Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050428

Dossier : T-2792-96

Référence : 2005 CF 582

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                         

ENTRE :

                           MERCK & CO., INC., MERCK FROSST CANADA & CO.,

SYNGENTA LIMITED, ASTRAZENECA UK LIMITED

et ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une requête visant à interjeter appel d'une décision rendue par le protonotaire Morneau, en date du 23 août 2004, et dans laquelle ce dernier a procédé au réexamen de la requête déposée par Apotex relativement à des objections soulevées au cours de la première et de la deuxième série d'interrogatoires préalables de représentants et de témoins de Merck & Co., Inc. et de Merck Frosst Canada & Co. (ci-après collectivement désignées sous « Merck » ).

[2]                Dans la requête, telle qu'elle a été déposée, Apotex sollicite une ordonnance qui obligerait les représentants et témoins de Merck à se présenter à nouveau pour un interrogatoire préalable dans le but de fournir les réponses qui n'avaient pas été données aux questions posées au cours de ces interrogatoires, ainsi que pour répondre à toute nouvelle question susceptible d'être soulevée à partir des réponses données. Lors de l'audition de la présente requête, Apotex a indiqué qu'elle se satisferait de réponses écrites aux questions énumérées dans les annexes du dossier de requête, sous réserve d'être autorisée à effectuer un contre-interrogatoire au sujet de ces réponses.

CONTEXTE

[3]                Certaines explications relatives à la présente instance sont nécessaires pour replacer la décision du protonotaire Morneau dans son contexte, étant donné le long historique de l'affaire.


[4]                L'action sous-jacente en contrefaçon a été intentée par les demanderesses initiales, Merck & Co., Inc., Merck Frosst Canada Inc., Zeneca Pharma Inc. et Zeneca Limited au mois de décembre 1996 à la suite de la contrefaçon des lettres patentes canadiennes 1,275,350 (le brevet 350). Le brevet, octroyé à Merck en octobre 1990 et devant expirer en octobre 2007, comporte des revendications pour, entre autres choses, le composé connu sous le nom de « lisinopril » , qui appartient à la famille des inhibiteurs de l'ECA[1] utilisés dans le traitement de l'hypertension. Zeneca Ltd., maintenant connue sous le nom de Syngenta, AstraZeneca UK et AstraZeneca Canada sont des détentrices de licences de Merck. Elles n'ont joué qu'un rôle mineur dans la présente instance.

[5]                En 1993, Apotex a demandé la délivrance d'un avis de conformité afin de commercialiser des comprimés de lisinopril provenant d'un stock acquis avant la délivrance du brevet, comme l'y autorise l'article 56 [modifié par L.C. 1993, ch. 44] de la Loi sur les brevets L.R.C. 1985, ch. P-4. Une ordonnance interdisant la délivrance de l'avis de conformité a été délivrée par la section de première instance de la Cour fédérale pour éviter qu'en cas d'épuisement des stocks, l'avis de conformité ne soit utilisé dès lors pour vendre des médicaments contrefaits. La Cour d'appel fédérale a invalidé cette décision au motif qu'un avis de conformité ne devait pas être refusé en raison de la possibilité théorique de contrefaçon : Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3e) 190 (C.F. 1 re inst.), inf. par (1996), 206 N.R. 1 (C.A.F.).

[6]                Lors des procédures relatives à cet avis de conformité, l'avocat d'Apotex a reconnu qu'il y aurait contrefaçon, n'eût été la protection prévue par l'article 56 : Zeneca Pharma (1996) précité, au paragraphe 5.


[7]                Apotex a commencé à commercialiser les comprimés de lisinopril sur le marché canadien en 1996. Merck et les autres demanderesses prétendent qu'Apotex a épuisé son stock acquis avant la délivrance du brevet et qu'elle acquiert et vend depuis lors des quantités substantielles de lisinopril non autorisé, dépassant ainsi le nombre de comprimés de lisinopril autorisés ou acquis avant la délivrance du brevet, qu'elle était autorisée à vendre en vertu de l'article 56.

[8]                En plus de l'argument relatif à l'article 56, Apotex a, au cours des années qui ont suivi, étoffé sa défense face aux accusations de contrefaçon en invoquant un large éventail d'allégations d'invalidité du brevet 350, comme la portée excessive, le caractère inopérant, l'inutilité, la divulgation insuffisante, l'instabilité des formules revendiquées, l'antériorité et l'évidence.

[9]                Plus spécifiquement, Apotex prétend que la demande 607,198, déposée le 1er août 1989 et à la suite de laquelle le brevet 350 a été délivré le 16 octobre 1990, constituait une demande complémentaire irrégulière de la demande 341,340, déposée le 6 décembre 1979, et que la poursuite de la demande a été délibérément et indûment retardée pour tirer avantage de la législation canadienne en matière de brevets entrée en vigueur en 1987 et 1989.


[10]            Apotex cherche à montrer, entre autres choses, que les composés ne relevant pas du brevet 350 mais visés par la demande 340 ont les mêmes propriétés que ceux revendiqués dans le brevet et qu'ils auraient dû être considérés comme faisant partie de la même invention. De plus, elle espère prouver au cours de l'instruction que certains des composés du brevet 350 n'ont pas l'utilité alléguée ou qu'ils ne peuvent être synthétisés. Par conséquent, Apotex soutient que les informations relatives à tout composé visé par la demande 340 sont pertinentes en regard de ses allégations et qu'elles devraient pouvoir faire l'objet d'un interrogatoire préalable.

[11]            En rapport avec le présent litige, Merck a rassemblé des informations relatives à certains des composés de la demande 340 qui avaient été synthétisés ou testés, dans le but de démontrer le développement de l'invention revendiquée dans le brevet 350 et pour réfuter, par analogie, les allégations d'Apotex sur l'inutilité, le caractère inopérant et la portée excessive.

