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Date : 20191115


Dossier : T‑1887‑17

Référence : 2019 CF 1389

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

LOUIS VUITTON MALLETIER S.A.; LOUIS VUITTON CANADA, INC.; CELINE; CHRISTIAN DIOR COUTURE, S.A.; GIVENCHY S.A.

demanderesses

et

AUDREY WANG, ALIAS NINI WANG, ALIAS NI YANG; M. UNTEL, ALIAS « MICHAEL », CANADA ROYAL IMPORT & EXPORT CO. LTD.; FAISANT AFFAIRE COLLECTIVEMENT SOUS LES NOMS DE NI FASHION, NIYANGBAZZA ET NI BAZZA, ET DE LIAN TONG COURIER SERVICE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

[1]  Le 6 décembre 2017, les demanderesses ont déposé une déclaration contre les défendeurs, dans laquelle ils alléguaient un certain nombre de violations de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], et de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42. L’affaire dont la Cour est saisie concerne une requête visant à obtenir une ordonnance en vertu de l’article 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue de tenir un procès sommaire pour statuer sur toutes les questions soulevées dans les actes de procédure.

[2]  Un tel procès sommaire est tenu en fonction du dossier rassemblé par les parties, lequel doit contenir tous les éléments de preuve sur lesquels les parties se fondent. Le dossier de requête des demanderesses contient près de 4 200 pages, tandis que le dossier de requête des défendeurs comprend plus de 900 pages.

[3]  Aucun des nombreux souscripteurs d’affidavit présentés par les demanderesses n’a été contre‑interrogé au sujet de leur affidavit, à l’exception d’une personne, et aucune ordonnance n’a été demandée au titre du paragraphe 216(3) des Règles. Par conséquent, aucun témoignage oral n’a été entendu. Si la preuve est suffisante pour trancher l’affaire, la Cour peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier. Les demanderesses ont demandé à la Cour de se prononcer sur toutes les questions, y compris les dommages‑intérêts, puisqu’elles n’avaient pas l’intention de produire une preuve différente dans l’éventualité où la Cour devait ordonner « une instruction portant sur la détermination de la somme à laquelle a droit le requérant » (paragraphe 216(7) des Règles).

[4]  J’examinerai les actes de procédure pour déterminer ce qui est en jeu. Je présenterai ensuite la preuve dont dispose la Cour, tant du point de vue des demanderesses que de celui des défendeurs. Une fois qu’une meilleure compréhension des éléments de preuve aura été établie, j’examinerai plus en détail la question de savoir si la requête en procès sommaire est le moyen approprié pour trancher l’affaire dont est saisie la Cour. Dans l’affirmative, je chercherai alors à statuer sur les questions qui sont prêtes à être tranchées. Toutefois, avant de se pencher plus à fond sur les questions en litige, il pourrait être utile d’examiner, à titre préliminaire, ce qui, d’un point de vue procédural, est soumis à la Cour en raison des modifications aux actes de procédure qui ont été accordées lors de l’audition de la présente affaire.

I.  La question préliminaire

[5]  Un certain nombre d’instances ont été entamées relativement à la déclaration initiale. Le jour même où la déclaration a été signifiée aux défendeurs (le 13 décembre 2017), une ordonnance Anton Piller, exécutée à la résidence de Mme Wang et de M. Yang (la résidence de Mme Wang ou la résidence) et au magasin situé au centre commercial Parker Place, à Richmond, en Colombie‑Britannique, a été signifiée. Un certain nombre d’articles ont été saisis aux deux endroits. Le lendemain, le 14 décembre 2017, une injonction Mareva (visant à empêcher la dissipation des actifs) a été accordée. De plus, une audience pour outrage a eu lieu le 19 décembre 2017 (concernant un incident impliquant Mme Wang, qui, lors de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller au magasin, a refusé de remettre son téléphone cellulaire, malgré un ordre spécifique à cet effet émis dans l’ordonnance). L’ordonnance Anton Piller et l’injonction Mareva, que la Cour a refusé de rejeter (2018 CF 1198), ont été maintenues jusqu’au jugement définitif.

[6]  Des défenses ont finalement été déposées le 20 juillet 2018 pour les défendeurs – Mme Wang et M. Yang – et le 13 août 2018 pour la Canada Royal Import & Export Co. Ltd.

[7]  Les demanderesses ont cherché à modifier leur déclaration peu de temps avant le début du procès. Le 30 janvier 2019, la Cour a rendu de vive voix une ordonnance autorisant la modification. Comme on le sait, la Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire important, puisque « la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice » (Canderel Ltée c Canada (CA), [1994] 1 CF 3, à la p. 10).

[8]  Les défendeurs n’ont pas contesté les modifications. Les modifications proposées n’ont pas touché au fond de l’affaire : il est allégué que les défendeurs ont vendu des marchandises contrefaites (marques de commerce Louis Vuitton, Celine, Dior et Givenchy) et ont utilisé des œuvres protégées de Louis Vuitton. La déclaration modifiée nomme le deuxième défendeur, M. Yang, dont l’identité n’était pas connue au moment de la signification et du dépôt de la déclaration initiale. Elle ajoute également trois marques de commerce, dont deux se trouvent maintenant à l’annexe B du présent jugement (marques de commerce Celine), et une à l’annexe D du présent jugement (marques de commerce Givenchy). Les marques de commerce supplémentaires sont celles énoncées aux annexes B et D.

[9]  Ainsi, ces modifications ont été incorporées dans la déclaration modifiée signifiée et déposée le 31 janvier 2019. La Cour a procédé sur cette base.

II.  Les allégations

[10]  Il n’est pas contesté que les demanderesses sont propriétaires des marques de commerce jointes aux annexes A, B, C et D du présent jugement, et la validité des marques de commerce n’est pas contestée en l’espèce.

[11]  Chacune des demanderesses affirme que ses marques de commerce sont bien connues au Canada et y jouissent d’un achalandage enviable. Chacune prétend que les défendeurs ont importé, offert en vente et vendu des marchandises contrefaites portant ses marques de commerce ou certaines d’entre elles :

  • a) marques de commerce Louis Vuitton : il est allégué que les violations des droits liés aux marques de commerce remontent au 1er février 2009 et comprennent non seulement des marchandises contrefaites (les marchandises Louis Vuitton contrefaites), mais aussi des marchandises portant des marques de commerce qui étaient similaires aux marques de commerce Louis Vuitton au point de créer de la confusion (les marchandises violant les marques de commerce Louis Vuitton);

  • b) marques de commerce Celine : il est allégué que les violations des droits liés aux marques de commerce concernent des marchandises contrefaites portant les marques de commerce Celine;

  • c) marques de commerce Dior : il est allégué que les violations des droits liés aux marques de commerce concernent des marchandises contrefaites portant la marque de commerce Dior;

  • d) marques de commerce Givenchy : il est allégué que les violations des droits liés aux marques de commerce concernent des marchandises contrefaites portant les marques de commerce Givenchy.

[12]  L’exécution de l’ordonnance Anton Piller aurait entraîné la saisie :

  • a) de marchandises Louis Vuitton contrefaites et de marchandises violant les marques de commerce Louis Vuitton, avec des emballages contrefaits portant les marques de commerce Louis Vuitton, marchandises qui auraient été saisies à la résidence de Mme Wang, dans le véhicule de cette dernière (tel que cela était autorisé par l’ordonnance Anton Piller) et dans les locaux du centre commercial Parker Place, endroit considéré comme étant le principal magasin exploité par les défendeurs;

  • b) de marchandises Dior contrefaites, portant les marques de commerce Dior, marchandises qui auraient été saisies à la résidence de Mme Wang et au magasin du centre commercial Parker Place.

[13]  Les demanderesses allèguent que, depuis 2009, l’importation prétendue de marchandises contrefaites a eu lieu toutes les deux semaines. L’allégation est fondée sur les déclarations faites par Mme Wang aux enquêteurs dont les services ont été retenus par les demanderesses et qui ont participé à l’opération d’infiltration. Elles prétendent également que les documents saisis et conservés aideront à démontrer que cette importation se faisait toutes les deux semaines.

[14]  En ce qui concerne les activités que les défendeurs ont menées et qui peuvent constituer des cas de contrefaçon, les demanderesses allèguent un total de 36 cas liés à l’importation, à l’offre en vente et à la vente de marchandises contrefaites. La liste suivante est tirée de l’avis de requête, qui fournit un aperçu de la preuve qui sera présentée lors du procès afin d’établir chaque cas selon la prépondérance des probabilités :

[traduction]

  • a) le 1er février 2009, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au marché aux puces Cloverdale;

  • b) le 15 mars 2009, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au marché aux puces Cloverdale;

  • c) le 26 avril 2009, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au marché aux puces Cloverdale;

  • d) le 8 avril 2010, offre en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place, y compris en montrant des marchandises réelles (prises dans un tiroir, derrière des rideaux) et en présentant des catalogues Louis Vuitton montrant des articles pouvant être commandés;

  • e) le 9 janvier 2015, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place, y compris en présentant des marchandises réelles ou disponibles en ligne et en présentant des catalogues physiques Louis Vuitton montrant des articles pouvant être commandés;

  • f) en février et en mars 2015, annonce en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites, en ligne sur le site <921nini.blog.163.com> (le site Web des défendeurs);

  • g) le 2 avril 2015, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place;

  • h) le 20 avril 2015, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place;

  • i) le 13 mai 2015, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place;

  • j) le 15 juin 2015, annonce en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites, de marchandises Celine contrefaites et de marchandises Dior contrefaites, au moyen du compte WeChat des défendeurs;

  • k) le 15 juin 2015 également, offre en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place, y compris en montrant des marchandises réelles et en présentant un catalogue physique Louis Vuitton montrant des articles pouvant être commandés;

  • l) le 15 juillet 2015, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place;

  • m) le 23 août 2016, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites, à l’enquêteur et à un autre client, au magasin du centre commercial Parker Place;

  • n) en janvier 2017, offre en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites, de marchandises Dior contrefaites et de marchandises Givenchy contrefaites;

  • o) le 31 janvier 2017, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place;

  • p) en mars et en avril 2017, annonce en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites, au moyen du compte WeChat des défendeurs;

  • q) le 12 mai 2017, offre en vente (sous le comptoir) et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place;

  • r) le 7 juin 2017, annonce en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites, au moyen du compte WeChat des défendeurs;

  • s) le 11 juillet 2017, offre en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au marché de nuit de Richmond;

  • t) le 11 août 2017, offre en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites au magasin du centre commercial Parker Place;

  • u) le 15 septembre 2017, offre en vente et vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites (entreposées dans des sacs de plastique) au marché de nuit de Richmond;

  • v) le 29 octobre 2017, annonce en vente de marchandises Celine contrefaites, de marchandises Dior contrefaites et de marchandises Givenchy contrefaites, au moyen du compte WeChat des défendeurs;

  • w) le 25 novembre 2017, offre en vente de marchandises Dior contrefaites, de marchandises Givenchy contrefaites et de marchandises Celine contrefaites, au moyen de messages envoyés à l’aide du compte WeChat des défendeurs;

  • x) le 4 décembre 2017, annonce en vente de marchandises Louis Vuitton contrefaites sur le site Web des défendeurs;

  • y) le 13 décembre 2017, possession d’importantes quantités de marchandises Louis Vuitton contrefaites et de marchandises Dior contrefaites, y compris des emballages contrefaits connexes, destinées à la vente par les défendeurs et entreposées à la fois au magasin du centre commercial Parker Place et à la résidence de Mme Wang;

  • z) le 13 décembre 2017, après l’importation de marchandises Louis Vuitton contrefaites et de marchandises Dior contrefaites, livraison à la résidence de Mme Wang.

Il convient de noter qu’aucun élément de preuve n’établit de contrefaçons entre mai 2010 et décembre 2014, mais les demanderesses, au moyen d’une certaine insertion, ont demandé des dommages‑intérêts pour cette période, sur la base d’une allégation de renouvellement de stock toutes les deux semaines. Comme je l’ai indiqué lors de l’audience, il ne s’agit pas d’une conclusion qui peut être tirée au sujet d’une période pour laquelle aucun élément de preuve n’établit un niveau quelconque d’activité commerciale qui pourrait aider à étayer une telle conclusion, en supposant bien sûr qu’un renouvellement de stock, en outre des livraisons de marchandises reçues régulièrement, puisse être justifié dans les circonstances en l’espèce, compte tenu de la preuve.

[15]  Ces faits, s’ils sont prouvés, donnent lieu à des violations de diverses dispositions de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur le droit d’auteur. Voici ces dispositions :

  • a) article 19 de la Loi sur les marques de commerce : droits exclusifs des quatre demanderesses sur leurs marques de commerce;

  • b) article 20 de la Loi sur les marques de commerce : pour chacune des quatre demanderesses, l’emploi fait par les défendeurs inciterait vraisemblablement le public à croire ou à conclure que les marchandises des défendeurs proviennent des quatre propriétaires des marques de commerce et que les défendeurs sont autorisés par ces propriétaires; ainsi, les défendeurs sont réputés avoir violé les droits exclusifs liés aux marques;

  • c) article 22 de la Loi sur les marques de commerce : l’emploi des marques de commerce des quatre demanderesses par les défendeurs diminuerait probablement la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce;

  • d) alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce : les défendeurs sont accusés d’avoir appelé l’attention du public sur leurs produits et leur entreprise de manière à vraisemblablement causer de la confusion au Canada avec les produits et l’entreprise des quatre demanderesses;

  • e) alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce : les défendeurs ont fait passer leurs produits pour ceux des quatre demanderesses;

  • f) alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce : les défendeurs ont employé, en liaison avec des produits et des services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques, la qualité et la composition de ces produits et services;

  • g) article 52 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34 : les défendeurs ont donné au public des indications fausses ou trompeuses sur un point important, aux fins de promouvoir directement ou indirectement la fourniture ou l’utilisation de leurs produits, et leurs intérêts commerciaux;

  • h) articles 3, 27 et 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, pour avoir contrefait les œuvres protégées de Louis Vuitton.

III.  Les parties

[16]  Les demanderesses impliquées en l’espèce sont bien connues et leur personnalité juridique n’est pas contestée. Les demanderesses sont :

  • Louis Vuitton Malletier S.A. est une « société anonyme » qui existe sous le régime des lois de la France; Louis Vuitton Canada Inc. est une filiale de Louis Vuitton Malletier S.A. et a été constituée sous le régime des lois du Canada;

  • Celine, Dior et Givenchy, sont toutes des « sociétés anonymes » existant sous le régime des lois de la France.

Quant aux défendeurs, ils sont :

  • Audrey Wang, alias Nini Wang, alias Ni Yang, une personne qui est une directrice de la Canada Royal Import & Export Co. Ltd. et qui fait affaire au centre commercial Parker Place (principal lieu d’affaires), au marché aux puces Cloverdale et au marché de nuit de Richmond;

  • Jun Yang, alias Michael Yang, est l’époux de Mme Wang et il fait affaire au même endroit que son épouse, bien qu’il ait prétendu ne pas participer dans une large mesure aux activités commerciales;

  • la Canada Royal Import & Export Co. Ltd., une entreprise existante sous le régime des lois de la Colombie‑Britannique.

L’intitulé renvoie aux défendeurs comme faisant affaire collectivement sous les noms de Ni Fashion, Niyangbazza et Ni Bazza, et de Lian Tong Courier Service. Il est entendu que ces entités ne constituent pas des défenderesses.

[17]  Les quatre demanderesses sont des fabricantes bien connues de produits de luxe haut de gamme et elles détiennent des marques de commerce enregistrées au Canada. Les marques de commerce (voir les annexes A, B, C et D) sont employées pour désigner leurs produits au Canada. Les demanderesses appliquent des normes rigoureuses de contrôle de la qualité; elles ont investi des sommes importantes dans la création, la mise au point, la fabrication, la publicité et la commercialisation de leurs produits, dans le but d’assurer le respect des normes les plus élevées et de garantir la première qualité. Elles sont toutes bien connues et jouissent d’un achalandage enviable : cet achalandage a une valeur très élevée et revêt une importance fondamentale pour l’ensemble de leurs activités.

[18]  Louis Vuitton est propriétaire du droit d’auteur au Canada sur ce qui est décrit comme [traduction« Imprimé de monogrammes polychromes sur fond blanc » et [traduction« Imprimé de monogrammes polychromes sur fond noir ». Elle a le droit exclusif de produire et de reproduire la totalité ou une partie importante des œuvres artistiques.

[19]  Il est allégué que les défendeurs ont mené des activités commerciales à trois endroits (centre commercial Parker Place, marché aux puces Cloverdale et marché de nuit de Richmond), ainsi que sur des sites Web associés aux noms de domaine suivants : <picasaweb.google.com/nifahion08> et <921nini.blog.163.com/album/#m=0&p=1>. De plus, il est allégué que les défendeurs ont exercé des activités de contrefaçon au moyen de la plateforme de média social WeChat, en utilisant le pseudonyme « NI BAZZA » et l’identifiant WeChat « niyangbazza ».

IV.  Le procès sommaire

[20]  La première question qui doit être tranchée est de savoir s’il convient ou non de procéder à un procès sommaire, conformément à l’article 216 des Règles des Cours fédérales. Les parties conviennent que, si la Cour n’est pas en mesure de dégager les faits nécessaires pour trancher l’affaire, elle doit refuser de se prononcer sur celle‑ci. Elles conviennent également que, s’il est injuste de rendre un jugement, la Cour doit également s’en abstenir. En effet, le paragraphe 216(6) des Règles prévoit ceci :

Jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier

Judgment generally or on issue

(6) Si la Cour est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête.

(6) If the Court is satisfied that there is sufficient evidence for adjudication, regardless of the amounts involved, the complexities of the issues and the existence of conflicting evidence, the Court may grant judgment either generally or on an issue, unless the Court is of the opinion that it would be unjust to decide the issues on the motion.

[21]  Des procès sommaires sont possibles dans les affaires de marques de commerce. Dans le contexte d’une requête en procès sommaire impliquant la contrefaçon de marques de commerce (Chanel S de RL, Chanel Limited and Chanel Inc v Lam Chan Kee Company Limited et al, 2015 CF 1091 [Lam Chan Kee]), la Cour d’appel fédérale (2016 CAF 111) a observé ce qui suit :

[16]  En l’espèce, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en déterminant qu’il n’était pas nécessaire de tenir un procès et d’entendre la preuve pour évaluer la crédibilité de l’appelante. La décision du juge de rejeter la version des faits de l’appelante et de conclure qu’il n’y avait pas lieu de tenir un procès complet en raison de la preuve de contrefaçon convaincante selon les affidavits des intimées et de la pauvreté de la preuve de l’appelante était amplement étayée. Ce n’est pas parce qu’un défendeur soulève une défense incroyable en réponse à une demande de procès sommaire que cette requête doit être rejetée. Un procès sommaire est d’ailleurs particulièrement pertinent dans des affaires comme la présente, lorsqu’un défendeur qui continue de vendre des produits contrefaits présente une défense spécieuse. La décision du juge de première instance de procéder de cette façon ne démontre donc pas d’erreur susceptible de contrôle.

Les demanderesses ont raison de souligner qu’il y a eu de nombreux cas où les tribunaux ont été en mesure de satisfaire aux exigences d’un procès sommaire dans des affaires de contrefaçon de marque de commerce. Toutefois, cela ne veut pas dire pour autant que, dans chaque affaire semblable, il s’agit d’un véhicule procédural approprié.

[22]  En l’espèce, il y a suffisamment d’éléments de preuve pour trancher l’affaire et il n’est pas injuste de le faire sur la base du dossier écrit, bien qu’il soit assez volumineux. En fait, l’important dossier écrit permet à la Cour d’être convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire. Les cas de contrefaçon allégués par les demanderesses sont fondés sur les éléments de preuve fournis dans des affidavits, ainsi que sur de nombreuses photos et d’autres éléments de preuve documentaires. La plupart des affidavits présentés par les demanderesses n’ont pas fait l’objet d’un contre‑interrogatoire, ce qui permet à la Cour de tirer des conclusions sans avoir à tenir compte de la crédibilité des témoins, autrement que par les contradictions dans leur témoignage. Aucune contradiction n’a été décelée. Comme nous le verrons, ces éléments de preuve ont une grande valeur probante, étant donné la preuve convaincante de contrefaçon par rapport à la preuve limitée fournie par les défendeurs et de l’invraisemblance évidente de celle‑ci. En ce qui concerne le seul témoin qui a été contre‑interrogé, Mme Christine Li Zhou, certains éléments essentiels de sa preuve sont corroborés par la preuve d’un autre témoin, Lisa Reid, dont la preuve a été acceptée dans son intégralité, puisqu’elle n’a pas été contre‑interrogée.

[23]  Les défendeurs présentent deux observations concernant la possibilité de procéder par procès sommaire. Premièrement, ils affirment que l’injonction Mareva exécutée en l’espèce a limité leurs ressources. Ce n’est pas clair de quelle manière un procès qui prendrait beaucoup plus de temps et nécessiterait très vraisemblablement plus de ressources qu’un procès sommaire serait utile dans le contexte de ressources limitées. Comme la Cour suprême l’a souligné dans Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87 [Hryniak], la durée des procès civils devient l’ennemie de l’accès à la justice, parce que, parmi de nombreux facteurs, le coût de la tenue des procès devient prohibitif :

[1]  […] De nos jours, garantir l’accès à la justice constitue le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada. Les procès sont de plus en plus coûteux et longs. La plupart des Canadiens n’ont pas les moyens d’intenter une action en justice lorsqu’ils subissent un préjudice ou de se défendre lorsqu’ils sont poursuivis; ils n’ont pas les moyens d’aller en procès. À défaut de moyens efficaces et accessibles de faire respecter les droits, la primauté du droit est compromise. L’évolution de la common law ne peut se poursuivre si les affaires civiles ne sont pas tranchées en public.

[2]  On reconnaît de plus en plus qu’un virage culturel s’impose afin de créer un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile. Ce virage implique que l’on simplifie les procédures préalables au procès et que l’on insiste moins sur la tenue d’un procès conventionnel et plus sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire. L’équilibre entre la procédure et l’accès à la justice qu’établit notre système de justice doit en venir à refléter la réalité contemporaine et à reconnaître que de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables.

[3]  La requête en vue d’obtenir un jugement sommaire offre une occasion d’atteindre ces objectifs. À la suite du rapport de 2007 intitulé Projet de réforme du système de justice civile : Résumé des conclusions et des recommandations (le rapport Osborne), l’Ontario a modifié ses Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194 (les Règles de l’Ontario ou les Règles) afin d’améliorer l’accès à la justice. Le présent pourvoi et le pourvoi connexe, Bruno Appliance and Furniture, Inc. c. Hryniak, 2014 CSC 8, [2014] 1 R.C.S. 126, portent sur l’interprétation correcte de la règle 20 (requête en jugement sommaire) modifiée.

De plus, en l’espèce, des observations écrites ont été produites au nom de la société défenderesse par son avocat. Les observations écrites des deux autres défendeurs étaient largement tirées du texte des observations de la société défenderesse. L’avocat de cette dernière, accompagné d’un collègue, était présent tout au long du procès sommaire et, plus tard, au stade de l’affaire relatif à la détermination des dommages‑intérêts, dans le cadre duquel il a produit des observations écrites supplémentaires. Il a plaidé la cause de sa cliente. Plus important encore, la preuve était exhaustive, et les défendeurs ont eu toute la latitude pour présenter leur cause. Il n’est pas justifié de provoquer de nouvelles dépenses, compte tenu du dossier présenté à la Cour.

