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Date : 20010619

Dossier : IMM-1114-01

Référence neutre : 2001 CFPI 676

ENTRE :

                                                LEACROFT ANTONIO LEWIS

                                                                                                                                        demandeur

                                                                         - et -

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                    ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Cette demande sollicitant la prorogation du délai de dépôt d'un affidavit de signification de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ainsi que la prorogation du délai de signification et de dépôt du dossier présente une situation étrange. D'une part, s'il ne lui est pas permis de poursuivre les procédures, le demandeur sera expulsé sans autre audience vers la Jamaïque, où il n'a pas de famille, pas d'ami et pas de possibilité d'emploi, ce qui l'empêchera d'avoir accès à ses enfants, à sa mère et à un frère ou une soeur à moins que ceux-ci puissent se rendre dans ce pays. D'autre part, le défendeur compte sur des motifs de droit importants et sur un fondement factuel approprié à l'appui de son opposition aux requêtes en prorogations.


Les faits

[2]                 La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en l'instance a été déposée le 6 mars 2001, le dossier du demandeur devait être déposé le 6 avril 2001 et la question en litige consistait en l'opinion du ministre selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration.

[3]                 L'affidavit déposé au nom du demandeur est bref et indique qu'on a laissé passé les dates de dépôt par inadvertance, mais il ne fournit aucune précision. Cet affidavit ajoute que, pour des raisons d'ordre humanitaire, le demandeur devrait avoir la possibilité de se faire entendre en appel. L'affidavit énonce ensuite deux raisons d'ordre humanitaire : premièrement, le demandeur [Traduction] « sera expulsé vers un pays où il n'a ni parents ni amis et où il sera vraisemblablement incapable de trouver du travail » ; deuxièmement, [Traduction] « il sera incapable de voir ses enfants, sa mère et un frère ou une soeur, à moins que ceux-ci puissent se rendre en Jamaïque » . Les prétentions écrites déposées au nom du demandeur ajoutent peu de choses, sauf que les dates de dépôt ont été [Traduction] « [...] manqué[es] par inadvertance en raison d'un manque de personnel et d'une lourde charge de travail » .

[4]                 L'affidavit déposé au nom du demandeur n'indique pas la date à laquelle la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire (également appelée la demande) a été signifiée au bureau du défendeur. Pour sa part, l'affidavit assermenté au nom du ministre par un technicien juridique qui assiste l'avocat du défendeur énonce ce qui suit :

[Traduction]J'ai examiné le dossier du bureau relatif à cette affaire et je n'ai trouvé aucun document indiquant que le défendeur ait reçu signification de la part du demandeur d'une copie certifiée de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Seule une photocopie de la demande a été fournie à ce bureau par le greffe de la Cour.


L'avocat du demandeur a eu tout le temps voulu pour rétablir les faits quant à la signification de la demande, mais il n'a déposé aucun document en réponse. À la lumière de la preuve non contredite du défendeur, il se peut fort bien que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ait été déposée, mais qu'elle n'ait jamais été signifiée, contrairement au paragraphe 82.1(3), qui prescrit la signification dans un délai de quinze jours après que le demandeur ait été informé de la décision, mais cela est une autre question. Le dépôt de la demande le 7 mars 2001 paraît avoir été fait à temps étant donné que la décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a été rendue le 19 janvier 2001. Pour les fins de la présente requête, la première période cruciale constitue le délai de 10 jours de la signification de la demande pour déposer la preuve de signification, conformément au paragraphe 7(2) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration. Deuxièmement, le demandeur doit signifier et déposer un dossier dans un délai de 30 jours du dépôt de la demande.

Analyse

[5]                 Le défendeur avance l'argument intéressant selon lequel la question de la prorogation du délai de dépôt d'un affidavit de signification est théorique puisque rien n'indique que la demande elle-même ait déjà été signifiée. Le défendeur ajoute qu'il ne doit exister aucun droit de déposer un dossier de demande avant que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ait été signifiée en bonne et due forme. Ces arguments sont peut-être justes, mais il se pourrait que le demandeur soit en mesure d'établir la signification par voie d'affidavit de signification. Dans l'état actuel de la requête, je dois déterminer s'il est dans l'intérêt de la justice que la prorogation de délai sollicitée soit accordée. Les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a lieu d'accorder une prorogation sont illimités. Conformément à l'arrêt Grewal c. M.E.I. [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), je dois avoir à l'esprit qu'il faut que je rende justice entre les parties et que cela est susceptible d'exiger la pondération de différents éléments, comme l'a exposé le juge Marceau à la page 282 de cet arrêt.