[12]            Au cours de l'interrogatoire de deux des inventeurs nommés, M. Wyvratt (qui est également un représentant désigné de Merck) et M. Padgett, interrogatoire qui a duré 13 jours entre octobre 2001 et mars 2002, et au cours duquel des milliers de questions ont été posées et des milliers de réponses données, un certain nombre de questions et de demandes de documents ont été refusées (ou prises en délibéré et par la suite refusées). Les questions restées sans réponses et les documents qui n'avaient pas été produits se rapportaient pour la plupart au travail que les inventeurs avaient effectué sur les composés faisant l'objet de recherches; ces derniers avaient été initialement inclus dans la demande de brevet 340, mais subséquemment rattachés à une demande complémentaire autre que la demande 198, ou rayés de toute demande. Merck a divulgué un certain nombre de documents se rapportant à ces composés, mais pas leur totalité, et a refusé de répondre aux questions ou de produire des documents concernant le travail des inventeurs sur l'instabilité de différents composés inclus dans la demande 340.


[13]            En juin 2002, Apotex a présenté devant le protonotaire Morneau une requête pour exiger des réponses à ces questions et la divulgation des documents requis. Initialement, près de 800 questions et 133 engagements regroupés dans 26 catégories générales étaient en cause. Ces chiffres ont été réduits par suite d'un accord survenu entre les parties avant l'audition de la requête. Dans une décision en date du 21 août 2002, le protonotaire Morneau, tout en la limitant, a ordonné que la divulgation soit facilitée, et une deuxième série d'interrogatoires préalables a par la suite eu lieu relativement à ces questions. Le protonotaire Morneau a rejeté la requête d'Apotex relativement à un grand nombre de questions pour le motif que de laisser le processus d'interrogatoires préalables s'enliser indéfiniment en exigeant des réponses n'aurait pas constitué une bonne pratique de gestion de l'instance et ce, même si les questions posées et les documents demandés auraient pu avoir une certaine pertinence : (2002), 223 F.T.R. 269 (1re inst.).

[14]            Apotex a interjeté appel de cette décision. Le juge Noël a confirmé la décision du protonotaire Morneau, étant d'avis qu'il avait convenablement évalué la pertinence des questions d'Apotex eu égard au règlement expéditif du litige : (2003), 24 C.P.R. (4e) 251 (1 re inst.). Apotex a une nouvelle fois interjeté appel de cette décision. La Cour d'appel fédérale a fait droit à l'appel : (2003), 312 N.R. 273 (C.A.F.).

[15]            Aux paragraphes 12 à 15, le juge Strayer, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, énonçait ce qui suit :

_ [12] Dans les appels interjetés contre des décisions de juges des requêtes en révision de décisions de protonotaires, la présente Cour est très réticente à intervenir. Cela est particulièrement vrai à lgard des décisions de juges responsables de la gestion des instances et de protonotaires, car la jurisprudence a établi que la Cour n'intervient alors « que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » (Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346 à la page 354).


_ [13] À mes yeux toutefois, en l'espèce, une erreur de principe a entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire et le juge des requêtes a confirmé la décision de ce dernier. Selon mon interprétation, l'article 385 des Règles n'autorise pas un juge responsable de la gestion de l'instance ou un protonotaire, dans les directives nécessaires qu'il donne pour permettre « d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » , à refuser à une partie le droit que lui confère la loi d'obtenir, dans un interrogatoire préalable, des réponses pertinentes à lgard des questions soulevées dans les actes de procédure. Ce droit n'est pas seulement « théorique » (comme le dit le protonotaire), mais il est expressément prévu à l'article 240 des Règleset, à mon avis, les termes généraux de l'alinéa 385(1)a) ou de l'article 3 des Règles ne sont pas suffisants pour permettre de passer outre à ce droit spécifique. Je fais également observer que le mot « juste » , qui figure dans ces deux articles des Règles sur lesquels s'appuient les intimées et les auteurs des décisions visées, confirme que la justice ne doit pas être subordonnée au caractère expéditif de l'instance. Toute personne qui est partie à une action civile a le droit de formuler en interrogatoire préalable toute question pertinente à lgard de l'objet du litige : il s'agit d'une question de justice à l'endroit de cette personne, naturellement assujettie au pouvoir discrétionnaire du protonotaire ou du juge de refuser la question dans le cas oùelle constitue un abus de procédure pour l'une des raisons mentionnées ci-dessus. Dans la présente affaire, il n'a ététiréaucune conclusion de cette nature. [Non souligné dans l'original.]

_ [14] Je ferai aussi remarquer que de limiter la portée des questions par souci de célérité pourrait se révéler contre-productif dans certaines affaires. Parmi les buts de l'enquête préalable, l'un est de simplifier la preuve au procès et un autre, de restreindre les questions qui demeurent en litige. Ces deux buts étant en pleine conformité avec la « célérité » , c'est à tort qu'on tient pour acquis que le caractère exhaustif de l'enquête préalable fera toujours obstacle à la possibilité « d'apporter une solution au litige [...] la plus expéditive [...] possible » .

_ [15] Dans le présent appel, je ne suis pas persuadé que le protonotaire s'est penché sur les questions spécifiques de pertinence. Les questions de pertinence n'ont pas été nettement soulevées devant lui au paragraphe 19 des observations des intimées, sur lequel il s'est appuyé et qu'il a adoptédans son raisonnement. En outre, il laisse entendre dans ses motifs que sa conclusion finale se fondait sur son interprétation des impératifs de la gestion des instances, et non sur des critères de pertinence. En particulier, il n'a pas conclu spécifiquement que les questions ne justifiaient pas de réponses parce que, en dépit de leur pertinence, elles constituaient, par exemple, un abus de procédure du fait qu'elles invitaient une opinion ou en raison de leur portée. [Non souligné dans l'original.]


[16]            Alors que ces appels étaient en cours d'instance, une deuxième série d'interrogatoires préalables a eu lieu pendant trois jours en janvier 2003. Ces interrogatoires portaient sur les questions dont le protonotaire Morneau avait, lors de la première série d'interrogatoires préalables, ordonné qu'il y soit répondu; par ailleurs, 80 autres questions et demandes de documents ont été refusées par Merck. Apotex a alors présenté une nouvelle requête dans le but d'obtenir une ordonnance qui forcerait les témoins de Merck à répondre aux questions. Se fondant sur les mêmes principes que ceux qu'il avait appliqués dans la décision du 21 août 2002, le protonotaire Morneau a rejeté la requête : 2003 CFPI 558, [2003] A.C.F. no 1972. Apotex a interjeté appel de cette décision. Par ordonnance en date du 17 décembre 2003, le juge Russell a renvoyé la deuxième série d'interrogatoires préalables au protonotaire Morneau pour qu'il statue à nouveau en conformité avec la décision de la Cour d'appel : (2003), 29 C.P.R. (4e) 457 (1re inst.).