[24]  La deuxième observation porte sur le seul témoin qui a été contre‑interrogé, Christine Li Zhou. En fait, celle‑ci a été interrogée en profondeur par l’avocat qui représentait la société défenderesse ainsi que par Mme Wang au moment du contre‑interrogatoire. Mme Wang a bénéficié du contre‑interrogatoire de l’avocat et elle a pu contre‑interroger Mme Li Zhou. Le contre‑interrogatoire a duré plus de quatre heures, période au cours de laquelle l’avocat et Mme Wang ont posé 512 questions à Mme Li Zhou. La deuxième observation se limite à l’opinion des défendeurs selon laquelle la déposition de Mme Li Zhou présente des incohérences et des affirmations non vérifiables. Il s’agit d’un argument devant faire partie des observations sur le poids à accorder à un témoignage. Cela n’a aucune incidence sur la possibilité de déboucher sur une décision juste et équitable. La Cour suprême a élaboré le critère suivant dans Hryniak, au paragraphe 4 :

[4]  […] la tenue d’un procès n’est pas nécessaire si une requête en jugement sommaire peut déboucher sur une décision juste et équitable, si elle offre un processus qui permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, d’appliquer les règles de droit à ces faits et si elle constitue, par rapport au procès, un moyen proportionné, plus expéditif et moins onéreux d’arriver à un résultat juste.

[25]  La tenue d’un procès sommaire ne convient pas dans toutes les affaires de propriété intellectuelle. En l’espèce, la thèse des demanderesses est relativement simple, et les éléments de preuve qu’elles ont rassemblés n’étaient pas particulièrement complexes. Dans l’ensemble, il s’agit d’une preuve de cas allégués de contrefaçon. La complexité découle de l’abondance d’éléments de preuve, compte tenu de la thèse des défendeurs qui affirment ne pas être impliqués dans la vente de marchandises contrefaites. Comme nous le verrons, il s’agit d’un argument difficile à avancer, eu égard au nombre considérable d’éléments de preuve qui n’ont même pas été contestés au moyen d’un contre‑interrogatoire. Les défendeurs ont pleinement participé au processus, avec l’aide d’un avocat. La requête en procès sommaire est un véhicule procédural approprié, à la lumière de la preuve présentée et des questions soulevées. Les défendeurs ne m’ont pas convaincu qu’un procès sommaire ne serait pas approprié dans les circonstances en l’espèce. Il s’agit, par rapport au procès, d’un moyen plus expéditif et moins onéreux d’arriver à un résultat juste, grâce à un processus décisionnel équitable.

V.  La preuve

[26]  La preuve des demanderesses en l’espèce est présentée sous la forme d’affidavits de 17 personnes, dont la plupart ont participé à l’enquête et à l’exécution d’ordonnances judiciaires. À l’exception d’une enquêteuse qui a été contre‑interrogée, aucun autre souscripteur d’affidavit n’a fait l’objet d’un contre‑interrogatoire par les défendeurs. Ensemble, ces personnes ont été impliquées dans un assez grand nombre de cas – 36 au total – qui seraient des cas de contrefaçon. La Cour a examiné chacun de ces affidavits, ainsi que l’abondante preuve documentaire.

A.  Me Jana Checa Chong

[27]  Les affidavits des enquêteurs ont été complétés par celui de Me Jana Checa Chong, avocate principale en propriété intellectuelle pour Louis Vuitton Amérique du Nord, dont le siège social est situé à New York. Étant donné que les demanderesses Dior S.A., Celine et Givenchy S.A. font toutes partie d’un groupe de sociétés comprenant Louis Vuitton Malletier S.A. et Louis Vuitton Canada, Inc. (LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton SE), Me Checa Chong a pu faire des déclarations au sujet des produits des quatre demanderesses afin d’identifier les marchandises authentiques et contrefaites. En d’autres termes, le témoin peut faire la différence entre les produits autorisés, qui portent les marques des quatre demanderesses, et les marchandises non autorisées, qui portent ces marques.

[28]  Ainsi, Me Checa Chong déclare qu’elle a examiné les affidavits des six enquêteurs et confirme que les pièces contrefaites sont toutes des articles contrefaits. Pour ce faire, elle décrit les caractéristiques qui lui permettent de conclure que la marchandise est contrefaite :

  • les matériaux et la qualité d’exécution pour les produits utilisés dans les pièces contrefaites ne sont pas conformes à ceux des produits Louis Vuitton authentiques;

  • l’emballage n’est pas conforme à celui des produits Louis Vuitton authentiques;

  • les cartes d’entretien ne sont pas conformes à celles des produits Louis Vuitton authentiques;

  • la doublure intérieure n’est pas conforme à celle des produits Louis Vuitton authentiques;

  • les ornements ne sont pas conformes à ceux des produits Louis Vuitton authentiques;

  • le code de production n’est pas conforme à celui des produits Louis Vuitton authentiques.

[29]  Le témoin a également parlé des marchandises saisies le 13 décembre, dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, ainsi que des marchandises livrées à la résidence de Mme Wang pendant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. Les articles livrés à la résidence sont jugés [traduction« non authentiques » : le témoin énumère les caractéristiques des produits qui lui ont permis de tirer cette conclusion. En ce qui concerne les articles saisis dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, Me Checa Chong affirme que la qualité des photos des articles qu’elle a reçues n’était pas toujours suffisante pour lui permettre de se prononcer. Par conséquent, 21 articles lui ont été expédiés à New York; il s’agissait principalement d’articles Louis Vuitton. L’inspection physique l’a amenée à conclure que 19 des 21 articles n’étaient pas authentiques, alors que deux l’étaient; il s’agissait de deux sacs Louis Vuitton. Le fait qu’elle ait conclu que certains articles étaient authentiques renforce sa crédibilité. De toute façon, elle n’a même pas été contre‑interrogée par les défendeurs.

[30]  Me Checa Chong a examiné les [traduction« photos des emballages » prises lors de la saisie effectuée durant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. Il s’agit d’emballages, d’étiquettes, d’articles faits à la main et d’autres articles similaires. Elle a conclu que ces articles n’étaient pas non plus authentiques. Il en va de même pour les catalogues saisis au même moment. Selon elle, les photos des catalogues montrent des catalogues contrefaits. Elle a déclaré au paragraphe 61 de son affidavit que [traduction« les catalogues figurant dans les [TRADUCTION] “photos de catalogues” ne sont pas autorisés, imprimés, fabriqués ou distribués par Louis Vuitton ou en son nom, et ils font la promotion d’articles portant une ou plusieurs des marques de commerce LOUIS VUITTON ». Ceci est évidemment une preuve de l’importance des activités des défendeurs, puisqu’ils auraient en leur possession non seulement des articles et des emballages contrefaits, mais aussi des catalogues contrefaits de produits.

[31]  Les activités décrites dans les affidavits des enquêteurs et se rapportant aux divers articles contrefaits saisis dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller [traduction« peuvent amener le public à croire que les marchandises contrefaites vendues par les défendeurs sont des [produits] authentiques [des demanderesses] ou ont été autorisées, approuvées ou fabriquées par [les demanderesses], et sont susceptibles de créer de la confusion des produits des défendeurs avec les produits et l’entreprise [des demanderesses] » (affidavit de Jana Checa Chong, par. 63).

[32]  Le témoin fournit également des éléments de preuve sur les dommages causés aux marques par l’offre en vente de marchandises contrefaites. Les consommateurs qui achètent ou qui seraient tentés d’acheter les produits des demanderesses ne le feront plus en raison de la disponibilité de produits contrefaits sur le marché. À l’appui de cette observation fondée sur le bon sens, le témoin a même produit un rapport commandé par l’Action commerciale de lutte contre la contrefaçon et le piratage, de la Chambre de commerce internationale, et l’International Trademark Association. Le rapport, qui fait près de 60 pages, vise à établir [traduction« la ponction [TRADUCTION] “énorme” que les produits contrefaits et piratés pratiquent sur l’économie mondiale, ponction qui s’élève à des milliards pour l’activité économique légitime, qui déplace des centaines de milliers d’emplois légitimes et qui expose les consommateurs à des produits dangereux et inefficaces » (affidavit de Jana Checa Chong, par. 66). En fait, le rapport présente des chiffres astronomiques. Le rapport commandé en 2015 [traduction« prévoit que la valeur du commerce de marchandises contrefaites et piratées pourrait atteindre 991 milliards de dollars d’ici 2022 » (page 54). Même si l’on écarte les chiffres comme étant quelque peu gonflés, puisqu’ils présument des taux de croissance, il ne fait aucun doute que la contrefaçon et le piratage sont des problèmes importants.

B.  Les enquêteurs

[33]  Les demanderesses ont présenté la preuve de six enquêteurs qui ont témoigné de leur rôle à l’égard des défendeurs, chacun documentant des cas d’usurpation des marques de commerce des demanderesses. Ces témoins sont Brian Lambie, Lisa Low, Jasper Smith, Lisa Reid, Rojen Nouri et Christine Li Zhou. Seule la preuve de Christine Li Zhou a été contestée.

(1)  Brian Lambie

[34]  Tout comme les autres enquêteurs, Brian Lambie affirme avoir reçu une formation pour identifier les marchandises contrefaites et authentiques relativement à un certain nombre de marques, y compris Louis Vuitton. Cela n’est pas contesté. Il déclare que, à la fin de décembre 2008, il a appris que Mme Wang et la Canada Royal Import & Export Co. Ltd. vendaient prétendument des marchandises contrefaites au centre commercial Parker Place et au marché aux puces Cloverdale. M. Lambie a observé Mme Wang en train d’offrir en vente des marchandises Louis Vuitton contrefaites. Le 15 mars 2009, il a acheté un article pour 35 $ au marché aux puces Cloverdale. Le 22 mars 2009, une mise en demeure a été signifiée à Mme Wang. La mise en demeure était très explicite. Je souligne que M. Lambie a déclaré que, pendant qu’il attendait que Mme Wang décharge les marchandises de son véhicule, une annonce a été faite avec le système de haut‑parleurs, avertissant les vendeurs de ne pas vendre des marchandises contrefaites. Mme Wang a rapidement disparu avant de revenir 25 minutes plus tard.

[35]  Après que la mise en demeure lui a été signifiée, Mme Wang a rendu trois chaussures portant la marque de commerce Chanel. Il n’y avait aucune autre marchandise contrefaite sur l’étal à ce moment‑là.

[36]  M. Lambie a observé que Mme Wang vendait des marchandises contrefaites un mois après avoir reçu la mise en demeure. Le 26 avril 2009, Mme Wang a été vue, montrant des boîtes, cachées dans un sac sous une table, au marché aux puces Cloverdale. Les boîtes portaient les marques de commerce Louis Vuitton. Le 19 mai 2019 (au centre commercial Parker Place), le 20 juin 2009 (au marché de nuit de Richmond) et le 25 octobre 2009 (au marché aux puces Cloverdale), l’enquêteur ou d’autres enquêteurs ont observé Mme Wang en train de vendre des marchandises contrefaites; l’enquêteur ne peut toutefois pas attester si cette marchandise portait les marques de commerce Louis Vuitton.

[37]  Le reste de l’affidavit de M. Lambie décrit la surveillance effectuée par lui et d’autres enquêteurs, démontrant clairement le rôle de M. Yang dans les locaux utilisés par Mme Wang au centre commercial Parker Place et au marché de nuit de Richmond les 15 et 16 septembre 2017.

(2)  Lisa Low

[38]  Lisa Low atteste qu’elle est capable de différencier les marchandises Louis Vuitton contrefaites des marchandises Louis Vuitton authentiques. Elle déclare que, le 1er février 2009, elle a observé Mme Wang, au marché aux puces Cloverdale, en train d’offrir en vente et de vendre des sacs à main, des portefeuilles, des chaussures, des bijoux, des lunettes de soleil et des jeans, dont certains portaient la marque Louis Vuitton. En se fondant sur sa formation et son expérience, elle déclare que les marchandises Louis Vuitton offertes en vente étaient contrefaites. L’enquêteuse a acheté un portefeuille Louis Vuitton à 55 $. Les sacs à main exposés étaient offerts à des prix allant de 180 $ à 280 $. Mme Wang a déclaré à l’enquêteuse que ses produits étaient de [traduction« meilleure qualité »; elle a informé l’enquêteuse qu’elle pouvait commander toutes les marchandises à acheter [traduction« qui ont un numéro de style ». Elle avait même un catalogue sur la table (bien qu’il n’ait pas s’agit d’un catalogue Louis Vuitton). Les photos prises de captures d’écran d’une vidéo réalisée par Mme Low de la personne que cette dernière a rencontrée à cette occasion sont celles de la défenderesse, Mme Wang.

[39]  Une carte professionnelle obtenue de Mme Wang l’identifie comme Audrey Wang, directrice générale de la Canada Royal Import & Export Co. Ltd., et renvoie au numéro de téléphone qu’elle a utilisé, à un courriel présenté comme « w_nini@hotmail.com » et à deux sites Web, à savoir « 921nini.blog.163.com/album » et « picasaweb.google.com/nifashion08 ».

(3)  Jasper Smith

[40]  Jasper Smith est un autre enquêteur privé qui a reçu une formation pour identifier les marchandises Louis Vuitton contrefaites et celles qui sont authentiques. M. Smith a participé à la surveillance des deux défendeurs les 15 et 16 septembre 2017. Sa preuve corrobore celle de Brian Lambie. En outre, il a fait des déclarations au sujet d’une visite au magasin du centre commercial Parker Place, exploité par les défendeurs, qui a été effectuée par une autre enquêteuse, Lisa Leung, qui travaillait pour lui à l’époque. Le 8 avril 2009, cette enquêteuse a rencontré une personne prénommée « Joyce », qui travaillait à temps partiel pour la propriétaire, une personne prénommée « Audrey ». Aucune marchandise Louis Vuitton n’était exposée au magasin. Cependant, « Joyce » a informé l’enquêteuse qu’elle avait deux sacs, qu’elle a récupéré d’un tiroir se trouvant derrière un rideau. Mme Leung a acheté les deux sacs pour 390 $ et 420 $; des photos des sacs ainsi qu’un reçu sont annexés à l’affidavit. Il s’agit d’un sac à main monogramme brun et un sac à main multicolore blanc. En outre, « Joyce » a montré à l’enquêteuse des catalogues Louis Vuitton de 2009 et de 2010, déclarant que des commandes pouvaient être passées et que les expéditions étaient effectuées chaque semaine par un fabricant en Chine; une commande pouvait être exécutée dans un délai de deux semaines. Elle a commandé un sac à main qui est arrivé le 27 avril et qui a été ramassé le 30 avril 2009.

[41]  M. Smith a également fait des déclarations au sujet de la surveillance qu’il avait effectuée en septembre 2017. La surveillance a mené l’enquêteur à formuler des observations sur les activités de Mme Wang et de M. Yang en ce qui a trait au transport d’un grand sac en vinyle. Ils se sont rendus en voiture au marché de nuit de Richmond, mais seule Mme Wang a quitté le marché de nuit et est retournée au centre commercial Parker Place. Mme Wang est repartie du centre commercial Parker Place avec deux sacs et est retournée au marché de nuit. Quelques heures plus tard, Mme Wang et son époux sont repartis ensemble et sont allés à la résidence de Mme Wang. Cela donne à penser que M. Yang a été seul au marché de nuit de Richmond pendant quelques heures.

[42]  Le lendemain (le 16 septembre), Mme Wang et M. Yang ont quitté leur résidence ensemble, dans une seule voiture, pour se rendre au centre commercial Parker Place en transportant un grand sac que M. Yang a retiré à leur arrivée au centre commercial. Plus tard ce jour‑là, Mme Wang et M. Yang ont été vus en train de se rendre en voiture au marché de nuit de Richmond, un plus petit sac ayant été placé dans le coffre de la voiture. Tard cette nuit‑là, ils ont quitté le marché de nuit ensemble.

[43]  Cette surveillance de Mme Wang et de M. Yang tend à montrer les activités conjointes des deux défendeurs.

(4)  Lisa Reid

[44]  Lisa Reid est une autre enquêteuse qui a participé à cette enquête. Elle a reçu une formation sur la reconnaissance de marchandises contrefaites portant les marques de commerce des demanderesses. Le 9 janvier 2015, elle a visité le magasin du centre commercial Parker Place, où elle a rencontré Mme Wang. Mme Reid a parcouru de grands magazines qui comprenaient de la marchandise Louis Vuitton ainsi qu’un magazine numérique. Y étant retournée peu après, l’enquêteuse a acheté un sac à main et un portefeuille Louis Vuitton pour une somme totale de 350 $. On lui a ensuite montré une boîte contenant de nombreux articles, dont certains articles Louis Vuitton. Selon l’enquêteuse, c’étaient toutes des marchandises contrefaites. Au moment de quitter le magasin, Audrey Wang a offert à l’enquêteuse sa carte professionnelle, laquelle l’identifie clairement. Il s’agit de la même carte professionnelle que celle donnée à l’enquêteuse Lisa Low six ans plus tôt, en février 2009.

[45]  L’enquête s’est poursuivie. L’enquêteuse fait des déclarations selon lesquelles, en février et en mars 2015, il y avait des offres en ligne de marchandises Louis Vuitton contrefaites. Les sites Web étaient associés à des noms de domaine apparaissant sur la carte professionnelle de Mme Wang. Mme Reid a communiqué avec Mme Wang, qui, dans un échange de messages textes, l’a invitée à visiter son magasin pour commander des produits. Lors d’une visite, le 2 avril 2015, l’enquêteuse a passé une commande à partir d’un catalogue Louis Vuitton. Un sac à main a été acheté sur place pour 235 $. Comme l’a confirmé Me Checa Chong, l’article est une contrefaçon. L’enquêteuse a commandé un catalogue Louis Vuitton et quatre articles Louis Vuitton (pour un total de 1 450 $). Mme Wang a fourni à Mme Reid une note manuscrite sur laquelle elle a inscrit son compte WeChat personnel et commercial (niyangbazza). Au cours de la visite du 2 avril, Mme Reid a fait comprendre à Mme Wang qu’elle avait l’intention d’ouvrir son propre magasin. Mme Wang l’a informée qu’elle et son partenaire étaient en train d’ouvrir une [traduction« arrière‑boutique » à l’intérieur d’un restaurant à Seattle pour les femmes chinoises qui préfèrent généralement faire des achats en privé.

[46]  Lors d’une autre visite, le 20 avril 2015, Mme Wang a montré un nouveau sac à main contrefait qui venait d’arriver, et l’enquêteuse a fait un dépôt en espèces pour la commande précédente; un reçu a été produit pour cette transaction.

[47]  Une autre visite dans les locaux du centre commercial Parker Place a eu lieu le 13 mai 2015, au cours de laquelle deux autres sacs à main Louis Vuitton ont été achetés. De plus, le catalogue Louis Vuitton acheté lors d’une visite antérieure a été livré ce jour‑là. Me Checa Chong a confirmé que les sacs étaient contrefaits.

[48]  Mme Reid a continué de se présenter comme une personne intéressée à ouvrir son propre magasin. Mme Reid a déclaré que, le 15 juillet 2015, Mme Wang lui a donné quelques conseils :

[traduction]

14.  Le 15 juillet 2015, je me suis de nouveau rendue aux locaux de Parker Place avec l’agent Gagnon. Mme Wang nous a demandé comment nos [traduction] « magasins » avançaient. L’agent Gagnon a demandé à Mme Wang s’il était préférable d’établir une arrière‑boutique et de vendre les produits contrefaits à partir de là. Mme Wang a rapidement répondu : [traduction] « [V]ous n’avez pas besoin d’une arrière‑boutique; tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un étalage avec quelques vrais produits pour montrer aux clients que vous avez des produits authentiques. » Mme Wang a en outre déclaré : [traduction] « [V]ous pouvez toujours faire confiance aux Vietnamiens et aux Chinois, car ils ne vous causeront aucun problème et ils achèteront toujours des produits et dépenseront leur argent. » Elle a déclaré qu’elle le faisait depuis longtemps sans aucun problème, en plaçant simplement quelques articles authentiques en étalage et en présentant les articles contrefaits une fois qu’elle a l’impression que la personne qui visite le magasin ne représente aucune menace.

[Affidavit de Lisa Reid, au par. 14]

Mme Wang a offert d’agir à titre de grossiste pour Mme Reid. À cette occasion, Mme Reid a également acheté un sac à main à 300 $. Me Checa Chong a confirmé que le sac à main était une contrefaçon.

[49]  L’enquêteuse avait ouvert son propre compte WeChat après sa visite du 2 avril 2015, au cours de laquelle Mme Wang lui avait donné une note manuscrite sur laquelle elle avait inscrit [traduction« c. WeChat : niyangbazza ». Le témoin a déclaré ce qui suit au paragraphe 18 de son affidavit :

[traduction]

18.  En avril 2015, j’ai également ouvert un compte WeChat, et j’ai trouvé de nombreux articles contrefaits à vendre par l’entremise du compte WeChat de niyangbazza, y compris des articles Louis Vuitton. Dans une mise à jour sur le compte WeChat de niyangbazza, datée du 15 juin 2015, les marques suivantes, à tout le moins, étaient en vente : Louis Vuitton, Celine et Dior.

(5)  Rojen Nouri

[50]  Rojen Nouri, une autre enquêteuse formée, a fait des déclarations dans son affidavit concernant un certain nombre de cas de contrefaçon. Le 15 juin 2015, elle a visité le magasin des défendeurs situé au centre commercial Parker Place. Elle y a rencontré une personne qui s’est identifiée comme « Audrey Wang ». Elle a déclaré qu’elle avait observé quatre sacs portant les marques de commerce Louis Vuitton. Mme Wang a dit qu’il était possible de commander des marchandises Louis Vuitton au moyen d’un catalogue qu’elle lui a montré; il y a des livraisons chaque semaine.

[51]  Les 7 et 18 août 2016, Mme Nouri a visité le magasin du centre commercial Parker Place. Il était fermé. Le 22 août, elle a composé le numéro de téléphone inscrit sur une affiche apposée sur la porte du magasin, à savoir le même numéro donné à Lisa Reid sur la note manuscrite sur laquelle Mme Wang a inscrit « niyangbazza » relativement à un compte WeChat. Une personne s’identifiant comme « Audrey Wang » a répondu. Elle a indiqué qu’il y avait peu de stock, mais que Mme Nouri pouvait consulter des catalogues. Le lendemain, Mme Wang l’a appelée pour l’informer qu’une nouvelle livraison venait d’arriver. Mme Nouri s’est rendue au magasin peu de temps après. Elle a vu des marchandises étiquetées « Louis Vuitton », mais aussi d’autres étiquetées « Chanel », « Chloé », « Hermès » et « Gucci ». La livraison semblait être assez importante et inclure au moins cinq sacs et portefeuilles de chaque marque. Sur place, le témoin a vu un homme ramasser un sac portant les marques de commerce Louis Vuitton.

