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Date : 20191030


Dossier : IMM-806-19

Référence : 2019 CF 1358

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ANGELA FEJJEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Angela Fejjel demande à la Cour d’annuler la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile. La SPR a relevé que l’identité rom de la demanderesse et sa crédibilité constituaient des questions déterminantes et elle a conclu que Mme Fejjel n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas réussi à établir son origine ethnique rom selon la prépondérance des probabilités. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR quant à ces questions déterminantes est raisonnable et justifiée, compte tenu du dossier dont elle disposait. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

[2]  Mme Fejjel, une citoyenne hongroise de 25 ans, affirme qu’elle a grandi dans une collectivité rom et qu’elle était victime, dès l’enfance, de discrimination à cause de son origine ethnique. Elle ajoute que la vie chez elle était difficile, car son père lui infligeait, ainsi qu’à sa mère et à son frère, des violences physiques et psychologiques. Ses parents ont divorcé lorsqu’elle avait huit ou neuf ans. Sa mère a ensuite rencontré un autre homme, qui est aussi devenu violent.

[3]  Mme Fejjel affirme que pour fuir les mauvais traitements dont elle était victime chez elle, elle passait beaucoup de temps dans la rue avec ses amis roms. Ce groupe d’amis était souvent victime de discrimination, se faisant par exemple refuser l’entrée au cinéma, aux arcades et en discothèque. Mme Fejjel a commencé à manquer l’école et a fini par être expulsée. Elle prétend qu’elle n’avait pas raté suffisamment de jours d’école pour être expulsée et elle pense l’avoir été parce qu’elle était Rom. Son expulsion a accru les tensions à la maison.

[4]  En 2011, Mme Fejjel a rencontré un Rom prénommé Richard. Ils ont rapidement entamé une relation et Mme Fejjel a emménagé avec lui pour fuir la vie tourmentée de son foyer. Ils ont ensuite déménagé à Budapest où ils ont eu du mal à trouver du travail.

[5]  Richard a commencé à se plaindre du manque de travail à Budapest et a décidé que Mme Fejjel devait se prostituer. Lorsqu’elle a résisté, il est devenu violent et agressif. Peu après, lui et un groupe d’hommes ont emmené Mme Fejjel et trois autres filles à Vienne pour qu’elles deviennent prostituées. Richard a menacé de s’en prendre à la famille de Mme Fejjel si elle ne se pliait pas à ses demandes.

[6]  Mme Fejjel soutient qu’en décembre 2011, elle a commencé à se prostituer sous le contrôle de Richard. Lui et deux autres hommes, Roland et Norbert, la tenaient captive lorsqu’elle ne travaillait pas. Elle a tenté de s’enfuir à plusieurs reprises, mais sans succès. À chaque fois, elle se faisait prendre par Richard qui lui infligeait alors des violences physiques.

[7]  Mme Fejjel a finalement rencontré Szilvia, une autre prostituée qui lui a proposé de l’aider à s’échapper. Dans les semaines ayant suivi leur rencontre, Szilvia a renouvelé le passeport de Mme Fejjel et s’est arrangée pour qu’elle aille au Canada. Mme Fejjel s’est enfuie par une fenêtre un soir que Richard était distrait. Elle est arrivée au Canada en novembre 2012.

[8]  Avec l’aide d’un avocat, elle a soumis une demande d’asile qui a été reçue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 3 décembre 2012. Cette demande comprenait notamment le Formulaire de renseignements personnels [FRP] ainsi qu’un exposé circonstancié de 38 paragraphes sous la rubrique [TRADUCTION] « Fondement de la crainte ». La lettre de présentation de son avocat comportait le passage suivant : [TRADUCTION] « Nous déposons pour l’instant le FRP et une ébauche de l’exposé circonstancié ». À la fin de l’exposé en question, Mme Fejjel a signé son nom sous un passage indiquant ce qui suit :

[traduction]

Cet exposé circonstancié m’a été lu en hongrois et je souscris à son contenu. J’espère n’avoir rien oublié. Comme il est difficile de se souvenir de tout dans un si court laps de temps, j’informerai la Commission en cas d’omission.