[17]            Le protonotaire Morneau a décidé que les deux réexamens des requêtes d'Apotex seraient tranchés ensemble. En ce qui concerne ces réexamens combinés, Apotex a déposé un nouveau dossier de requête et Merck a soumis deux nouveaux affidavits. Apotex s'est opposée à la réception de ces affidavits. Le protonotaire Morneau, par ordonnance en date du 12 février 2004, a autorisé la réception des affidavits ainsi que le dépôt par Apotex d'autres affidavits en guise de réponse. Cette ordonnance n'a pas été portée en appel.

[18]            Les affidavits de Merck ont été souscrits par M. André B. Charette, professeur de chimie à l'Université de Montréal, et par Edward W. Murray, avocat coordonnateur pour le contentieux de propriété intellectuelle de Merck & Co. (la compagnie mère américaine de Merck Frosst Canada).


[19]            M. Charette a reçu de Merck, entre autres informations, des documents sur les structures chimiques des 226 composés étudiés par les chercheurs de Merck lors du développement de l'invention revendiquée dans la demande 340. Il a analysé ces composés afin de déterminer s'ils étaient visés par le brevet 350, la demande 340 telle qu'elle avait été déposée, ou ni l'un ni l'autre. Son affidavit portait sur cette classification. Bien que Merck ait produit les structures de 150 composés sur les 226 examinés par M. Charette, les 76 composés restants ne l'ont pas été et sont, en partie, visés par les requêtes d'Apotex.

[20]            L'affidavit de Me Murray décrivait le fardeau que les interrogatoires préalables avaient déjà représenté pour Merck en l'espèce et faisait valoir que d'autres recherches à partir des installations d'archivage de documents allaient prendre énormément de temps, nécessiter beaucoup d'efforts, produire un énorme volume de documentation, et qu'elles allaient détourner les employés de leur mission première. Il a nié que Merck ait déjà procédé à la compilation des documents et des informations demandées par Apotex. En contre-interrogatoire, Me Murray a reconnu que les préoccupations relatives au fardeau occasionné n'auraient pas été soulevées si Merck avait rassemblé les informations aux seules fins des litiges. Il a également reconnu la pertinence d'une comparaison entre la structure des composés visés par la demande 340 et celle des composés visés par le brevet 350 afin d'appuyer les allégations d'Apotex selon lesquelles certains des composés visés par le brevet 350 étaient inutiles ou impossibles à synthétiser.


[21]            Apotex a déposé deux affidavits en guise de réponse, l'une de M. Robert A. McClelland, professeur de chimie à l'Université de Toronto et l'autre de M. Garland Ross Marshall, professeur de biochimie, de biophysique moléculaire et d'informatique biomédicale à la Faculté de médecine de l'Université de Washington.

[22]            M. McClelland a fait remarquer que l'information donnée par M. Charette sur les 226 composés avait déjà été obtenue aux fins de son affidavit. Par conséquent, l'obtention de cette information ne devrait nécessiter aucun effort additionnel. Il prétend également que Merck ne devrait guère avoir de difficulté à retrouver les documents en question, si elle ne l'a pas déjà fait. Selon lui, la connaissance des composés visés par la demande 340 mais non par le brevet 350 est nécessaire pour que les experts témoignant au cours de l'instance répondent de manière éclairée à la question de savoir si les deux catégories de composés constituent une invention ou pas (comme on le prétend dans la demande américaine 968 249) et s'ils ont l'utilité revendiquée.

[23]            M. Marshall a exprimé l'opinion que tous les documents se rapportant aux composés synthétisés par Merck sont tout à fait pertinents et indispensables pour permettre aux experts d'aider la Cour à trancher les questions dont elle est saisie, et qu'il convient donc d'en ordonner la production. M. Marshall présume que Merck a déjà procédé à la récupération de la documentation pertinente pour évaluer quels documents elle allait produire.

[24]            Des contre-interrogatoires ont été effectués sur chacun des affidavits déposés par les parties.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE


[25]            Dans son ordonnance en date du 23 août 2004, le protonotaire Morneau a rejeté la requête d'Apotex relativement à chacune des questions encore en litige entre les parties et a jugé que le représentant de Merck & Co., M. Wyvratt, et le représentant de Merck Frosst Canada & Co., Me Hébert, n'auraient pas à recomparaître pour la suite des interrogatoires préalables : 2004 CF 1166, [2004] A.C.F. no 1432.

[26]            Au début de ses motifs, le protonotaire Morneau a examiné les motifs donnés par la Cour d'appel pour justifier l'annulation de la décision du juge Noël (rendue le 21 août 2002) et a reproduit les principes résumés dans l'affaire Reading & Bates Construction Co. et al. c. Baker Energy Resources Corp. et al. (1988), 24 C.P.R. (3rd) 66, aux p. 70 à 72 (C.F. 1re inst.), qui avait été cités et approuvés en ces termes par la Cour d'appel, au paragraphe 10 de sa décision :   

La jurisprudence de la Cour sur la portée de l'interrogatoire préalable est bien établie. On en trouve un résumé pratique dans la décision Reading & Bates Construction Co. et al c. Baker Energy Resources Corp. et al (1988) 24 C.P.R. (3rd) 66, aux pages 70 à 72 (C.F. 1re inst.). La première considération est incontestablement la pertinence. Cependant, si un protonotaire ou un juge estime qu'une question est pertinente, il peut néanmoins refuser d'ordonner d'y répondre si la réponse n'est d'aucun secours à la position juridique de la partie qui interroge, s'il faudrait beaucoup de temps, d'efforts et de dépenses pour obtenir une réponse vraisemblablement de peu de valeur ou encore si la question fait partie d'une « recherche à l'aveuglette » de portée vague et étendue.

