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     T-2455-96


OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 26 SEPTEMBRE 1997


EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel de la décision

     d'un juge de la citoyenneté,

     ET

     Benson Tang,

     appelant.

     O R D O N N A N C E

     Pour les raisons indiquées dans les motifs de mon ordonnance, l'appel est rejeté.

                             "Max M. Teitelbaum"

                                                    

                                  J U G E

Traduction certifiée conforme         

                             François Blais, LL.L.

     T-2455-96

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel de la décision

     d'un juge de la citoyenneté,

     ET

     Benson Tang,

     appelant.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

     Il s'agit d'un appel, par voie de procès de novo, interjeté par Benson Tang, d'une décision du juge de la citoyenneté Aline Napier en date du 6 septembre 1996. Le juge Napier a refusé la demande de citoyenneté déposée par M. Tang parce que, selon elle, il n'a pas été en mesure de satisfaire à la condition de résidence énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, aux termes duquel un requérant doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) dans les quatre ans précédant immédiatement sa demande de citoyenneté.

     Dans sa décision, le juge indique ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Je conclus que vous avez respecté toutes les conditions relatives à l'octroi de la citoyenneté énoncées dans Loi sur la citoyenneté, à l'exception de celle qui s'applique à la résidence. En vertu de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, un requérant doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) dans les quatre ans précédant immédiatement sa demande.                 
         D'après la preuve contenue dans votre dossier et qui a été déposée devant moi à l'audience, vous vous êtes absenté du Canada en tout 657 jours dans les quatre ans précédant votre demande de citoyenneté (le 2 août 1995). Au cours de cette période, vous n'avez été présent au Canada que 449 jours. Dans les circonstances, vous deviez me convaincre, pour satisfaire aux conditions relatives à la résidence, que vos absences du Canada (ou du moins une partie d'entre elles) pouvaient être considérées comme une période de résidence dans ce pays.                 
         Pour respecter les conditions de résidence, les précédents de la Cour fédérale exigent qu'une personne démontre qu'elle avait l'intention, prouvée par des faits, de centraliser son mode de vie au Canada. Si une telle preuve est établie, ses absences du Canada ne portent pas atteinte à sa période de résidence tant et aussi longtemps qu'il est démontré que cette personne a quitté le Canada à des fins temporaires uniquement et que le maintien de sa résidence au Canada est un fait réel et tangible. J'ai donc examiné soigneusement votre cas pour m'assurer que vous aviez établi votre résidence au Canada avant ces absences, de façon que celles-ci puissent néanmoins être considérées comme des périodes de résidence.                 
         À cet égard, vous vous êtes établi légalement au Canada le 21 juillet 1992, en compagnie de vos parents et de votre frère. Moins de deux mois après votre arrivée, soit le 11 septembre 1992, vous êtes retourné à Hong Kong pour terminer vos études de premier cycle. À l'été de 1995, vous avez obtenu votre baccalauréat en gestion touristique de l'École polytechnique de Hong Kong. Vous êtes actuellement inscrit à la maîtrise au programme de politique et de gestion touristiques à l'université de Birmingham au Royaume-Uni. Vous avez indiqué que vous subveniez financièrement à vos besoins étant donné que vous avez obtenu deux bourses d'études. Interrogé sur vos plans d'avenir, vous avez indiqué que vous souhaitiez vous inscrire au doctorat à la même université. Vous avez expliqué que vous souhaitiez étudier à la meilleure université et qu'aucun établissement canadien ne correspondait à vos normes. Bien que vous ayez déclaré que vous souhaitez revenir vivre au Canada avec votre famille, la preuve déposée indique plutôt le contraire.                 
         Après avoir examiné la preuve testimoniale et documentaire, je ne peux conclure que vous avez établi votre résidence au Canada en y centralisant votre mode de vie.                 
         Un examen global de votre situation m'amène à conclure que le Canada n'est pas le lieu où vous "avez votre mode de vie ordinaire" ou le lieu où "vous vivez régulièrement, normalement ou habituellement" (voir : Hay & King (T-1400-89)).                 