[9]  Ni le FRP ni l’exposé circonstancié ne mentionnaient que Mme Fejjel était Rom.

[10]  Le 16 juillet 2018, dix jours avant l’audience de la SPR, Mme Fejjel a soumis, avec l’aide d’un nouveau conseil, un exposé circonstancié modifié et mis à jour dans lequel elle notifiait à la SPR son statut de Rom. Elle déclarait en particulier dans ce nouvel exposé circonstancié :

[traduction]

Je vivais dans les rues numérotées du ghetto rom à Miskolc. Ma mère est hongroise et mon père à moitié rom, ce qui suffisait pour que les Hongrois blancs nous identifient comme des Roms et que nous vivions leurs expériences en Hongrie.

[11]  La SPR a conclu qu’en raison de préoccupations touchant à la crédibilité de Mme Fejjel, cette dernière n’avait pas établi qu’elle était Rom ou qu’elle avait été forcée de se prostituer.

[12]  En ce qui concerne l’allégation de Mme Fejjel portant qu’elle est Rom, la SPR a d’abord fait remarquer qu’elle n’avait jamais invoqué son origine ethnique dans le FRP initial, même si le formulaire l’incitait à faire mention de sa nationalité, de son origine ethnique ou de sa tribu. Mme Fejjel a également signé le FRP, confirmant ainsi que les renseignements qu’il contenait étaient complets, vrais et exacts. La SPR a estimé que si elle avait souffert en raison de son origine ethnique rom, Mme Fejjel l’aurait mentionné dans son FRP initial. Elle n’a donc accordé que peu de poids à l’exposé circonstancié mis à jour.

[13]  Deuxièmement, la SPR a jugé que Mme Fejjel n’avait pas été en mesure d’expliquer comment les autres pouvaient reconnaître qu’elle était Rom, notant par ailleurs que ses amis étaient Roms et qu’il lui arrivait parfois de porter des bijoux et de se coiffer comme eux, mais aussi qu’elle avait la peau claire, que son nom n’était pas rom et que sa famille ne suivait pas les traditions roms.

[14]  Troisièmement, la SPR a constaté qu’il n’y avait aucune preuve du fait que Mme Fejjel avait vécu dans un ghetto rom et que sa mère vivait dans un logement qui n’était pas réservé à des Roms. La SPR a également fait remarquer que Mme Fejjel avait eu la possibilité de soumettre une lettre de sa mère attestant que son frère avait été évincé parce qu’il était Rom, mais elle n’a pas été en mesure de la fournir et ne s’en est pas expliqué.

[15]  Quatrièmement, la SPR a conclu que Mme Fejjel n’avait soumis aucun élément de preuve documentaire attestant son identité rom ou établissant qu’elle avait fréquenté une école rom.

[16]  En ce qui concerne de l’allégation de Mme Fejjel selon laquelle elle avait été forcée de se prostituer, la SPR a relevé plusieurs incohérences dans sa preuve, faisant notamment remarquer que, dans l’exposé circonstancié initial et dans celui mis à jour, Mme Fejjel a affublé Richard, l’homme dont elle prétend qu’il l’a forcée à se prostituer, de deux noms de famille différents – Nemeth et Horvath. La SPR n’a pas accepté son explication voulant que Nemeth soit le second prénom de Richard, étant donné qu’il est inhabituel d’avoir recours au deuxième prénom de quelqu’un plutôt qu’à son nom de famille pour l’identifier.

[17]  La SPR a également relevé des contradictions entre le témoignage fourni par Mme Fejjel à l’audience et son FRP initial. Mme Fejjel a déclaré durant sa déposition qu’elle ignorait le nom de famille de Szilvia, mais elle avait indiqué dans son FRP initial que c’était Horvath, le même nom de famille qu’elle avait donné à Richard. La SPR a trouvé cela particulièrement frappant, étant donné que Mme Fejjel avait signalé d’autres erreurs de l’exposé circonstancié dans la version mise à jour, sans toutefois indiquer que le nom de famille de Szilvia était erroné.