[27]            Le résumé des principes affirmés dans l'affaire Reading & Bates se lit comme suit :


1. En ce qui concerne les documents qui doivent être produits, le critère est simplement celui de la pertinence. Le critère de la pertinence ne peut donner lieu à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. C'est par l'application de la loi et non dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, que l'on détermine quels documents les parties ont le droit de consulter. La question de savoir quel document se rapporte vraiment aux questions en litige est tranchée selon le principe suivant : il doit s'agir d'un document dont on peut raisonnablement supposer qu'il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire, ou qui sont susceptibles de le lancer dans une enquête qui pourra produire l'un ou l'autre de ces effets : Trigg c. MI Movers Int'l Transport Services Ltd (1986), 13 C.P.C. (2d) 150 (H.C. Ont.); Canex Placer Ltd c. A.-G. B.C. (1975), 63 D.L.R. (3d) 282, [1976] 1 W.W.R. 644 (C.S.C.-B.); et Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Co. (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.).

2. À un interrogatoire préalable qui a lieu avant le début d'un renvoi qui a été ordonné, la partie qui est interrogée n'est tenue de répondre qu'aux questions qui ont rapport aux questions visées par le renvoi. Inversement, le témoin n'est pas tenu de répondre aux questions relatives aux renseignements qui ont déjà été produits ni aux questions qui sont trop générales ou sollicitent un avis, ou qui ne font pas l'objet du renvoi : Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd. (1984), 82 C.P.R. (2d) 36 (C.F. 1re inst.); confirmée par 1 C.P.R. (3d) 242 (C.A.F.).

3. L -propos de toute question posée à l'interrogatoire préalable doit être déterminé en fonction de sa pertinence par rapport aux faits allégués dans la déclaration qui sont censés constituer la cause d'action plutôt qu'en fonction de sa pertinence par rapport aux faits que le demandeur a l'intention dtablir pour démontrer les faits constituant la cause d'action. Au surplus, lorsqu'un renvoi a été ordonné, les réponses données à un interrogatoire préalable doivent être limitées, en application de la Règle 465(15), aux questions sur les faits qui peuvent démontrer ou tendre à démontrer ou réfuter ou tendre à réfuter une allégation de fait non admis qui fait l'objet du renvoi : Armstrong Cork Canada Ltd c. Domco Industries Ltd. (1983), 71 C.P.R. (2d) 5, 48 N.R. 157 (C.A.F.).

4. Le tribunal ne devrait pas obliger la partie interrogée à répondre aux questions qui, bien qu'elles puissent être tenues pour pertinentes, ne sont pas du tout susceptibles de bénéficier de quelque manière que ce soit à la cause de la partie qui procède à l'interrogatoire : Canex Placer Ltd c. A.-G. B.C. précitée; et Smith, Kline & French Laboratories Ltd c. A.-G. Can. (1982), 67 C.P.R. (2d) 103 à la page 108, 29 C.P.C. 117 (C.F. 1re inst.).

5. Avant d'obliger une personne à répondre à une question à un interrogatoire préalable, le tribunal doit apprécier la probabilité de l'utilité de la réponse pour la partie qui demande les renseignements, en comparaison du temps, du mal et des frais que nécessite son obtention. Lorsque, d'une part, la valeur probante et l'utilité de la réponse pour la partie qui procède à l'interrogatoire semblent tout au plus minimales, et lorsque, d'autre part, la partie interrogée devrait surmonter dnormes difficultés et consacrer beaucoup de temps et d'effort à la recherche de la réponse, le tribunal ne devrait pas l'obliger à répondre. La décision doit être raisonnable et équitable, vu les circonstances : Smith, Kline & French Ltd. c. A.-G. Can., motifs du juge Addy à la page 109.

6. À l'interrogatoire préalable, la portée des questions doit être restreinte aux allégations de fait non admis dans une plaidoirie et il faut décourager les enquêtes à l'aveuglette faites au moyen de questions vagues, d'une grande portée ou non pertinentes : Carnation Foods Co. Ltd c. Amfac Foods Inc. (1982), 63 C.P.R. (2e) 203 (C.A.F.); et Beloit Canada Ltee/Ltd. c. Valmet Oy (1981), 60 C.P.R. (2e) 145 (C.F. 1re inst.).


[28]            Le protonotaire Morneau s'est ensuite reporté à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Faulding (Canada) Inc. c. Pharmacia S.p.A. (1999),3 C.P.R. (4th) 126, à la page 128, pour soutenir que :

[...] il importe toutefois de mettre cette tendance en parallèle avec celle qu'ont les parties, surtout en matière de propriété industrielle, à se lancer dans des interrogatoires à l'aveuglette, et qu'il ne faudrait pas encourager.

[29]            Les décisions suivantes rendues par la Cour d'appel fédérale ont également fait l'objet d'un renvoi : Smith, Kline and French Laboratories Ltd. c. Canada (P.G.) (1984), 1 C.P.R. (3d) 268, à la page 271 (C.A.F.), et Westinghouse Electric Corp. et al. c. Babcock & Wilcox Industries Ltd. (1987), 15 C.P.R. (3d) 447 (C.F. 1 re inst.).

[30]            Au paragraphe 15, le protonotaire Morneau a conclu :

[...] dans une action en contrefaçon d'un brevet où la défenderesse attaque la validité de ce dernier, la Cour est peu encline à forcer la demanderesse à effectuer des recherches disproportionnées pour appuyer des prétentions d'invalidité soulevées par la défenderesse lorsque, entre autres, les conclusions recherchées par une telle partie défenderesse ressortent avant tout de l'interprétation que la Cour accordera aux revendications du brevet à la lumière de sa lecture du brevet, de ltat du droit applicable et de toute preuve d'expert apportée par les parties et non pas en fonction de ce que la partie demanderesse a pu penser ou faire valoir dans le passé quant à la validité du brevet.