[6]                 Bien qu'un certain nombre de critères aient été examinés dans différentes décisions portant sur la prorogation de délai, le critère fondamental demeure celui qui a été énoncé dans l'arrêt Grewal, précité, et que le juge Strayer (plus tard juge à la Cour d'appel fédérale) a résumé dans Beilin c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1995) 88 F.T.R. 132, à la page 134, la question en litige dans cette affaire étant la prorogation du délai de dépôt d'un dossier :

Pour obtenir une prorogation de délai, un requérant doit notamment établir qu'il existe une justification pour le retard pendant toute la période du retard et qu'il existe une cause défendable (Voir par exemple Grewal c. M.E.I.[...]).

Dans l'arrêt Grewal, le juge Marceau s'exprime en termes un peu moins absolus, faisant référence, comme je l'ai mentionné, à une pondération des différents facteurs en jeu et reconnaissant qu'une preuve faible sur un point peut être contrebalancée par une preuve forte sur un autre point. On applique donc en pratique la mise en garde de la décision Beilin, selon laquelle il faut expliquer l'ensemble du retard (ce qui ne constitue pas un principe explicitement énoncé dans Grewal à mon avis), comme par exemple ce qu'a fait le juge Muldoon dans Suen c. Canada, une décision non publiée du 4 avril 1996 rendue dans le dossier IMM-937-96, lequel a fait remarquer au paragraphe 7 que la Cour fédérale était portée à refuser la prorogation du délai dans les cas de défaut sauf lorsqu'on rendait compte de l'ensemble du retard :

La procédure du contrôle judiciaire en matière d'immigration est une procédure sommaire à appliquer avec diligence conformément à une jurisprudence abondante. La Cour est réticente à accorder des prolongations de délais non respectés à moins qu'on rende compte précisément de chaque journée de retard.

En l'espèce, l'affidavit du demandeur indique que le délai de dépôt de l'affidavit de signification et du dossier [Traduction] « a été manqué par inadvertance » et l'avocat a ajouté dans ses prétentions écrites qu'on avait laissé passé les dates en raison d'un manque de personnel et d'une lourde charge de travail.


[7]                 J'éprouve une certaine sympathie relativement à l'argument de la lourde charge de travail, mais pour rendre justice, il faut aussi tenir compte du fait qu'en dépit de lourdes charges de travail, la grande majorité des avocats s'arrangent pour respecter les délais. En l'espèce, l'avocat du défendeur renvoie à un extrait bien connu de Chin c. M.E.I. (1994) 69 F.T.R. 77, aux pages 79 et 80 :

[7] Je pense que je devrais expliquer ma façon de traiter les requêtes visant à obtenir une prolongation de délai. Je prends tout d'abord pour hypothèse que les délais prescrits dans les règles doivent en principe être respectés. S'ils sont trop courts, il faudrait demander que les règles soient modifiées afin d'allonger ceux-ci. Je ne fais pas droit à une demande de prolongation de délai pour le simple motif qu'il s'agit de la première fois que l'avocat présente une telle demande ou que sa charge de travail est trop lourde. J'estime que ce genre de décision est injuste pour les avocats qui, pour respecter les délais prescrits, refusent des clients parce que leur charge de travail est trop lourde ou qui remuent ciel et terre pour respecter les délais et ce, à leur propre détriment. Comme je l'ai indiqué, j'estime que les délais prescrits dans les règles doivent en principe être respectés et sont censés s'appliquer à chacun, de la même manière. Si une prolongation devait être accordée automatiquement simplement parce qu'un avocat en fait la demande, les règles devraient le prévoir pour chaque personne qui le demande.

Dans cet extrait, madame le juge Reed souligne que l'octroi d'une prorogation en raison d'une lourde charge de travail est injuste tant pour les avocats qui refusent des clients que pour ceux qui remuent ciel et terre pour respecter les délais. Le juge Reed adopte ensuite une approche positive, expliquant dans quels cas elle accorde la prorogation d'un délai :

[8] Quels sont donc les motifs pour lesquels j'accorde une prolongation de délai. J'ai déjà indiqué que, en règle générale, je ne rends pas une décision favorable lorsque les demandes reposent uniquement sur la charge de travail de l'avocat. Lorsque je suis saisie d'une demande de prolongation de délai, je cherche un motif qui échappe au contrôle de l'avocat ou du requérant, par exemple, la maladie ou un autre événement inattendu ou imprévu.

En fait, un événement inattendu ou imprévu peut faire pencher la balance de manière à ce qu'il faille accorder une prorogation de délai pour rendre justice.


