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Date : 20191120


Dossier : IMM-897-19

Référence : 2019 CF 1478

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

TANG LILI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II.  Faits

[2]  La demanderesse est résidente permanente de Hong Kong. Elle affirme qu’elle ne peut retourner à Hong Kong parce que des usuriers la tueront si elle ne paie pas une somme d’argent qu’elle leur doit, selon eux. La demanderesse affirme qu’en réalité, c’est son ancien petit ami qui doit l’argent.

[3]  La SPR a résumé comme suit les allégations de la demanderesse :

[traduction]

[4]  La demandeure d’asile allègue qu’elle a commencé à fréquenter son ancien petit ami en décembre 2010, à Hong Kong. En avril 2011, ils ont commencé à vivre ensemble. Elle s’est vite rendu compte que son petit ami avait une dépendance au jeu et qu’il devait de l’argent à des usuriers. La demandeure d’asile, qui travaillait, a initialement remboursé les dettes de son petit ami. Cependant, à son insu, son petit ami a continué de jouer. En novembre 2011, il lui a dit qu’il quittait la ville pour une semaine. Après son départ, des étrangers se sont présentés chez elle et lui ont demandé de rembourser une somme d’argent qui leur était due. Elle a tenté de joindre son petit ami, mais son téléphone n’était plus en service. Elle a également demandé à des amis de le contacter, mais en vain. Les usuriers ont commencé à venir chez elle tous les jours. On lui a montré un reçu avec le montant emprunté. On y avait apposé sa signature falsifiée. Les usuriers ont menacé de mettre le feu à sa maison et de la tuer. Elle s’est adressée à la police, mais les policiers lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas l’aider à moins que les usuriers ne lui fassent du mal.

[4]  En mai 2012, la demanderesse est partie de Hong Kong en avion pour se rendre au Canada à titre de visiteuse. Elle est d’abord restée à Toronto, puis s’est rendue à Saskatoon, où elle a travaillé illégalement jusqu’à son arrestation par des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] le 27 octobre 2012. La demanderesse a demandé l’asile le 6 décembre 2012. L’audience a eu lieu en janvier 2019, et la demande a été rejetée.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse dans une décision datée du 17 janvier 2019 [la décision]. Les questions déterminantes portaient notamment sur la crédibilité, la possibilité de refuge intérieur [PRI] et l’absence de lien avec un motif prévu par la Convention.

[6]  En ce qui concerne les questions déterminantes, la SPR a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[12]  Bien que le témoignage de la demandeure d’asile corresponde à l’exposé circonstancié figurant dans son FRP, cet exposé circonstancié est bref. On lui a demandé de donner des précisions sur les événements entourant ses allégations. On lui a posé des questions sur ses contacts avec les usuriers, et on lui a demandé pourquoi elle était restée chez elle alors qu’elle craignait les usuriers, pourquoi elle n’avait pas dit à la police au départ qu’ils étaient des usuriers et pourquoi elle avait attendu si longtemps avant de quitter Hong Kong. Elle n’a pas été en mesure de donner des réponses plausibles à ces questions. Elle a déclaré qu’elle était restée chez elle parce qu’elle attendait le retour de son petit ami, malgré le danger qu’elle courait. Elle a également déclaré qu’elle avait honte de dire aux policiers la véritable raison pour laquelle elle les avait appelés parce que sa signature, bien qu’elle était falsifiée, figurait sur le reçu de l’argent dû et que, pour cette raison, elle ne leur avait parlé des usuriers que plus tard. De plus, elle avait trop honte pour retourner auprès de sa famille dans la province de Sichuan, parce que le fait de devoir de l’argent à des usuriers est mal vu. J’estime que la demandeure d’asile n’est pas crédible. Je n’accepte pas son témoignage selon lequel les policiers ont refusé de prendre toute mesure, malgré le fait qu’elle leur avait finalement dit qu’elle était menacée et que sa signature avait été falsifiée, d’autant plus qu’ils se sont présentés à son appartement à quatre reprises. Si les policiers prenaient le temps de se présenter chaque fois qu’elle communiquait avec eux, il est raisonnable de croire qu’ils prenaient l’affaire au sérieux.