[31]            Le protonotaire Morneau a fait remarquer que Merck avait fourni à Apotex les structures chimiques de 150 composés sur le total des 226 qui avaient été examinés par M. Charette. Il a estimé que ce fait n'était pas connu des auteurs d'affidavits d'Apotex lorsque ces derniers ont témoigné qu'Apotex et ses experts seraient incapables de vérifier les conclusions auxquelles était parvenu M. Charette dans sa classification des composés, sans obtenir les structures chimiques réelles ainsi examinées. Apotex a reconnu à l'audition de la présente requête qu'elle détenait cette information mais elle a fait valoir qu'elle avait malgré tout besoin des informations relatives aux 76 composés restants afin de préparer sa défense.

[32]            Le protonotaire Morneau a accepté les arguments de Merck selon lesquels la production des informations ainsi que les dossiers déjà fournis, et décrits aux paragraphes 40 et 41 de sa décision, avaient représenté un fardeau considérable et que la production d'autres informations et d'autres dossiers serait aussi, sinon plus pénible. Il a conclu au paragraphe 50 :

En conséquence, j'estime que toute information et tout document non encore produits qui portent, suivant le docteur Charette, sur des composés qui ne relèvent pas du brevet 350 sont des éléments d'information qui, bien que présentant une certaine pertinence en fonction de l'approche suivie par Apotex, ont néanmoins une utilitéminimale qui doit céder le pas aux troubles et inconvénients de toutes sortes que la recherche et la production de tels éléments d'information peuvent engendrer ici. C'est là une conclusion qui m'apparaît dans les circonstances juste et raisonnable (voir les alinéas 242(1)c) et d) des règles; le paragraphe [10] de la décision de la Cour d'appel fédérale; le point 5 de l'arrêt Reading & Bates, précité, paragraphe [8], ainsi que le paragraphe [13] précédent qui réfère aux arrêts Smith Kline et Westinghouse). Ainsi, je pense qu'Apotex a en main par rapport au brevet en litige l'information pertinente quant à ses thèses d'invalidité, y compris celle touchant l'ampleur des revendications ou celle selon laquelle les inventeurs n'avaient pas à lpoque une prédiction valable. [Non souligné dans l'original.]

[33]            À l'audience d'août 2004, 360 questions demeuraient en suspens. Apotex les avait divisées en trois grandes catégories (A, B, et C), elles-mêmes divisées en sous-catégories A1-7, B1-3 et C1-8. Merck a adopté une approche similaire mais a abordé certaines questions conjointement aux fins de ses observations et a précisé celles qui avaient subséquemment reçu une réponse lors d'une production ultérieure[2].


[34]            En procédant à une analyse des questions spécifiques, comme l'avait ordonné la Cour d'appel, le protonotaire Morneau a adopté le mode de présentation de Merck. Il a refusé toutes les questions aux motifs énoncés au paragraphe 50 précité. En outre, certaines des questions ont été refusées au motif qu'elles se rapportaient au développement de l'invention que la Cour devait examiner à la lumière des demandes, ce qu'il a considéré comme une question d'interprétation juridique. De plus, certaines questions n'ont pas été permises, soit parce qu'elles auraient conduit les témoins à exprimer une opinion, soit parce qu'elles touchaient à l'état d'esprit et aux motivations des inventeurs, tombant ainsi sous le coup des exceptions reconnues par la Cour d'appel. Enfin, le protonotaire Morneau a conclu que toute question visant à établir l'inutilité de certains composés constituait un interrogatoire à l'aveuglette et ne nécessitait pas de réponse. Pour toute autre question non expressément prévue, il a adopté les positions de Merck telles qu'elles sont formulées dans ses observations écrites.

NORME DE CONTRÔLE

[35]            La norme de contrôle applicable à la décision d'un protonotaire est celle établie dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.). Le juge qui siège en révision ne peut exercer son propre pouvoir discrétionnaire en lieu et place de celui du protonotaire que s'il ou elle conclut que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été « fondé sur un mauvais principe ou une fausse appréciation des faits... » : Aqua-Gem, au paragraphe 95.


[36]            Le critère a été légèrement reformulé par la Cour d'appel dans des instances connexes à la présente affaire. Dans Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. [2004] 2 R.C.F. 459, à la p. 478 (C.A.), le juge Décary a précisé ainsi le critère :

[...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants: a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[37]            En appliquant cette norme, je dois également souligner l'importance du rôle joué par les protonotaires dans la gestion des instances en Cour fédérale. Le juge Décary a tenu les propos suivants, au paragraphe 22, au sujet de l'intention du législateur lorsqu'il a créé cette fonction :

À mon avis, on ne saurait raisonnablement dire qu'est compatible avec l'objectif de la loi, la norme de révision qui soumet toutes les décisions de protonotaire attaquées à l'instruction de novo quelles que soient les questions concernées et peu importe si ces décisions statuent au fond sur les droits des parties. Pareille norme nconomise ni les ressources judiciaires ni le temps des juges. Dans chaque cas, elle obligerait le juge des requêtes à reprendre l'affaire depuis le début. En outre, elle réduirait la fonction de protonotaire à un rôle d' « étape » préliminaire sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes. Je ne pense pas que ce soit là le résultat voulu par le législateur.

[38]            Le juge Décary a poursuivi sa réflexion, au paragraphe 23, en affirmant que la Cour ne devrait pas conclure trop rapidement qu'une question, si importante soit-elle, est déterminante et qu'elle devrait également s'abstenir de trancher de novo simplement parce qu'on a naturellement tendance à s'en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure. Je relève en passant les commentaires récents du juge Hugessen dans la décision Ruman c. La Reine, 2005 CF 474, [2005] A.C.F. no 614, qui déclare au paragraphe 7 qu' « il est rare de pouvoir démontrer qu'un refus de divulgation supplémentaire ou de documents supplémentaires aura une influence déterminante sur l'issue du litige » .


