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Date : 20191125


Dossier : T-1379-18

Référence : 2019 CF 1499

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 25 novembre 2019

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

LAZY BEAR LODGE LTD., FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE LAZY BEAR LODGE LTD. ET DE LAZY BEAR EXPEDITIONS, SEAL RIVER HERITAGE LODGE LTD., FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE SEAL RIVER HERITAGE LODGE LTD. ET DE CHURCHILL WILD, SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF ENREGISTRÉE, ET CHURCHILL WILD

demanderesses

et

CANADA (MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE) ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Par avis de demande de contrôle judiciaire déposé le 19 juillet 2018, Lazy Bear Lodge Ltd., faisant affaire sous le nom de Lazy Bear Lodge Ltd. et de Lazy Bear Expeditions, Seal River Heritage Lodge Ltd., faisant affaire sous le nom de Seal River Heritage Lodge Ltd. et de Churchill Wild, société en nom collectif enregistrée, et Churchill Wild (les demanderesses) contestent le Règlement modifiant le Règlement sur les mammifères marins, DORS/2018-126 (le Règlement), pris en vertu de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14, la décision du Canada et du ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (le ministre) de prendre le Règlement, de le publier, de l’enregistrer et/ou de le mettre en vigueur le 22 juin 2018 ou vers cette date, la décision du ministre de rejeter ou de ne pas prendre en considération la demande d’exemption que lui ont présentée les demanderesses au titre du paragraphe 38(1) du Règlement, ainsi que toutes les décisions ou décisions éventuelles du ministre visant à faire respecter le Règlement ou à l’appliquer à l’activité commerciale des demanderesses.

[2]  Les défendeurs sont le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne et le procureur général du Canada (les défendeurs).

[3]  Le 17 août 2018, les demanderesses ont demandé la production des documents et éléments matériels suivants, en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) :

a)  les études et rapports scientifiques;

b)  les statistiques, enquêtes et calculs et les rapports et données connexes;

c)  les communications, discussions et/ou consultations avec les intérêts commerciaux et l’industrie des organisateurs d’excursions;

d)  les communications, discussions et/ou consultations avec d’autres ministres et organismes gouvernementaux;

e)  la documentation nommant les parties prenantes consultées, y compris les entreprises d’écotourisme, les chercheurs, les biologistes, les plaisanciers, les Premières Nations, les ONG, les pêcheurs, les membres du Conseil consultatif sur la pêche sportive, les ministères intéressés et les organisations de chasseurs et de trappeurs;

f)  les envois postaux aux parties prenantes, y compris les trousses de consultation et les réponses reçues;

g)  les directives régionales existantes et projetées sur la façon d’approcher et d’observer les mammifères marins;

h)  les rapports sur les collisions et les contacts fortuits des véhicules ou engins de pêche avec des mammifères marins;

i)  les commentaires et réponses reçus en réaction à la publication des modifications projetées le 24 mars 2012;

j)  la preuve que la présence de navires d’observation de la faune marine perturbe cette faune.

[4]  Dans une lettre datée du 6 septembre 2018, les défendeurs se sont opposés à la production des documents et éléments matériels demandés par les demanderesses en ces termes :

[traduction

[…]

a) Les documents demandés n’ont pas de lien avec le dossier qu’avait en main le décideur, le gouverneur en conseil, pour rendre la décision faisant l’objet du contrôle, à savoir le décret C.P. 2018-842 en vertu duquel a été pris le Règlement modifiant le Règlement sur les mammifères marins; 

b) Tous les documents dont disposait le gouverneur en conseil pour rendre la décision faisant l’objet du contrôle constituent un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ne peuvent être divulgués en raison de leur caractère confidentiel, à l’exception du décret lui-même. Par courtoisie, nous joignons aux présentes une version numérisée de la copie certifiée – en anglais et en français – du décret C.P. 2018-842 pris le 21 juin 2018.

[…]

[5]  Les défendeurs ont annexé à leur lettre une copie du décret du 21 juin 2018 en vertu duquel le Règlement a été pris, suivant l’article 43 de la Loi sur les pêches.