[52]  Le 11 juillet 2017, près d’un an plus tard, Mme Nouri a vu Mme Wang au marché de nuit de Richmond en train de vendre des marchandises portant les marques de commerce Louis Vuitton. À titre de variation sur le même thème, le 15 septembre 2017, Mme Nouri a visité le kiosque exploité par Mme Wang au marché de nuit de Richmond. Cependant, la personne qui s’occupait du magasin était un homme asiatique qui s’est identifié comme se prénommant « Michael ». Lorsque Mme Nouri a posé des questions sur les articles, « Michael » a retiré deux articles Louis Vuitton d’un sac en vinyle qui se trouvait au kiosque; il y avait d’autres articles dans le sac de vinyle, mais ils n’étaient pas identifiés. Les articles Louis Vuitton étaient en vente à 120 $. Le témoin a acheté un portefeuille Louis Vuitton à 90 $ auprès de « Michael ». Compte tenu de son expérience et de sa formation, le témoin a déclaré que les articles Louis Vuitton offerts en vente et vendus étaient contrefaits.

[53]  Aucun de ces cinq témoins ayant participé aux 17 cas allégués de contrefaçon n’a été contre‑interrogé. À mon avis, il n’y a aucune raison de conclure que leur témoignage est tout sauf sincère. La seule de preuve fournie par les défendeurs se limite à une dénégation générale du fait qu’ils ont continué de vendre des marchandises contrefaites après la mise en demeure de 2009. Mme Wang a fourni très peu de commentaires spécifiques, voire pas du tout, au sujet du témoignage de Lisa Low, de Brian Lambie et de Rojen Nouri :

  • Mme Wang ne se souvient pas d’avoir rencontré Lisa Low.

  • Mme Wang n’a pas fréquenté le marché aux puces Cloverdale durant [traduction« au moins sept à huit ans » (affidavit d’Audrey Wang, par. 65). Cela était en réponse à l’affidavit de Brian Lambie, qui a fait des déclarations au sujet de sa rencontre avec Mme Wang en mars 2009 et de ses observations d’avril 2009 au marché aux puces Cloverdale. L’affidavit de Mme Wang est daté du 25 octobre 2018. Le but d’une telle déclaration n’est pas clair. M. Lambie a déclaré qu’une mise en demeure, sans équivoque, avait été remise à Mme Wang le 22 mars 2009 à son étal au marché aux puces Cloverdale. Il y est retourné le 26 avril 2009. Si Mme Wang n’était pas au marché aux puces Cloverdale à ces deux occasions, certains de ses commentaires dans son affidavit sont plutôt bizarres. Par exemple, elle déclare qu’elle n’a vendu aucune marchandise Louis Vuitton à son étal du marché aux puces Cloverdale en 2009 et en 2010. De toute évidence, elle avait un étal au marché aux puces. Ce qui est plus surprenant encore est sa réponse à un incident survenu le 22 mars 2009, où, selon M. Lambie, une annonce a été faite avec le système de haut‑parleurs, laquelle avertissait les vendeurs de ne pas vendre de marchandises contrefaites. M. Lambie affirme que Mme Wang a disparu pendant 25 minutes. Il est surprenant que Mme Wang reconnaisse sa présence au marché aux puces Cloverdale pour tenter d’expliquer son absence soudaine de son étal pendant environ 25 minutes. Il est clair que ces déclarations n’ont aucune incidence sur la preuve de M. Lambie. Une interprétation moins charitable de la déclaration faite au paragraphe 65 de l’affidavit de Mme Wang serait qu’elle est trompeuse. Mme Wang exploitait un étal au marché aux puces Cloverdale en 2009.

  • En réponse à l’affidavit de Mme Nouri, Mme Wang a souligné que les livraisons n’arrivaient pas toutes les semaines. Dans les circonstances en l’espèce, cela est absolument sans conséquence, puisque Mme Nouri a fait des déclarations au sujet d’offres de vente et de ventes précises alléguées impliquant des marchandises contrefaites.

[54]  Je fais remarquer que les défendeurs n’ont même pas tenté de contester la preuve fournie par Lisa Reid et Jasper Smith. Il faut se rappeler que c’est Mme Reid qui a fourni des éléments de preuve au sujet du fait que Mme Wang lui avait donné une note manuscrite où était inscrit « niyangbazza », lui permettant ainsi d’accéder à son compte WeChat.

[55]  Par conséquent, la Cour conclut que le paragraphe 216(4) des Règles s’applique pleinement en l’espèce. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

Conclusions défavorables

Adverse inference

(4) La Cour peut tirer des conclusions défavorables du fait qu’une partie ne procède pas au contre‑interrogatoire du déclarant d’un affidavit ou ne dépose pas de preuve contradictoire.

(4) The Court may draw an adverse inference if a party fails to cross‑examine on an affidavit or to file responding or rebuttal evidence.

La preuve de ces cinq témoins est inattaquable. Les cas de contrefaçon sont prouvés à la satisfaction de la Cour.

(6)  Christine Li Zhou

[56]  La preuve de Christine Li Zhou, contrairement à celle des autres témoins principaux, a été contestée. Elle a fait des déclarations au sujet de 14 cas allégués de contrefaçon. Il semble ressortir de la preuve qu’elle s’est liée d’amitié avec Mme Wang ou, à tout le moins, que sa maîtrise du cantonais et du mandarin a peut‑être eu une incidence positive sur la bonne relation qui s’est développée entre elles.

[57]  Christine Li Zhou n’était pas une enquêteuse expérimentée. Elle est une parajuriste qui a suivi une formation universitaire. Néanmoins, elle avait été formée pour différencier les marchandises contrefaites et authentiques, y compris les marchandises qui portent les marques de commerce Louis Vuitton. Sa participation à cette enquête a débuté en janvier 2017.

[58]  Le 7 janvier 2017, elle a remarqué qu’étaient offertes en vente, au magasin du centre commercial Parker Place, les marchandises des défendeurs qui pouvaient être des produits contrefaits; ces produits comprenaient des marchandises présentées comme des produits Louis Vuitton, Givenchy et Dior authentiques.

[59]  Après avoir remarqué que le magasin des défendeurs au centre commercial Parker Place était souvent fermé, elle a enregistré le numéro affiché sur la porte dans les contacts de son téléphone. Mme Li Zhou a son propre compte WeChat. Lorsqu’elle a ouvert son application WeChat, [traduction« un profil WeChat est apparu pour ce numéro de téléphone [le numéro de téléphone affiché sur la porte du magasin], comprenant le “pseudonyme” NI BAZZA et l’identifiant WeChat suivant : niyangbazza » (affidavit de Christine Li Zhou, par. 5). La souscriptrice d’affidavit continue en décrivant ce qu’est WeChat :

[traduction]

5.  […] WeChat est une plateforme de média social à prédominance chinoise, assez similaire à une combinaison de Facebook, de Pinterest et de plateformes de vente en ligne comme eBay et Alibaba. Il s’agit d’une plateforme d’application logicielle qui est accessible principalement sur les téléphones intelligents, bien qu’elle puisse également être utilisée au moyen d’Internet. Elle est utilisée à de nombreuses fins, dont l’une est de faciliter l’offre en vente et la vente de marchandises.

6.  La plateforme WeChat utilise un « pseudonyme » qui apparaît sur la page de profil d’un utilisateur et dans tous les messages, conjointement à l’identifiant WeChat qui apparaît sur la page de profil. Dans le cadre de mes échanges avec Mme Yang, qui sont décrits dans les présentes, son « pseudonyme » apparaissait initialement comme NI BAZZA, puis comme BAZZA, tous deux associés à l’identifiant WeChat suivant : niyangbazza (Ni Bazza).

[60]  Le 31 janvier 2017, Mme Li Zhou a visité les locaux du centre commercial Parker Place. Elle a demandé si la personne qui travaillait au magasin était « Ni Yang », d’après l’identifiant WeChat (niyangbazza). La personne a hoché la tête, mais a indiqué qu’on pouvait l’appeler « Audrey ». Le témoin a déclaré qu’une conversation s’en était suivie. Ni Yang a indiqué qu’elle préférait faire des affaires par l’intermédiaire de WeChat, car elle pouvait atteindre un plus grand nombre de clients et avoir un catalogue complet. Mme Yang a confié qu’elle a récemment donné naissance à un enfant. Les photos prises ce jour‑là montrent des marchandises contrefaites, y compris des marchandises Louis Vuitton. Le témoin a également déclaré qu’en janvier 2017, elle avait observé des marchandises offertes en vente portant les marques de commerce Louis Vuitton, Givenchy et Dior au magasin du centre commercial Parker Place.

[61]  Le 14 février 2017, Mme Li Zhou a envoyé une [traduction« demande d’amitié » au profil de Ni Bazza, en utilisant son propre [traduction« identifiant WeChat », qui est lié à son propre numéro de téléphone. La demande a été acceptée et elle a pu examiner les publications de Ni Bazza, qui révélait, selon le témoin, une quantité importante de produits Louis Vuitton. Une capture d’écran réalisée le 17 février 2017 montre ce qui semble être une publicité pour des marchandises Chanel contrefaites, puisque le message se traduit ainsi : [traduction« Haha, nous avons investi plus de 4 000 $ US dans l’achat du produit réel comme modèle. Peau d’agneau souple, ornements, dans cinq couleurs, nous avons fait un gros investissement avec celui‑là. La couleur bourgogne est maintenant disponible. »

[62]  Un premier contact a été établi avec Ni Bazza (Mme Yang ou Audrey) le 24 février 2017. Le court échange a permis de confirmer que le magasin de Ni Bazza était situé au centre commercial « Parker Place ».

[63]  La souscriptrice d’affidavit affirme que de nombreux échanges avec le profil de Ni Bazza ont été réalisés par la suite. En mars et en avril 2017, la souscriptrice a visité le magasin à plusieurs reprises : le magasin était fermé, et une affiche était apposée sur la porte, laquelle informait les passants qu’il rouvrirait dans dix minutes et affichait le même numéro de téléphone. Mme Li Zhou a déclaré qu’elle avait parcouru les publications de Ni Bazza et noté que certaines concernaient des marchandises Louis Vuitton. En mai 2017, Mme Li Zhou a pris rendez‑vous avec Ni Bazza (le pseudonyme) via WeChat. Le rendez‑vous a été fixé pour le soir même, Ni Bazza l’assurant que le magasin serait ouvert pour elle. Une capture d’écran de l’échange a été produite. Le rendez‑vous s’est déroulé comme prévu, et Mme Yang est arrivée après la souscriptrice d’affidavit.

[64]  Mme Yang a montré à la souscriptrice d’affidavit un certain nombre de sacs à main, dont des sacs Louis Vuitton, qui étaient sous un comptoir, en dessous de la caisse enregistreuse. Mme Yang a parlé des livraisons arrivant toutes les deux semaines de la Chine; les livraisons concernaient des commandes précises passées à partir du catalogue disponible sur WeChat. Mme Li Zhou a acheté un sac à main Louis Vuitton pour 350 $. À cette occasion, elle a aussi vu des foulards. Alors qu’elle partait, Mme Li Zhou a posé des questions au sujet du nom chinois de Mme Yang, laquelle aurait répondu quelque chose comme quoi, peu importe ce qui était indiqué sur WeChat, elle pouvait l’appeler Audrey. Une photo de Ni Bazza/Mme Yang/Audrey a été prise le 12 mai par la souscriptrice d’affidavit. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une photo de Mme Wang, l’un des défendeurs.

[65]  Le rendez‑vous pour visiter le magasin le 12 mai a été confirmé via WeChat, et des captures d’écran sont disponibles pour prouver l’existence de l’échange. Le rendez‑vous a eu lieu ce soir‑là. En d’autres termes, un rendez‑vous organisé via WeChat a amené Mme Wang à être présente à l’heure et à l’endroit prévus du rendez‑vous préétabli.

[66]  Un élément de preuve concernant un sac à main Chanel est pertinent en l’espèce, parce qu’il lie le compte WeChat à Mme Wang. Je reproduis dans son intégralité l’élément de preuve offert par Mme Li Zhou :

[traduction]

13.  Le 2 mai 2017, à partir d’une publication faite en avril 2017 par Ni Bazza sur WeChat au sujet d’un sac à main Chanel, j’ai envoyé un message WeChat à Ni Bazza en utilisant de nouveau mon identifiant WeChat, « christinez899 ». Dans mon message, j’ai demandé à Mme Yang si je pouvais lui acheter ce sac Chanel. Moins d’une demi‑heure plus tard, j’ai reçu un message vocal d’une personne, que je sais maintenant être Mme Yang, indiquant que les [traduction] « sacs sont de la plus haute qualité, les sacs sont faits sur mesure pour chaque commande et envoyés de Chine », qu’elle avait déjà deux commandes pour le sac et qu’elle offrait le sac avec une bordure argentée ou dorée. Vous trouverez ci‑joint, sous la pièce D, une capture d’écran prise à partir de mon téléphone montrant les publications datées du 19 avril 2017 que j’ai utilisées pour commencer mes recherches sur le profil de Ni Bazza, ainsi qu’une traduction des publications du 19 avril 2017 qui m’a été fournie par Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

L’échange a été suivi, le 17 mai, par un message vocal WeChat de Mme Wang. Ce message a été produit par le témoin sur un CD.

[67]  Lors d’une autre rencontre au centre commercial Parker Place, le 19 mai 2017, Mme Yang a confirmé recevoir des livraisons toutes les deux semaines, afin de satisfaire les commandes passées par les clients. Mme Yang a également confirmé que les sacs sont des faux de haute qualité, fabriqués à la main, et qu’ils sont des répliques de sacs authentiques qui se trouvent [traduction« directement devant eux pendant qu’ils fabriquent les faux » (affidavit de Christine Li Zhou, par. 22).

[68]  L’échange de messages via WeChat au sujet du sac Chanel commandé plus tôt s’est poursuivi. L’échange portait sur la date prévue d’arrivée de l’article et a été déposé en preuve. Il a eu lieu les 11 et 12 juin. Un rendez‑vous a été fixé pour le 17 juin afin de récupérer le sac Chanel. Le 17 juin, Mme Li Zhou a rencontré Mme Yang. Il y avait un homme au magasin qui ouvrait des boîtes et qui mettait leur contenu hors de vue, sous la caisse enregistreuse ou dans des tiroirs.

[69]  D’autres éléments de preuve concernant le lien entre Mme Li Zhou et Mme Yang ont été obtenus le 9 août 2017, relativement à l’achat d’un sac Hermès. L’échange de messages semble avoir été initié par Mme Li Zhou, mais Mme Wang y a répondu en ajoutant qu’une nouvelle livraison était arrivée.

[70]  Le 11 août 2017, lors d’une autre visite aux locaux du centre commercial Parker Place (la souscriptrice d’affidavit avait acheté un sac Hermès contrefait et devait le récupérer), Mme Li Zhou s’est vu présenter plusieurs portefeuilles Louis Vuitton sortis de sacs en plastique. Au cours de leur conversation, Mme Yang a parlé des niveaux de qualité des marchandises et a affirmé qu’elle vendait des marchandises de la meilleure qualité aux clients chinois, tandis que les clients caucasiens obtenaient les marchandises de moins bonne qualité.

[71]  Les demanderesses ont demandé à la souscriptrice d’affidavit de prendre des captures d’écran des diverses publications du profil de Ni Bazza. C’est une bonne chose qu’elles l’aient fait, parce que Mme Li Zhou n’a pas pu les trouver le jour de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. Les voici :

  • le 7 juin 2017 : plus de 400 photos de produits Louis Vuitton ont été prises (pièce Q de l’affidavit de Mme Li Zhou);

  • le 29 octobre 2017 : 37 photos de produits Givenchy ont été prises (pièce R de l’affidavit de Mme Li Zhou);

  • le 29 octobre 2017 : 10 photos de produits Celine ont été prises (pièce S de l’affidavit de Mme Li Zhou);

  • le 29 octobre 2017 : 188 photos de produits Dior ont été prises (pièce T de l’affidavit de Mme Li Zhou).

[72]  Le 25 novembre 2017, la souscriptrice d’affidavit s’est renseignée au sujet de la disponibilité de produits Dior, Givenchy et Celine. On lui a indiqué que la disponibilité serait meilleure au début de 2018, en ce qui concerne les produits Givenchy et Celine, tandis qu’une livraison des produits Dior était prévue sous peu. Toutefois, il n’est pas certain si ces produits avaient déjà été vendus.

[73]  Le 13 décembre 2017, le jour où l’ordonnance Anton Piller a été exécutée à la résidence de Mme Wang et au magasin situé au centre commercial Parker Place, le témoin et Mme Wang ont échangé des messages au moyen du profil WeChat de Ni Bazza et de l’identifiant de Mme Li Zhou. Des captures d’écran de l’échange via WeChat ont été prises et déposées en preuve. Il s’agissait de messages vocaux qui semblaient établir à quel moment Mme Wang serait au magasin. L’échange semble avoir eu lieu pour veiller à ce que la défenderesse soit au magasin avant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. Ces messages, ainsi que d’autres, n’étaient pas accessibles lorsque Mme Li Zhou a tenté de les consulter en août 2018.

[74]  En outre, le même jour, le 13 décembre 2017, mais tard le soir, le témoin a tenté d’accéder aux photos publiées sur WeChat en lien avec le profil de Ni Bazza, auxquelles il est fait référence au paragraphe 71 des présents motifs et qui sont incluses dans les pièces Q, R, S et T de l’affidavit de Mme Li Zhou (qui montrent des articles Louis Vuitton, Givenchy, Celine et Dior). Les images avaient disparu du profil WeChat.

[75]  En conclusion de son affidavit, Mme Li Zhou a déclaré que Mme Yang/Wang avait parlé des modalités des livraisons toutes les deux semaines. En outre, Mme Yang/Wang lui a répété à maintes reprises que les livraisons étaient déballées par son époux, ce qu’elle a elle‑même observé une fois. Lors du contre‑interrogatoire, il a été demandé au témoin comment elle avait su que c’était le mari de Mme Wang qu’elle avait vu déballer les livraisons; elle a simplement répondu que Mme Wang le lui avait présenté. Cela n’a pas été davantage contesté.

[76]  Dans le cadre de toutes les interactions que Mme Li Zhou a eues avec Mme Yang/Wang, cette dernière a présenté les marchandises qu’elle offrait en vente et vendait comme étant des copies. Elle n’a jamais affirmé que les marchandises aient été authentiques de quelque façon que ce soit. Enfin, le témoin a identifié expressément Ni Yang comme étant la défenderesse, Mme Wang.

[77]  La tentative de discréditer Mme Christine Li Zhou fut, à mon avis, totalement ratée. Essentiellement, les défendeurs offrent une complète dénégation de la preuve présentée en l’espèce. Cela comprend bien sûr la preuve de Mme Li Zhou. Cependant, la preuve non contestée des autres témoins établit la participation des défendeurs dans la vente et l’offre à la vente de marchandises contrefaites. Par exemple, Mme Wang nie avoir utilisé des sites Web pour vendre des marchandises contrefaites; elle prétend même ne pas avoir utilisé le site Web et le blogue pendant de nombreuses années. Cependant, la même carte professionnelle, qui comporte les adresses d’un site Web et d’un blogue, a été remise à l’enquêteuse Low en 2009 et à l’enquêteuse Reid en 2015, laquelle a également reçu de Mme Wang la note manuscrite établissant un lien entre WeChat et « niyangbazza ». Ni l’une ni l’autre de ces enquêteuses n’a été contre‑interrogée. Il faut se rappeler que Mme Li Zhou a fait des déclarations sur la façon dont elle s’était connectée au compte « niyangbazza ». J’ai reproduit, au paragraphe 59 des motifs du jugement de la Cour, les éléments de preuve provenant de l’affidavit de Mme Li Zhou. Il s’agit du même identifiant WeChat, « niyangbazza », qui apparaît sur la note manuscrite que Mme Wang a donnée à Lisa Reid. Cela corrobore la preuve de Mme Li Zhou. Cette note renvoyait non seulement au compte WeChat « niyangbazza », mais aussi au numéro de téléphone qui était affiché sur la porte du magasin lorsque Mme Wang n’était pas présente. Les communications entre Mme Li Zhou et Mme Wang sont corroborées par de nombreuses captures d’écran d’échanges de messages qui, entre autres, confirment les rendez‑vous et à la suite desquels Mme Wang s’est présentée à l’heure et à l’endroit convenus.

[78]  Ainsi, sonne plutôt faux la dénégation générale des défendeurs selon laquelle Mme Wang n’a jamais utilisé les pseudonymes WeChat « Ni Bazza » ou « Bazza », non plus que l’identifiant WeChat « niyangbazza » (affidavit d’Audrey Wang, par. 34). Sa prétention selon laquelle elle avait un profil WeChat différent de celui déposé en preuve dans la présente affaire est suspecte et rend sa dénégation moins que crédible. La preuve indique clairement que Mme Wang est liée aux pseudonymes et à l’identifiant WeChat. Quant à la dénégation concernant l’utilisation du compte WeChat en vue d’annoncer la vente de marchandises Louis Vuitton, Givenchy, Dior et Celine, il convient de répéter que Lisa Reid, dont la preuve n’a pas été contestée, a également fait des déclarations au sujet de l’utilisation de WeChat en lien avec des marchandises Louis Vuitton, Dior et Celine. De plus, les pièces Q, R, S et T de l’affidavit de de Mme Li Zhou sont difficiles à réfuter et ne l’ont pas été.

[79]  Le contre‑interrogatoire de Mme Li Zhou, qui a duré plus de quatre heures, a produit peu de révélations. Il est certain que le fait qu’elle n’ait pas pris ou conservé de notes concernant les diverses rencontres avec Mme Wang en 2017 n’a pas amélioré son témoignage. On pourrait croire qu’il est préférable de conserver des notes. Toutefois, après avoir lu le contre‑interrogatoire à trois reprises, je conclus que le manque de notes n’a pas affecté la crédibilité de Mme Li Zhou de façon significative. Il convient de noter que son récit est largement corroboré par la preuve documentaire.

C.  La preuve découlant de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller

[80]  Les demanderesses allèguent qu’un certain nombre de cas de contrefaçon découlent de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller le 13 décembre 2017. Il y a quatre allégations de ce genre et elles concernent des marchandises Louis Vuitton et Dior.

[81]  L’ordonnance Anton Piller a été autorisée par la Cour le 12 décembre 2018 et a permis la perquisition et la saisie à deux endroits : la résidence de Mme Wang et le magasin du centre commercial Parker Place, ainsi que le véhicule de Mme Wang. Voici un résumé de ce qui a été trouvé aux trois endroits; des listes plus complètes des articles qui ont été conservés durant l’exécution de l’ordonnance ont été préparées par les demanderesses et se trouvent à l’annexe E :

  • a) magasin du centre commercial Parker Place : on a trouvé des marchandises, des emballages, des sacs, des étiquettes et des cartes d’authenticité portant les marques de commerce des demanderesses, ainsi que des grands livres et des carnets contenant des noms, des noms de produits, de même que des valeurs en dollars, avec des notes indiquant la vente de produits portant des marques de commerce Louis Vuitton, Dior et Celine;

  • b) véhicule de Mme Wang : dans le coffre de la voiture, on a trouvé ce qui s’est avéré être des marchandises Louis Vuitton contrefaites et des porte‑clés portant les marques de commerce Dior, ainsi que quelques carnets;

  • c) résidence de Mme Wang : encore une fois, on a trouvé des marchandises Louis Vuitton et Dior, ainsi que des documents.

[82]  Pendant l’exécution de l’ordonnance, un paquet a été livré à la résidence de Mme Wang. Il a été présenté comme une [traduction« facture commerciale » adressée à « Ni Ni Wang ». Le paquet contenait une variété de marchandises de marque, y compris des marchandises Louis Vuitton et Dior contrefaites (sac et foulards). Les objets conservés ont été documentés au moyen d’un nombre impressionnant de photos.