[13]  De plus, j’estime que la raison pour laquelle la demandeure d’asile n’a pas quitté son domicile est invraisemblable. Elle a déclaré que les usuriers s’étaient présentés à son appartement à plusieurs reprises et qu’à chaque fois, ils l’avaient menacée. Or, elle a choisi d’y rester au cas où son petit ami reviendrait. Cela a duré environ cinq mois. Je souligne également qu’au cours de cette période, les usuriers n’ont pas donné suite à leurs menaces. Je ne sous‑estime pas la crainte que des menaces puissent causer à une personne. Toutefois, compte tenu du temps qui s’est écoulé, de l’inaction des usuriers et du fait que la demandeure d’asile n’a fait aucune tentative pour cacher ses allées et venues, il est raisonnable de présumer qu’elle pensait pouvoir rester chez elle sans danger. À mon sens, tout cela a des conséquences sur la crédibilité de son témoignage selon lequel elle avait trop peur pour retourner à Hong Kong. Je souligne également que six années se sont écoulées depuis les incidents allégués. La demandeure d’asile n’a eu aucun contact avec son petit ami, mais elle présume que la dette est toujours valide et qu’elle serait toujours en danger.

[14]  La demandeure d’asile est arrivée au Canada en mai 2012. Elle n’a demandé l’asile qu’en octobre 2012, après que des agents d’immigration canadiens ont découvert qu’elle travaillait illégalement. Bien qu’un retard à demander l’asile ne porte pas nécessairement un coup fatal à la demande, lorsque j’examine cette demande conjointement avec les éléments de preuve susmentionnés, je conclus que le moment où la demande d’asile a été présentée nuit davantage à la crédibilité de la demandeure d’asile. Après avoir examiné le témoignage de la demandeure d’asile, je conclus qu’elle manque de crédibilité et qu’il n’existe aucun élément de preuve indépendant et crédible permettant de relier la demandeure d’asile à une persécution ou à un risque de préjudice.

La protection de l’État

[15]  Même si j’avais conclu que la demandeure d’asile était crédible relativement à la dette envers les usuriers et à l’absence d’aide de la part des policiers de Hong Kong, la documentation sur le pays qu’elle a présentée donne à penser que, bien que des usuriers exercent leurs activités à Hong Kong, la police prend au sérieux la menace qu’ils représentent pour les personnes qui leur doivent de l’argent [10]. Pour cette raison, je conclus que la demandeure d’asile peut se réclamer de la protection de l’État.

[...]

[17]  De plus, le risque auquel est exposée la demandeure d’asile est le même que celui auquel sont généralement exposées d’autres personnes qui sont endettées envers des usuriers. Je conclus qu’il n’y a pas de lien avec un motif prévu par la Convention.

[7]  De plus, la SPR a affirmé que, même si elle avait jugé la demanderesse crédible, il existait une PRI ailleurs en Chine, à plus de mille kilomètres de Hong Kong, où elle a des liens. La SPR a souligné que, même si elle convenait que les usuriers savaient de quelle région la demanderesse était originaire, rien n’indiquait qu’ils connaissaient l’endroit même où habitait sa famille dans une province aussi grande.

IV.  Questions en litige

[8]  La seule question à trancher est celle de savoir si la décision est raisonnable.

V.  Norme de contrôle

[9]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions de la SPR fondées sur les faits : Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 828, le juge Boswell, par. 8-9; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1273, le juge LeBlanc, par. 13, 21-22.

[10]  Il est bien établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable commande la déférence, de sorte qu’il faut faire preuve de déférence envers la SPR : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 828, le juge Boswell, par. 9; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1273, le juge LeBlanc, par. 13, 21‑22; Sater c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 60, le juge de Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel, par. 3; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, par. 13, le juge Teitelbaum.