[18]  De plus, la SPR a fait remarquer que Mme Fejjel s’est trompée durant son témoignage lorsqu’elle a déclaré que l’un de ses [TRADUCTION] « ravisseurs » (outre Richard), s’appelait Robert. D’après son exposé circonstancié et son FRP initial, l’homme en question se prénommait Roland. Lorsqu’elle a été corrigée, elle a déclaré que sa mémoire lui avait fait défaut. La SPR a estimé que cette erreur nuisait à la crédibilité de Mme Fejjel, étant donné qu’elle avait vécu avec Roland pendant des mois et n’aurait probablement pas oublié son nom.

[19]  Prises cumulativement, ces erreurs ont amené la SPR à tirer une inférence défavorable et à conclure que Mme Fejjel n’avait pas établi que Richard, Roland ou Szilvia existaient ou que Richard l’avait forcée à se prostituer.

[20]  La SPR a par ailleurs jugé que Mme Fejjel avait fourni un témoignage changeant qui nuisait à sa crédibilité. Mme Fejjel a déclaré que Szilvia l’avait aidée à renouveler son passeport, ce qu’elle n’a toutefois jamais mentionné dans son exposé circonstancié initial. Elle a également indiqué sur sa demande d’asile que Richard avait pris ses papiers, mais elle a déclaré ensuite durant son témoignage avoir remis à Szilvia son ancien passeport pour le faire renouveler, expliquant qu’il avait dû échapper à Richard lorsqu’il lui avait pris ses papiers.

[21]  La SPR a également conclu que Mme Fejjel avait fourni des renseignements contradictoires quant à son incapacité à trouver du travail à Budapest, déclarant initialement que ces difficultés découlaient de son manque d’instruction, avant de prétendre toutefois dans l’exposé circonstancié mis à jour qu’elle avait été victime de discrimination. La SPR a conclu que si elle avait souffert de discrimination, elle l’aurait mentionné dans son premier FRP.

[22]  Enfin, la SPR a noté que Mme Fejjel a fourni un rapport psychologique posant un diagnostic d’état de stress post-traumatique (ESPT) et d’anxiété découlant de ses expériences. La SPR a accordé un certain poids au rapport, tout en jugeant qu’il n’était pas à même de corriger les lacunes du témoignage de Mme Fejjel. La SPR a également fait remarquer que le rapport semblait avoir été élaboré pour les besoins de l’audience et qu’il devait donc être considéré avec prudence en l’absence de preuve corroborante. Elle a conclu que, même si le diagnostic était peut-être correct, les motifs sur lesquels il reposait pouvaient être différents de ceux allégués par Mme Fejjel.

[23]  Mme Fejjel affirme que la décision de la SPR soulève deux questions :

  1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de son identité rom?

  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle n’était pas tombée dans la prostitution après avoir été victime de traite des personnes?

[24]  Mme Fejjel avance plusieurs observations concernant la conclusion portant qu’elle n’est pas Rom.

[25]  Elle affirme premièrement que la SPR a écarté son identité rom de manière déraisonnable sous prétexte qu’elle n’en avait pas fait mention dans son FRP initial. Selon elle, il s’agit là d’une conclusion en matière de vraisemblance, la SPR ayant estimé que, si elle était réellement Rom, elle l’aurait mentionnée dans son FRP. Citant Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au par. 7, Mme Fejjel fait valoir que les conclusions en matière de vraisemblance ne peuvent être tirées que dans les cas les plus évidents lorsque « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend ».