     Il est intéressant de noter qu'au cours de l'audience devant moi, le 24 septembre 1997, l'appelant a déclaré sous serment qu'à l'époque où il poursuivait ses études il comptait entièrement sur ses parents pour subvenir à ses besoins quotidiens et pour payer ses frais de scolarité alors que la décision du juge de la citoyenneté révèle que M. Tang a déclaré qu'il subvenait financièrement à ses besoins grâce à deux bourses d'études. Il est également intéressant de noter qu'ayant terminé ses études l'appelant travaille maintenant pour une compagnie aérienne dont le siège social est situé en Angleterre, mais au bureau de Hong Kong de cette compagnie aérienne où il habite dans un condominium (un appartement) appartenant à ses parents.

     Pour parvenir à sa conclusion de ne pas accorder la demande de citoyenneté de l'appelant, le juge de la citoyenneté a cité un certain nombre de décisions de la Cour fédérale en matière de citoyenneté. Je ne peux faire mieux que de reproduire ces extraits de la décision du juge de la Citoyenneté qui se trouvent aux pages 2 et 3 :

         [TRADUCTION]                 
         Ma conclusion est appuyée par les décisions suivantes de la Cour fédérale :                 
         In Re : Mitha (T-4832-78), dans laquelle le juge Cattanach indique ceci :                 
             "[...] pour savoir si les absences physiques du Canada s'expliquent pour des fins assez temporaires pour qu'elles n'interrompent pas la continuité de la résidence, il faut d'abord établir une "résidence", c'est-à-dire savoir dans quelle mesure la personne "s'établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances au lieu en question". Il faut toutefois distinguer la "résidence" au sens courant et le "concept de séjour ou de visite"."                 
         In Re : Pourghasemi (T-80-92), dans laquelle le juge Muldoon déclare ceci :                 
             "[...] ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire à l'étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n'existent qu'au Canada, nulle part ailleurs."                 
         Il ajoute aussi ceci :                 
             "Si le candidat (à la citoyenneté) ne peut trouver une école ou université à sa convenance au Canada, qu'il suive les études à l'étranger puis revienne au Canada pour satisfaire à la condition de résidence."                 
         In Re Ronaasen (T-708-82), le juge Mahoney déclare ceci :                 
             "Bien que, suivant la jurisprudence, il soit constant qu'une personne n'est pas tenue de rester physiquement au Canada pour y conserver une résidence, il est également constant que l'intention de revenir au Canada, si ferme soit-elle, ne suffit pas pour établir une résidence permanente. La personne doit en outre avoir entretenu des signes suffisants de résidence au Canada qui permettent de déduire dans les circonstances que la résidence a été conservée et non simplement que la personne avait l'intention de reprendre sa résidence canadienne."                 
         Les décisions Suet Ki Amy Lee (T-520-95) et Po Ju Chen (T-2435-94) appuient également ma conclusion.                 

     L'avocat de l'appelant fait valoir que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en citant des extraits de certaines causes de préférence à d'autres, c'est-à-dire celles que l'avocat a citées à mon attention.

     Selon moi, le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur en citant des extraits de certaines causes qui, à son avis, énonçaient des faits se rapprochant davantage de ceux de l'affaire dont elle était saisie. Il ne lui appartenait pas, dans sa décision, de faire la distinction avec des causes qui ne se rapportent guère ou pas du tout aux faits de la cause qu'elle devait entendre.

     Quoi qu'il en soit, l'avocat de M. Tang a soumis à mon attention six causes qui, selon lui, établissent clairement que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son interprétation de la résidence.