[11]  Il appartient donc à la SPR, et non à une cour de révision, d’apprécier et de soupeser la preuve dont elle dispose. Cette tâche fait partie du mandat principal de la SPR. Le contrôle judiciaire ne se veut pas une substitution par un juge de révision de l’évaluation de la preuve par la SPR; le contrôle judiciaire permet de juger du caractère raisonnable, comme le définit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir.

[12]  Au paragraphe 55 de l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, de la Cour suprême du Canada, le juge Gascon, s’exprimant au nom de la majorité, explique ce que doit faire une cour chargée d’examiner une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[55]  Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles-ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle-même retenue.

[13]  La Cour suprême du Canada précise également que le contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; il faut le considérer comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

VI.  Analyse

[14]  La demanderesse soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle sa demande manquait de crédibilité parce que ses allégations étaient invraisemblables était déraisonnable.

[15]  La demanderesse fait remarquer que les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents. Elle s’appuie sur la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, rendue par le juge Muldoon, au paragraphe 7 [Valtchev] :

[7]  Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[Non souligné dans l’original.]

[16]  Une allégation peut être jugée invraisemblable si elle est dénuée de sens à la lumière de la preuve dont disposait la Commission ou si elle déborde le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre. Autrement, la conclusion d’invraisemblance n’est rien de plus qu’une hypothèse non fondée. La demanderesse s’appuie sur la décision Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, rendue par la juge Gleason, maintenant juge à la Cour d’appel, au paragraphe 11 [Zacarias] :

[11]  Ainsi, la Commission peut conclure qu’une affirmation est invraisemblable si cette affirmation est dénuée de sens à la lumière de la preuve déposée ou si (pour emprunter la formule utilisée par le juge Muldoon dans la décision Valtchev) « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ». De plus, la Cour a déjà statué que la Commission doit invoquer « des éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance des témoignages des demandeurs pourraient être appréciés » [sic], sinon la conclusion au sujet de l’invraisemblance pourrait n’être que « de la spéculation non fondée » (voir la décision Gjelaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37, [2010] ACF no 31, au paragraphe 4; voir également la décision Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694, [2012] ACF no 885 (la décision Cao), au paragraphe 20).

[17]  La SPR a conclu que la raison pour laquelle la demanderesse n’a pas quitté son domicile alors que les usuriers sont revenus à plusieurs reprises était invraisemblable. De plus, la SPR a conclu que le fait que la demanderesse n’avait pas quitté son domicile pendant plusieurs mois démontrait qu’elle se sentait en sécurité chez elle, ce qui a miné davantage la crédibilité de sa déclaration selon laquelle elle avait trop peur pour retourner à Hong Kong. La demanderesse soutient que cette conclusion était déraisonnable, car la SPR n’a pas tenu compte du fait que les personnes peuvent réagir différemment face à la crise et au danger. Elle soutient également que le fait qu’elle n’a pas pris de mesures pour répondre à la crise n’indique pas qu’elle a menti.

[18]  La demanderesse soutient qu’elle a agi comme l’aurait fait une personne ordinaire faisant preuve de prudence raisonnable, car il est peu probable qu’une telle personne se serait enfuie après une première menace. Selon elle, il est beaucoup plus probable qu’une telle personne se serait enfuie une fois que les menaces se seraient accumulées et intensifiées sur une plus longue période.

[19]  La demanderesse soutient également que la SPR s’est perdue en conjectures en affirmant que si les policiers étaient disposés à se rendre à son appartement à quatre reprises, ils auraient dû être disposés à prendre des mesures pour la protéger des menaces. De plus, la demanderesse ne sait pas exactement sur quel renseignement des rapports qu’elle a présentés la SPR s’est fondée pour conclure que la police de Hong Kong prend au sérieux les affaires d’usuriers.

[20]  La demanderesse soutient en outre que la conclusion de la SPR concernant la PRI a été faussée par sa conclusion relative à la crédibilité et que la SPR aurait pu parvenir à une autre conclusion si elle n’avait pas conclu au manque de crédibilité.