[39]            Monsieur le juge suppléant Strayer, qui a, en tant que juge d'appel, rédigé la décision rendue après réexamen du cas présent, a récemment eu l'occasion de revenir sur la question de la norme de contrôle dans l'affaire Letourneau c. Clearbrook Iron Works Ltd., 2005 C.F. 475, [2005] A.C.F. no 595. Il s'agissait également d'un appel interjeté d'une décision rendue par un protonotaire sur la pertinence de certaines questions dans une affaire de contrefaçon de brevet. Les parties soutenaient que la pertinence était une question de droit et non une question sur laquelle le protonotaire pouvait exercer un pouvoir discrétionnaire : il était donc loisible à la Cour d'examiner ces questions de novo. Au paragraphe 4 de ses motifs, le juge Strayer a conclu :

Bien que la jurisprudence soit rare à ce sujet, je suis convaincu qu'il est plus conforme au rôle envisagé par le législateur pour les protonotaires, de faire preuve de retenue à l'égard de leurs décisions au sujet des questions de pertinence tout comme on le ferait à propos d'autres questions préalables à un procès.

[40]            Le juge Strayer s'est dit en accord avec les propos suivants du juge Wetston dans Hayden Manufacturing Co. c. Canplas Industries Ltd. (1998), 86 C.P.R. (3d) 17 (C.F. 1 re inst.) :

Je conviens que la pertinence est le critère à appliquer, mais je ne crois pas que l'ordonnance soit discrétionnaire au sens où la Cour doit se demander si le protonotaire a commis une erreur de droit qui l'a empêché d'exercer son pouvoir discrétionnaire en bonne et due forme. Si tel était le cas, la Cour devrait exercer son propre pouvoir discrétionnaire de novo. En d'autres termes, même dans le cas où j'aurais rendu une ordonnance différente, à moins que le protonotaire adjoint n'ait commis d'erreur de la façon décrite ci-dessus, la Cour en l'espèce ne devrait pas intervenir. Par conséquent, je suis d'avis que l'ordonnance que le protonotaire adjoint a rendue en l'espèce est à la fois interlocutoire et discrétionnaire.


[41]            Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire de refuser d'exiger des réponses aux questions, comme la Cour d'appel l'a réaffirmé et comme le juge Strayer le dit au paragraphe 5 de Letourneau, « [...] c'est la pertinence et non la célérité qui constitue le facteur déterminant, sous réserve du maintien d'un équilibre car même des questions pertinentes pourraient ne pas justifier le temps et l'argent nécessaires pour faire progresser l'affaire » . [Non souligné dans l'original.]

[42]            Les questions que je dois examiner consistent donc à savoir si, premièrement, les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l'issue du principal, et deuxièmement, si le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance entachée d'erreur flagrante en ce sens qu'il a commis des erreurs de droit et de principe fondamentales ou qu'il a mal apprécié les faits.

ARGUMENTATION ET ANALYSE

[43]            La position d'Apotex en appel consiste à dire que le protonotaire Morneau a commis une erreur fondamentale dans son application des principes séculaires de l'interrogatoire préalable réaffirmés par la Cour d'appel dans son arrêt du 20 novembre 2003. Apotex soutient que chacune des questions posées se rapporte aux actes de procédure et aura une influence déterminante sur les questions qui seront soulevées lors de l'instruction. Elle rejette toute idée d' « équilibre » et soutient qu'aucune des « réserves » apportées au critère général de la pertinence n'est applicable et que le protonotaire a commis une erreur en appliquant ces principes à la preuve. Par conséquent, elle prétend que la Cour devrait entendre l'affaire de novo et rendre les décisions que le protonotaire aurait dû rendre.


[44]            En guise de réponse, Merck rappelle que la Cour d'appel a reconnu qu'il y avait des exceptions à la règle de pertinence, comme celles énumérées dans l'affaire Reading & Bates et qui ont été appliquées par le protonotaire Morneau lors du réexamen; elle soutient de plus que ces exceptions doivent être interprétées largement afin de permettre l'exercice optimal du pouvoir discrétionnaire de ne pas permettre des questions qui sont abusives, imposent un fardeau trop lourd ou équivalent à une recherche à l'aveuglette pour étayer des allégations d'invalidité.

[45]            À mon avis, les arguments avancés par Apotex ne laisseraient pratiquement aucune place à l'application par un protonotaire des exceptions de la décision Reading & Bates. L'argument de Merck va au-delà de l'équilibre limité prescrit par le juge Strayer dans Letourneau, précité. La pertinence est le facteur décisif, mais pas à n'importe quel prix. Le protonotaire ou le juge qui entend une requête visant l'obtention de réponses ou la production de documents conserve le pouvoir discrétionnaire de décider que même des questions pertinentes ne justifient ni le temps ni les efforts nécessaires pour faire progresser l'affaire. Cela est particulièrement vrai lorsqu'une partie déploie des efforts hautement spéculatifs pour étayer ses actes de procédure, exercice souvent considéré comme une recherche à l'aveuglette.

Erreurs de droit et de principe alléguées


[46]            À titre de question préliminaire, Apotex fait observer que le protonotaire Morneau a commis une erreur en autorisant la production de nouveaux affidavits en vue du réexamen. Elle prétend que la preuve qu'ils contenaient était facilement accessible dès le début des requêtes visant à obliger la défenderesse à fournir des réponses et que Merck n'aurait pas dû être autorisée à les déposer après la décision de la Cour d'appel et celle du juge Russell. Hormis ces affidavits, le protonotaire ne disposait, selon Apotex, d'aucune preuve dûment admissible et propre à établir que l'obligation de répondre à l'une des questions en cause aurait constitué un fardeau excessif.

[47]            Merck fait observer, et j'abonde dans ce sens, que si Apotex était en désaccord avec cette décision, elle aurait dû interjeter appel de l'ordonnance s'y rapportant, plutôt que d'attendre jusqu'au présent appel de l'ordonnance subséquente. La décision a acquis l'autorité de la chose jugée et ne devrait pas être indirectement remise en question par l'entremise du présent appel.

[48]            Je ne pense pas que la preuve a été incorrectement admise. Il n'y a donc aucune raison, à la lumière de ce seul argument, de conclure qu'une erreur fondamentale de principe a été commise et que l'intervention de la Cour pour juger l'affaire de novo est requise. En outre, je suis d'avis que le protonotaire disposait de preuves crédibles lui permettant d'arriver aux conclusions qu'il a tirées quant aux effets de plus amples interrogatoires préalables sur les demanderesses Merck, et que s'il les avait obligés à fournir des réponses, la preuve alors produite n'aurait pas vraiment été pertinente en ce qui concerne les questions soulevées dans les actes de procédure.