[83]  La preuve de la contrefaçon du 13 décembre 2017 concernait des marchandises Louis Vuitton et Dior. La preuve présentée provient de l’affidavit des deux avocats indépendants, d’un huissier en service à la résidence, de Me Checa Chong et d’Amy Jobson, qui ont déposé en preuve une grande quantité d’éléments de preuve documentaires. En ce qui concerne Dior et Louis Vuitton, les allégations sont (1) que les défendeurs étaient en possession de marchandises Dior et Louis Vuitton contrefaites destinées à la vente et (2) qu’ils avaient importé des marchandises Louis Vuitton et Dior contrefaites, qui avaient été livrées à la résidence de Mme Wang. J’ai conclu que seules trois des quatre allégations sont étayées par une preuve suffisamment claire. L’atteinte alléguée aux droits de Dior qui est rejetée est celle se rapportant à l’importation de marchandises Dior reçues dans le paquet livré à la résidence.

[84]  Robert Lynch est un huissier qui faisait partie de l’équipe chargée de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller à la résidence de Mme Wang. Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions aux termes de l’ordonnance, il a répondu à la porte lorsqu’un paquet a été livré. Il a ouvert le paquet. Il a déclaré le contenu du paquet et fourni des photos des articles reçus. Il y avait des marchandises de diverses marques, dont des marchandises Louis Vuitton.

[85]  À partir des photos du contenu du paquet, les articles présentés comme des produits Chanel, Hermès, Saint‑Laurent, Manolo Blahnik, Gucci et Louis Vuitton sont facilement reconnaissables.

[86]  David Wotherspoon, un avocat indépendant chargé de la surveillance à la résidence de Mme Wang, a produit son rapport, qui a été déposé en preuve. Comme tous les autres témoins, à l’exception de Mme Li Zhou, il n’a pas été contre‑interrogé. Il a accepté le paquet, qui était identifié comme ayant été expédié de Chine. Une liste des articles saisis à la résidence est jointe en annexe. Les demanderesses portent également à l’attention de la Cour l’affidavit de Me Checa Chong, qui fait des déclarations au sujet du contenu du paquet. Elle identifie précisément les marchandises Louis Vuitton qui se trouvaient dans le paquet (annexe G de son affidavit) et confirme qu’il s’agit de marchandises contrefaites.

[87]  Cette preuve non contredite convainc la Cour que les marchandises Louis Vuitton étaient contrefaites et qu’elles ont été livrées à la résidence.

[88]  D’autre part, invoquant exactement les mêmes éléments de preuve fournis par M. Lynch, Me Wotherspoon et Me Checa Chong, les demanderesses affirment que des marchandises Dior contrefaites ont été livrées à la résidence de Mme Wang le 13 décembre 2017. Cela est censé constituer un autre cas particulier de contrefaçon. Bien que, comme je l’ai déjà conclu, la preuve soit suffisante en ce qui concerne les marchandises Louis Vuitton reçues à la résidence et provenant de la Chine, ce n’est pas le cas pour la demanderesse Dior. Il ressort clairement des éléments de preuve offerts par Me Wotherspoon que la liste des articles saisis à la résidence ne fait pas la distinction entre les articles qui se trouvaient à la résidence et ceux livrés le 13 décembre 2017. Cette liste comprend les marchandises Dior, mais ne fait pas la distinction entre les marchandises saisies sur les lieux et les marchandises Dior qui se seraient trouvés dans le paquet reçu à la résidence. Il semblerait donc que la demanderesse Dior se fonde sur les photos qui se trouvent dans les affidavits de M. Lynch et de Me Checa Chong. M. Lynch et Me Checa Chong fournissent des photos des articles qui ont été expédiés de la Chine; je n’ai pu identifier aucun produit Dior sur les photos, qui sont de mauvaise qualité et qui ont été produites en preuve à l’appui du fait que des marchandises Dior auraient été reçues de la Chine ce jour‑là. Il s’ensuit que l’allégation selon laquelle la marchandise Dior contrefaite serait un foulard Dior contrefait reçu dans un paquet livré à la résidence de Mme Wang le 13 décembre 2017 n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités, qui exige que la preuve soit suffisamment claire et convaincante.

[89]  Quant aux marchandises saisies lors de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller au magasin du centre commercial Parker Place, deux allégations ont été formulées : avoir la possession pour la vente de marchandises Dior contrefaites et avoir la possession de quantités importantes de marchandises Louis Vuitton contrefaites. Dans les deux cas, les demanderesses s’appuient sur la preuve de Paul Smith, l’avocat indépendant chargé de l’exécution de l’ordonnance au centre commercial Parker Place, d’Amy Jobson, qui a produit en preuve un grand nombre de photos montrant, entre autres, des articles Louis Vuitton et Dior, ainsi que de Me Checa Chong.

[90]  Le rapport de Me Smith dressé après l’exécution de l’ordonnance Anton Piller au magasin constitue sa preuve. La liste des articles saisis est assez impressionnante (annexe E du présent jugement). La preuve de Me Checa Chong confirme que, en ce qui concerne les articles qui étaient tels qu’elle n’était pas en mesure de déterminer, à partir de photos, s’ils étaient contrefaits ou authentiques, 19 des 21 articles qui lui avaient été envoyés à New York n’étaient pas authentiques; les deux articles authentiques étaient des sacs à main Louis Vuitton (il faut se rappeler qu’une enquêteuse qui se disait intéressée par l’ouverture d’un magasin a déclaré qu’un détaillant devait avoir quelques articles authentiques).

[91]  Compte tenu de la grande quantité de marchandises saisies (produits, emballages, sacs, vignettes, étiquettes et cartes d’authenticité) au magasin, la preuve établit que les activités des défendeurs étaient réalisées à une assez grande échelle.

[92]  Quoique c’eût été dans une beaucoup plus petite quantité, des articles Dior ont clairement été identifiés; ils étaient tous contrefaits. Par conséquent, ces articles saisis dans le cadre de l’ordonnance Anton Piller dans les locaux du magasin des défendeurs sont des cas de contrefaçon des marques Louis Vuitton et Dior.

[93]  Par conséquent, des 36 allégations de cas de contrefaçon, 35 doivent être examinées de façon plus approfondie afin de déterminer si elles constituent des cas de contrefaçon. Un résumé de la preuve relative aux cas de contrefaçon est joint à l’annexe F des motifs de jugement. J’ai identifié, par un astérisque, le cas allégué de contrefaçon du 13 décembre 2017 qui n’était pas établi par une preuve suffisamment claire et convaincante.

D.  La preuve d’Audrey Wang

[94]  Dans leurs observations écrites, les demanderesses présentent une litanie de contradictions dans la preuve de Mme Wang en l’espèce. Celle‑ci a témoigné dans le cadre du procès pour outrage, de la requête des défendeurs pour l’annulation de l’injonction Mareva, et il y a son témoignage pendant son interrogatoire relatif au procès sommaire. Les demanderesses soulignent particulièrement les éléments de preuve se rapportant au profil WeChat « Ni Bazza ». Compte tenu de l’importance qu’ont prise en l’espèce les questions entourant le profil WeChat, j’ai examiné cette question d’une manière assez détaillée pour conclure que les éléments de preuve vont dans le sens contraire des intérêts des défendeurs. En ce qui nous concerne, il n’est pas nécessaire d’examiner avec soin les contradictions entre les diverses versions proposées par Mme Wang. Il suffit que les diverses contradictions soient confirmées.

[95]  Les demanderesses consacrent 35 paragraphes à diverses contradictions dans la preuve présentée par Mme Wang sur une période assez courte, c’est‑à‑dire depuis l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. J’ai passé en revue les divers affidavits et les contre‑interrogatoires, et, en effet, il y a un grand nombre de contradictions inexpliquées ou de « changements » inexpliqués dans la preuve de Mme Wang. Le mémoire des demanderesses, où les nombreuses contradictions sont présentées, a été déposé le 21 décembre 2018, tandis que le mémoire des divers défendeurs, qui comporte quelques similitudes non négligeables, a été déposé trois semaines plus tard. Les défendeurs ont eu amplement le temps de chercher à dissiper les malentendus ou à fournir une explication convaincante au cours des trois semaines qui ont suivi, avant le dépôt des observations écrites. Ils n’en ont rien fait.

[96]  Il y a un nombre considérable de contradictions alléguées qui ont été soulevées par les demanderesses, et décrites de façon très explicite, mais aucune n’est abordée dans les mémoires déposés au nom de la société défenderesse et par Mme Wang. Onze pages et 35 paragraphes visent à attaquer la crédibilité de Mme Wang; pourtant, elle n’a cherché à réfuter aucune de ces allégations. Les défendeurs font simplement abstraction de ces questions, ce qui est étonnant. Cela ne laisse à la Cour guère d’éléments pour écarter les allégations de contradictions importantes. Comme l’ont rappelé les demanderesses, au moment de rejeter la requête en annulation de l’injonction Mareva, le 28 novembre 2018, mon collègue le juge Lafrenière a déclaré, au paragraphe 26 de ses motifs de jugement (2018 CF 1198), que « Mme Wang, au mieux, n’a aucune notion de ce qu’est la vérité ». Une explication a été demandée, mais n’a jamais été fournie. Au lieu de cela, le fait de faire abstraction des allégations donne encore plus de poids aux propos de mon collègue.

[97]  À titre d’exemple, il y a bien sûr le profil WeChat. Un élément de preuve important est la note manuscrite remise à l’enquêteuse Reid en 2015 qui, si l’on y ajoute foi, corroborerait la preuve de Mme Li Zhou, en ce sens qu’elle lie Mme Wang au compte WeChat et à l’identifiant « niyangbazza ». La preuve de Mme Reid reste valable, puisque les défendeurs ont choisi de ne pas la contre‑interroger. J’ai déjà conclu qu’il s’agit d’un élément clé quant au lien entre Mme Wang et l’identifiant WeChat. Mme Wang a peut‑être réalisé l’importance de cet élément de preuve, parce qu’elle a d’abord nié avoir écrit la note manuscrite (elle est plutôt brève) lors de son contre‑interrogatoire concernant l’injonction Mareva, puis elle a admis que l’écriture était la sienne (à l’interrogatoire relatif au procès sommaire) pour ensuite concocter un récit selon lequel Mme Reid devait chercher les marchandises qu’elle recherchait ailleurs, parce qu’elles pouvaient se trouver sur Internet. Le mot « invraisemblable » n’est pas assez fort pour décrire ce récit, compte tenu de la voie sinueuse empruntée pour le concocter et de la propension de Mme Wang à générer des affaires et à les stimuler. Le manque de précision sur ce qui aurait été dit à Mme Reid à cette occasion et la décision de ne pas contre‑interroger Mme Reid affaiblissent davantage la nouvelle version selon laquelle Mme Wang reconnaît finalement avoir rédigé la brève note. Les deux récits ne peuvent pas être tous les deux vrais : nier avoir écrit la note et avoir écrit la note pour aider une cliente en l’orientant vers un compte WeChat qui, peut‑être par coïncidence, a dans son identifiant les lettres « NI YANG ».

[98]  Plutôt que de répondre aux contradictions présentées clairement devant la Cour dans les observations écrites des demanderesses, les défendeurs en font fi pour renchérir et continuer de soutenir qu’ils ne sont pas associés à ce compte WeChat. L’omission de tenir compte d’une preuve ne la fera pas disparaître. La preuve démontre que le lien entre le compte WeChat et Mme Wang, comme l’a déclaré Mme Li Zhou, est appuyé par le fait que les rencontres organisées via WeChat, y compris les rencontres directement liées à la présente affaire (mais aussi à d’autres marques), ont en fait eu lieu le 12 mai 2017, en août 2017 et le jour où l’ordonnance Anton Piller a été exécutée. Chaque fois, les rendez‑vous ont été pris pour rencontrer l’utilisateur du compte WeChat au magasin, et, chaque fois, Mme Wang/Yang était la personne qui se présentait au magasin (habituellement en retard) pour recevoir Mme Li Zhou.

[99]  En fait, il y a plus. Mme Wang affirme qu’il existe un profil WeChat différent qui est le sien. Les demanderesses affirment que, au cours de son interrogatoire relatif au procès sommaire, elle a admis que les éléments de preuve sur [traduction« l’autre profil » avaient été créés après l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, le 13 décembre 2017, le jour où Mme Li Zhou allègue en outre que les images de marchandises contrefaites affichées sur le compte WeChat ont été retirées. Le terme « admission » peut être fort dans les circonstances, mais, ce qui est important, c’est que Mme Wang n’a jamais produit une conversation WeChat de cet autre compte WeChat, qui est apparemment nouveau. Cela nécessitait qu’elle fournisse une explication, et non qu’elle fasse fi de la question. Au lieu de cela, Mme Wang a, de façon peu convaincante, continué à faire valoir que [TRADUCTION] « [l]es demanderesses [avaient] omis de produire des éléments de preuve de fond selon lesquels Mme Wang [était] la titulaire du compte WeChat associé au profil WeChat contrevenant » (mémoire de Mme Wang, par. 100). Je ne suis pas d’accord. Il n’en est rien. Au contraire, la preuve fournie par les enquêteuses Reid et Li Zhou est forte, puisque les éléments de preuve de l’une renforcent et corroborent ceux de l’autre.

[100]  D’autres déclarations surprenantes ont été faites. Mme Wang affirme qu’à la suite de la mise en demeure qui lui a été signifiée en 2009, malgré le fait qu’elle ne vendait pas de marchandises contrefaites, elle a cessé de vendre les produits afin d’éviter un conflit. Il s’agit d’une déclaration surprenante. L’ordonnance de cessation et d’abstention a été signifiée le 22 mars 2009. L’enquêteur avait acheté la semaine précédente un article Louis Vuitton contrefait. En outre, selon l’affidavit de Brian Lambie, au moment de la signification de la mise en demeure, Mme Wang a remis trois portefeuilles et trois chaussures portant les marques de commerce Chanel. Il semble que Mme Wang savait le 22 mars 2009 qu’elle vendait des marchandises contrefaites, mais pas des marchandises des demanderesses. Le 26 avril 2009, alors que la mise en demeure était encore récente, on l’a vue montrer à des clients des boîtes qui portaient des marques de commerce Louis Vuitton, extraites d’un sac caché sous une table. M. Lambie n’a pas été contre‑interrogé et son témoignage demeure valable. Dans le même ordre d’idées, elle affirme que [traduction] « [d]epuis 2009, Mme Wang et la société ont vendu des marques de vêtements non luxueuses » (affidavit d’Audrey Wang, par. 28; affirmation répétée dans le mémoire de la société défenderesse, au par. 22, et dans le mémoire d’Audrey Wang, au par. 22). Cela ne correspond pas à la preuve non contestée d’autres enquêteurs.

[101]  Comme les présents motifs le montrent, la preuve est solide et impeccable. Les seuls autres arguments avancés par les défendeurs concernent d’autres cas de contrefaçon alléguée. La Cour a déjà abordé les cas de contrefaçon au sujet desquels les cinq autres enquêteurs ont fait des déclarations, sans que leur preuve ne soit contestée. Quant à la preuve de Mme Li Zhou, ses déclarations concernant les marques de commerce Givenchy et Celine sont bien sûr contestées, parce qu’elles reposent sur l’annonce en vente ou l’offre en vente au moyen du compte WeChat des défendeurs. Compte tenu de la conclusion selon laquelle le compte WeChat était celui utilisé par Mme Wang, ces arguments doivent être rejetés. La Cour est également convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les articles Givenchy, Dior et Louis Vuitton offerts en vente en janvier 2017, au magasin du centre commercial Parker Place, étaient des marchandises Givenchy, Dior et Louis Vuitton contrefaites, compte tenu de la preuve présentée par Mme Li Zhou et d’autres éléments de preuve établissant la vente à grande échelle de marchandises contrefaites.

E.  La preuve de Jun Yang, alias Michael Yang

[102]  M. Yang est l’époux d’Audrey Wang, alias Nini Wang, alias Ni Ni Yang. Il prétend qu’il ne joue aucun rôle et n’occupe aucun poste dans la société défenderesse. Il a prétendu être mécanicien de carrosseries d’automobiles à temps plein. Cela surprend également, puisqu’il n’a eu aucun emploi rémunéré depuis son départ d’une entreprise en juillet 2015. Le reste de sa preuve sert à appuyer celle de son épouse et l’argument des défendeurs selon lequel un procès sommaire est inapproprié dans les circonstances.

[103]  En fait, M. Yang a apporté son aide au magasin du centre commercial Parker Place pour décharger des marchandises, y compris en présence de Mme Li Zhou, et il s’est en effet occupé du magasin et a vendu un article contrefait à l’un des enquêteurs. Il semblait être la personne responsable en l’absence de sa femme. En fait, il a été vu à de nombreuses reprises charger et décharger des marchandises, car il a affirmé que sa femme avait récemment accouché (janvier 2016) et souffrait d’un mal de dos. En effet, si c’était le cas, il aurait dû se rendre au marché de nuit de Richmond tous les jours pendant toute la durée du marché, car l’inventaire devait être apporté au kiosque et enlevé tous les jours où ce kiosque servait à vendre des marchandises.

[104]  Le contre‑interrogatoire a fait ressortir un tout autre portrait. M. Yang est peut‑être un mécanicien de carrosseries d’automobiles, mais il est loin d’exercer ce métier à temps plein depuis qu’il a quitté son emploi en juillet 2015. En fait, il a exercé ce métier très peu de temps. Il ne l’a pas fait entre juillet 2015 et l’époque où a eu lieu l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. Au cours de son interrogatoire, M. Yang a refusé de répondre à des questions sur sa participation dans l’entreprise. Lorsqu’il s’est senti acculé pendant son interrogatoire, il est devenu agité, et il lui a été demandé à maintes reprises d’arrêter d’élever la voix et de crier. Par exemple, la personne qui menait le contre‑interrogatoire a mis en évidence certaines factures commerciales pour des marchandises devant être livrées à la résidence de Mme Wang. Cela est devenu problématique, parce qu’aux questions 206, 207 et 208, il a déclaré énergiquement qu’il n’avait jamais reçu d’inventaire à la maison, payé pour cela ou traité de questions douanières. Le contre‑interrogatoire est devenu animé. M. Yang s’éloignait de la vérité.

[105]  Ces factures commerciales pour des chaussures pour dames (2), des sacs à main (5), des portefeuilles (2) et des foulards pour dames (10) étaient datées de novembre 2016. Une semaine plus tard, sept « paquets cadeaux » étaient exportés de la Chine. En juillet 2017, la facture commerciale indiquait des chaussures pour dames (3), des sacs à main (12), des portefeuilles pour dames (3), des foulards pour dames (2) et des bijoux pour dames (5). Chaque inscription sur la facture commerciale décrit les articles comme des cadeaux.

[106]  Les factures sont à l’attention de Nini Wang, mais pas toutes. Il y a une facture datée du 28 novembre 2017 à l’attention de « Yang Jun », le souscripteur d’affidavit, pour des vêtements pour dames (15), des sacs à main (3), des foulards pour dames (9), des chaussures pour dames (4) et des ornements pour dames (8). Il y a même un document portant la mention [traduction« Centre postal international de Vancouver, Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) » qui désigne le souscripteur d’affidavit, Jun Yang, comme l’importateur de marchandises commerciales de plus de 2 500 $ qui ont été interceptées par l’ASFC. Le document qui informe M. Yang de l’interception énumère, sous forme manuscrite, le contenu de la boîte :

·  2 sacs à main Chanel;

·  1 montre Chanel;

·  1 paire de chaussures Jimmy Choo;

·  5 sacs à main Louis Vuitton;

·  1 sac à main Gucci;

·  1 paire de chaussures Valentino;

·  1 sac à main Yves Saint‑Laurent;

·  1 pendentif/broche Chanel;

·  1 montre Cartier;

·  1 boîte de bijoux divers.

De toute évidence, M. Yang faisait plus qu’ouvrir des boîtes de temps en temps.

[107]  Au cours du contre‑interrogatoire, M. Yang a dû admettre que sa présence supposément limitée à l’endroit où Mme Wang réalisait ses activités, dans une tentative évidente de se distancer des activités commerciales de son épouse, était plus fréquente que ce qu’il avait initialement indiqué. La surveillance menée en septembre 2017 ajoute au poids de la preuve selon laquelle ils agissaient ensemble. La preuve de M. Yang, comme celle de Mme Wang, est très problématique et trompeuse. Il est clair qu’ils ont tous deux participé à la vente de marchandises contrefaites et qu’ils l’ont fait dans le cadre d’une entreprise commune. La participation de M. Yang s’est avérée significative.

VI.  Analyse

[108]  La Loi sur les marques de commerce confère au propriétaire d’une marque de commerce le droit exclusif à l’emploi de la marque de commerce déposée (art. 19). Il n’est pas contesté en l’espèce que les demanderesses sont les propriétaires des marques de commerce en cause. Le paragraphe 20(1) illustre la portée de la protection offerte par la Loi :

Violation

Infringement

20 (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne qui est non admise à l’employer selon la présente loi et qui :

20 (1) The right of the owner of a registered trademark to its exclusive use is deemed to be infringed by any person who is not entitled to its use under this Act and who

a) soit vend, distribue ou annonce des produits ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(a) sells, distributes or advertises any goods or services in association with a confusing trademark or trade name;

b) soit fabrique, fait fabriquer, a en sa possession, importe, exporte ou tente d’exporter des produits, en vue de leur vente ou de leur distribution et en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(b) manufactures, causes to be manufactured, possesses, imports, exports or attempts to export any goods in association with a confusing trademark or trade name, for the purpose of their sale or distribution;

c) soit vend, offre en vente ou distribue des étiquettes ou des emballages, quelle qu’en soit la forme, portant une marque de commerce ou un nom commercial alors que :

(c) sells, offers for sale or distributes any label or packaging, in any form, bearing a trademark or trade name, if

(i) d’une part, elle sait ou devrait savoir que les étiquettes ou les emballages sont destinés à être associés à des produits ou services qui ne sont pas ceux du propriétaire de la marque de commerce déposée,

(i) the person knows or ought to know that the label or packaging is intended to be associated with goods or services that are not those of the owner of the registered trademark, and

(ii) d’autre part, la vente, la distribution ou l’annonce des produits ou services en liaison avec les étiquettes ou les emballages constituerait une vente, une distribution ou une annonce en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(ii) the sale, distribution or advertisement of the goods or services in association with the label or packaging would be a sale, distribution or advertisement in association with a confusing trademark or trade name; or

d) soit fabrique, fait fabriquer, a en sa possession, importe, exporte ou tente d’exporter des étiquettes ou des emballages, quelle qu’en soit la forme, portant une marque de commerce ou un nom commercial, en vue de leur vente ou de leur distribution ou en vue de la vente, de la distribution ou de l’annonce de produits ou services en liaison avec ceux‑ci, alors que :

(d) manufactures, causes to be manufactured, possesses, imports, exports or attempts to export any label or packaging, in any form, bearing a trademark or trade name, for the purpose of its sale or distribution or for the purpose of the sale, distribution or advertisement of goods or services in association with it, if

(i) d’une part, elle sait ou devrait savoir que les étiquettes ou les emballages sont destinés à être associés à des produits ou services qui ne sont pas ceux du propriétaire de la marque de commerce déposée,

(i) the person knows or ought to know that the label or packaging is intended to be associated with goods or services that are not those of the owner of the registered trademark, and

(ii) d’autre part, la vente, la distribution ou l’annonce des produits ou services en liaison avec les étiquettes ou les emballages constituerait une vente, une distribution ou une annonce en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion.