[26]  Mme Fejjel soutient que même si elle était représentée par un conseil, expérimenté comme l’a fait remarquer la SPR, le fait d’avoir omis son identité comme fondement de sa demande d’asile ne débordait pas le cadre des possibilités, puisque le conseil en question aurait pu ne pas être sensible à la question. Elle fait remarquer que ce même conseil a laissé passer plusieurs autres erreurs dans les formulaires de la demande d’asile, et que son exposé circonstancié n’était qu’une « ébauche ». Elle ajoute que son supplice en tant que prostituée était plus directement présent à son esprit lorsqu’elle a soumis sa demande d’asile; qu’elle se sentait coupable de son passé, et qu’il était peu probable qu’une jeune fille de 19 ans sans diplôme d’études secondaires soit en mesure d’expliquer comment son passé de Rom entrait en ligne de compte dans sa demande d’asile.

[27]  Mme Fejjel soutient en outre que la SPR a l’obligation de préciser tous les faits sur lesquels reposent ses conclusions quant à l’absence de crédibilité si celles-ci sont fondées sur ce qui lui paraît être le caractère invraisemblable du témoignage du demandeur d’asile : Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 81 FTR 303, [1994] ACF no 774 (QL). Elle affirme que la SPR ne l’a pas questionnée en détail sur la manière dont elle a rédigé son exposé circonstancié ou au sujet de ses interactions avec son conseil précédent, et que le commissaire a donc fondé sa décision sur la manière dont son conseil se serait normalement comporté, et non sur l’ensemble des faits pertinents.

[28]  Mme Fejjel soutient aussi que la SPR a rejeté son identité en s’appuyant sur la conclusion portant qu’elle « n’a[vait] pas été en mesure de dire comment les gens pourraient reconnaître qu’elle est Rom ». Elle affirme que cette conclusion n’est pas étayée, car elle a fourni plusieurs exemples, tous rejetés par la SPR sans motif clair. Mme Fejjel soutient que la SPR a commis une erreur en concluant apparemment qu’il fallait avoir la peau foncée et un nom rom pour être Rom.

[29]  De plus, Mme Fejjel soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de mettre l’accent sur l’absence de documents prouvant son identité. Elle affirme qu’elle n’aurait pas pu se procurer les documents lorsqu’elle était tenue captive en Autriche, qu’elle avait seulement dit qu’elle pouvait peut-être obtenir une lettre de sa mère et qu’elle a fourni un témoignage cohérent quant à ses origines roms, auquel la SPR n’a accordé aucun poids.

[30]  Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles la conclusion de la SPR était raisonnable, compte tenu du dossier. Le retard mis à invoquer l’identité rom, l’absence de preuve corroborante et la difficulté qu’a eue Mme Fejjel à expliquer comment les autres personnes pouvaient reconnaître qu’elle était Rom étaient suffisants pour amener la SPR à conclure qu’elle n’avait pas établi son statut de Rom.

[31]  L’avocat actuel de Mme Fejjel soutient que la SPR équivalut à une conclusion en matière de vraisemblance, injustifiée dans les circonstances, mais je ne suis pas convaincu par cet argument. Comme l’a fait remarquer la SPR, Mme Fejjel était représentée par « un conseil très expérimenté en matière d’immigration » qui devait savoir en quoi son identité rom était liée à sa demande d’asile. De plus, je fais remarquer que Mme Fejjel avait soumis son FRP initial en 2012, qu’elle avait engagé un nouveau conseil pour faire valoir sa demande d’asile en 2015, mais que ce n’est qu’en 2018, lorsqu’elle a retenu les services de son troisième avocat, qu’elle a invoqué son identité rom. Il était raisonnable que la SPR s’attende à ce qu’au cours des six années écoulées entre-temps, elle ou l’un de ses conseils soulèvent son identité rom, d’autant plus qu’elle avait indiqué dans son exposé circonstancié initial qu’elle aviserait la Commission en cas d’omission involontaire de renseignements. Compte tenu du retard mis à invoquer son identité rom, il était raisonnable de la part de la SPR d’accorder peu de poids à l’exposé circonstancié mis à jour.

[32]  Le même raisonnement s’applique à l’observation de Mme Fejjel portant que son exposé circonstancié initial était une « ébauche ». Que cela ait pu être le cas n’empêche pas la SPR d’avoir des soupçons lorsqu’un motif tout à fait nouveau est soulevé six ans plus tard.