[6]  Mécontentes de la réponse des défendeurs, les demanderesses ont demandé, par avis de requête déposé le 20 décembre 2018, la réparation suivante :

[traduction

1.  Une ordonnance contraignant la production de tous les documents et éléments matériels que le Canada a en sa possession relativement au processus décisionnel ayant mené à la prise du Règlement, et notamment :

a.  Tous les documents et éléments matériels que le ministère des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne a en sa possession concernant l’analyse et la rédaction du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation relatif au Règlement;

b.  Tous les documents et éléments matériels que le ministère des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne a en sa possession concernant la décision du ministre de présenter un projet de réglementation au Bureau du Conseil privé relativement au Règlement;

c.  Tous les documents et éléments matériels en la possession du Conseil du Trésor du Canada pour l’approbation de la publication préalable du projet de Règlement;

d.  La décision du gouverneur en conseil, du Canada et du ministre de prendre le Règlement et de proclamer son entrée en vigueur;

2.  Les dépens de la présente requête;

3.  Toute autre réparation que l’honorable Cour estime juste.

[7]  Les demanderesses soutiennent que la décision en question, soit celle de prendre certaines dispositions réglementaires, est le fait de divers acteurs, dont le ministère des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, le Conseil du Trésor du Canada et le gouverneur en conseil, et qu’elles ont besoin de consulter les documents créés et examinés par ces participants.

[8]  Les défendeurs répondent que la décision en question, à savoir le Règlement, a été prise par le gouverneur en conseil et que le document produit le 6 septembre 2018 est le seul qui soit utile pour satisfaire aux exigences de l’article 317 des Règles.

[9]  Après l’audition de la requête, le 18 juin 2019, les défendeurs ont produit la décision Gray c Canada (Procureur général), 2019 CF 301, ainsi que des observations quant à l’application de cette décision dans le cadre de la requête des demanderesses.

[10]  En réponse, les demanderesses ont produit une lettre datée du 26 juin 2019 et elles ont fait valoir que la décision Gray, précitée, appelait une distinction quant aux faits.

[11]  À mon avis, l’issue de la requête des demanderesses dépend de la manière dont on définit la décision et le décideur.

[12]  Les demanderesses tentent de définir toutes les étapes ayant mené à l’adoption du Règlement comme étant la « décision ». Les défendeurs opposent que cette « décision » est le Règlement même.

[13]  Sur ce point, je me range aux arguments des défendeurs.

[14]  L’objet de la demande de contrôle judiciaire est le Règlement. La requête porte sur l’étendue de la documentation que doivent produire les défendeurs relativement à la demande de contrôle judiciaire, qui elle porte sur l’adoption du Règlement.

[15]  En l’espèce, le décideur est le gouverneur en conseil, agissant en vertu de l’article 43 de la Loi sur les pêches. Cette disposition autorise le gouverneur en conseil à « prendre des règlements d’application de la [Loi sur les pêches] » sur une vaste gamme de questions.

[16]  Le paragraphe 317(1) des Règles est pertinent. Il prévoit ce qui suit :

Matériel en la possession de l’office fédéral

Material from tribunal

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

[17]  Dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, aux paragraphes 107 et 108, le juge Stratas procède à une analyse de la portée de l’article 317 des Règles :

[107]  L’article 317 a l’effet que prévoit son libellé. Les seuls documents accessibles en vertu de cet article sont ceux qui sont « pertinents quant à la demande » et « en la possession » du décideur administratif, et de lui seul. Le paragraphe 318(1) dispose que les documents visés par l’article 317 doivent venir d’un décideur administratif, et non d’une autre source.

[108]  Les documents doivent être pertinents. Le document qu’un demandeur sollicite, car il « pourrait être pertinent dans l’espoir d’en établir la pertinence par la suite », n’est pas visé par l’article 317 (Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, par. 21. Les principes abordés plus haut — tout particulièrement ceux qui sont prévus au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales et à l’article 3 des Règles des Cours fédérales quant à la célérité et à la bonne marche des contrôles judiciaires découragent les recherches à l’aveuglette.