(ii) the sale, distribution or advertisement of the goods or services in association with the label or packaging would be a sale, distribution or advertisement in association with a confusing trademark or trade name.

[109]  J’ai examiné d’une façon assez approfondie la preuve présentée en l’espèce. La norme de preuve en matière civile est la prépondérance des probabilités. Dans FH c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41 [McDougall], il a été déclaré qu’il n’existe, « en common law, qu’une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités » (par. 40). Dans Tervita Corp c Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 RCS 161, au par. 66, et Canada (Procureur général) c Hôtels Fairmont Inc, 2016 CSC 56, [2016] 2 RCS 720, par. 36, la Cour suprême du Canada a confirmé sa conclusion antérieure. Comme il a été affirmé dans McDougall, « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment » (par. 46). De simples possibilités ne sont pas acceptables. Cependant, d’un autre côté, le critère ne peut pas être traité comme s’il existait une norme plus élevée que la prépondérance des probabilités, entre la prépondérance des probabilités et la norme en droit criminel, soit la preuve hors de tout doute raisonnable. Il semblait parfois que les demanderesses tentaient de soulever un doute quelconque. Si elles l’ont fait, ce fut une erreur de leur part, puisque la norme du doute raisonnable ne s’applique aucunement dans la présente instance.

[110]  En l’espèce, la preuve est tout simplement accablante. Non seulement nous avons la preuve non contestée des enquêteurs qui ont acheté des marchandises contrefaites et observé à de nombreuses reprises les activités des défendeurs, mais nous avons aussi la preuve de Christine Li Zhou qui est corroborée par celle, non contestée, de Lisa Reid au sujet du compte WeChat associé à Mme Wang. Il faut se rappeler que les communications entre Mme Wang et Mme Li Zhou au sujet des nombreuses rencontres planifiées via WeChat ont amené Mme Wang à être présente aux rencontres; des captures d’écran ont été déposées comme éléments de preuve documentaires à l’appui.

[111]  De plus, une grande quantité de marchandises, de sacs et d’emballages ont entre autres été saisis lors de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. Au cours de l’exécution de l’ordonnance, un paquet livré à la résidence de Mme Wang contenait de nombreux articles contrefaits. Cela représente une preuve supplémentaire à l’appui de la participation des défendeurs dans la vente de marchandises contrefaites. La conclusion du juge Lafrenière, à l’égard de la requête visant à obtenir une ordonnance annulant l’injonction Mareva, selon laquelle il y a « une forte apparence de droit donnant à penser que Mme Wang, aidée de son mari et en se servant de leur commerce comme couverture, a, à maintes reprises et d’une manière flagrante et répétée, offert à la vente, et vendu, des contrefaçons d’articles “Louis Vuitton”, entre autres produits contrefaits, que ce soit dans leur magasin ou en ligne » (par. 19), est confirmée par mon examen minutieux de la preuve de M. Yang et de Mme Wang. Loin de constituer une dénégation crédible, leur preuve n’a que peu de valeur et n’est pas près de faire contrepoids à la preuve accablante présentée par les demanderesses. La preuve prima facie solide est devenue accablante une fois produits tous ses éléments.

[112]  La preuve présentée par les défendeurs revêt la forme d’une dénégation générale accompagnée d’un contre‑discours qui est invraisemblable au point de n’avoir aucune apparence de vraisemblance. La preuve des enquêteurs était beaucoup plus impressionnante, au point où elle n’a même pas été contestée (sauf les éléments fournis par Mme Li Zhou). Le trait d’esprit du juge Lafrenière selon lequel « Mme Wang, au mieux, n’a aucune notion de ce qu’est la vérité » a même été renforcé par l’examen de la preuve et l’absence de réponses aux nombreuses contradictions entre les versions des faits. Je ne peux que reprendre les propos de mon collègue.

[113]  Les défendeurs se trouvent en violation de la Loi sur les marques de commerce. Plus précisément, les activités des défendeurs contreviennent aux alinéas 7b), c) et d), qui sont ainsi rédigés :

Interdictions

Prohibitions

Nul ne peut :

No person shall

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

c) faire passer d’autres produits ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

(c) pass off other goods or services as and for those ordered or requested; or

d) employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

(d) make use, in association with goods or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(i) the character, quality, quantity or composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(ii) the geographical origin, or

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution.

(iii) the mode of the manufacture, production or performance

En blanc

of the goods or services.

Une fois que l’on applique le droit aux faits constatés par la Cour, la seule conclusion possible est qu’il y a eu violation de la Loi et une diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce des demanderesses.

[114]  En ce qui concerne les violations de la Loi sur le droit d’auteur, il existe une preuve documentaire volumineuse de l’existence d’articles portant l’imprimé de monogrammes polychromes sur fond blanc et l’imprimé de monogrammes polychromes sur fond noir reproduits à l’annexe G du présent jugement. La preuve se trouve dans l’affidavit d’Amy Jobson aux pages 1586, 1587, 1591, 1592, 1726, 1729, 1731, 1798 à 1803, 1814, 1817 et 1828 (dossier de requête des demanderesses, vol. 6). Par conséquent, les défendeurs ont violé les articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur, et ils sont tenus de verser des dommages‑intérêts préétablis.

VII.  Les mesures de réparation

[115]  Comme il a déjà été démontré, la preuve établissant des violations des droits liés aux marques de commerce des demanderesses est accablante. Les demanderesses sollicitent un jugement déclaratoire confirmant la validité et la propriété de leurs marques de commerce, ainsi qu’une injonction interdisant aux défendeurs de poursuivre les actes de contrefaçon et exigeant la remise et la destruction des produits contrefaits. La question la plus difficile est l’évaluation des dommages subis par les demanderesses en raison des violations de la Loi sur les marques de commerce. En ce qui concerne les violations de la Loi sur le droit d’auteur, les dommages‑intérêts sont préétablis.

[116]  La question n’est pas nouvelle et ne se limite pas aux dommages‑intérêts à évaluer aux termes du paragraphe 53.2(1) de la Loi sur les marques de commerce, qui est ainsi rédigé :

Pouvoir du tribunal d’accorder une réparation

Power of court to grant relief

53.2 (1) Lorsqu’il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu’un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d’injonction ou par recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits, pour l’imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction ou autrement des produits, emballages, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de tout équipement employé pour produire ceux‑ci.

53.2 (1) If a court is satisfied, on application of any interested person, that any act has been done contrary to this Act, the court may make any order that it considers appropriate in the circumstances, including an order providing for relief by way of injunction and the recovery of damages or profits, for punitive damages and for the destruction or other disposition of any offending goods, packaging, labels and advertising material and of any equipment used to produce the goods, packaging, labels or advertising material.

En l’espèce, les demanderesses réclament des dommages‑intérêts et des dommages punitifs en raison de la violation de la Loi sur les marques de commerce, lesquels sont régis par leurs propres règles. Je commence par les dommages‑intérêts compensatoires.

A.  Les dommages‑intérêts compensatoires

[117]  Le point de départ est que les dommages‑intérêts ont pour but d’être purement compensatoires. Le principe prévoit que, [traduction« en ce qui concerne les délits “économiques”, […] le montant des dommages‑intérêts est, autant que possible, la somme qui mettra la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si elle n’avait pas subi de préjudice » (General Tire and Rubber Co c Firestone Tyre and Rubber Co, [1976] RPC 197, p. 212). Il est beaucoup plus facile d’énoncer le principe que de trouver une méthode appropriée pour évaluer les dommages‑intérêts, tout en réduisant le risque d’une sous‑indemnisation ou d’une surindemnisation, comme l’a démontré l’évolution de la jurisprudence de la Cour.

[118]  La violation des droits liés à une marque de commerce peut entraîner une diminution des ventes et des profits. Dans le cas de produits comme ceux dont il est question en l’espèce, il est moins que probable que la vente de contrefaçons, qui constitue une violation de la Loi pour laquelle des dommages‑intérêts sont payables, entraîne une perte de ventes. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit de produits de luxe pour lesquels la différence de prix entre les contrefaçons et le produit authentique est le principal attrait pour les contrefacteurs et les clients. Comme l’ont reconnu les parties, [traduction« […] étant donné la nature du commerce des contrefaçons, une personne qui achète une [TRADUCTION] “imitation” n’aurait pas nécessairement acheté autrement un produit authentique » (mémoire supplémentaire des faits et du droit des demanderesses, par. 3; Oakley, Inc c Doe (2000), 8 CPR (4th) 506 [Oakley], au par. 9).

[119]  Il n’est donc pas surprenant que l’attention soit centrée sur la diminution de la valeur de l’achalandage. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, la Cour a reconnu que la Loi ne définissait pas l’achalandage, mais que la jurisprudence le faisait. La Cour suprême a conclu que l’achalandage « s’entend de l’association positive qui attire les consommateurs vers les marchandises ou services du propriétaire de la marque plutôt que vers ceux de ses concurrents » (par. 50). La Cour approuve deux définitions qui découlent de la jurisprudence :

[traduction]

« Achalandage » est un terme utilisé parfois pour désigner une clientèle toute prête, dont la valeur réside dans ses fortes chances de continuité. Mais, dans son sens commercial, le terme peut signifier beaucoup plus que cela. Comme le fait observer lord Macnaghten, dans Inland Revenue Commissioners v. Muller & Co.’s Margarine Ltd. [1901] A.C. 217, 224, il est « la force attractive qui amène la clientèle » et peut consister non seulement en contacts commerciaux, mais aussi en bien d’autres choses telles que : des locaux particuliers, une longue expérience dans une sphère spécialisée ou une bonne réputation en liaison avec un nom commercial ou une marque de commerce. Il est en quelque sorte forgé par l’effort qui ajoute à la valeur de l’entreprise.

[Souligné dans l’original.]

 

(Manitoba Fisheries Ltd c La Reine, [1979] 1 RCS 101, à la p. 108)

 

[traduction]

[L]’achalandage attaché à une marque de commerce est la partie de l’achalandage de l’entreprise de son propriétaire qui consiste dans l’ensemble des avantages, quels qu’ils soient, tirés de la réputation et des liens que l’entreprise a établis par des années de labeur honnête ou au prix de dépenses considérables, et qui est identifiée aux biens distribués par le propriétaire en liaison avec la marque de commerce.

(Clairol International Corp c Thomas Supply & Equipment Co, [1968] 2 EX CR 552, à la p. 573)

Dans une affaire comme celle en l’espèce, les demanderesses perdent le contrôle des effets et de la réputation de leur marque de commerce. L’exclusivité de la marque est diminuée, voire totalement perdue, lorsque des produits de luxe sont reproduits et offerts à un prix beaucoup moins élevé.

[120]  Comme il est très difficile d’évaluer les ventes perdues, les tribunaux ont cherché à évaluer les dommages‑intérêts le mieux possible (Singh c Hall (1940), 2 Fox Pat C 1 (CS C‑B)). Il y a 17 ans, la Cour a conclu que, non seulement la capacité financière d’un défendeur ne constitue pas un facteur aux fins de décider si des dommages‑intérêts sont dus, mais aussi que la difficulté de déterminer le niveau approprié de dommages‑intérêts (Ragdoll Productions (UK) Ltd c Personnes inconnues, 2002 CFPI 918, [2003] 2 CF 120 [Ragdoll], aux par. 32 et 44) ne permet pas à la Cour de se soustraire à une évaluation des dommages‑intérêts. La difficulté est exacerbée par le fait que la quantité et la valeur des articles contrefaits sont souvent inconnues et, en fait, impossibles à connaître, en l’absence de registres, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’affaires (Ragdoll, par. 38). Il s’agit certainement du cas en l’espèce, bien que la preuve donne à penser que les défendeurs ont mené des activités importantes.

[121]  Cela a amené le juge Pelletier, tel était alors son titre, à considérer qu’un tribunal évaluant les dommages‑intérêts en fournit sa meilleure estimation. Il a estimé que, « [l]orsque les défendeurs ne tiennent aucun registre et que la quantité des biens saisis n’est pas un indicateur fiable de l’ampleur de leurs activités commerciales, il est difficile, pour les demanderesses, de moduler la preuve en fonction du préjudice causé par chacun des défendeurs » (Ragdoll, par. 46). Le juge a fait observer qu’il « serait déplorable de récompenser la suppression des registres comptables en y voyant un obstacle à l’évaluation du préjudice » (Ragdoll, par. 48). La Cour partage ce sentiment.

[122]  D’autre part, les dommages‑intérêts ne devraient pas devenir une pénalité pour la contrefaçon d’une marque de commerce, en offrant, dans une certaine mesure, une dissuasion. Ils empiéteraient sur le rôle qui est joué, en partie, par des dommages punitifs. Au lieu de cela, la règle générale a été bien saisie par Kelly Gill, dans l’ouvrage Fox on Canadian Law of Trade‑Marks and Unfair Competition, 4e éd., al. 13.6e) [Fox] :

[traduction]

Le demandeur a droit à l’octroi de dommages‑intérêts, représentant la perte réelle subie qui est la conséquence naturelle et directe des actes illégaux commis par le défendeur224. Cela comprend toute perte de commerce réellement subie par le demandeur, soit directement par suite des actes fautifs, soit suite à un dommage convenablement attribuable au préjudice causé à la réputation du demandeur, à son entreprise, à son achalandage et à ses relations commerciales en raison des actes fautifs225. Comme nous l’avons déjà mentionné, bien que l’évaluation fondée sur la « certitude mathématique » soit hors de portée226, l’octroi de dommages‑intérêts ne doit pas inclure des dommages qui sont spéculatifs, et non établis227. La cour doit estimer approximativement les dommages‑intérêts, comme le ferait un jury228, et elle est également en droit d’utiliser les connaissances commerciales ordinaires et le bon sens. Une certaine mesure du préjudice causé à l’achalandage est déterminée si le commerce trompeur d’une quantité importante persiste229. La mesure appropriée des dommages‑intérêts est l’octroi d’un montant que la cour estime, en tenant compte de toutes les inférences appropriées, représenter le préjudice subi, tel qu’il a été convenablement et raisonnablement démontré, par le demandeur en raison des actes fautifs du défendeur230.

[Renvois omis.]

Les dommages qui sont non établis et qui sont spéculatifs ne sont pas de ceux qui peuvent être évalués.

[123]  Au fil du temps, la Cour a élaboré une approche qui, à mon avis, a été qualifiée par erreur de « dommages‑intérêts symboliques ». En 1997, la Cour a rendu trois ordonnances concernant des marques appartenant à Nike Canada Ltd. (Nike Canada Ltd c Goldstar Design Ltd et al, T‑1951‑95 [Nike]). Des dommages‑intérêts ont été ordonnés [traduction« suite à l’atteinte, par le défendeur, aux droits de propriété intellectuelle de Nike ». Le montant de ces dommages‑intérêts était de divers montants : 3 000 $, 6 000 $ et 24 000 $. Ces montants ont été associés à différents types d’activités. Dans Oakley, Inc (précitée), la Cour a conclu qu’il avait été « décidé de fixer globalement les dommages‑intérêts à 3 000 $ par demandeur dans le cas des défendeurs exerçant leurs activités dans des locaux temporaires comme les marchés aux puces » (par. 3). La Cour a déclaré que le barème avait atteint le statut de précédent, qu’elle jugeait nécessaire de ne pas modifier (par. 11), sans être pour autant immuable (par. 22 et 23).

[124]  De plus, dans Ragdoll, la Cour a indiqué que, « [d]ans des affaires non contestées, la Cour leur a accordé des dommages‑intérêts de 3 000 $ dans le cas de vendeurs ambulants et d’exploitants de marchés aux puces, de 6 000 $ dans le cas de ventes effectuées dans des locaux fixes et de 24 000 $ dans le cas de fabricants et de distributeurs » (par. 35). Bien entendu, le barème augmente selon l’ampleur des activités, d’une activité de courte durée à une activité exercée dans des lieux fixes, jusqu’à ceux qui fabriquent des produits contrefaits pour des détaillants ou leur en distribuent.

[125]  Les demanderesses se fient au barème utilisé dans Nike, tout en y apportent quelques modifications pour tenir compte de l’inflation des 20 dernières années. Elles s’appuient également sur l’évolution de la méthode utilisée pour évaluer les dommages‑intérêts. Cela est résumé ainsi dans Fox, à l’alinéa 13.6a) :

[traduction]

[…] Il existe donc une présomption selon laquelle, en soi, l’atteinte au droit exclusif du demandeur à l’égard de la marque causera des dommages au demandeur187. Si l’atteinte est insignifiante, le tribunal peut accorder des dommages‑intérêts symboliques188. La Cour fédérale a également fixé des « dommages‑intérêts symboliques » en fonction de l’activité de contrefaçon dans les cas où faire la preuve des dommages et des profits est devenu irréaliste en raison des activités du défendeur. Jusqu’à présent, cette approche s’est limitée aux cas de contrefaçon. La première décision créant l’octroi de tels dommages‑intérêts a été rendue en 1997, laquelle a fixé la somme de 6 000 $ comme représentant une évaluation équitable des dommages188.1. Une décision de 2007 a modifié ce montant en fonction de l’inflation et a conclu à des dommages‑intérêts symboliques de 7 250 $ par activité de contrefaçon188.2. […]

[Renvois omis.]

[126]  Dans Ragdoll, la Cour a laissé entendre que l’utilisation d’un barème ne nuisait pas à la nature compensatoire de l’octroi de dommages‑intérêts, pas plus que les dommages‑intérêts accordés pour dommages corporels, par exemple : le barème devient, par convention, la norme.

[127]  En se fondant sur ces principes, les demanderesses ont d’abord fait valoir qu’elles avaient droit aux dommages‑intérêts compensatoires suivants :

  • Louis Vuitton : 13 938 000 $;

  • Celine : 442 500 $;

  • Christian Dior : 2 929 500 $;

  • Givenchy : 103 500 $.

Il semble que les demanderesses croyaient qu’une somme de plus de 17 millions de dollars constituait la meilleure évaluation raisonnable de la perte réelle (compensatoire) qu’elles avaient subie dans la présente affaire, à la suite des activités exercées à un marché aux puces en 2009 et des ventes réalisées dans les locaux de 200 pieds carrés situés dans un centre commercial linéaire local et un marché de nuit. À mon avis, étant donné que le modèle utilisé pour évaluer les dommages‑intérêts a évolué au fil du temps, il est devenu un modèle imprégné de spéculation et de dommages non établis, si on considère que, en l’espèce, il convient d’accorder 17 millions de dollars en dommages‑intérêts. Il est impossible de comprendre comment les activités exercées par les défendeurs dans la présente affaire ont généré une diminution de la valeur de l’achalandage de plus de 17 millions de dollars. Il est vrai que l’ampleur des activités demeure en grande partie inconnue et que l’absence de registres ne devrait pas bénéficier aux défendeurs. D’autre part, il ne faut pas non plus tolérer une surindemnisation. À mon avis, un modèle qui générerait des dommages‑intérêts de cette ampleur doit être revu et modulé afin de fournir une évaluation plus raisonnable des dommages‑intérêts.

(1)  Comment en sommes‑nous arrivés là?

[128]  Il semble que le modèle que les demanderesses cherchent à appliquer en l’espèce ait pour origine trois ordonnances rendues par la Cour en 1997, concernant des produits à l’égard desquels les droits liés aux marques de commerce détenues par Nike Canada Ltd., Nike International Ltd. et Nike (Ireland) Ltd. avaient été violés. Deux des ordonnances ont été rendues le 23 juin 1997 dans Nike Canada Ltd, Nike International Ltd and Nike (Ireland) Ltd c Goldstar Design Ltd Jane Doe and John Doe and other persons, names unknown, who offer for sale, sell, import, manufacture, distribute, advertise, or deal in unauthorized counterfeit Nike merchandise, and those persons listed in schedule “A” hereto, no du dossier de la Cour T‑1951‑95. Une troisième ordonnance a été rendue le 20 octobre 1997.

[129]  Elles concluaient toutes que les droits liés aux marques de commerce de Nike avaient été violés. En ce qui concerne les dommages subis par Nike, la Cour a ordonné que soient versés [traduction« des montants de 3 000 $, de 6 000 $ et de 24 000 $ aux demanderesses, à titre de dommages‑intérêts découlant de la violation par la défenderesse des DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DE NIKE ». Ces ordonnances découlaient toutes de requêtes en jugement par défaut déposées après l’exécution de diverses ordonnances Anton Piller. Les dommages‑intérêts accordés ne concernaient pas tous les articles trouvés sur les lieux, mais plutôt la violation des DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DE NIKE. Mais alors, pourquoi des montants différents? Parce que le barème est fondé sur des catégories de contrefacteurs : 3 000 $ dans le cas d’exploitants de marchés aux puces, de vendeurs ambulants et de vendeurs itinérants; 6 000 $ dans le cas d’établissements de détail qui font des affaires dans des locaux fixes; 24 000 $ dans le cas d’importateurs, de fabricants et de distributeurs. Je remarque que les DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DE NIKE sont définis dans les ordonnances comme s’entendant des droits liés aux [traduction« marques de commerce, noms commerciaux ou logos énumérés à l’annexe B »; plus de 20 marques de commerce sont énumérées à l’annexe B, lesquelles couvrent une variété de sports comme le golf, l’entraînement croisé ou le basket‑ball.

[130]  Le mémoire dans le dossier T‑1951‑95 indiquait que, dans un cas, la défenderesse fabriquait des produits portant la marque de commerce de Nike à l’aide d’un équipement informatisé. Des produits contrefaits ont été trouvés sur place, dans le cadre de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller. Des dommages‑intérêts de 3 000 $ et de 6 000 $ avaient déjà été accordés à l’époque contre 200 détaillants, selon le type d’activités. De toute évidence, les dommages‑intérêts ont été accordés en fonction du type d’activités.

[131]  Trois ans plus tard, un jugement en défaut pour la violation des droits liés à des marques de commerce a été rendu dans un certain nombre d’affaires concernant huit demanderesses (Oakley Inc, Viacom Ha! Holding Co, Ragdoll Productions (UK) Ltd, Nike Canada Ltd, Nintendo of America Inc, Fila Canada Inc, Tommy Hilfiger Licensing Inc, Adidas‑Salomon AG) (précitées). Les demanderesses ont coopéré dans le cadre de l’exécution des ordonnances Anton Piller, qui a mené, en fin de compte, à l’octroi de dommages‑intérêts symboliques de 3 000 $ par action. Comme la Cour l’a déclaré, « [l]a question en litige lors de cette audience était celle de savoir si les dommages‑intérêts symboliques continuent à être des dommages‑intérêts symboliques s’ils sont fixés à neuf reprises » (Oakley, au par. 2).

[132]  Afin de tenter de simplifier et d’accélérer le processus, dans Nike, la Cour « a décidé de fixer globalement les dommages‑intérêts à 3 000 $ par demandeur dans le cas des défendeurs exerçant leurs activités dans des locaux temporaires comme les marchés aux puces. Cette méthode de calcul des dommages‑intérêts a été retenue par les juges de notre Cour, bien que, dans certains cas, d’autres montants aient été retenus » (par. 3).