[33]  La SPR n’a pas non plus commis d’erreur lorsqu’elle en concluant que Mme Fejjel n’avait pas été en mesure de dire comment les gens pouvaient reconnaître qu’elle était Rom. Lorsque la question lui a été posée une première fois à l’audience, Mme Fejjel a répondu : [TRADUCTION] « Je ne sais pas ». Ce n’est que lorsqu’elle a été questionnée une deuxième fois à ce sujet qu’elle a répondu ce qui suit :

[traduction]

Lorsque je vivais encore là‑bas, je suivais certaines traditions, c’est‑à‑dire que je me ramassais les cheveux en chignon et je portais des colliers et des boucles d’oreille en or, donc, je ressemblais davantage. Donc je ressemblais davantage à une Rom et aussi, je fréquentais habituellement d’autres Roms et c’est ainsi que les autres nous identifiaient souvent comme des Roms, parce que nous étions ensemble.

[34]  Comme aucun des facteurs mentionnés ne renvoie à des caractéristiques immuables, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’elle ne pouvait pas être clairement reconnue comme une Rom.

[35]  Enfin, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que l’absence de preuve corroborante minait l’assertion de Mme Fejjel selon laquelle elle était Rom. Son avocat a fait valoir qu’elle n’aurait pas pu fournir de preuve corroborante, étant donné qu’elle était tenue captive en Autriche et qu’elle est venue directement au Canada. Cependant, cet argument ne tient pas compte du fait que six années se sont écoulées depuis l’arrivée de Mme Fejjel au Canada, durant lesquelles elle aurait pu obtenir un document quelconque corroborant son origine ethnique rom. De plus, la SPR lui a donné la possibilité d’obtenir une lettre de sa mère après l’audience, ce qu’elle n’a pas fait.

[36]  Je note également que dans ses observations soumises en réplique, Mme Fejjel invoque le document HUN105180.E pour établir que son adresse à Miskolc faisait partie d’un ghetto rom. Cela contredit la conclusion de la SPR portant que rien n’indiquait qu’elle vivait dans un tel ghetto. Cependant, je ne pense pas que le fait d’avoir écarté ce document rende la décision de la SPR déraisonnable. Ce document indique que l’adresse donnée par Mme Fejjel faisait partie d’un ghetto rom, mais comme je l’ai déjà noté, la SPR nourrissait des préoccupations quant à sa crédibilité. Ayant soulevé plusieurs autres préoccupations concernant l’origine ethnique rom dont la demanderesse se réclamait, il était raisonnable que la SPR réclame une preuve corroborante et tire une inférence défavorable du défaut de produire une telle preuve.

[37]  Mme Fejjel a également présenté plusieurs observations au sujet de la conclusion selon laquelle elle n’avait pas été forcée à se prostituer.

[38]  Premièrement, Mme Fejjel soutient qu’il était déraisonnable que la SPR rejette sans motif des éléments de preuve documentaires ainsi que des explications raisonnables concernant des contradictions mineures. Elle soutient que le nom de famille de Szilvia ne figurait pas dans la version hongroise de son exposé circonstancié, mais que la SPR n’a pas voulu reconnaître que la traduction anglaise pouvait être erronée. Par exemple, elle fait remarquer que le commissaire de la SPR a déclaré ce qui suit à l’audience : [TRADUCTION] « Eh bien manifestement ils n’auraient pas inscrit quelque chose, un nom de famille qui ne se trouvait nulle part ailleurs ».

[39]  Mme Fejjel ajoute que lorsque le commissaire lui a demandé si le FRP lui avait été relu, elle ignorait qu’il faisait aussi référence à l’exposé circonstancié mis à jour. Même si elle a relevé une erreur dans la traduction, poursuit-elle, cela ne veut pas dire qu’elle a relu tout l’exposé circonstancié pour s’assurer qu’il n’en contenait pas d’autres, comme l’a laissé entendre la SPR.