[49]            Apotex prétend que la confiance accordée à l'affidavit de Me Murray relative au fardeau occasionné par la production de documents est mal placée, étant donné que cette déclaration se fondait principalement sur des informations et une opinion. Elle fait observer qu'on aurait dû tirer une conclusion défavorable en vertu du paragraphe 81(2) des Règles ou accorder moins de poids au témoignage de Me Murray, étant donné que Merck avait déjà compilé lesdites informations qui devaient être revues par ses conseillers juridiques pour le présent litige et d'autres affaires. Pour étayer cette prétention, elle s'appuie sur des échanges entre avocats consignés dans la transcription du contre-interrogatoire de M. Wyvratt et des conclusions tirées du contre-interrogatoire de Me Murray.

[50]            Apotex soutient que Merck aurait dû déposer un affidavit signé par au moins un de ses conseillers juridiques concernant les documents qui avaient été censément rassemblés et revus par ses avocats avant l'interrogatoire de M. Wyvratt. De plus, elle affirme que le protonotaire Morneau aurait dû tirer une conclusion défavorable quant à l'omission de Merck de produire pareille déclaration par l'un de ses avocats, étant donné qu'elle avait connaissance de ces recherches de documents.

[51]            Merck fait observer qu'Apotex a entrepris des démarches juridiques à partir d'une présomption complètement fallacieuse et erronée quant à la nature des documents qui avaient été préparés aux fins du litige, une présomption qui n'est pas appuyée par la preuve et qui a été à plusieurs reprises contestée au cours du contre-interrogatoire de Me Murray. En outre, l'argument selon lequel un des conseillers juridiques de Merck aurait dû témoigner et être contre-interrogé sur son affidavit constitue une demande inappropriée visant à obtenir de l'information privilégiée et une tentative déguisée d'effectuer un contre-interrogatoire sur les affidavits de documents de Merck, ce qui avait été précédemment demandé et refusé au début du présent litige.


[52]            Je suis d'accord pour dire que l'argument d'Apotex imposerait une obligation injustifiée à Merck de dévoiler des informations privilégiées. Et je ne suis pas persuadé qu'un échange entre avocats au cours du contre-interrogatoire d'un témoin constitue une base suffisante pour établir soit l'existence des documents demandés, soit leur pertinence supposée. Apotex désigne cet échange dans ses observations écrites comme des « preuves » . Ayant pris connaissance des parties pertinentes de la transcription, je suis d'avis que les commentaires des avocats ne constituaient pas des éléments de preuve, mais une tentative de préciser les questions posées au témoin interrogé et d'expliquer les documents déjà produits.

[53]            Je ne décèle aucune erreur fondamentale de principe dans la confiance accordée par le protonotaire à l'affidavit de Me Murray. L'omission de fournir la meilleure preuve aura une incidence sur le poids à accorder la preuve fournie : Lumonics Research Ltd., c. Gould, [1983] 2 C.F. 360 (C.A.). Mais en l'espèce, je ne vois aucune raison de dénigrer la valeur de la preuve, étant donné que les déclarations de Me Murray provenaient d'autres responsables de Merck et que celui-ci ne faisait que rapporter ce qui lui avait été dit de source sûre. Je suis d'accord avec le distingué protonotaire pour affirmer qu'il n'y avait rien à gagner à ce que la même information soit transmise par des affidavits séparés.

[54]            Il n'existe pas véritablement de litige quant à l'admissibilité de l'affidavit de M. Charette, ou de sa classification des composés visés par le brevet 350 ou la demande 340. Apotex se base en effet sur cette preuve, ainsi que sur celles fournies par MM. Marshall et MacLelland, pour prétendre que l'information relative aux composés qu'il a examinés, y compris ceux qui n'ont pas été divulgués, est grandement pertinente pour sa défense.


[55]            La décision d'accepter la preuve de Merck et de rejeter les requêtes l'obligeant à répondre à des questions et à fournir des documents n'a pas surgi de nulle part. Il faut la replacer dans le contexte de longues instances où il y a déjà eu plusieurs jours d'interrogatoires préalables et la production de 2 076 documents comprenant quelque 20 000 pages. Le protonotaire Morneau a participé à ces instances en tant que chargé de la gestion de l'instance pendant plus de quatre ans. À mon avis, l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire appelle une réserve considérable.

[56]            Apotex n'a, jusqu'à présent, soumis aucune preuve sous forme de résultats de test ou d'autres données afin d'appuyer ses allégations. Elle n'en a d'ailleurs pas l'obligation à ce stade des procédures. Mais vu la quantité substantielle d'éléments déposés dans le cadre de la présente requête et en particulier les transcriptions de contre-interrogatoires, il semble que la stratégie de la défense, en plus d'invoquer les acquisitions antérieures à la délivrance du brevet, soit de justifier ses actes de procédure à partir des archives de recherche de Merck. Ceci a conduit Apotex à ce qui pourrait être adéquatement qualifié, à mon avis, de « recherche à l'aveuglette » .

[57]            Apotex fait observer que le protonotaire Morneau a mal apprécié les actes de procédure lorsqu'il s'est attardé sur l'allégation de demande complémentaire irrégulière, sans examiner pleinement la pertinence de la preuve en ce qui touche à la prédiction valable et aux autres allégations d'invalidité. La décision est effectivement axée sur l'allégation de demande complémentaire inappropriée, mais non indûment à mon avis. Beaucoup sinon la plupart des questions soulevées semblent être reliées à cette allégation.


[58]            Apotex prétend que ses questions visaient à recueillir des informations et des faits auprès des inventeurs au sujet de ce qu'ils avaient entrepris, et qu'elle ne cherchait pas à obtenir des avis ou des interprétations juridiques concernant les brevets. Bien que de nombreuses questions semblent porter à première vue sur des faits, il était loisible au protonotaire de conclure que ces « faits » touchaient en réalité à l'interprétation de preuves ou d'avis, et de refuser d'ordonner d'y répondre en vertu des exceptions prévues dans la décision Reading & Bates, précitée.

