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Date : 20191119


Dossier : IMM-2363-19

Référence : 2019 CF 1446

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2019

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

ISRAEL PENALOZA PINEDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Israel Penaloza Pineda, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 mars 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans sa décision, la SAR confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Le demandeur est citoyen du Mexique. Au soutien de sa demande d’asile présentée en avril 2017, le demandeur allègue craindre des membres d’une organisation criminelle qui s’en prendrait aux chauffeurs de taxi et volerait des automobiles.

[3]  Le 13 juillet 2017, la SPR rejette la demande d’asile au motif que les agissements du demandeur ne sont pas compatibles avec les préjudices qu’il allègue craindre.

[4]  Le demandeur porte cette décision en appel devant la SAR. Au soutien de son appel, le demandeur dépose trois (3) documents à titre de preuve additionnelle : un article de presse, une attestation de décès et une déclaration écrite. Il demande également la tenue d’une audience. La SAR fait parvenir au demandeur un avis l’invitant à lui soumettre des observations écrites sur la possibilité de refuge interne [PRI] ailleurs au Mexique. Se prévalant de cette occasion, le demandeur soutient qu’il n’existe pour lui aucune PRI au Mexique.

[5]  Le SAR rejette l’appel du demandeur. Dans sa décision, elle se penche d’abord sur les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. Elle accepte uniquement l’attestation de décès du frère du demandeur. Elle rejette l’article de presse puisqu’il est de source inconnue et non daté et parce qu’il ne donne pas de détails sur la mort du frère du demandeur. Elle rejette également la déclaration du demandeur au motif que celle-ci n’est ni datée ni signée.

[6]  Ensuite, elle estime que la décision de la SPR relativement à la crédibilité du demandeur est erronée. Selon la SAR, les omissions, contradictions et incohérences relevées par la SPR ne sont pas suffisamment importantes pour affecter la crédibilité du demandeur. Toutefois, elle ne juge pas nécessaire d’élaborer sur son raisonnement puisqu’elle considère que la question déterminante porte sur la PRI.

[7]  Dans le cadre de son analyse de la PRI ailleurs au Mexique, la SAR conclut que la preuve présentée ne démontre pas que les criminels auraient un intérêt à retracer le demandeur dans la ville refuge. Elle est également d’avis qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’établir dans la ville refuge en raison de son âge et parce qu’il a de l’expérience de travail dans les domaines du taxi et de l’aménagement paysager acquise au Mexique et aux États-Unis, où il a vécu un certain nombre d’années.

[8]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de ne pas admettre ses éléments de preuve puisque l’attestation de décès permettait de corroborer l’authenticité des documents ainsi que leur contenu. Il soutient également que la conclusion de la SAR sur l’existence d’une PRI est déraisonnable et contraire à la preuve.

[9]  Comme la SAR, la Cour est d’avis que la question déterminante en l’instance est celle de l’existence d’une PRI dans la ville refuge.

[10]  La norme de contrôle applicable à une décision portant sur l’existence d’une PRI est celle de la décision raisonnable (Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106 au para 19 [Jean Baptiste]; Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 503 au para 13; Verma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 404 au para 14).

[11]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[12]  La détermination de l’existence d’une PRI dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile comporte une analyse à deux (2) volets. D’abord, il faut se demander si « les circonstances dans la partie du pays où le demandeur aurait pu se réfugier sont suffisamment sécuritaires pour permettre à l’appelant de jouir des droits fondamentaux de la personne ». Ensuite, il s’agit d’examiner si « la situation dans cette partie du pays [est] telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier » (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 à la p 709 (CAF); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF) [Thirunavukkarasu]; Jean Baptiste au para 20).

[13]  Le demandeur soutient que l’intérêt des criminels à le retracer dans la ville refuge découle de la preuve. Notamment, il affirme qu’après avoir été menacé par des individus armés dans son taxi en octobre et novembre 2016 dans sa ville de résidence, il a revu les mêmes individus lorsqu’il s’est réfugié chez son père qui habite dans une autre ville. Il les a également revus lorsqu’il est allé vivre chez sa sœur dans une autre ville. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que ces rencontres étaient le fruit du hasard ou de la connaissance qu’auraient les criminels des membres de la famille du demandeur.  Ce dernier fait valoir que ses frères ont été ciblés par des criminels et qu’il y a effectivement un lien entre son risque de persécution ou mauvais traitements et la disparition de l’un de ses frères et la mort d’un autre.

[14]  Après examen du dossier, la Cour ne peut souscrire à l’argument du demandeur. La crainte du demandeur d’être persécuté ou de subir des mauvais traitements dans la ville refuge doit reposer sur un fondement objectif et le fardeau appartient au demandeur de prouver que la PRI est déraisonnable (Jean Baptiste au para 21). En l’instance, le demandeur n’a pas démontré de manière satisfaisante que les criminels avaient un intérêt quelconque à le retracer dans la ville refuge ou qu’il était visé pour des motifs autres que l’utilisation de son taxi. Au contraire, la preuve démontre plutôt que même si le demandeur a revu les criminels là où il s’est réfugié chez son père et sa sœur, ceux-ci n’ont jamais approché sa sœur ou quiconque dans le village de son père afin de le retrouver. Dans ces circonstances, il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’une PRI existait pour le demandeur dans cette autre ville du Mexique. De plus, la preuve au dossier permettait également à la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas établi de lien entre ses circonstances personnelles, la mort de l’un de ses frères et la ville refuge.

[15]  Le demandeur reproche également à la SAR d’avoir conclu qu’il serait en mesure de travailler dans la ville refuge en se basant sur sa capacité de travailler lorsqu’il était aux États-Unis. Il juge aussi déraisonnable de lui demander de continuer à travailler comme chauffeur de taxi alors que cette activité aurait mis sa vie en péril. Il est d’avis que la SAR aurait dû plutôt tenir compte de son âge, son profil académique peu avancé et son manque de formation.

[16]  La Cour n’est pas persuadée par l’argument du demandeur. En considérant les circonstances propres au demandeur, la SAR souligne le témoignage du demandeur selon lequel il ne pourrait pas s’établir dans la ville refuge au motif qu’il ne connaissait personne et qu’il n’avait pas les moyens financiers d’y demeurer. Elle juge ces explications déraisonnables. Or, il est bien établi que les raisons invoquées par le demandeur ne sont pas suffisantes pour conclure qu’il serait déraisonnable de s’établir dans la ville refuge (Thirunavukkarasu aux pp 598-599; Jean Baptiste au para 28).

[17]  En résumé, il incombait au demandeur de démontrer qu’il serait exposé à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités dans la ville refuge proposée. Il appartenait également au demandeur de démontrer qu’il ne serait pas raisonnable de s’y établir. Il n’a fait ni l’un ni l’autre. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable au demandeur (Khosa au para 59).

[18]  Pour ces motifs, la Cour est d’avis que la décision de la SAR est raisonnable puisqu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[19]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-2363-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2363-19

INTITULÉ :

ISRAEL PENALOZA PINEDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 19 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Alfredo Garcia

Pour le demandeur

Sean Doyle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alfredo Garcia

Avocats semperlex, S.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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