[133]  Dans Oakley, les défendeurs dans chaque action étaient les mêmes, mais il y avait de multiples demanderesses. La Cour conclut qu’« il ne semble ni injuste ni déraisonnable d’envisager la question des dommages‑intérêts, dans le cas des jugements par défaut, du point de vue d’une évaluation globale pour laquelle un montant fixe a été convenu » (par. 10). Par conséquent, le montant de 3 000 $, dans le cas de ce marché aux puces, représente les dommages‑intérêts dus dans les circonstances. L’évaluation globale signifie que le nombre d’articles importe peu pour qu’il y ait une violation; le montant des dommages‑intérêts ne reflète pas un nombre d’articles ou de transactions. La Cour fait observer que le montant des dommages‑intérêts est considéré comme équitable dans le cas de demandes non contestées, car un défendeur peut toujours soulever la question des dommages‑intérêts. En ce qui concerne les demanderesses qui ont coopéré, elles ont chacune droit à des dommages‑intérêts, parce que, ayant agi individuellement, elles auraient toutes droit à des dommages‑intérêts. Par conséquent, neuf déclarations ont entraîné l’octroi de 27 000 $ à titre de dommages‑intérêts.

[134]  La décision suivante qui mérite d’être mentionnée dans l’évolution de la jurisprudence est une autre affaire qui était devant la Cour, Ragdoll, une autre décision du juge Pelletier. L’affaire découle de l’exécution de trois ordonnances Anton Piller. Cependant, cette fois‑ci, la Cour fait un compte rendu des articles saisis. Les voici :

[TÉLÉTUBBIES]  7 porte‑clés

[DISNEY]  3 gadgets

[NINTENDO]  7 modèles en pièces détachées

[NINTENDO]  4 ensembles de jouets

[NINTENDO]  1 bouteille d’eau

[NINTENDO]  214 porte‑clés avec figurines

[par. 4]

Disney a demandé 6 000 $ à titre de dommages‑intérêts pour des articles dont la valeur totale n’est peut‑être que de quelques dollars.

[135]  Après avoir fait remarquer que la capacité du défendeur à payer des dommages‑intérêts n’est pas pertinente à l’égard du droit d’un demandeur à des dommages‑intérêts, les demanderesses ont plaidé en faveur de l’octroi de dommages‑intérêts selon le barème établi depuis Nike. Bien qu’un défendeur puisse prouver l’ampleur de l’activité commerciale, si aucun élément de preuve n’est disponible, pour quelque raison que ce soit, les défendeurs ne peuvent pas se plaindre. Comme le déclare la Cour, « [e]n l’absence de registres, on ne peut se fier à la quantité de biens saisis pour établir l’ampleur de l’activité commerciale du défendeur » (par. 38).

[136]  Dans Ragdoll, la Cour débat clairement du montant à accorder à titre de dommages‑intérêts. Néanmoins, la difficulté d’évaluer les dommages‑intérêts ne peut justifier le défaut de les accorder; une fois qu’une contrefaçon entraînant un préjudice est établie, les demandeurs ont « droit à une évaluation optimale des dommages‑intérêts par la Cour sans devoir nécessairement se contenter de dommages‑intérêts symboliques » (par. 45).

[137]  Dans Ragdoll, la Cour justifie le recours au barème en dépit d’une mesure d’arbitraire qui, en quelque sorte, découle du refus des défendeurs de fournir des indications concernant leurs activités commerciales. « Lorsque les défendeurs ne tiennent aucun registre et que la quantité des biens saisis n’est pas un indicateur fiable de l’ampleur de leurs activités commerciales, il est difficile, pour les demanderesses, de moduler la preuve en fonction du préjudice causé par chacun des défendeurs » (par. 46). Bien qu’il puisse y avoir une part d’arbitraire, cela ne diffère pas des dommages‑intérêts payables à la suite d’une blessure à l’œil, qui sont établis en fonction d’un barème qui est devenu, par convention, la norme. La Cour écrit :

[48]  Dans la présente affaire, la Cour est aux prises avec un préjudice pécuniaire. Cela exclut‑il le recours au barème des dommages‑intérêts établi? Le fait est que, faute de registres comptables détaillés, les demanderesses ne sauraient faire avec une précision mathématique la preuve des pertes qu’elles ont subies. Il serait déplorable de récompenser la suppression des registres comptables en y voyant un obstacle à l’évaluation du préjudice. Lorsque les pratiques commerciales du défendeur et son omission de produire une défense ont rendu impossible l’évaluation du préjudice, il est plus équitable pour le défendeur d’appliquer le barème établi que d’examiner chaque affaire comme si elle était unique en son genre et de fixer des dommages‑intérêts sans se référer à des affaires similaires. La pratique actuelle distingue entre le vendeur dans un marché aux puces, le vendeur ambulant, le détaillant établi à demeure et le fabricant et le distributeur et, dans cette mesure, les cas apparentés sont réglés semblablement. Une gradation plus précise peut être envisagée par la Cour au besoin.

[138]  Par conséquent, dans Ragdoll, la Cour applique le barème et évalue les dommages‑intérêts à 6 000 $ dans chacun des trois dossiers (Ragdoll, Nintendo et The Walt Disney Company), peu importe le nombre d’articles saisis et leur valeur. En effet, il y avait des différences importantes entre les trois demanderesses; davantage d’articles Nintendo saisis ont été identifiés comme des articles contrefaits, mais le même montant de dommages‑intérêts a été évalué.

[139]  Il n’est peut‑être pas inutile de souligner qu’aucune des affaires ne concerne des articles de luxe contrefaits, où la valeur des articles authentiques est beaucoup plus élevée.

[140]  La prochaine affaire pertinente dans l’évolution des dommages‑intérêts évalués est Louis Vuitton Malletier SA et Louis Vutton Canada, Inc c Yang et al, 2007 CF 1179, 62 CPR (4th) 362 [Yang]. Dans cette affaire, la Cour se penchait sur le cas de récidivistes qui, depuis 2001, continuaient de vendre des marchandises de luxe contrefaites en dépit de deux jugements et de nombreuses lettres, saisies et autres mesures prises par les demanderesses. L’affaire concernait également une autre requête en jugement par défaut, puisque les défendeurs n’avaient pas contesté l’action intentée. La contrefaçon a été établie à la satisfaction de la Cour.

[141]  Six « incidents » distincts ont été prouvés :

  • a) une mise en demeure, qui a entraîné le délaissement de 130 articles contrefaits;

  • b) trois mois plus tard, un enquêteur a acheté un collier contrefait;

  • c) sept mois plus tard, un autre achat – cette fois‑ci d’un porte‑monnaie contrefait – a été effectué, et l’enquêteur a remarqué un plus grand nombre de produits contrefaits;

  • d) moins de trois mois plus tard, une autre mise en demeure a été signifiée, et 239 articles contrefaits ont été délaissés, ainsi que des copies contrefaites d’œuvres protégées par le droit d’auteur et des catalogues offrant en vente des produits contrefaits;

  • e) moins de trois mois plus tard, une autre mise en demeure a été signifiée, et plus de 50 articles contrefaits ont été remarqués;

  • f) quatre mois plus tard, un enquêteur a acheté un collier contrefait et a constaté que des boucles d’oreilles et d’autres colliers portaient les marques de commerce Louis Vuitton.

[142]  Pour les besoins de la présente affaire, c’est l’octroi de dommages‑intérêts qui est important. Comme d’autres juges de la Cour avant elle, la juge a reconnu que le calcul des dommages‑intérêts dans des affaires comme celles‑ci était difficile, de sorte qu’il « faut s’en tenir à l’estimation la plus raisonnable sans se limiter à des dommages‑intérêts symboliques » (décision, par. 28). Premièrement, l’évaluation du montant de la diminution de la valeur de l’achalandage nécessiterait un dossier beaucoup plus complet, si c’est possible. Deuxièmement, il n’est pas raisonnable de présumer des ventes perdues, car les personnes qui achètent des articles d’« imitation » ne sont pas susceptibles d’acheter des produits authentiques, compte tenu de la différence de prix.

[143]  Ainsi, la Cour s’est penchée sur les profits. Encore une fois, une évaluation claire serait difficile en raison de l’absence de documents; dans de telles circonstances, la Cour doit se fonder sur la preuve disponible, les inférences raisonnables et une dose de bon sens. L’expérience des demanderesses est également un élément qui peut être pris en compte.

[144]  Toutefois, le calcul des profits est, en fait, une méthode moins que fiable pour établir les dommages‑intérêts. Comme la Cour le souligne, « mes réticences viennent du fait que les demanderesses veulent que j’extrapole ce profit moyen approximatif [sur la base des articles saisis] à un nombre hypothétique de fois que le stock s’est renouvelé au cours d’une année et d’appliquer ce montant à partir de 2003 » (décision, par. 38). La Cour était disposée à considérer des profits probables de 31 000 $ pour les produits livrés lors de la signification des mises en demeure aux défendeurs. La Cour a noté qu’il y avait des cas où des enquêteurs avaient remarqué des marchandises Louis Vuitton contrefaites sur les lieux. La Cour était disposée à estimer que les profits découlant de la vente probable des articles étaient de 15 000 $ par incident, relativement aux produits observés sur les lieux. Il y a eu trois incidents de ce genre, pour un total de 45 000 $.

[145]  La Cour a considéré qu’il existait une autre solution, c’est‑à‑dire celle qui devait devenir la nouvelle norme : des dommages‑intérêts « symboliques » par activité de contrefaçon. En appliquant le « taux » établi dans Nike (6 000 $ par activité de contrefaçon pour chaque demanderesse) (décision, par. 43), la Cour en est arrivée à un total de 72 000 $ (6 000 $ X 6 incidents X 2 demanderesses). La Cour a modifié le taux en fonction de l’inflation depuis 1997, pour atteindre 7 250 $ par incident, pour un total de 87 000 $.

[146]  Des dommages punitifs ont également été accordés, sur le fondement de l’arrêt de principe Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 RCS 595 [Whiten]. La Cour a octroyé le montant de dommages punitifs demandé par les demanderesses : 100 000 $. Par conséquent, des dommages‑intérêts de 87 000 $ (7 250 $ X 6 incidents X 2 demanderesses) et des dommages punitifs de 100 000 $ ont été accordés. Des dépens avocat‑client de 36 699,14 $ et des dommages‑intérêts préétablis de 40 000 $ pour des violations de la Loi sur le droit d’auteur ont également été octroyés. Ces montants sont évidemment très loin de ceux envisagés quelque dix ans plus tôt, dans les affaires Nike. Il y a eu une évolution.

[147]  Dans Louis Vuitton Malletier SA and Louis Vuitton Canada, Inc c 486353 BC Ltd, dba Winnie Lee Fashion, 2008 BCSC 799 [Lee], la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (la CSCB) a suivi le jugement de la Cour dans Yang. La CSCB a appliqué les taux, qui ont été ajustés en fonction de l’inflation.

[148]  La CSCB commence par la citation tirée de Fox, tel qu’elle est énoncée au par. 40 de Ragdoll, selon laquelle [traduction« [i]l faut supprimer du calcul les dommages‑intérêts spéculatifs et non prouvés ». Elle poursuit ensuite avec Yang et accepte que des dommages‑intérêts soient accordés [traduction« par cas de contrefaçon » et déclare que [traduction« la Cour [dans Yang] a appliqué le barème des ordonnances Anton Pillar [sic] sur une base “par cas de contrefaçon”, c’est‑à‑dire six fois » (décision, par. 62). Aucune définition n’a été fournie quant à ce qui constitue une violation pertinente aux fins de l’évaluation des dommages‑intérêts. La CSCB a accepté que des dommages‑intérêts soient dus à chaque demanderesse [traduction« puisqu’une défenderesse serait responsable du préjudice causé à chaque demanderesse, si chacune d’entre elles avait fait valoir ses droits individuellement » (décision, par. 67).

[149]  Nous ne trouvons aucune explication, dans Yang ou dans Lee, quant à savoir pourquoi deux demanderesses, dont l’une est la filiale de l’autre, auraient chacune droit à des dommages‑intérêts pour la violation des droits liés aux mêmes marques de commerce.

[150]  La CSCB a également conclu, dans une déclaration faite à l’étape de la communication préalable, que l’octroi de dommages‑intérêts sur la base du [traduction« renouvellement de stock » reposait sur une preuve suffisante. Elle a également conclu que le taux pour les importateurs ou les distributeurs avait été établi en fonction de ce dossier, contrairement à la conclusion de la Cour dans Yang. Une somme totale de 580 000 $ a été octroyée à titre de dommages‑intérêts pour les violations de droits liés aux marques de commerce.

[151]  Encore une fois, dans Louis Vuitton Malletier SA, Louis Vuitton Canada, Inc, Burberry Limited and Burberry Canada Inc c Singga Enterprises (Canada) Inc et al, 2011 CF 776, [2013] 1 RCF 413 [Singga], la participation des défendeurs (huit au total) au procès sommaire fut très limitée, puisqu’un seul défendeur y a participé, et ce, en qualité de défendeur en personne. Ce défendeur n’a déposé aucun dossier de requête et a admis avoir participé aux actes de contrefaçon. La participation découlait du fait que ce défendeur voulait invoquer des circonstances atténuantes quant aux dommages‑intérêts et aux dépens. Le débat devant la Cour n’a pas été vigoureux.

[152]  Dans Singga, la Cour a procédé à un examen plus approfondi des faits à l’origine de la conclusion de contrefaçon que dans d’autres affaires. Elle a conclu que les activités des défendeurs étaient d’une grande ampleur et mettaient en jeu la fabrication et/ou l’importation de quantités massives d’articles contrefaits, ainsi que leur entreposage et leur distribution (dans deux cas, une distribution à l’échelle du Canada) (décision, par. 26, 55 et 78). Singga aurait été impliquée dans 16 cas particuliers de contrefaçon de marchandises Louis Vuitton (décision, par. 140). De même, une autre défenderesse (Altec) aurait été impliquée dans 16 cas particuliers d’activités relatives aux marchandises contrefaisant les produits Louis Vuitton (décision, par. 144). Cependant, des 16 cas particuliers allégués à l’égard d’Altec, 14 concernaient des marchandises offertes en vente sur des sites Web, dans des catalogues et par des courriels non sollicités; seulement deux cas concernaient des achats réels. La disproportion en faveur de simples offres en vente était moindre relativement à Singga (10 cas sur 16).

[153]  Dans Singga, la Cour a reconnu que le barème établi dans les affaires antérieures était « conçu en fonction d’un cas unique de contrefaçon qu’atteste une saisie opérée en exécution d’une ordonnance Anton Piller » (décision, par. 131). Cependant, la Cour a justifié l’utilisation du barème dans des circonstances différentes :

[131]  […] Il est admis que, lorsque le défendeur se livre à des activités continues et effrontément persistantes sur une certaine durée, comme c’est ici le cas, ces activités justifient l’octroi de dommages‑intérêts beaucoup plus élevés que lorsqu’il s’agit de l’exécution ponctuelle d’une ordonnance Anton Piller. La preuve produite dans la présente espèce établissant des activités continues sur une certaine durée, ainsi que l’importation de marchandises à partir d’une usine chinoise et leur distribution à l’échelle nationale en exécution de commandes multiples et massives, il faut envisager la fixation de dommages‑intérêts beaucoup plus élevés.

[132]  La Cour fédérale et la Cour suprême de la Colombie‑Britannique ont toutes deux constaté la nécessité de fixer des dommages‑intérêts plus importants dans les cas d’activités de contrefaçon répétées et persistantes. Par conséquent, les tribunaux canadiens ont reconnu que, lorsque la preuve établit plus d’une visite de l’établissement en question et qu’il peut être démontré que le défendeur s’est livré aux activités qu’on lui reproche sur une certaine durée, les « dommages symboliques » afférents aux ordonnances Anton Piller doivent être calculés « par cas de contrefaçon » ou, si l’on dispose de la preuve nécessaire, « par renouvellement de stock ». Voir Louis Vuitton Malletier S.A. c. Lin Pi‑Chu Yang, 2007 CF 1179, 62 C.P.R. (4th) 362, paragraphe 43; et Louis Vuitton Malletier S.A. et al. c. 486353 B.C. Ltd. et al, 2008 BCSC 799, [2008] B.C.W.L.D. 5075, paragraphes 59, 60 et 65 à 67.

En toute déférence, je n’ai pas trouvé, au paragraphe 43 de Yang, d’appui pour la justification de la proposition; s’il y a quelque chose, il se peut que ce soit implicite. De même, les paragraphes 59 et 60 de 486353 BC Ltd (Lee) n’appuient pas la proposition : ils concernent en fait le rajustement du barème en fonction de l’inflation. Cependant, le paragraphe 65 de 486353 BC Ltd (Lee) fournit une justification qui n’a pas été présentée dans Yang. Au paragraphe 65, la CSCB a écrit ce qui suit :

[traduction]

[65]  Je conviens que l’octroi historique unique de dommages‑intérêts symboliques ne s’applique pas dans le cas d’un groupe de défendeurs dont les activités de contrefaçon ont été effectuées de façon continue, flagrante et répétée pendant une période de trois ans depuis la date de la signification de l’ordonnance Anton Pillar [sic], ainsi que pendant une période d’environ six ans dans le cas de J. Lee. Si une demanderesse n’avait droit qu’à un octroi unique de dommages‑intérêts selon le barème des dommages‑intérêts « symboliques » pour de multiples cas de contrefaçon, alors, une fois qu’un défendeur a été déclaré responsable de la contrefaçon, il serait essentiellement exonéré de responsabilité pour le préjudice causé par toutes les contrefaçons subséquentes.

La proposition me semble raisonnable si une cour doit chercher à indemniser un demandeur lésé à qui a été causé un préjudice réel au cours d’une période donnée. Un octroi de dommages‑intérêts fondé uniquement sur un « taux symbolique » n’amorce pas l’indemnisation d’un demandeur en fonction seulement du type de marchandises, mais également en fonction du nombre de cas de contrefaçon au cours d’une période donnée. L’approche adoptée dans un certain nombre d’affaires convient bien au type de marchandises comme les marchandises de luxe, pour lesquelles l’achalandage a atteint une telle importance. La diminution de la valeur de l’achalandage est significative. Cependant, comme je vais tenter de le démontrer plus loin, il s’agit d’une approche qui nécessite de la modulation et de la modération. Un demandeur peut être en mesure de prouver des activités de contrefaçon se produisant tous les jours de l’année, voire plusieurs fois par jour, ce qui pourrait être avancé à l’appui de montants astronomiques en dommages‑intérêts. En outre, les dommages‑intérêts doivent être compensatoires : une approche qui échapperait à tout contrôle dérogerait au principe et mettrait en péril la valeur du modèle utilisé. Comme l’ont souligné les cours dans Ragdoll et 486353 BC Ltd (Lee) en citant Fox, « [i]l faut supprimer du calcul les dommages‑intérêts spéculatifs et non prouvés ».

[154]  Dans Singga, la Cour a aussi accepté que « [l]e fait que plusieurs demandeurs fassent valoir leurs prétentions dans le cadre d’une même action ne justifie pas la réduction des dommages‑intérêts. Il est possible d’octroyer des dommages‑intérêts à chaque demandeur dans le cadre d’une action solidaire intentée par le propriétaire d’une marque de commerce et son distributeur ou preneur de licence » (décision, par. 134). Bien qu’il soit logique que divers demandeurs aient droit à des dommages‑intérêts pour la violation des droits liés à leur marque de commerce, il n’est pas clair sur quoi repose l’octroi de dommages‑intérêts pour chacun des propriétaires de la marque de commerce, et leur filiale, dans des affaires comme Yang et Lee. La jurisprudence invoquée à l’appui accepte simplement que plusieurs demandeurs puissent participer à la même poursuite. Elle ne justifie pas le fait que toutes les sociétés de la même famille aient droit aux dommages‑intérêts.

[155]  Cela peut aider à expliquer pourquoi ces principes fondamentaux en matière d’évaluation des dommages‑intérêts conduisent la Cour, dans Singga, à énumérer 16 cas particuliers de violation des droits liés aux marques de commerce Louis Vuitton, bien que seulement six cas aient été sanctionnés au moyen de dommages‑intérêts (décision, par. 141). À mon avis, on ne sait toujours pas quels sont les six cas et pourquoi ceux‑ci sont considérés comme correspondant au niveau d’un importateur, d’un fabricant ou d’un distributeur.

[156]  Une autre défenderesse, Altec, aurait violé les droits liés à la marque Louis Vuitton dans 16 cas particuliers. Pour des raisons qui restent difficiles à percevoir, peut‑être parce que la Cour n’a pas fait mention de tous les éléments de preuve disponibles, elle conclut que la preuve indique un niveau élevé d’importation et de renouvellement de stock. En effet, la participation des défendeurs aux instances était très limitée, ce qui a mené à un débat moins vigoureux. Bien qu’il soit déclaré au paragraphe 146 de Singga que leur entrepôt recevait « au moins une expédition par mois », la Cour considère qu’une « estimation prudente de la fréquence des renouvellements de stock, fondée sur la preuve produite, permet de l’établir à au moins un tous les deux mois, encore que cette fréquence soit probablement plus élevée ». La Cour semble créer une nouvelle catégorie – au‑delà des locaux temporaires, des locaux fixes, et des importateurs, fabricants ou distributeurs – pour 30 000 $ « par renouvellement de stock ».

[157]  Je n’ai pas pu établir clairement sur quelle base la Cour s’est fondée dans Singga, autre que de rendre justice de façon sommaire sur la base du niveau d’activité démontré, avec une bonne dose de bon sens et des inférences raisonnables tirées de la preuve. La certitude mathématique est insaisissable. Il semble que ce soit la manifestation de l’évaluation approximative des dommages‑intérêts, comme le ferait un jury, en s’appuyant sur les connaissances commerciales ordinaires et le bon sens.

[158]  Le dernier ensemble d’affaires à examiner concerne Chanel S de RL c Lam Chan Kee. En appel d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 1091), après un procès sommaire, la Cour d’appel fédérale (2016 CAF 111) a conclu que, en raison de l’ambiguïté des motifs du jugement, il était impossible de déterminer le nombre d’actes de contrefaçon (par. 19). La Cour d’appel n’a pas jugé inapproprié d’utiliser le barème (rajusté en fonction de l’inflation et fixé à 8 000 $) et d’accorder des dommages‑intérêts tant au propriétaire de la marque de commerce qu’au titulaire de licence pour chaque contrefaçon. La Cour d’appel s’est appuyée sur la jurisprudence déjà examinée dans la présente affaire, ainsi que sur Harley‑Davidson Motor Company Group, LLC c Manoukian, 2013 CF 193, aux par. 39 à 43. Essentiellement, la Cour d’appel a convenu expressément que des « dommages‑intérêts symboliques » sont possibles lorsque le défendeur ne coopère pas, lorsqu’il est difficile d’établir un montant précis et lorsqu’il est difficile d’évaluer le préjudice réel à l’achalandage.

[159]  La Cour d’appel était également préoccupée par les dommages punitifs, fixés à 250 000 $, ainsi que par l’adjudication des dépens, étant donné qu’ils sont nettement supérieurs aux dommages‑intérêts compensatoires de 64 000 $. Par conséquent, l’affaire a été renvoyée au juge de première instance pour nouvelle décision.

[160]  La nouvelle décision a été rendue plus tard en 2016 (2016 CF 987). Celle‑ci a aussi fait l’objet d’un appel (2017 CAF 38).

