes de la Loi relative aux cessions d'aéroports. La présente définition s'applique aux gouvernements fédéral et provinciaux ainsi qu'aux municipalités, dans la mesure où ils exploitent ou fournissent un tel service.


2. In this Act,

[. . .]

"transportation company"

(a) means a person or group of persons, including any agent thereof and the government of Canada, a province or a municipality in Canada, transporting or providing for the transportation of persons or goods by vehicle or otherwise, and

(b) for the purposes of subsections 89(2) to (7), sections 92 and 93 and paragraph 114(1)(cc), includes any such person or group that operates a bridge or tunnel or is a designated airport authority within the meaning of the Airport Transfer (Miscellaneous Matters) Act;



91.1 (1) Le ministre peut imputer provisoirement au transporteur des frais administratifs, selon le tarif réglementaire, pour toute personne faisant partie d'une catégorie précisée par règlement pour l'application du présent article, dans les cas suivants :

a) la personne a été amenée au Canada par le transporteur et fait l'objet du rapport visé soit à l'alinéa 20(1)a), soit à l'alinéa 27(2)f) pour s'être dérobée à un interrogatoire;

b) la personne est entrée au Canada à titre de membre du personnel d'un véhicule exploité par le transporteur ou pour le devenir et fait l'objet du rapport visé à l'alinéa 27(2)e) à titre de membre du personnel qui a perdu la qualité de visiteur aux termes de l'alinéa 26(1)c.1).


91.1 (1) The Minister may, in accordance with the regulations, make a preliminary assessment of an administration fee against a transportation company in respect of any member of a class of persons prescribed for the purposes of this section

(a) who is brought to Canada by the company and who is the subject of a report pursuant to paragraph 20(1)(a) or a report pursuant toparagraph 27(2)(f) for having eluded examination; or

(b) who enters Canada as or to become a member of the crew of a vehicle operated by the company and who is the subject of a report pursuant to paragraph 27(2)(e) as a member of a crew who has ceased to be a visitor pursuant to paragraph 26(1)(c.1).



92. (2) En l'absence du cautionnement visé au paragraphe (1), le sous-ministre peut, à l'arrivée d'un véhicule au Canada, ordonner au responsable de celui-ci, ou au transporteur, qu'il soit propriétaire ou exploitant du véhicule, de déposer auprès de Sa Majesté du chef du Canada une somme d'argent, en monnaie canadienne, ou tout autre cautionnement réglementaire qu'il estime nécessaire pour garantir le paiement par le transporteur des frais qui pourraient, du fait du


92. (2) Where a vehicle owned or operated by a transportation company that has not deposited the required sum of money or other security pursuant to a direction issued under subsection (1) comes into Canada, the Deputy Minister may issue a direction to the master of the vehicle or to the transportation company requiring the master or company to deposit with Her Majesty in right of Canada such sum of money, in Canadian currency, or such other prescribed security as the Deputy Minister deems necessary as a



véhicule, être mis à sa charge conformément à la présente loi après qu'il en a été ainsi ordonné.


guarantee that the company will pay all amounts for which it may become liable under this Act in respect of that vehicle after the direction is issued.


Dans l'affaire Greer Shipping Ltd. c. Canada (M.C.I.), [2001] 2 C.F. 357, ma collègue le juge Dawson a examiné la question des normes de contrôle à appliquer pour déterminer qui est le mandataire d'un transporteur et, par conséquent, qui est le responsable des frais d'administration visés pas la Loi. Voici ce que l'on trouve à la page 372:

[29]     Tout comme l'a fait remarquer la Cour suprême dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 37, il n'est pas facile dans certains cas de faire la distinction entre ce qui constitue une question de droit et ce qui constitue une question à la fois de fait et de droit. En l'espèce, on n'a exposé aucun motif pour expliquer comment on était parvenu à la conclusion que Greer était un « transporteur » . Il est donc impossible de déterminer si une quelconque erreur a découlé d'une application erronée du droit, du fait qu'on a tenu compte d'une preuve non pertinente, ou encore du fait qu'on a considéré l'ensemble de la preuve requise (et seule la preuve pertinente) pour ensuite parvenir à la mauvaise conclusion, ou, à tout le moins à une conclusion erronée. Si on a commis une quelconque erreur en appliquant le bon droit aux faits, il s'agit alors d'une question à la fois de fait et de droit qui appellerait une norme de contrôle moins sévère.

[30]     Je me propose donc de déterminer les principes juridiques qu'il convient d'appliquer pour ensuite trancher la question de savoir si, au regard de ces principes, la décision résiste à un examen assez poussé (soit un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable simpliciter).

La demanderesse soutient qu'elle ne peut être tenue responsable des frais administratifs pour la période durant laquelle elle fournissait des services de mandataire maritime au nom de la DLJ Capital Funding Inc., créancière hypothécaire du navire. D'après l'argument, la demanderesse aurait donc cesséd'être la mandataire d'un « transporteur » aux fins du paragraphe 92(1) de la Loi quand le navire est devenu insolvable le 13 septembre 2000. Je ne peux me rendre à cet argument à la lumière de la preuve et de la jurisprudence dont je dispose.