[21]  La demanderesse ne présente pas d’observations sur l’autre question déterminante, à savoir l’absence de lien avec un motif prévu par la Convention.

[22]  En revanche, le défendeur soutient que les conclusions de la SPR sont justifiées, transparentes et intelligibles et que la demanderesse n’a soulevé aucune erreur susceptible de contrôle.

[23]  Premièrement, le défendeur soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse dispose d’une PRI viable située à une grande distance de Hong Kong était déterminante quant à la demande d’asile de la demanderesse. Je suis d’accord et, en fait, les parties s’entendent sur ce point. Comme l’a déclaré le juge Boswell dans la décision Siliya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 120, au paragraphe 25 :

[25]  Je rejette l’argument des demandeurs selon lequel la SAR a commis une erreur en concluant que l’existence d’une PRI était décisive sans apprécier leurs arguments selon lesquels la SPR avait mal qualifié la nature du risque. La décision de la SAR ne devrait pas être modifiée parce que les demandeurs n’ont jamais contesté la conclusion décisive de la SPR quant à la PRI et, par conséquent, rien ne permettait à la SAR d’intervenir. La norme selon laquelle la SAR a examiné la conclusion quant à la PRI n’est donc pas pertinente; par contre, même si la SAR a appliqué une norme erronée, cela ne change rien à sa conclusion :

[35]  La question de la possibilité de refuge intérieur fait partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention et de celle de personne à protéger. Comme les appelants ont des possibilités de refuge intérieur dans leur propre pays, ils n’ont pas besoin de la protection auxiliaire du Canada.

[24]  Subsidiairement, le défendeur allègue que, même si la question de la PRI n’était pas déterminante, la demanderesse n’a soulevé aucune erreur susceptible de contrôle dans les autres conclusions de la SPR.

[25]  Le défendeur soutient que la conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR au sujet du défaut de la demanderesse de quitter son domicile était raisonnable. Je suis d’accord. La demanderesse a affirmé qu’elle ne pouvait retourner à Hong Kong parce qu’elle serait exposée aux menaces des usuriers, mais a admis être demeurée dans le même appartement pendant cinq mois alors que les usuriers l’avaient menacé à maintes reprises. À mon humble avis, la SPR a raisonnablement conclu à l’invraisemblance de cette allégation; à mon sens, il est raisonnable de dire que si la demanderesse croyait avoir besoin d’une protection internationale contre les usuriers, elle aurait pris un minimum de mesures, comme trouver un autre appartement ou quitter la ville, avant de s’enfuir au Canada.

[26]  J’ai également examiné la conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR au sujet de l’allégation de la demanderesse selon laquelle la police ne la protégerait pas contre les usuriers. À mon avis, cette conclusion appartient aux issues acceptables pouvant se justifier, c’est‑à‑dire qu’elle est raisonnable. Je conviens que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour expliquer pourquoi les policiers ne l’auraient pas aidée alors qu’ils se sont présentés chez elle à au moins quatre reprises, c’est‑à‑dire chaque fois qu’elle s’est plainte. De plus, la demanderesse a déposé des éléments de preuve sur la situation dans le pays qui démontrent que la police prend au sérieux les prêts usuraires; bien que la demanderesse affirme que ces éléments de preuve ne s’appliquent qu’aux prêts usuraires dont les travailleurs étrangers sont victimes, il n’y a aucune analyse ou restriction de ce genre dans cette partie de la preuve versée au dossier.