[161]  En ce qui concerne les dommages punitifs et exemplaires, la Cour d’appel a expressément conclu qu’il n’y avait aucune proportion entre le montant des dommages‑intérêts compensatoires et celui des dommages punitifs. En outre, elle était convaincue que les dommages punitifs étaient amplement justifiés :

[11]  Je relève, entre autres points, les conclusions du juge selon lesquelles les défenderesses étaient motivées par le profit; la vulnérabilité des demanderesses et l’érosion de la réputation de leurs marques découlant de la contrefaçon de celles‑ci; les efforts déployés par les défenderesses pour induire la Cour en erreur; le transfert frauduleux de la propriété de leur société qu’elles ont opéré après le dépôt de la déclaration afin d’éviter la responsabilité; le récidivisme des défenderesses, révélé par les ordonnances antérieures sur la même conduite; le fait qu’elles savaient que leurs activités étaient illicites; l’importance quantitative de la violation des droits; la continuation de la vente de produits contrefaits après le dépôt et la signification de la déclaration; le fait que les défenderesses n’aient produit aucune trace écrite de leur activité et la conclusion du juge selon laquelle la contrefaçon était continue et délibérée. Le juge a en outre situé sa décision sur les dommages‑intérêts punitifs dans le contexte de la jurisprudence applicable.

C’est ainsi que nous en arrivons au cas en l’espèce et à ce qui constitue l’état du droit concernant l’évaluation des dommages‑intérêts pour la violation des droits liés aux marques de commerce en liaison avec des produits de luxe.

(2)  Les dommages‑intérêts compensatoires

[162]  L’octroi de dommages‑intérêts dans des affaires comme celle dont la Cour est actuellement saisie a considérablement évolué au cours des 20 dernières années – de l’octroi de dommages‑intérêts, dits symboliques, de quelques milliers de dollars dans des affaires où des ordonnances Anton Piller avaient été exécutées, entraînant la saisie de nombreux articles, jusqu’à l’octroi de près de 2 000 000 $, dans Singga, en faveur de Louis Vuitton Malletier S.A. et de sa filiale canadienne, ainsi que de Burberry Limited et de sa filiale canadienne. La somme a alors atteint 1 000 000 $, relativement aux marques de commerce Louis Vuitton, et plus de 800 000 $, relativement aux marques de commerce Burberry.

[163]  La Cour était préoccupée par l’évolution du modèle au fil du temps. Pourquoi les propriétaires des marques de commerce et leur filiale canadienne sont‑ils chacun indemnisés pour la violation des droits liés aux marques qu’ils utilisent, ce qui a manifestement pour effet de doubler le montant des dommages‑intérêts pour ce seul ensemble de marques de commerce? Et qu’en est‑il de l’utilisation des violations comme base de calcul lorsqu’il ne semble pas y avoir de plafond quant au nombre de violations, grand ou petit? Qu’en est‑il de la prise en compte de la valeur des articles faisant l’objet de la contrefaçon?

[164]  La Cour d’appel fédérale n’a pas eu à se prononcer sur un octroi de dommages‑intérêts qui semblait excessif et qui démontrait ce qui pourrait bien devenir des lacunes dans l’application du modèle si elle se faisait sans modération. De toute évidence, de telles circonstances ne se sont pas encore présentées. Des précédents de la Cour appuient une base « par cas de contrefaçon » au moyen du barème, et la Cour d’appel s’est appuyée sur la Cour pour l’octroi de dommages‑intérêts au propriétaire de la marque et à sa filiale canadienne, donc à chacun d’eux. Étant donné que ce ne fut pas une question en litige en l’espèce, hormis une remarque incidente des défendeurs selon laquelle [traduction« les demanderesses n’ont pas clairement indiqué de quelle façon chacune avait subi un préjudice » (observations écrites supplémentaires de la société défenderesse sur les dommages‑intérêts, par. 34), les conclusions, auxquelles a souscrit la Cour d’appel, ne devraient pas être réexaminées dans le présent dossier. La jurisprudence constante, à laquelle a souscrit la Cour d’appel fédérale, exige beaucoup plus que ce qui a été avancé de façon incidente par les défendeurs en l’espèce. Cependant, dans Singga, la Cour semble avoir modulé le modèle général utilisé. Un modèle qui aboutirait à un résultat absurde ne serait pas approprié sans modifications.

[165]  En l’espèce, la position initiale des demanderesses était de s’appuyer davantage sur le modèle. Elles ont proposé que l’on applique un renouvellement présumé de stock toutes les deux semaines et que la Cour infère des activités commerciales de la part des défendeurs pendant les années pour lesquelles il n’y a aucune preuve. Relativement aux marchandises Louis Vuitton, le total des dommages‑intérêts réclamés s’élevait à 13 898 000 $, et les dommages‑intérêts étaient évalués à 6 949 000 $ chacune, pour Louis Vuitton Malletier S.A. et sa filiale canadienne. En ce qui concerne les marchandises Celine contrefaites, le montant est de 442 500 $. Les marchandises Dior contrefaites génèrent, de l’avis de la demanderesse, des dommages‑intérêts de 2 929 500 $, tandis que les marques de commerce Givenchy justifieraient des dommages‑intérêts de 103 500 $. Selon les demanderesses, en appliquant le modèle, les défendeurs qui exercent des activités dans des locaux modestes doivent payer des dommages‑intérêts compensatoires totalisant 17 413 500 $. À mon avis, s’il est possible d’étendre le modèle à ce niveau, cela prouverait qu’il est vicié, peut‑être au point de l’être irrémédiablement.

[166]  Lors de l’audience initiale du procès sommaire, j’ai indiqué que je n’étais pas porté à suivre la proposition des demanderesses et à accorder des dommages‑intérêts compensatoires de près de 17,5 millions de dollars. Par conséquent, une audience consacrée à la question des dommages‑intérêts compensatoires a été fixée plus tard dans l’année, et les parties étaient invitées à préparer des observations écrites portant exclusivement sur les dommages‑intérêts. Je remercie les demanderesses et les défendeurs d’avoir présenté d’autres observations.

[167]  Les demanderesses notent dûment l’évolution du modèle au fil des années, reconnaissant que les dommages‑intérêts compensatoires comportent une part d’arbitraire. Elles font valoir que la Cour doit tenir compte de deux variables : la « base » appropriée pour calculer les dommages‑intérêts et ce qui constitue la base « par cas de contrefaçon » ou « par renouvellement de stock ». J’accepte cette approche, si jamais on doit utiliser le modèle.

[168]  Il me semble que les trois montants initiaux (3 000 $ pour les activités des vendeurs itinérants, 6 000 $ pour les activités exercées dans des locaux de vente au détail plus traditionnels et 24 000 $ pour les activités d’importateurs, de fabricants et de distributeurs de marchandises contrefaites) tiennent compte de l’ampleur des activités dans un contexte très particulier. La somme de 24 000 $ (avant de tenir compte de l’inflation depuis 1997) prend en considération le fait que le contrefacteur exerce des activités à une échelle beaucoup plus grande que le détaillant. Il doit y avoir une preuve que les quantités de produits contrefaits sont plus importantes, de sorte que les personnes appartenant à cette catégorie générale puissent les distribuer aux détaillants. Par exemple, une personne qui exerce des activités dans un local de vente au détail traditionnel et qui sait que les « imitations » sont importées de l’extérieur du pays ne devient pas un importateur simplement parce qu’elle commande des marchandises de l’étranger. L’importateur est plutôt l’entreprise qui fait traverser la frontière à de grandes quantités de marchandises qui sont ensuite livrées aux distributeurs ou aux détaillants. Dans l’affaire Singga, Singga et Altec exploitaient des entrepôts de marchandises importées qui étaient ensuite distribuées aux détaillants. La troisième défenderesse dans cette affaire se présentait comme fabricante et grossiste. À mon avis, pour une échelle quatre fois supérieure à celle des détaillants, il doit être prouvé que les activités sont exercées à plus grande échelle. Je n’ai trouvé aucune indication à cet effet dans la preuve présentée en l’espèce. Les défendeurs sont des détaillants qui exercent des activités dans des locaux de vente au détail modestes. D’un autre côté, ils ne sont pas des vendeurs itinérants, mais plutôt des détaillants qui font des affaires en tant que détaillants à divers endroits. Les défendeurs ont obtenu un certain succès, mais cela ne fait pas d’eux des distributeurs. À mon avis, ce sont des détaillants, et les cas de contrefaçon devraient être traités comme tels. Les défendeurs doivent être traités comme des détaillants, et non pas comme des vendeurs ambulants.

[169]  La base « par cas de contrefaçon » ne semble pas être définie. Comme je l’ai déjà indiqué, il y a un danger inhérent à multiplier à l’infini le nombre de cas où une contrefaçon peut être causée par les demandeurs. Néanmoins, la jurisprudence donne à penser que les achats, l’observation de produits contrefaits ainsi que les offres en vente de ces produits peuvent tous constituer une base « par cas de contrefaçon » pour les dommages‑intérêts évalués selon le barème.

[170]  La catégorie « par renouvellement de stock » a été révélée dans Yang, mais elle n’a pas été utilisée pour justifier l’absence d’une preuve suffisante. Elle a été utilisée dans 486353 BC Ltd et Singga, bien que, dans cette dernière affaire, la Cour ait utilisé un renouvellement de stock tous les deux mois, en dépit du fait que la preuve révélait un renouvellement mensuel. Je remarque toutefois que, dans ces affaires, la base sur laquelle est calculée la fréquence du renouvellement demeure nébuleuse.

[171]  Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que la preuve présentée en l’espèce a montré que les défendeurs n’étaient pas coopératifs, qu’ils n’étaient pas disposés à produire des documents sous quelque forme que ce soit ou des registres adéquats concernant leurs activités; dans ces circonstances, il est impossible d’estimer les dommages réels, par recouvrement des profits ou autrement. Il est tout aussi impossible d’estimer avec précision le préjudice causé aux marques de commerce. Il s’ensuit que l’approche (dommages‑intérêts symboliques) adoptée dans des circonstances similaires est justifiée et appropriée (Lam Chan Kee, 2016 CAF 111, par. 5).

[172]  D’un autre côté, je dois rejeter la première proposition des demanderesses selon laquelle une base appropriée pour le calcul des dommages‑intérêts est celle de la « catégorie » d’importateur, de distributeur ou de fabricant. L’argument était fondé sur le niveau élevé allégué d’importations et de renouvellements de stock. À mon avis, la preuve est loin de justifier leur allégation.

[173]  Comme dans Yang (2007 CF 1179), je me trouve dans l’impossibilité de conclure que la preuve appuie un renouvellement de stock, et encore moins un renouvellement de la totalité de stock toutes les deux semaines. On demande à la Cour de présumer que le nombre de produits contrefaits, qui serait relativement stable, serait vendu 24 fois par année (Yang, par. 40). Dans le dossier en l’espèce, il s’agit d’une hypothèse qui n’est pas étayée par la preuve. Dans leurs observations écrites sur les dommages‑intérêts, les demanderesses parlent de livraisons qui arrivent toutes les deux semaines; cependant, une livraison n’est pas un renouvellement de stock. Il s’agit plutôt d’une livraison de produits, souvent en réponse à des commandes passées, comme le démontre la preuve. La vérité, c’est qu’il n’a pas été possible d’établir un niveau d’activité permettant de démontrer quelque renouvellement que ce soit. En outre, il n’y a aucun élément de preuve établissant les activités des demanderesses de 2011 à 2015, puisque l’enquête en 2009 et en 2010 n’a repris qu’en 2015. Il existe des cas de contrefaçon prouvés en 2009 et en 2010, ainsi qu’une preuve établissant des contrefaçons en janvier 2015. Je conclus qu’il faut qu’un taux de renouvellement réel – qui a été avancé pour le renouvellement allégué de stock– soit prouvé pour utiliser cette méthode. Le fait que les marchandises contrefaites étaient importées (ce sont toutes des « imitations » envoyées de la Chine) et que les « livraisons » étaient effectuées régulièrement n’établit pas un renouvellement de stock. Enfin, la Cour n’est pas prête à conclure à un renouvellement de stock dans le cas des périodes pour desquelles il n’y a même aucune preuve des contrefaçons. Les demanderesses allèguent, en fait, que de 2010 à la fin de 2014, les défendeurs doivent avoir continué à exercer leurs activités de la même façon qu’en 2009 et de 2015 à 2017. Les demanderesses demandent à la Cour d’inférer que c’est ce qui s’est produit. À mon avis, il s’agit davantage d’une hypothèse que d’une inférence; cela va trop loin.

[174]  Il me semble qu’une évaluation fondée sur la base « par cas de contrefaçon » est beaucoup plus solide. La Cour a déjà conclu qu’un certain nombre de cas ont été prouvés selon la prépondérance des probabilités. Le seul qui doit être rejeté est celui du 13 décembre 2017, alors que l’examen approfondi de la preuve présentée dans les affidavits de Robert Lynch, de David Wotherspoon et de Jana Checa Chong ne convainc pas la Cour de l’importation alléguée de marchandises Dior contrefaites livrées à la résidence de Mme Wang. La jurisprudence de la Cour appuie le fait que les ventes de marchandises contrefaites, mais aussi les offres de vente, y compris les offres de vente en ligne, et diverses formes de contrefaçon, comme les importations de produits en tant que détaillant recevant des commandes de l’étranger, constituent des cas de contrefaçon. Les demanderesses ont effectué les calculs suivants :

a) pour Louis Vuitton :  (i) Pour 2009 : 3 cas x 7 500 $ = 22 500 $

(ii) Pour 2010 : 1 cas x 7 500 $ = 7 500 $

(iii) Pour 2015 : 8 cas x 8 500 $ = 68 000 $

(iv) Pour 2016 : 1 cas x 8 500 $ = 8 500 $

(v) Pour 2017 : 10 cas x 8 500 $ = 85 000 $

Total : 191 500 $


Il faut noter qu’il y a eu 11 cas de contrefaçon en 2017, qui figurent à l’annexe F. Louis Vuitton Malletier S.A. et Louis Vuitton Canada, Inc. combinent les deux incidents de janvier 2017, ce qui porte le nombre de cas pour lesquels des dommages‑intérêts sont dus à un total de 10 pour 2017 (observations écrites supplémentaires des demanderesses sur les dommages‑intérêts relatives aux marques de commerce, par. 37). Il s’agit, à mon avis, d’une sage décision.

Compte tenu de la jurisprudence de la Cour et de la Cour d’appel, chaque demanderesse de la famille Louis Vuitton a droit aux mêmes dommages‑intérêts compensatoires; la somme totale des dommages‑intérêts dus en raison des marchandises Louis Vuitton contrefaites est de 383 000 $ :

b) pour Celine :  (i) Pour 2015 : 1 cas x 8 500 $ = 8 500 $

  (ii) Pour 2017 : 2 cas x 8 500 $ = 17 000 $

  Total : 25 500 $

c) pour Dior :  (i) Pour 2015 : 1 cas x 8 500 $ = 8 500 $

  (ii) Pour 2017 : 5 cas x 8 500 $ = 42 500 $

  Total : 51 000 $

d) pour Givenchy :  Pour 2017 : 3 cas x 8 500 $ = Total de 25 500 $

Étant donné que l’allégation relative à l’importation alléguée de marchandises Dior contrefaites livrées à la résidence de Mme Wang pendant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller le 13 décembre 2017 n’a pas été prouvée à la satisfaction de la Cour, il y a quatre cas qui devraient être considérés pour 2017, au lieu de cinq. Par conséquent, les dommages subis par Dior sont ramenés à 34 000 $ (42 500 $ ‑ 8 500 $), ce qui donne un grand total de 42 500 $.

En ce qui concerne le niveau de la vente au détail, les demanderesses soutiennent qu’il doit être rajusté en fonction de l’inflation de la façon suivante (affidavit d’Amy Jobson, aux par. 28 à 37, dossier de requête des demanderesses, vol. 5) :

  • Pour 2009 :7 500 $

  • Pour 2010 :7 500 $

  • Pour 2011 :8 000 $

  • Pour 2012 :8 000 $

  • Pour 2013 :8 000 $

  • Pour 2014 :8 500 $

  • Pour 2015 :8 500 $

  • Pour 2016 :8 500 $

  • Pour 2017 :8 500 $

Ces chiffres n’ont pas été contestés par les défendeurs et ils seront utilisés aux fins des calculs requis.

[175]  Les défendeurs ont fait part de leurs observations lors de l’audience tenue pour discuter des dommages‑intérêts. Ils commencent par une dénégation générale quant au fait qu’ils sont coupables d’avoir violé les droits de propriété intellectuelle des demanderesses. Ce faisant, ils ne reconnaissent même pas la vente d’articles contrefaits et la saisie, le 13 décembre 2017, de marchandises contrefaites. Pour les motifs déjà énoncés, la complète dénégation ne peut avoir aucun poids et, contrairement à l’affirmation des défendeurs, les demanderesses se sont acquittées de leur fardeau de démontrer qu’elles avaient subi un préjudice découlant des contrefaçons.

[176]  Les défendeurs Wang et Yang affirment qu’ils n’ont été la cause d’aucune perte de ventes pour les demanderesses. Cependant, comme il a été reconnu à maintes reprises, dans le cas des produits de luxe, le problème n’est pas la perte de ventes. La différence de prix entre un produit authentique et une « imitation » est telle que l’achat d’un produit contrefait n’est pas une option de remplacement du produit authentique. La question est plutôt la diminution de la valeur de l’achalandage, qui doit être indemnisée.

[177]  Au cours des 20 dernières années, la Cour a indemnisé la diminution de la valeur de l’achalandage lorsque des marchandises contrefaites ont été vendues. Même depuis Oakley et Ragdoll, il a été conclu que le préjudice subi n’est pas tant des pertes de ventes, puisqu’il « est plus probable que l’achalandage du titulaire du droit de propriété intellectuelle subira un préjudice du fait de la présence de marchandises de qualité inférieure portant ses marques ou des éléments protégés par le droit d’auteur » (Oakley, par. 9). Compte tenu de la preuve présentée en l’espèce, qui prouve que les activités des défendeurs étaient d’une ampleur considérable, il ne fait aucun doute que la diminution de la valeur de l’achalandage doit être indemnisée.

[178]  L’affirmation des défendeurs, selon laquelle il n’y a aucune preuve directe de nature économique relative au préjudice, est également sans fondement. Dans Lam Chan Kee (2016 CAF 111), au paragraphe 17, la Cour d’appel fédérale déclare que « [l]a jurisprudence reconnaît l’adjudication de dommages‑intérêts symboliques dans des cas comme celui‑ci, lorsque les défendeurs ne coopèrent pas, lorsqu’il est difficile d’établir un montant précis et lorsqu’il est difficile d’évaluer le préjudice réel à l’achalandage du propriétaire de la marque de commerce en raison de la vente de produits contrefaits de qualité inférieure ».

[179]  La tentative des défendeurs d’écarter la preuve établissant les diverses contrefaçons était vaine. La preuve était accablante, y compris les éléments fournis par Christine Li Zhou, ainsi que l’utilisation du profil WeChat par les défendeurs. La dénégation de Mme Wang et de M. Yang met la crédulité à l’épreuve. Comme l’a déjà conclu la Cour, elle juge que la plupart des contrefaçons alléguées sont établies selon la prépondérance des probabilités.

[180]  Par conséquent, les défendeurs sont solidairement responsables des dommages‑intérêts suivants :

·  Demanderesses Louis Vuitton :  383 000 $

·  Demanderesse Celine :  25 000 $

·  Demanderesse Dior :  42 500 $

·  Demanderesse Givenchy :  25 500 $

La somme totale des dommages‑intérêts compensatoires est de 476 000 $ pour le préjudice causé par les défendeurs, qui sont dans le commerce de détail avec la fourniture de produits contrefaits à une échelle non négligeable. La Cour est d’avis qu’il s’agit d’un résultat équitable par rapport aux autres dommages‑intérêts accordés par le passé, compte tenu du dossier présenté et du niveau d’activités des défendeurs.

(3)  Les dommages punitifs et exemplaires

[181]  Les demanderesses font valoir que les défendeurs sont redevables de dommages‑intérêts punitifs. Je suis d’accord.

[182]  Les principes applicables à l’évaluation des dommages punitifs et exemplaires sont énoncés dans l’arrêt de principe Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 RCS 595 [Whiten]. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada s’est dite préoccupée par le « spectre de l’explosion des sommes accordées au titre des dommages‑intérêts punitifs en matière civile » (par. 1).

[183]  Après avoir procédé à une étude comparative des pays de common law, la Cour suprême a conclu que les dommages‑intérêts punitifs ont comme objectifs généraux le châtiment, la dissuasion de l’auteur de la faute et d’autrui ainsi que la dénonciation. En outre, les termes utilisés pour décrire la conduite qui doit être sanctionnée, comme « abusif », « oppressif » et « malveillante », fournissent peu d’indications, mais une approche fondée sur une formule est déconseillée. L’accent doit être mis sur la conduite répréhensible d’un défendeur. D’un autre côté, les principes directeurs exigent la modération et la proportionnalité. La Cour suprême renvoie spécifiquement (au paragraphe 100) aux remarques incidentes du juge Cory dans Hill c Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, au par. 197 :

197  Contrairement aux dommages‑intérêts compensatoires, les dommages‑intérêts punitifs ne sont pas généralisés. En conséquence, les tribunaux disposent d’une latitude et d’une discrétion beaucoup plus grandes en appel. Le contrôle en appel devrait consister à déterminer si les dommages‑intérêts punitifs servent un objectif rationnel. En d’autres termes, la mauvaise conduite du défendeur était‑elle si outrageante qu’il était rationnellement nécessaire d’accorder des dommages‑intérêts punitifs dans un but de dissuasion?

[Non souligné dans l’original.]

[184]  Whiten, au paragraphe 112, donne de meilleures indications que quelques adjectifs pour apprécier la gravité du caractère répréhensible :

112  Plus la conduite est répréhensible, plus les limites rationnelles de la somme susceptible d’être accordée seront élevées. Le besoin de dénoncer est encore plus criant lorsque, comme en l’espèce, la conduite s’est poursuivie pendant une longue période (deux ans jusqu’au procès) sans aucune justification rationnelle, et ce malgré le fait que la défenderesse était consciente des épreuves qu’elle infligeait (d’ailleurs, elle prévoyait que plus l’appelante souffrirait, plus elle règlerait à rabais en bout de ligne).

  De nombreux facteurs peuvent influer sur la gravité du caractère répréhensible. En voici quelques‑uns qui ont été mentionnés dans certaines décisions canadiennes publiées dans des recueils de jurisprudence :

(1)  Le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée […]

(2)  L’intention et la motivation du défendeur […]

(3)  Le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur […]

(4)  Le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler […]

(5)  Le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs […]

(6)  Le fait que le défendeur ait ou non tiré profit de sa conduite répréhensible […]

(7)  Le fait que le défendeur savait que sa conduite répréhensible portait atteinte à un intérêt auquel le demandeur attachait une grande valeur […]

[Italique dans l’original; précédents cités omis.]