[40]  Mme Fejjel indique par ailleurs qu’elle a amalgamé les prénoms « Roland » et « Norbert » en « Robert » pendant l’audience, parce qu’elle était nerveuse.

[41]  Mme Fejjel fait valoir que la SPR a fait preuve d’excès de zèle en accordant également de l’importance à d’autres incohérences. Dans son FRP initial, elle a déclaré qu’elle avait eu du mal à trouver du travail en raison de son manque d’instruction, tout en affirmant dans son FRP mis à jour que ces difficultés étaient attribuables à la discrimination. Mme Fejjel soutient qu’il n’y a là rien d’incohérent, étant donné que son manque d’instruction s’explique par la discrimination. Toujours d’après elle, le fait qu’elle n’a pas mentionné à un moment donné que Szilvia l’avait aidée à renouveler son passeport n’était pas incohérent, étant donné qu’elle avait déjà fourni cette information à l’audience.

[42]  Au regard de ce que la SPR a qualifié de disparité, Mme Fejjel soutient qu’il était déraisonnable que celle-ci s’attende à ce que sa demande contienne tous les détails possibles. Elle fait observer que la Cour fédérale a considéré ce type d’attentes sous un jour défavorable : Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, aux par. 18 et 19.

[43]  Mme Fejjel affirme que le raisonnement de la SPR concernant son passeport contient d’autres erreurs. La SPR a conclu qu’elle avait fourni un témoignage changeant, mais la demanderesse fait valoir que le fait que Richard ignorait l’existence de son passeport concorde avec le fait que celui-ci était caché dans la doublure de son sac à main, où il ne pouvait pas le trouver. Elle ajoute avoir indiqué que Richard avait pris tous les documents qu’elle n’a pas soumis à la SPR, ce qui contredit la conclusion de celle‑ci portant que Richard a pris [TRADUCTION] « tous ses papiers ».

[44]  Enfin, Mme Fejjel soutient que la SPR a commis une erreur en écartant l’évaluation psychologique du Dr Pitiakoudis, qu’elle n’a pas motivé ce rejet par des motifs adéquats et qu’il était déraisonnable de sa part de conclure que le diagnostic pouvait être correct, mais que les motifs sur lesquels il reposait n’étaient peut-être pas ceux invoqués par Mme Fejjel.

[45]  À mon avis, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que les allégations de Mme Fejjel voulant qu’elle ait été forcée à se prostituer n’étaient pas crédibles. Comme l’a déclaré le juge Noël dans la décision Exantus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 39, au par. 26, la SPR a convenablement « expliqué dans sa décision pourquoi elle avait formulé une conclusion défavorable à l’égard de la demanderesse en soulignant les omissions, les contradictions et les invraisemblances allant au cœur même de la demande d’asile de la demanderesse ».

[46]  Premièrement, l’évaluation par la SPR des incohérences au sujet de l’emploi des noms Richard, Szilvia et Roland était raisonnable. La SPR a expliqué de quelle manière elle a procédé pour relever les contradictions, pourquoi elle a tiré des inférences négatives de telle ou telle contradiction et, dans les cas où Mme Fejjel a fourni une explication concernant la contradiction, elle a indiqué pour quelle raison elle la rejetait.

[47]  Mme Fejjel conteste certaines des conclusions de la SPR, mais ses arguments ne me convainquent pas. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le fait de désigner Richard par son prénom et par son second prénom plutôt que par son prénom et son nom de famille était « inhabituel ». Il était tout aussi raisonnable de s’attendre à ce que Mme Fejjel précise le nom de famille de Szilvia dans le FRP initial, puisque la preuve attestait qu’elle avait lu le document. Enfin, je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que l’explication de Mme Fejjel quant à la raison pour laquelle elle a appelé Roland Robert ne lui est d’aucun secours, car elle n’a pas expliqué cela à la SPR. Durant l’audience, elle n’a pu justifier cette erreur autrement qu’en affirmant que sa mémoire lui avait probablement fait défaut.