[27]  En l’espèce, comme en ont convenu les deux parties, la crédibilité est la question centrale. Il convient donc d’énoncer le droit à cet égard, que j’ai récemment résumé dans la décision Khakimov c Canada, 2017 CF 18, aux paragraphes 23 et 24. Les conclusions de la SPR sur la crédibilité sont évidemment un élément clé des audiences qu’elle a tenues. La Cour d’appel fédérale a clairement statué que les conclusions de fait et les conclusions sur la crédibilité constituaient l’essentiel de l’expertise de la SPR :

[23]  [...] Pour commencer, la SPR a un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de retenir certains éléments de preuve plutôt que d’autres, et de déterminer le poids à accorder à ceux qu’elle retient : Medarovik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 61, au paragraphe 16; Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867, au paragraphe 68. La Cour d’appel fédérale a statué que les conclusions de fait et les conclusions sur la crédibilité constituaient l’essentiel de l’expertise de la SPR : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238 (CAF). La SPR est reconnue en tant que tribunal spécialisé à l’égard des revendications du statut de réfugié et elle est statutairement autorisée à appliquer sa spécialisation : Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 805, au paragraphe 10. Et dans l’arrêt Siad c Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 CF 608, au paragraphe 24 (CAF), la Cour d’appel fédérale a indiqué que la SPR :

[...] se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve.

[24]  La SPR peut tirer des conclusions sur la crédibilité fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, mais elle ne doit pas tirer de conclusions défavorables après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur : Haramichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1197, au paragraphe 15, citant Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 10 et 11 [Lubana]; Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444. La SPR peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci « ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l’affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve » : Lubana, précitée, au paragraphe 10. La SPR peut également conclure à bon droit que le demandeur n’est pas crédible « à cause d’invraisemblances contenues dans la preuve qu’il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés “en termes clairs et explicites” » : Lubana, précitée, au paragraphe 9.

[Non souligné dans l’original.]

[28]  En toute déférence, la contestation par la demanderesse des conclusions de la SPR en matière de crédibilité ne surpasse pas la retenue à laquelle elles ont droit en l’espèce.

[29]  À l’audience, la demanderesse a déclaré qu’elle savait dès la première fois que les usuriers se sont adressés à elle en novembre 2011 qu’elle ne serait pas en mesure de payer la somme due et qu’elle avait compris que, si elle ne payait pas dans un délai de quelques jours, la somme doublerait. La SPR a eu raison de douter de l’explication de la demanderesse quant à savoir pourquoi elle a attendu cinq mois, soit jusqu’en avril 2012, pour quitter son domicile. Cette explication est invraisemblable à mon avis. En fait, la demanderesse prie la Cour d’accepter son témoignage et de le préférer aux conclusions de la SPR. Toutefois, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve. Sa demande à cet égard ne peut être accueillie.

[30]  Je conviens également que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour expliquer pourquoi les policiers ne l’auraient pas aidée alors qu’ils ont répondu quatre fois aux menaces dont elle aurait été victime à son domicile. À mon avis, le raisonnement de la demanderesse n’est pas logique compte tenu de la preuve selon laquelle la police prend au sérieux les prêts usuraires. À mon avis, son affirmation « [déborde] le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre », comme il est indiqué dans les décisions Valtchev, au paragraphe 7, et Zacarias, au paragraphe 11.

[31]  La conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité a permis de trancher la demande d’asile de la demanderesse. Il est bien établi que, lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 2 et 3 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, rendu par les juges Desjardins, Nadon et Blais :

[2]  Le juge a aussi certifié une question, en l’occurrence : Lorsqu’il existe une preuve objective pertinente susceptible d’étayer une demande de protection et que la Section de la protection des réfugiés estime que la preuve subjective présentée par le demandeur n’est pas crédible, sauf en ce qui concerne l’identité, la Section de la protection des réfugiés doit‑elle apprécier cette preuve objective au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[3] À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Par conséquent, je suis d’avis que la SPR a agi raisonnablement en concluant qu’il existait une PRI viable dans une autre province. Comme je l’ai déjà mentionné, la conclusion concernant une PRI est également déterminante. Deux volets du critère de la PRI doivent être examinés : (1) le risque de persécution, et (2) le caractère raisonnable de l’établissement du demandeur à l’endroit où une PRI a été établie : Hamdan c Canada (Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté), 2017 CF 643, le juge en chef Crampton :

[10]  Le critère de possibilité de refuge intérieur comporte deux volets.