[18]  Dans la décision Gray, précitée, la juge Kane a fait sienne l’approche énoncée dans l’arrêt Tsleil-Waututh, précité. Au paragraphe 94, elle déclare :

[94]  Sans vouloir insister sur ce point, la jurisprudence actuelle et contraignante établie en appel et résumée dans l’arrêt Tsleil-Waututh confirme le principe général selon laquelle [sic] « ne sont visés par l’article 317 que » les documents pertinents, déterminés en fonction des motifs énoncés dans l’avis de demande, qui étaient en la possession du décideur au moment de la prise de décision (au paragraphe 112). […]

[19]  Pour le moment, la Cour n’a pas à se prononcer sur le fondement de la demande de contrôle judiciaire des demanderesses. Lorsque viendra le temps de trancher la question du bien-fondé de cette demande, la cour de révision pourra entreprendre cette tâche en suivant les indications données par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 46 de l’arrêt Commission canadienne du blé c Canada (Procureur général), [2010] 3 RCF 374 (CAF) :

[46]  La première étape d’une analyse de la validité consiste à identifier la portée et l’objet du pouvoir conféré par la loi en vertu duquel le décret contesté a été publié. Un tel exercice exige que le paragraphe 18(1) soit examiné dans le contexte de la Loi dans son ensemble. La deuxième étape consiste à déterminer si le pouvoir conféré par la loi permet cette législation par délégation particulière (Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595, par. 14).

[20]  Les demanderesses prétendent que le Règlement aura des effets d’une portée considérable sur leurs activités commerciales. Pour étayer leur prétention, elles demandent la production d’un vaste éventail de documents et d’éléments matériels.

[21]  Le règlement adopté en vertu d’un pouvoir légitimement conféré par la loi ne devient pas invalide du seul fait qu’il peut avoir des répercussions négatives : voir Sandy Pond Alliance to Protect Canadian Waters Inc. c Canada, [2015] 1 R.C.F. 283.

[22]  La présente requête ne concerne que l’obligation des défendeurs de se plier aux exigences du paragraphe 317(1) des Règles. Les défendeurs affirment que la majorité, si ce n’est la totalité, des documents examinés par le gouverneur en conseil sont considérés comme des renseignements confidentiels du Cabinet au sens de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5.

[23]  La Cour n’est pas saisie de la question de la confidentialité des renseignements du Cabinet dans le cadre de la présente requête. En effet, il n’est pas encore temps pour elle de statuer sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire.

[24]  Les demanderesses n’ont pas réussi à montrer qu’elles ont droit à la production des documents qu’elles demandent parce que ceux-ci constituent un élément pertinent du dossier de l’office fédéral.

[25]  La requête est par conséquent rejetée.

[26]  Les défendeurs ont indiqué que, s’ils obtenaient gain de cause dans le cadre de la présente requête, ils solliciteraient des dépens de 1500 $, débours compris, indépendamment de l’issue de la cause.

[27]  Selon le paragraphe 400(1) des Règles, le pouvoir d’adjuger les dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, j’adjuge aux défendeurs, quelle que soit l’issue de la cause, les dépens de la requête, fixés à 1500 $, débours compris.


ORDONNANCE dans le dossier T-1379-18

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée et que les dépens de la requête, au montant de 1500 $, débours compris, soient adjugés aux défendeurs, quelle que soit l’issue de la cause.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de décembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1379-18

 

INTITULÉ :

LAZY BEAR LODGE LTD., FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE LAZY BEAR LODGE LTD. ET DE LAZY BEAR EXPEDITIONS, SEAL RIVER HERITAGE LODGE LTD., FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE SEAL RIVER HERITAGE LODGE LTD. ET DE CHURCHILL WILD, SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF ENREGISTRÉE, ET CHURCHILL WILD c CANADA (MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE) ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juin 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Rod C. Roy

Ryan Savage

 

Pour les demanderesses

Susan Eros

 

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Taylor McCaffrey LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les défendeurs

 

 

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