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Date: 20191113


Dossier : IMM-1338-19

Référence: 2019 CF 1425

Montréal (Québec), le 13 novembre 2019

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

MILORGE MERCREDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Prononcés à l’audience à Montréal (Québec) le 13 novembre 2019

(La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence

ont été incorporés)

[1]  Le demandeur, Milorge Mercredi, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 11 février 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans sa décision, la SAR confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Le demandeur est citoyen d’Haïti. Dans sa demande d’asile, le demandeur allègue avoir été invité par le chef de la commune à se joindre au parti politique, le Tèt Kale en janvier 2013. Lorsqu’il refuse, le chef de la commune lui dit de quitter la région. Quelques mois plus tard, le demandeur est battu par trois (3) jeunes garçons à la demande du chef de la commune. Le demandeur porte plainte à la police sans que cette dernière n’y donne suite.  En juillet 2013, le chef de la commune lui demande à nouveau de se joindre au parti. Lorsque le demandeur refuse, il est menacé de mort. Puis, le 24 juillet 2013, le demandeur est battu de nouveau par des bandits. Il perd conscience et se retrouve avec une blessure au front. Il porte plainte à la police et quitte sa résidence pour aller vivre chez son oncle à Port-au-Prince. Il quitte Haïti le 6 septembre 2013 pour la République dominicaine et par la suite pour le Brésil où il y travaille pendant 3 ans, jusqu’au moment où il est victime de discrimination raciale. Au mois de décembre 2016, il se rend aux États-Unis, mais n’y présente pas de demande d’asile. En juillet 2017, il quitte les États-Unis pour le Canada en raison des nouvelles politiques d’immigration.

[3]  Le 28 mai 2018, la SPR rejette la demande d’asile. Elle conclut que le demandeur n’est pas crédible et qu’il n’a pas démontré que son présumé persécuteur aurait un intérêt quelconque envers lui advenant son retour en Haïti.

[4]  Le demandeur porte cette décision en appel devant la SAR. Celle-ci conclut que la SPR a erré relativement à la crédibilité du demandeur, étant d’avis que le demandeur n’avait pas bien compris une des questions posées par la SPR et que son explication relative à son défaut de demander l’asile aux États-Unis était raisonnable. Néanmoins, la SAR estime que le demandeur n’a pas démontré qu’il serait personnellement exposé à un risque prospectif advenant un retour en Haïti.

[5]  Elle conclut ainsi en s’appuyant sur les réponses fournies par le demandeur qu’il n’était pas au courant des activités du chef de la commune et qu’il ne pouvait confirmer s’il se trouvait toujours en Haïti. Elle souligne également que l’élection pour laquelle le chef de la commune faisait campagne en 2013 était terminée et que depuis 2017, un nouveau président avait été élu. De plus, selon le témoignage du demandeur, sa famille n’a eu aucun problème depuis son départ de Haïti et, lorsque le demandeur s’est réfugié chez son oncle à Port-au-Prince en août 2013, le chef de la commune ainsi que ses acolytes ne lui ont causé aucun problème, et ce, malgré le fait qu’ils connaissaient bien l’oncle du demandeur. Enfin, elle considère que le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve qu’il serait encore une personne d’intérêt pour son persécuteur présumé cinq (5) ans après les évènements.

[6]  Le demandeur soutient que la SAR lui a imposé un fardeau trop lourd en exigeant la preuve que son persécuteur n’est pas mort aujourd’hui. Il soutient également qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure qu’il n’encourait aucun risque de danger prospectif en s’appuyant sur le fait que le demandeur n’avait pas eu de problèmes lorsqu’il s’était réfugié chez son oncle.

[7]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35).

[8]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[9]  Par ailleurs, il importe de rappeler les directives de la Cour suprême du Canada selon lesquelles un contrôle judiciaire ne consiste pas en une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur. Au contraire, la décision doit être considérée comme un tout, dans son ensemble et dans le contexte du dossier (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65 au para 3; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14).

[10]  Après examen du dossier, la Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.

[11]  D’abord, la SAR n’exige pas que le demandeur produise une preuve que son persécuteur n’est pas mort aujourd’hui. La SAR conclut plutôt que le demandeur n’a pas démontré ni présenté d’élément de preuve qu’il serait encore, cinq (5) après les évènements, une personne d’intérêt pour son persécuteur. En aucun temps, elle n’exige que le demandeur démontre que son persécuteur soit toujours en vie pour appuyer sa demande d’asile. Le demandeur s’appuie erronément sur une question qui lui a été posée lors de son témoignage devant la SPR pour avancer son argument. Or, la transcription de son témoignage devant la SPR démontre plutôt que le membre de la SPR cherchait à établir pourquoi le demandeur craignait cette personne aujourd’hui pour évaluer le risque qu’il encourait s’il devait retourner en Haïti. La Cour estime qu’il était loisible pour la SAR de constater, à même le témoignage du demandeur, qu’il n’était pas au courant des activités de son persécuteur aujourd’hui et qu’il ne pouvait confirmer s’il se trouvait encore en Haïti.  Le demandeur avait le fardeau de démontrer une menace prospective. Or, la SAR pouvait raisonnablement conclure, à la lumière du dossier qu’il y avait absence de preuve que le demandeur serait toujours une personne d’intérêt pour son persécuteur.

[12]  La Cour estime également mal fondé l’argument du demandeur selon lequel il était déraisonnable pour la SAR de s’appuyer sur le fait qu’il n’avait pas eu de problèmes avec son persécuteur lorsqu’il s’était caché chez son oncle au mois d’août 2013.  Lors de son témoignage, le demandeur affirme avoir eu aucun problème lorsqu’il s’est réfugié chez son oncle. Il affirme ensuite que s’il retourne en Haïti, son persécuteur et ses acolytes vont savoir qu’il est de retour puisqu’ils connaissent bien son oncle. Le demandeur n’explique pas en quoi cette connaissance lui occasionnerait des problèmes cinq (5) ans plus tard alors que ce n’était pas le cas en 2013.  Le demandeur a également affirmé lors de son témoignage que sa famille n’avait eu aucun problème avec le persécuteur du demandeur. À la lumière de cette preuve, la SAR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas établi un risque prospectif s’il retournait en Haïti.

[13]  Après examen de l’ensemble du dossier, le demandeur n’a pas convaincu la Cour que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables à la lumière du dossier. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable au demandeur (Khosa au para 59).

[14]  En conclusion, la Cour est d’avis que la décision de la SAR est raisonnable puisqu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[15]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-1338-19

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1338-19

INTITULÉ :

MILORGE MERCREDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Claude Whalen

Pour le demandeur

 

Michèle Plamondon

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claude Whalen

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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