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Date : 20191125


Dossier : IMM‑2257‑19

Référence : 2019 CF 1497

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2019

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

Maja SCIPION

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Mme Maja Scipion sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 15 février 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) portant qu’elle n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  Contexte

[3]  Mme Scipion, une citoyenne haïtienne, est arrivée au Canada le 26 avril 2017. Elle a présenté une demande d’asile le 4 juin suivant, disant craindre des criminels qui auraient attaqué sa mère et elle dans leur maison d’Haïti en août 2016. Sa mère vit encore à Haïti et rien n’indique qu’elle a été victime d’autres actes violents.

[4]  La SPR a jugé que Mme Scipion était crédible, mais a conclu essentiellement que les risques qu’elle soulevait étaient généralisés et non personnalisés. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la SPR a conclu à l’absence de possibilité sérieuse que Mme Scipion soit persécutée à son retour dans son pays, ou qu’elle soit exposée, selon la prépondérance des probabilités, au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités.

[5]  Après avoir examiné la preuve, la SAR a confirmé la décision de la SPR, même si elle n’était pas en accord avec elle sur tous les points. La SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que Mme Scipion n’avait pas établi qu’elle était exposée à un risque personnalisé. Plus particulièrement, la SAR a conclu que 1) rien dans la preuve ne confirme que Mme Scipion et sa mère ont été prises pour cible en raison de leur sexe; 2) rien dans la preuve ne confirme que Mme Scipion et sa mère ont été prises pour cible pour une raison précise ou que les criminels reviendraient; 3) dans le contexte social haïtien miné par de graves problèmes de criminalité, une introduction par effraction à son domicile n’atteste pas, en l’absence d’autres éléments de preuve, un risque personnalisé; 4) Mme Scipion n’a eu aucun problème lorsqu’elle a emménagé avec son oncle; 5) les femmes haïtiennes constituent un groupe social au sens de l’article 96 de la Loi, mais il ne s’agit pas d’un facteur déterminant; et 6) même si les femmes et les enfants risquent davantage d’être victimes de crimes en raison de leur plus grande vulnérabilité, Mme Scipion n’a pas le profil d’une femme sans racine, sans relation, sans foyer et sans homme à ses côtés.

III.  Les arguments des parties

[6]  Mme Scipion fait valoir que la SAR a commis une erreur pour les motifs suivants : 1) le fait qu’elle ne connaissait pas ses assaillants ne veut pas dire qu’ils ne l’ont pas ciblée ou qu’ils ne la connaissaient pas; 2) le fait que les assaillants portaient des masques ne veut pas dire qu’ils n’avaient pas un intérêt ou une raison de commettre une agression contre elle ou sa mère; 3) le fait qu’elle a été attaquée chez elle signifie qu’elle a été prise pour cible; 4) les risques généralisés et personnalisés ne sont pas mutuellement exclusifs; 5) le fait d’avoir un foyer, des relations et une présence masculine en Haïti ne garantit pas une protection ou une aide efficace pour ceux qui sont dans le besoin; et 6) la SAR semble se contredire puisqu’elle affirme au paragraphe 52 qu’il existe davantage qu’une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée, alors qu’elle déclare au paragraphe 53 que la demanderesse n’a pas établi une crainte fondée de persécution basée sur son sexe.

[7]  Mme Scipion cite les décisions Dieujuste‑Phanor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 186 et Gilles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 159 pour faire valoir que sa crainte est personnalisée.

[8]  Le ministre fait valoir en réponse que la décision est raisonnable. Il soutient en particulier que la SAR a raisonnablement conclu qu’aucune preuve ne permettait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Scipion et sa mère avaient été prises pour cible en raison de leur sexe. Le ministre ajoute que les criminels qui veulent faire un gain rapide et illégal ne ciblent pas des individus particuliers, mais choisissent plutôt n’importe qui. Ce type de crime n’appuie donc pas une conclusion de risque personnalisé.

[9]  Le ministre soutient que l’on tient compte du contexte de la décision, la SAR a manifestement commis une erreur et voulait plutôt dire qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que Mme Scipion soit persécutée, et que celle-ci n’a donc pas établi une possibilité sérieuse de persécution.

[10]  Le ministre soutient également que les précédents cités par Mme Scipion peuvent être écartés. Dans la première décision, la preuve touchant au risque personnalisé a été ignorée, alors que dans le cas de Mme Scipion, la SAR ne disposait pas de tels éléments. Dans la deuxième décision, les membres d’un gang semblaient connaître le demandeur par son nom et plusieurs menaces avaient été proférées et actes violents commis, tandis qu’en l’espèce, il n’est question que d’un seul incident et rien n’indique que les assaillants connaissaient Mme Scipion.

[11]  Par conséquent, le ministre soutient qu’aucun motif invoqué dans la demande n’est susceptible de justifier l’intervention de la Cour.

IV.  Analyse

[12]  La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). La Cour doit s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision « aux issus possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[13]  La Cour convient avec le ministre que la SAR semble avoir clairement fait une erreur d’écriture en omettant le mot « pas » au paragraphe 52 de sa décision; cela concorde avec le reste de la décision.

[14]  Il incombait à Mme Scipion de prouver tous les éléments de sa demande d’asile; elle devait notamment démontrer qu’il existait davantage qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée parce qu’elle est une femme haïtienne et aussi qu’elle serait, selon la prépondérance des probabilités, exposée à un risque personnalisé à son retour en Haïti. Dans l’affaire Luc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 826, le juge Boivin a reconnu au paragraphe 25 qu’« une conclusion de généralité ne ferme pas la porte à une conclusion de persécution fondée sur l’un des motifs énoncés dans la Convention », mais a néanmoins estimé au paragraphe 28 que dans l’affaire dont il était saisi, la demanderesse qui revendiquait le statut de réfugié n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa crainte alléguée de persécution. Les risques généralisés et personnalisés ne sont pas mutuellement exclusifs, mais la preuve que Mme Scipion a produite à l’appui de sa demande d’asile ne peut qu’appuyer une conclusion de risque généralisé, ce qui est insuffisant.

[15]  Le dossier montre que 1) Mme Scipion ne connaissait pas ses assaillants, et aucun des éléments produits ne laisse penser qu’ils la connaissaient; 2) rien ne permet d’établir qui a commis l’agression contre elle et sa mère ni la raison de cette attaque; 3) Mme Scipion n’a été victime d’aucun autre incident avant son départ d’Haïti en avril 2017; 4) elle n’a été victime d’aucun incident lorsqu’elle vivait avec son oncle et 5) sa mère, qui vit toujours en Haïti, n’a pas connu d’incident depuis août 2016. Les événements survenus cette journée-là sont effectivement très regrettables, mais il était raisonnable de la part de la SAR de conclure qu’ils n’établissent pas un risque personnalisé et ne peuvent servir de fondement à une demande d’asile. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée. La conclusion de la SAR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  • 1) La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  • 2) Aucune question n’est certifiée.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de novembre 2019

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2257-19

INTITULÉ :

MAJA SCIPION c CANADA (CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION)

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 novembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

25 novembre 2019

COMPARUTIONS :

Me Jeffrey Platt

pour la demanderesse

Me Béatrice Stella Gagné

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Platt

Montréal (Québec)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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