[185]  Dans une affaire proche de celle en l’espèce (Lam Chan Kee, 2017 CAF 38), la Cour d’appel fédérale a noté les facteurs suivants, qui ont été utilisés pour établir le caractère répréhensible lorsque quatre cas de contrefaçon ont été évalués pour l’octroi de dommages‑intérêts compensatoires de 64 000 $ (4 cas de contrefaçon X 8 000 $ (vente au détail) X 2 demanderesses) :

[11]  Je relève, entre autres points, les conclusions du juge selon lesquelles les défenderesses étaient motivées par le profit; la vulnérabilité des demanderesses et l’érosion de la réputation de leurs marques découlant de la contrefaçon de celles‑ci; les efforts déployés par les défenderesses pour induire la Cour en erreur; le transfert frauduleux de la propriété de leur société qu’elles ont opéré après le dépôt de la déclaration afin d’éviter la responsabilité; le récidivisme des défenderesses, révélé par les ordonnances antérieures sur la même conduite; le fait qu’elles savaient que leurs activités étaient illicites; l’importance quantitative de la violation des droits; la continuation de la vente de produits contrefaits après le dépôt et la signification de la déclaration; le fait que les défenderesses n’aient produit aucune trace écrite de leur activité et la conclusion du juge selon laquelle la contrefaçon était continue et délibérée. Le juge a en outre situé sa décision sur les dommages‑intérêts punitifs dans le contexte de la jurisprudence applicable.

Cela a donné lieu à la confirmation, en appel, de dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $. Le montant demandé en l’espèce est le même.

[186]  Les demanderesses soulignent qu’un plus grand nombre de facteurs mènent à des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $, c’est‑à‑dire le niveau de dommages‑intérêts imposé dans Lam Chan Kee :

  • le caractère récidiviste du comportement;

  • la vente continue de produits contrefaits;

  • le volume des ventes;

  • la violation délibérée des droits liés à des marques de commerce et à des œuvres protégées par le droit d’auteur;

  • le comportement des défendeurs au cours de l’instance;

  • la conduite intentionnelle, à savoir masquer à maintes reprises la vente de produits contrefaits en gardant les produits hors de la vue des clients réguliers;

  • l’utilisation de « documents d’authenticité », qui sont eux‑mêmes des documents contrefaits, afin d’authentifier des produits contrefaits, ainsi que des boîtes et des étiquettes à l’appui de ventes que l’on savait être des ventes de produits contrefaits, mais destinés à avoir l’apparence de produits authentiques.

[187]  Pour leur part, les défendeurs continuent essentiellement de soutenir qu’ils n’ont pas participé à la vente de produits contrefaits, malgré la preuve accablante, y compris celle des enquêteurs qui n’ont même pas été contre‑interrogés et dont la preuve reste valable, et l’inventaire des produits contrefaits saisis le 13 décembre 2017. Ils affirment qu’ils ont cessé les activités de contrefaçon lorsqu’ils ont découvert que la conduite constituait des activités de contrefaçon. Cela est inexact. Ce n’est pas une amorce d’explication du comportement adopté dans les années qui ont suivi, jusqu’à ce qu’une ordonnance Anton Piller soit exécutée et qu’un grand nombre de produits contrefaits et d’articles violant les marques de commerce soient saisis. En effet, pendant l’exécution de l’ordonnance à l’endroit où se trouvait Mme Wang, cette dernière a expressément refusé de donner son téléphone cellulaire, qui n’a été remis que quelques jours plus tard, ce qui contrevenait clairement à l’ordonnance. Cela constitue à tout le moins la conscience de la culpabilité.

[188]  Contrairement à ce qui a été affirmé par les défendeurs, la preuve démontre un comportement persistant et récidiviste. À mon avis, la présente affaire reflète clairement la plupart des facteurs présentés dans Whiten; il en est largement de même pour ceux énoncés dans Lam Chan Kee, dans le contexte de la violation des droits liés à des marques de commerce.

[189]  Dans Yang, des dommages‑intérêts punitifs de 100 000 $ ont été accordés. Les dommages‑intérêts compensatoires concernaient six cas de contrefaçon pour lesquels Louis Vuitton Malletier S.A. et Louis Vuitton Canada Inc. se sont vu octroyer 43 500 $ chacune. Dans 486353 (Lee), des dommages‑intérêts punitifs ont été imposés contre trois défendeurs pour 100 000 $, et, contre le directeur de l’entreprise qui était le principal responsable de l’importation et de la distribution de marchandises Louis Vuitton contrefaites, il y a eu un octroi de 200 000 $. Dans Singga, des dommages‑intérêts punitifs de 200 000 $, de 250 000 $ et de 50 000 $ ont été accordés contre trois défendeurs. Dans Lam Chan Kee, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’octroi de dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $, bien que les dommages‑intérêts compensatoires accordés fussent relativement faibles. Comme l’a souligné la Cour d’appel (2017 CAF 38), la décision quant à savoir s’il y a lieu d’accorder des dommages punitifs et exemplaires est de nature hautement contextuelle.

[190]  En l’espèce, le contexte comprend le comportement récidiviste des défendeurs, auxquels a été signifiée une mise en demeure en 2009 et qui ont choisi de continuer à offrir en vente des marchandises contrefaites en 2009 et en 2010, puis de nouveau pendant la période de janvier 2015 à décembre 2017, ce qui témoigne d’un mépris continu à l’égard non seulement de la propriété des demanderesses, mais aussi de la loi. En outre, les défendeurs ont pris des libertés à l’égard de l’exactitude de leur preuve pour tenter de se soustraire à leur responsabilité. La conduite répréhensible était évidemment planifiée et délibérée, puisque les défendeurs ont pris des mesures pour éviter la détection, ce qui montre qu’ils étaient conscients que ce qu’ils faisaient était mauvais. Les défendeurs ont tiré profit de leur conduite répréhensible, et c’était ce qui les motivait.

[191]  La Cour doit mettre l’accent sur la conduite répréhensible, puisque les objectifs des dommages‑intérêts punitifs sont le châtiment, la dissuasion – non seulement des défendeurs en l’espèce, mais aussi d’autres personnes qui seraient tentées d’agir de la même façon – et la dénonciation. Le montant des dommages‑intérêts punitifs doit être considérable et proportionné aux sommes accordées dans des circonstances similaires.

[192]  Néanmoins, la gravité du caractère répréhensible qui justifiait les dommages punitifs de 250 000 $ imposés dans Lam Chan Kee peut être suffisamment inférieure en l’espèce pour évaluer les dommages punitifs à un niveau légèrement inférieur, en raison de la proportionnalité et de la modération. Premièrement, de nombreuses ordonnances et jugements avaient été rendus contre les défendeurs dans cette affaire (Lam Chan Kee, 2016 CF 987, par. 46 à 48). Deuxièmement, les défendeurs étaient déjà soumis à une injonction les empêchant de façon permanente de violer davantage les droits liés aux marques de commerce Chanel. En fait, les défendeurs contrevenaient aux ordonnances qui les visaient directement. Ils avaient déjà été cités devant les tribunaux, et ce, plus d’une fois. Troisièmement, les actifs commerciaux de la société défenderesse originale ont été vendus à une société à numéro après qu’un certain nombre d’instances judiciaires avaient été intentées contre les défendeurs. Cependant, M. Lam et Mme Lam ont continué d’exploiter leur entreprise commerciale après la création d’une nouvelle société. Dans cette affaire, la Cour a autorisé la substitution de la société défenderesse après le dépôt de l’action. Il n’y a pas eu ce type d’instance judiciaire antérieure ni de tromperies possibles en l’espèce. La gravité du caractère répréhensible est légèrement inférieure à celle observée dans Lam Chan Kee – une comparaison appropriée à mon avis. Les défendeurs sont donc condamnés, solidairement, à verser aux demanderesses des dommages punitifs et exemplaires de 250 000 $.

(4)  Les œuvres protégées par le droit d’auteur

[193]  La Loi sur le droit d’auteur prévoit un régime législatif pour l’octroi de dommages‑intérêts dans les cas de violation de la Loi. L’article 38.1 est ainsi rédigé :

Dommages‑intérêts préétablis

Statutory damages

38.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages‑intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), les dommages‑intérêts préétablis ci‑après pour les violations reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables :

38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally,

a) dans le cas des violations commises à des fins commerciales, pour toutes les violations – relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur –, des dommages‑intérêts dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence;

(a) in a sum of not less than $500 and not more than $20,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for each work or other subject‑matter, if the infringements are for commercial purposes; and

b) dans le cas des violations commises à des fins non commerciales, pour toutes les violations – relatives à toutes les œuvres données ou tous les autres objets donnés du droit d’auteur –, des dommages‑intérêts, d’au moins 100 $ et d’au plus 5 000 $, dont le montant est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence.

(b) in a sum of not less than $100 and not more than $5,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for all works or other subject‑matter, if the infringements are for non‑commercial purposes.

[194]  Jana Checa Chong a déclaré que Louis Vuitton détenait un droit d’auteur au Canada à l’égard [traduction« d’imprimés de monogrammes polychromes », sur fond blanc et sur fond noir. Ces imprimés sont reproduits à l’annexe B de l’affidavit de Me Checa Chong, qui se trouve à l’annexe G du présent jugement. Les deux imprimés de monogrammes polychromes constituent les œuvres artistiques utilisées dans plusieurs marques Louis Vuitton.

[195]  Seul le titulaire du droit d’auteur sur les œuvres protégées peut produire et reproduire la totalité ou une partie importante de ces œuvres (art. 3 de la Loi sur le droit d’auteur). Louis Vuitton n’en a jamais donné d’autorisation aux défendeurs. En fait, les défendeurs n’ont pas contesté la violation du droit d’auteur de la demanderesse sur les deux œuvres protégées, et se sont plutôt appuyés sur leur argument selon lequel ils n’avaient pas violé les droits liés aux marques de commerce – un argument que la Cour a déjà jugé n’avoir aucune apparence de vraisemblance.

[196]  Par conséquent, ils sont passibles de dommages‑intérêts pour la violation de la Loi sur le droit d’auteur. Louis Vuitton a choisi de solliciter des dommages‑intérêts préétablis, comme le permet l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur. Dans Singga, la Cour a imposé des dommages‑intérêts à l’échelon le plus élevé du barème préétabli. Cela est également approprié en l’espèce. Dans cette affaire, la Cour a fait remarquer que les facteurs pertinents à l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont la bonne ou la mauvaise foi des défendeurs, la conduite avant et pendant l’instance, et la nécessité de créer un effet dissuasif. Je souscris totalement à la justification exprimée par la Cour dans Singga, qui, à mon avis, s’applique, avec la même force, dans une affaire où il y a une preuve accablante de violations continues, pendant quelques années, de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur le droit d’auteur. Je fais miens, dans la présente affaire, les propos tenus par la Cour dans Singga :

[157]  Il y [sic] lieu de fixer les dommages‑intérêts au maximum du barème lorsque le comportement des défendeurs, avant l’instance aussi bien qu’au cours de celle‑ci, manifeste leur mépris de l’ordre public et démontre la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de nouvelles violations. Voir Microsoft Corporation c. 9038‑3746 Québec Inc., 2006 CF 1509, 57 C.P.R. (4th) 204, paragraphe 113; et Louis Vuitton Malletier S.A. c. Lin Pi‑Chu Yang, 2007 CF 1179, 62 C.P.R. (4th) 362, paragraphes 21 à 25.

[158]  Il est important de prendre en considération la nécessité de la dissuasion dans la fixation des dommages‑intérêts. La dissuasion se révèle nécessaire lorsque, comme dans la présente espèce, le défendeur fait fi des actes de la Cour en poursuivant les activités de contrefaçon qui lui sont reprochées. Voir Telewizja Polsat S.A. c. Radiopol Inc., 2006 CF 584, 52 C.P.R. (4th) 445, paragraphe 50; et Louis Vuitton Malletier S.A. c. Lin Pi‑Chu Yang, 2007 CF 1179, 62 C.P.R. (4th) 362, paragraphe 25.

[159]  Les défendeurs et chacun d’eux se sont livrés aux activités en question en connaissance de cause, de manière délibérée et avec une complète mauvaise foi. Ils ont manqué de respect envers les actes de notre Cour dans la présente instance, et les défendeurs Altec au moins persistent effrontément dans leurs activités de contrefaçon. Étant donné le caractère continu de leurs agissements, il est manifestement nécessaire d’exercer un effet de dissuasion sur les défendeurs, et ils ont prouvé par leur conduite qu’ils ne se soucient absolument pas de l’ordre public.

[160]  Chacun des groupes de défendeurs (c’est‑à‑dire les défendeurs Singga, les défendeurs Altec et Guo) a violé le droit d’auteur afférent à chacune des deux œuvres protégées. En conséquence, la Cour estime devoir fixer à 20 000 $ le montant des dommages‑intérêts préétablis pour chacune des violations du droit d’auteur de Louis Vuitton, de sorte que chaque groupe de défendeurs est redevable à celle‑ci d’un total de 40 000 $.

[197]  Je souligne que, il y a 12 ans, dans Yang, la Cour a accordé le montant maximal à l’égard de deux œuvres protégées par le droit d’auteur de Louis Vuitton (par. 26). Je ne vois aucune raison pour laquelle il serait accordé des dommages‑intérêts préétablis de moins de 20 000 $ par violation dans la présente affaire.

[198]  Les violations sont tout aussi flagrantes, et les défendeurs ont constamment agi de mauvaise foi. À mon avis, la demanderesse Louis Vuitton Malletier S.A. a droit à ces dommages‑intérêts en raison de la contrefaçon des deux œuvres protégées par le droit d’auteur. Par conséquent, elle se voit accorder des dommages‑intérêts de 40 000 $, dont les défendeurs sont solidairement responsables.

B.  Le jugement déclaratoire

[199]  Les demanderesses ne limitent pas la réparation sollicitée aux divers types de dommages‑intérêts. Elles ont également demandé un jugement déclaratoire confirmant la validité et la propriété de leurs marques de commerce, une injonction permanente interdisant aux trois défendeurs de poursuivre leurs activités de contrefaçon ainsi qu’une injonction exigeant des défendeurs qu’ils autorisent la destruction des produits contrefaits restants.

[200]  Les marques de commerce des demanderesses ont été enregistrées au Canada et leur propriété n’a fait l’objet d’aucune contestation. Ainsi, les demanderesses ont droit à un jugement déclaratoire portant que les marques de commerce reproduites aux annexes A (Louis Vuitton), B (Celine), C (Dior) et D (Givenchy) du présent jugement appartiennent aux demanderesses. Toutefois, la Cour n’est pas disposée à confirmer la validité de ces marques de commerce, étant donné que la question n’a pas été débattue. Cela ne permet nullement de penser que les marques de commerce sont invalides, seulement que la Cour n’est pas prête à se prononcer sur une question qui ne lui a pas été directement soumise et qu’il n’est pas nécessaire de trancher.

[201]  Les demanderesses demandent également un jugement déclaratoire, concernant deux œuvres protégées par le droit d’auteur de Louis Vuitton, qui porterait que les défendeurs ont violé ou sont réputés avoir violé le droit d’auteur. Les deux œuvres protégées par le droit d’auteur – un imprimé de monogrammes polychromes sur fond blanc et un imprimé de monogrammes polychromes sur fond noir – sont reproduites à l’annexe G du présent jugement. La Cour a déjà tranché la question des dommages‑intérêts préétablis par la Loi sur le droit d’auteur. Il y a eu violation, et les demanderesses ont droit au jugement déclaratoire sollicité.

[202]  Après qu’il a été conclu que les défendeurs avaient violé les droits liés aux marques de commerce des demanderesses, il ne peut être sérieusement prétendu que les demanderesses ne sont pas en droit d’obtenir une injonction permanente qui interdirait aux défendeurs en tant que tels, ainsi qu’à leurs travailleurs, mandataires et employés, de violer, directement ou indirectement, les droits liés aux marques de commerce Louis Vuitton, aux marques de commerce Celine, aux marques de commerce Dior et aux marques de commerce Givenchy.

[203]  Les demanderesses ont également droit à une ordonnance exigeant la remise et la destruction de tout produit contrefait restant.

[204]  En ce qui concerne les dépens, les demanderesses ont indiqué à l’audience que, si elles avaient gain de cause, elles demanderaient des dépens avocat‑client. Elles ont affirmé que la question des dépens devrait être réglée une fois qu’un jugement aurait été rendu à l’égard de la requête en procès sommaire. Je suis d’accord. Par conséquent, les parties auront la possibilité de donner leurs points de vue quant aux dépens appropriés au moyen d’observations écrites d’un maximum de huit pages, à signifier et à déposer selon l’échéancier suivant :

(1)  au plus tard le 15 novembre 2019, pour les quatre demanderesses;

(2)  au plus tard le 22 novembre 2019, pour les trois défendeurs.

La Cour peut ordonner une audience par téléconférence ou par vidéoconférence une fois les observations écrites reçues.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑1887‑17

LA COUR STATUE que :

  1. Entre les demanderesses et les défendeurs, la demanderesse Louis Vuitton Malletier S.A. (Louis Vuitton) est propriétaire au Canada des marques de commerce et des enregistrements de marque de commerce énumérés à l’annexe A ci‑jointe (les marques de commerce LOUIS VUITTON), et les défendeurs, collectivement et individuellement, ont violé les droits liés aux marques de commerce LOUIS VUITTON. La demanderesse Celine est propriétaire au Canada des marques de commerce et des enregistrements de marque de commerce énumérés à l’annexe B ci‑jointe (les marques de commerce CELINE), et les défendeurs, collectivement et individuellement, ont violé les droits liés aux marques de commerce CELINE. La demanderesse Christian Dior Couture, S.A. (Dior) est propriétaire au Canada des marques de commerce et des enregistrements de marque de commerce énumérés à l’annexe C ci‑jointe (les marques de commerce DIOR), et les défendeurs, collectivement et individuellement, ont violé les droits liés aux marques de commerce DIOR. La demanderesse Givenchy S.A. (Givenchy) est propriétaire au Canada des marques de commerce et des enregistrements de marque de commerce énumérés à l’annexe D ci‑jointe (les marques de commerce GIVENCHY), et les défendeurs, collectivement et individuellement, ont violé les droits liés aux marques de commerce GIVENCHY;

  2. Les défendeurs, collectivement et individuellement, ont employé les marques de commerce LOUIS VUITTON, les marques de commerce Celine, les marques de commerce Dior et les marques de commerce Givenchy d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces marques de commerce, en violation de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce;

  3. Les défendeurs, collectivement et individuellement, ont appelé l’attention du public sur leurs produits de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre leurs produits et les produits et les entreprises de Louis Vuitton, de Celine, de Dior et de Givenchy, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce;

  4. Les défendeurs, collectivement et individuellement, ont fait passer leurs produits pour ceux de Louis Vuitton, de Celine, de Dior et de Givenchy, en violation de l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce;

  5. Les défendeurs, collectivement et individuellement, ont employé, en liaison avec des accessoires de mode, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde leurs caractéristiques, leur qualité et/ou leur composition, en violation de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce;

  6. Les défendeurs, collectivement et individuellement, ont violé et sont réputés avoir violé le droit d’auteur de Louis Vuitton sur les œuvres artistiques reproduites à l’annexe G du présent jugement (les œuvres protégées par le droit d’auteur), en violation des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur;

  7. 7. Les défendeurs en tant que tels, ainsi qu’à leurs administrateurs, dirigeants, préposés, travailleurs, mandataires et employés, doivent s’abstenir de façon permanente, directement ou indirectement :

  • a) de violer davantage les droits liés aux marques de commerce LOUIS VUITTON, aux marques de commerce Celine, aux marques de commerce Dior et aux marques de commerce Givenchy;

  • b) d’employer les marques de commerce LOUIS VUITTON, les marques de commerce Celine, les marques de commerce Dior et les marques de commerce Givenchy, qu’il s’agisse d’un mot, d’une combinaison de mots ou d’un autre dessin susceptible de créer de la confusion avec les marques de commerce LOUIS VUITTON, les marques de commerce Celine, les marques de commerce Dior et les marques de commerce Givenchy, comme marque de commerce ou nom commercial, ou dans une marque de commerce ou un nom commercial, ou à toute autre fin;

  • c) d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce LOUIS VUITTON, aux marques de commerce Celine, aux marques de commerce Dior et aux marques de commerce Givenchy;

  • d) d’appeler l’attention du public sur les produits des défendeurs de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre les produits et l’entreprise des défendeurs, et ceux de Louis Vuitton, de Celine, de Dior et de Givenchy;

  • e) de faire passer les produits des défendeurs pour ceux de Louis Vuitton, de Celine, de Dior et de Givenchy;

  • f) de continuer à violer le droit d’auteur de Louis Vuitton sur les œuvres protégées;

  • g) d’employer, en liaison avec des accessoires de mode, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques, la qualité et/ou la composition de ces produits;

  • h) de donner des indications fausses ou trompeuses importantes au public aux fins de promouvoir directement ou indirectement la fourniture ou l’utilisation des produits des défendeurs, et leurs intérêts commerciaux;

  1. Dans les sept (7) jours de la date du présent jugement, les défendeurs doivent renoncer à tout droit, titre et intérêt sur tous les articles en leur possession, sous leur garde ou sous leur contrôle qui violent de quelque façon que ce soit le paragraphe 7 ci‑dessus, et les remettre, à leurs frais, sous la garde des demanderesses;

  2. Les défendeurs sont responsables solidairement, et doivent verser aux demanderesses Louis Vuitton Malletier S.A. et Louis Vuitton Canada, Inc. des dommages‑intérêts compensatoires de 383 000 $;

  3. Les défendeurs sont responsables solidairement, et doivent verser à la demanderesse Celine des dommages‑intérêts compensatoires de 25 500 $;

  4. Les défendeurs sont responsables solidairement, et doivent verser à la demanderesse Dior des dommages‑intérêts compensatoires de 42 500 $;

  5. Les défendeurs sont responsables solidairement, et doivent verser à la demanderesse Givenchy des dommages‑intérêts compensatoires de 25 500 $;

  6. Les défendeurs sont responsables solidairement, et doivent verser aux demanderesses des dommages punitifs et exemplaires de 225 000 $;

  7. Les défendeurs sont responsables solidairement, et doivent verser à la demanderesse Louis Vuitton S.A. 40 000 $ en raison des violations de la Loi sur le droit d’auteur;

  8. Les défendeurs doivent payer les dépens qui seront déterminés après la signification et le dépôt des observations écrites, limitées à huit pages pour les demanderesses (en tant que groupe) et les défendeurs (en tant que groupe) au plus tard :

  • le 15 novembre 2019, pour les quatre demanderesses;

  • le 22 novembre 2019, pour les défendeurs;

  1. Les défendeurs doivent payer aux demanderesses des intérêts après jugement sur tous les montants dus aux termes des présentes, au taux de 3 p. 100 par année, à compter de la date du présent jugement.

« Yvan Roy »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1887‑17

INTITULÉ :

LOUIS VUITTON MALLETIER S.A. ET AL c AUDREY WANG, ALIAS NINI WANG, ALIAS NI YANG, ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 29 et 30 janvier AINSI QUE le 22 février 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 5 novembre 2019

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS MODIFIÉS :

Le 15 novembre 2019

COMPARUTIONS :

Karen F. MacDonald

Mathew D. Brechtel

POUR LES DEMANDERESSES

Audrey Wang

POUR LA DÉFENDRESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Michael Yang

POUR LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

David Chen

Junki Hong

POUR LA DÉFENDRESSE

CANADA ROYAL IMPORT & EXPORT CO. LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDERESSES

D. Chen Law Corporation

Avocats

Richmond (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDRESSE

CANADA ROYAL IMPORT & EXPORT CO. LTD.


















































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