     Dans l'affaire Kenneth Kwok Ho Chung, T-1912-96, non publiée, en date du 28 mai 1997 (C.F. 1re inst.), les faits indiquaient que M. Chung s'était absenté du Canada pendant environ 842 jours dans les quatre ans ayant précédé sa demande de citoyenneté (il y en a 657 en l'espèce). M. Chung a donc été présent au Canada pendant environ 338 jours (444 jours pour M. Tang). M. Chung avait étudié à l'université de l'État d'Oregon pendant quatre ans et demi, période interrompue par un programme d'échange d'un an environ au Japon dans le cadre de ses études. La famille de M. Chung s'était établie au Canada le 31 juillet 1992.

     Comme dans le cas dont je suis saisi, moins de deux mois après s'être établi ici, M. Chung est retourné en Oregon où il étudiait depuis 1990. Il a obtenu son diplôme universitaire en mars 1995 et il est "immédiatement" revenu au Canada où il vit depuis, "à quelques petites exceptions près".

     Comme on peut le constater, ce cas est très différent de celui de M. Tang. Je pense que M. le juge Wetston a conclu que M. Chung avait centralisé "son mode de vie ordinaire au Canada avec sa famille" parce que, comme il ressort clairement de l'affaire, la famille de M. Chung se trouvait au Canada et celui-ci est revenu y vivre et y travailler une fois ses études terminées.

     La preuve dont je suis saisi indique que même si M. Tang a immigré au Canada avec son père, sa mère et son frère le 21 juillet 1992, seul son frère vit dans la maison de ses parents au Canada, la famille ayant toujours une maison à Hong Kong. Il convient de noter qu'aucun des parents n'est citoyen canadien. Je présume que cela pourrait fort bien être parce qu'ils ne peuvent eux-mêmes faire la preuve de leur résidence au Canada.

     Étant donné que l'appelant en l'espèce vit actuellement à Hong Kong où il travaille, qu'il n'est pas revenu au Canada après avoir terminé ses études, je trouve difficile de conclure qu'il a établi des liens avec le Canada.

     Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de formuler des observations sur d'autres cas de jurisprudence qui m'ont été soumis étant donné que chacun d'eux repose sur des faits qui lui sont particuliers.

     J'ai demandé à l'appelant la raison pour laquelle il voulait la citoyenneté canadienne puisque, en sa qualité d'immigrant reçu, il sait d'expérience qu'il peut quitter le Canada et y revenir quand il le désire tant et aussi longtemps qu'il a un permis de retour pour résident permanent. Il m'a répondu que c'était pour "sa tranquillité d'esprit".

     Bien que la "tranquillité d'esprit" soit une bonne raison de vouloir devenir Canadien, être Canadien doit certainement supposer plus que cela. Cela doit sûrement signifier que la personne veut participer à la vie canadienne, par exemple, voter, payer ses impôts, etc. Peut-être que si l'appelant avait passé plus de temps au Canada, il se serait rendu compte que le fait d'être Canadien comporte des droits et des obligations et qu'on ne peut vouloir être Canadien simplement pour sa "tranquillité d'esprit".

     Je ne doute pas que l'appelant, une personne très instruite, qui, de sa propre initiative, a pris des cours de français, ferait un excellent Canadien, mais avant de pouvoir le devenir, il doit à tout le moins se familiariser avec cette réalité.

     Dans les circonstances actuelles, je ne peux recommander que le ministre accorde à l'appelant sa citoyenneté canadienne.

     Je suis tout à fait d'accord avec la jurisprudence citée par le juge de la citoyenneté et que j'ai moi-même citée.

     L'appel est rejeté.

                                

                             "Max M. Teitelbaum"

                        

                                  J U G E

OTTAWA

le 26 septembre 1997

Traduction certifiée conforme         

                             François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-2455-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      LOI SUR LA CITOYENNETÉ C. BENSON TANG

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 24 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM

DATE :                  le 26 septembre 1997

ONT COMPARU :

Sheldon M. Robins                  POUR L'APPELANT

Peter K. Large                  AMICUS CURIAE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheldon M. Robins                  POUR L'APPELANT

Toronto (Ontario)

Peter K. Large                  AMICUS CURIAE

Toronto (Ontario)

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