[8]                 En l'espèce, on invoque la lourde charge de travail comme excuse, excuse qui n'est pas acceptable, ainsi que, très brièvement, le « manque de personnel » : sans plus, la simple référence au manque de personnel ne suffit pas car elle ne cadre pas avec la notion d'événement inattendu ou imprévu se situant hors du contrôle du demandeur ou de son avocat. À cet égard, je fais référence à Brown c. Canada (1996) 128 F.T.R. 3 (C.F. 1re inst.). Dans Brown, le demandeur avait fait preuve d'un certain laxisme au cours des procédures et, pour cette raison, sa demande de prorogation de délai a été refusée même si le retard n'était que d'une journée. En l'espèce, il s'agit d'une demande de prorogation du délai de dépôt d'un dossier, délai qui prenait fin le 6 avril 2001, cette demande n'a été présentée qu'environ six semaines plus tard, soit le 22 mai 2001, le retard était essentiellement dû à un oubli et à une lourde charge de travail, et la seule excuse possible était, sans plus d'explications, le manque de personnel.

[9]                 L'affaire ne se limite pas à l'examen du retard puisque, comme il a été énoncé dans Grewal et Beilin, précité, il faut démontrer l'existence d'une cause défendable. Dans l'arrêt Grewal, précité, le juge en chef Thurlow a adopté, aux pages 271 et 272, l'opinion que le juge en chef Jackett avait exprimée dans l'arrêt Association des consommateurs du Canada c. Hydro Ontario [No 2] [1974] 1 C.F. 460 (C.A.F.), à la page 463, selon laquelle le critère permettant de déterminer s'il faut accorder la prorogation du délai comporte l'examen de la question de savoir si l'appel envisagé est défendable. Le juge Muldoon a résumé cette notion dans une décision ultérieure, Aguiar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996) 106 F.T.R. 304, à la page 306 :

[6] Par ailleurs, lorsque le dépôt est effectué dans les délais prévus par la loi, les chances de succès d'un requérant ne sont habituellement pas examinées en détail à l'étape de l'exercice de son droit de poursuite. Mais, comme le signale l'avocat du requérant en souscrivant à l'argument qu'il fait valoir, dans le cadre d'une demande de prorogation exceptionnelle au-delà du délai prescrit, l'un des facteurs prépondérants qui peut inciter la Cour à accorder cette prorogation consiste à déterminer [Traduction] « si la cause est bien fondée ou non, voir [jurisprudence citée] » .

[7] D'après le dossier dont la Cour est saisie, il n'y a tout simplement pas moyen de savoir en quoi consiste la cause du requérant, ni si elle est bien fondée.


Dans Aguiar, il était question d'une prorogation du délai dans lequel la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire devait être signifiée. Rien n'indiquait si la cause était défendable, à l'exception de la seule affirmation qu'il était erroné de qualifier M. Aguiar de danger pour le public canadien. Dans les documents déposés en l'espèce au nom du demandeur dans le cadre de la présente requête, le bien-fondé de l'affaire ne fait l'objet d'aucune mention si ce n'est du bref argument reposant sur la compassion, qui est susceptible d'attirer une certaine sympathie mais qui n'a aucun poids inhérent en ce qui a trait au bien-fondé de la cause du demandeur. On ne peut démontrer l'existence d'aucune cause défendable à présenter à la Cour.

Conclusion

[10]            Étant donné que rien ne justifie en droit le délai et que les documents déposés et cités par le demandeur dans le cadre de la présente requête ne font ressortir aucune cause défendable et aucun autre facteur pertinent, il n'est pas dans l'intérêt de la justice d'accorder une prorogation de délai. En l'espèce, je reconnais que le refus de proroger le délai peut fort bien causer un préjudice au demandeur. Toutefois, les prorogations ne sont pas accordées automatiquement et le demandeur doit démontrer qu'il y a droit en respectant au moins certains des critères d'obtention d'une prorogation énoncés dans la jurisprudence.

[11]            La requête en prorogation de délai est rejetée.

            « John A. Hargrave »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 19 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-1114-01

INTITULÉ :              Leacroft Antonio Lewis c. Le ministre

de la Citoyenneté et de l'Immigration

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : M. John A. Hargrave, Protonotaire.

EN DATE DU :         19 juin 2001

ONT COMPARU

Morris Lyons, c.r..

(par voie de prétentions écrites en vertu de la règle 369) Pour le demandeur

W. Brad Hardstaff

(par voie de prétentions écrites en vertu de la règle 369) Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lyons Albert & Cook                                           Pour le demandeur

Morris Rosenberg                                                 Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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