[59]            Apotex me demande de substituer mon appréciation de la pertinence des questions et des documents demandés, et de parvenir à des conclusions différentes de celles du protonotaire. Bien que mes conclusions eussent pu être différentes si j'avais entendu cette affaire en première instance, je ne dois substituer mon pouvoir discrétionnaire à celui du distingué protonotaire que si ce dernier a commis une erreur fondamentale de principe ou s'il a mal apprécié la preuve ou les actes de procédure. Globalement, je ne vois aucune raison de modifier sa décision.

[60]            Cependant, j'ai conclu que le protonotaire Morneau avait commis une erreur en faisant abstraction de la pertinence des 76 structures chimiques non divulguées, parmi les 226 examinées par M. Charette, pour l'issue du principal.


[61]            Le protonotaire Morneau était convaincu qu'Apotex disposait de suffisamment d'informations à partir de ce qui avait été divulgué sur les 150 structures pour étoffer sa thèse sur la portée des revendications formulées dans les demandes 340 et 198. Apotex soutient que le fait que M. Charette ait reçu certains documents pour effectuer son analyse prouve que ces éléments sont pertinents, qu'ils peuvent être facilement produits, et qu'ils devraient l'être.

[62]            Merck a considéré M. Charette comme un témoin pouvant fournir des preuves relativement à la classification des 226 composés et elle lui a donc fourni les structures chimiques de chacun d'entre eux dans ce but. En agissant ainsi, Merck a établi la pertinence de cette preuve. Il est également évident que les informations sont facilement accessibles et que leur production ne constituerait pas un fardeau pour Merck. M. Charette disposait de cette information au cours du contre-interrogatoire. Le dossier indique que Merck a l'intention de recourir à des extrapolations effectuées à partir de cette information, à l'instruction, afin de réfuter les allégations d'Apotex sur l'existence d'une seule invention, le caractère inopérant et l'inutilité. Dans ces circonstances, l'information a, à mes yeux, une influence « déterminante » sur l'issue du principal, et le protonotaire a commis une erreur en n'ordonnant pas sa divulgation à la défenderesse. Par conséquent, j'exercerai le pouvoir discrétionnaire qu'il aurait dû exercer et je rendrai cette ordonnance.


[63]            Je ne suis pas convaincu que les autres questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l'issue du principal, ni que le protonotaire Morneau a commis des erreurs fondamentales ou qu'il a mal apprécié la preuve relative à ces questions. Par conséquent, je n'interviendrai relativement à son ordonnance que pour la modifier en imposant la production des 76 structures chimiques telles qu'elles ont été fournies par Merck à M. Charette pour son examen sans que leur divulgation à la défenderesse ne diffère autrement. Le présent appel par voie de requête est pour le reste rejeté, et les représentants et témoins de Merck n'auront pas à se présenter à nouveau pour la suite des interrogatoires préalables.

DÉPENS

[64]            Les parties, tout comme la Cour, ont consacré énormément de temps et d'efforts à la présente instance. Une grande partie de ces efforts est attribuable, selon moi, à ce que j'ai qualifié plus tôt de recherche à l'aveuglette entreprise par Apotex. Bien que le résultat soit quelque peu mitigé, Merck affiche la plus grande réussite. Elle aura donc droit à ses dépens sur une base normale suivant la colonne III du tarif B.

[65]            Le rôle de Syngenta Limited, de AstraZeneca UK Limited et de AstraZeneca Canada Inc. dans l'instance s'est limité au dépôt de brèves observations écrites et de courtes plaidoiries pour appuyer Merck. Dans les faits, elles ne faisaient que surveiller l'instance. Je ne vois aucune raison d'adjuger des dépens en leur faveur.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :


L'ordonnance du protonotaire Morneau en date du 23 août 2004 soit modifiée pour enjoindre à Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada & Co., de fournir à Apotex Inc. les structures chimiques fournies à M. André Charette et examinées par lui aux fins de production de son affidavit en l'espèce, et qui n'ont pas encore été produites.

La requête visant à interjeter appel de l'ordonnance du protonotaire Morneau en date du 23 août 2004 soit, à tous autres égards, rejetée. Les dépens de la présente requête sont adjugés à Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada & Co. suivant la colonne III du tarif B.

               « Richard G. Mosley »           

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-2792-96

INTITULÉ :                                                     MERCK & CO. INC.,

MERCK FROSST CANADA

& CO., SYNGENTA LIMITED, ASTRAZENECA

UK LIMITED et ASTRAZENECA CANADA INC.

c.

APOTEX INC.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 17 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Judith Robinson                                             POUR LES DEMANDERESSES

Frédéric Amrouni                                            (représentant Merck & Co., Inc.

Nelson Landry                                                et Merck Frosst Canada & Co.)

Gunars Gaikas                                               POUR LES DEMANDERESSES

Nancy Pei                                                        (représentant Syngenta Limited

                                     AstraZeneca UK Limited et

AstraZeneca Canada Inc.)

Harry Radomski                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Nicole Roth                                                      (représentant Apotex Inc.)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Judith Robinson                                             POUR LES DEMANDERESSES

Frédéric Amrouni                                           (représentant Merck & Co., Inc. et

Nelson Landry                                                Merck Frosst Canada & Co.)

OGILVY RENAULT S.E.N.C.

1981 avenue McGill College

Montréal (Québec)


                                                                                                                                             Page : 2

Gunars Gaikas                                               POUR LES DEMANDERESSES

Nancy Pei                                                        (représentant Syngenta Limited,

Smart & Biggar                                              AstraZeneca UK Limited et

438 University Avenue                                   AstraZeneca Canada Inc.)

Toronto (Ontario)

Harry Radomski                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Nicole Roth                                                      (représentant Apotex Inc.)

Goodmans LLP

250 Yonge Street

Toronto (Ontario)



[1] Enzyme de conversion de l'angiotensine.

[2] La liste a ultérieurement été quelque peu réduite par les parties avant l'instance en appel.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.