Dans l'affaire Flota Cubana de Pesca c. Canada (M.C.I.), [1998] 2 C.F. 303, la Cour d'appel fédérale a confirméqu'il fallait interpréter la partie V de la Loi de façon large. Le juge Stone l'a expliqué ainsi à la page 321 :


[32]     Soulignons que la majorité des dispositions de la partie V et de celles du paragraphe 114(1) qui visent les transporteurs sont libellées en termes généraux et ont une large portée. Mis à part les articles 89 et 89.1 ainsi que les alinéas 114(1)q) et q.1), aucune ne vise directement les entreprises qui assurent un service de transport de voyageurs ni ne s'applique exclusivement à de telles entreprises. En fait, plusieurs visent expressément le recouvrement des dépenses liées au renvoi des membres du personnel qui n'ont pas le droit de demeurer au Canada. Des membres du personnel peuvent être embauchés et transportés au Canada par tous les types de véhicules, qu'ils soient utilisés principalement pour le transport de personnes et de marchandises à titre onéreux, ou à une autre fin. Selon l'interprétation que les requérantes attribuent au terme « transporteur » , seules les entreprises dont l'activité principale consiste à transporter des personnes ou des marchandises à titre onéreux pourraient être tenues responsables des coûts engagés pour renvoyer les membres de leur personnel. Or, il n'existe selon moi aucun motif justifiant que la partie V de la Loi reçoive une interprétation aussi restrictive.

[33]     À mon avis, il ressort de la partie V de la Loi que son but principal consiste à libérer le gouvernement fédéral des coûts associés à l'entrée de personnes sans statut au Canada et à leur renvoi subséquent en les imputant plutôt aux transporteurs qui les ont amenés au pays. Les dispositions de la partie V favorisent également la réalisation de l'objectif général de la Loi en décourageant les transporteurs d'amener au Canada des personnes qui n'ont pas le droit d'y entrer ou d'y demeurer. À mon avis, la définition plus étendue du terme « transporteur » énoncée dans la version anglaise de la Loi assure le mieux la réalisation de ses objets et exprime le vrai sens de cette disposition. Les articles 91.1 et 92 ont pour effet d'intégrer les dépenses découlant du renvoi au coût éventuel des activités de toutes les entreprises qui transportent des personnes ou des marchandises ou qui en assurent le transport au Canada. (Non soulignédans l'original)

Je crois qu'il était raisonnable pour le défendeur d'avoir conclu que la demanderesse agissait à titre de mandataire du transporteur qui avait amené le navire et les déserteurs au Canada.

Comme cela l'a été énoncédans l'affaire Flota Cubana de Pesca, précitée, et confirmédans l'affaire Greer Shipping Ltd., précitée, à la page 379, paragraphe 59, l'interprétation appropriée à donner au terme « transporteur » doit être une interprétation large. Lorsqu'on examine les objectifs sous-jacents au paragraphe 91.1(1) et à l'article 92 de la Loi, tant d'un point de vue économique que d'un point de vue social, il n'est que logique, àmon avis, que l'entité responsable des frais de renvoi des personnes qui ont cessé d'avoir le statut de visiteurs au Canada soit le « transporteur » qui a amené les déserteurs au pays.


Après avoir examiné la documentation soumise par la demanderesse, en plus des deux affidavits soumis par des individus montrant que le navire était devenu insolvable le 13 septembre 2000 et que des procédures en liquidation avaient été intentées le 18 septembre 2000, il ne semble pas y avoir de preuve concrète confirmant que cette information ait été transmise au défendeur.

De même, je ne crois pas que la demanderesse ait signifié au défendeur qu'elle avait officiellement mis fin aux services qu'elle offrait àla Premier Operations Ltd. quand les directives ont été émises aux termes du paragraphe 92(2) de la Loi. Comme le prouve la documentation de la demanderesse, March Shipping agissait en fait à titre de mandataire de la propriétaire du navire, Premier Operations Ltd., au moment de la saisie.

Je trouve aussi que la demanderesse correspond à la définition générale du mandataire, telle que l'a formulée le juge Dawson dans l'affaire Greer Shipping Ltd., précitée, à la page 386, paragraphe 77. En l'occurrence, des huit avis de désertion reçus par le défendeur, six indiquaient March Shipping comme mandataire du navire. De même, àla page 76 du dossier du tribunal, se trouve une déclaration générale destinée à l'Agence des douanes et du revenu du Canada signée par un individu au nom de March Shipping, mandataire. Cette déclaration est datée du 14 septembre 2000, soit un jour après la date de déclaration d'insolvabilité.

Pour les motifs qui précèdent, j'estime qu'il était raisonnable pour le défendeur de conclure que la demanderesse agissait à titre de mandataire de la Premier Operations Ltd., laquelle a amené le « SEABREEZE I » et ses déserteurs au Canada et est donc responsable des frais d'administration et des frais de renvoi associés à ces déserteurs.


Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question suivante est certifiée conformément au paragraphe 83(1) de la Loi :

Dans le cas d'une personne ou d'une société qui a été déclarée agissant comme « mandataire » d'un commettant (ce commettant étant un « transporteur » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration) au moment oùle « véhicule » (également défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration) a été amené au Canada, ce mandataire reste-t-il un transporteur, et est-il donc à ce titre responsable aux termes de la partie V de la Loi sur l'immigration quand, et à partir du moment où, son mandat se termine pour cause de faillite, de liquidation ou de mise sous séquestre du commettant, quand un accord intervient entre le commettant et le mandataire ou quand le commettant ne répond plus ou ne donne plus de directives au mandataire quant à son mandat?

                                                                   « Yvon Pinard »            

                Juge

OTTAWA (ONTARIO)

19 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                        COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                   IMM-1705-01

INTITULÉ:                          MARCH SHIPPING c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :        22 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :           19 mars 2002

COMPARUTIONS:

Mme Daphnee Vezina et

M. Alain Pilotte                                   POUR LA DEMANDERESSE

Mme Lori Rasmussen                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Mme Daphnee Vezina                                  POUR LA DEMANDERESSE

M. Morris Rosenberg                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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