[11] Premièrement, dans le contexte de l’article 96 de la LIPR, la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution pour le demandeur dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, au paragraphe 593 (FCA) [Thirunavukkarasu]). Selon le critère correspondant dans le contexte de l’article 97, la SPR doit être convaincue que le demandeur ne sera pas exposé à un danger décrit à l’alinéa 97(1)a) ou à un risque décrit à l’alinéa 97(1)b).

 [12] Deuxièmement, aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR, la SPR doit établir qu’en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, les conditions dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur font en sorte qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur d’y trouver refuge avant de chercher refuge au Canada (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 597). À cet égard, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable, la barre est [traduction] « très haute » et « nécessite rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur s’il devait voyager ou se relocaliser temporairement » dans la région où il existe une possibilité de refuge intérieur (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, au paragraphe 15 (CAF) [Ranganathan]). Autrement dit, il faudrait démontrer que le demandeur « s’exposerait à un grand danger physique ou […] subirait des épreuves indues pour se rendre » à la possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 598) pour déterminer objectivement un caractère déraisonnable en l’espèce. En outre, le demandeur doit présenter « une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » pour que sa demande d’asile au Canada soit acceptée (Ranganathan, précité, au paragraphe 15).

[33]  L’analyse de la PRI en l’espèce n’est pas longue. La SPR ne traite pas de la PRI de la manière structurée proposée par la jurisprudence. Toutefois, elle a identifié un endroit où il existe une PRI, et elle l’a fait en se fondant sur le dossier dont elle disposait. Cette PRI a été soulevée auprès de la demanderesse à l’audience et celle‑ci a été interrogée sur cette question. Son avocat a également abordé la question de la PRI à la fin de l’audience devant la SPR.

[34]  La demanderesse doute que la deuxième partie de l’analyse ait été examinée. Avec égards, je ne suis pas de cet avis. Là encore, la demanderesse prie la Cour de soupeser et d’apprécier à nouveau sa propre preuve. Elle demande à la Cour d’accepter comme véridique et suffisante son explication de la raison pour laquelle elle ne veut pas se rendre à l’endroit où il y a PRI. Si l’on se souvient bien, elle ne veut pas s’y rendre parce que ses parents désapprouveraient ses liens avec les usuriers et que ces derniers seraient en mesure de la retrouver. Il semble raisonnable et fondé de considérer peu probable que des usuriers essaieraient de retrouver la demanderesse ou seraient en mesure de le faire compte tenu des sept années qui se sont écoulées depuis les incidents et puisque la demanderesse a déclaré qu’à sa connaissance, les usuriers n’étaient pas partis à sa recherche à cet endroit. Là encore, je ne puis apprécier à nouveau la preuve pour tenir compte des observations de la demanderesse.

[35]  La SPR s’est penchée sur le caractère raisonnable de l’établissement de la demanderesse à l’endroit où il existe une PRI en affirmant qu’il n’y avait aucun obstacle à cet égard. À mon humble avis, il était loisible au tribunal de conclure que le témoignage de la demanderesse était mensonger étant donné qu’il a conclu qu’elle n’était pas crédible. Avec égards, il était également loisible à la SPR de conclure que l’explication de la demanderesse était insuffisante pour lui permettre de s’acquitter de son obligation de réfuter, à tout le moins au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, l’existence d’une PRI viable.

VII.  Conclusion

[36]  À mon avis, il était loisible à la SPR de tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue en matière de crédibilité, y compris ses conclusions d’invraisemblance, compte tenu du dossier dont elle disposait et du témoignage de la demanderesse. L’argument de la demanderesse selon lequel les conclusions d’invraisemblance de la SPR étaient déraisonnables est sans fondement. La conclusion relative à la PRI peut également se justifier au vu du dossier. Ayant pris du recul et examiné la décision comme un tout, je conclus qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII.  Question certifiée

[37]  Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-897-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry s. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de décembre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM‑897‑19

 

INTITULÉ :

LILI TANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Brown

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 20 novembre 2019

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

Pour la demanderesse

Christopher Crighton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

EME Professional Corp.

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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