[48]  Deuxièmement, il était raisonnable de la part de la SPR de tirer une inférence défavorable des motifs contradictoires avancés par Mme Fejjel pour expliquer ses difficultés à trouver du travail à Budapest. Bien que son conseil ait laissé entendre que son manque d’instruction soit lié à son statut de Rom, je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle ce lien n’était pas mentionné dans l’exposé circonstancié mis à jour. Dans son FRP, elle attribue ses difficultés à son manque d’instruction, alors qu’elle invoque uniquement une discrimination dans son exposé circonstancié mis à jour. Il s’agit là d’une divergence et la SPR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle en a tiré une inférence défavorable.

[49]  Troisièmement, l’évaluation par la SPR du rapport psychologique du Dr Pitiakoudis était raisonnable. Ayant relevé des problèmes à l’égard des faits sous-tendant le rapport, notamment que la demanderesse ne semblait avoir reçu aucun traitement psychologique avant l’audience, il était loisible à la SPR de l’écarter au motif que le « témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais ». Ainsi, je ne relève aucune erreur dans la conclusion de la SPR selon laquelle le rapport « ne peut attester la crédibilité du risque auquel la demandeure d’asile serait exposée ».

[50]  Quatrièmement, l’évaluation par la SPR de la preuve touchant au passeport de Mme Fejjel était raisonnable. Mme Fejjel affirme que la SPR s’attendait à tort à ce qu’elle mentionne que Szilvia avait renouvelé son passeport, ce qu’elle avait pourtant déjà dit durant son témoignage. Cependant, je note que dans la partie de son témoignage où Mme Fejjel a omis de mentionner le passeport, la SPR lui avait demandé de décrire de manière exhaustive toutes les manières dont Szilvia l’avait aidée.

[51]  Ainsi, la SPR a demandé à Mme Fejjel de préciser les différentes façons dont Szilvia l’a aidée. Elle a mentionné comment Szilvia avait planifié sa fuite, acheté son billet d’avion, et organisé son transport en autobus – mais elle n’a pas mentionné le passeport. La SPR lui a immédiatement demandé si en dehors de ces trois choses, Szilvia l’avait aidée autrement, ce à quoi Mme Fejjel a répondu par la négative. À ce moment‑là, la SPR a fait remarquer que Mme Fejjel n’avait pas mentionné le passeport; celle-ci a alors répondu qu’elle ignorait devoir répéter ce qu’elle avait déjà dit. Alors que Mme Fejjel n’aurait pas nécessairement dû être tenue de mentionner le passeport la première fois qu’elle s’est fait demander de quelle manière Szilvia l’avait aidée, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle en parle lorsqu’il lui a été demandé si Szilvia avait fait autre chose que d’élaborer un plan et d’acheter des billets. Comme elle n’en a rien fait, la SPR avait une raison valable de douter de ses déclarations.

[52]  La SPR avait d’autres raisons valides de douter de l’histoire de Mme Fejjel au sujet de son passeport. La SPR a noté que son exposé circonstancié et son FRP initial ne mentionnaient pas que Szilvia l’avait renouvelé. Mme Fejjel a expliqué qu’elle n’avait pas été questionnée à ce sujet à l’époque, mais comme elle avait indiqué plusieurs des autres manières dont Szilvia l’avait aidée, il n’était pas déraisonnable que la SPR s’attende à ce qu’il soit fait mention du passeport.

[53]  Mme Fejjel ajoute qu’elle n’a pas modifié son explication quant à la manière dont elle avait dissimulé son passeport à Richard. Je suis d’accord, mais je juge que la SPR n’a pas commis d’erreur notable lorsqu’elle a considéré ce témoignage avec méfiance, étant donné qu’elle avait relevé d’autres problèmes dans la preuve concernant le passeport et, plus généralement, l’allégation de prostitution forcée.

[54]  En conclusion, la SPR a raisonnablement relevé de nombreuses incohérences et omissions dans la preuve de Mme Fejjel qui justifiaient de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité de son identité ethnique et de son allégation de prostitution forcée. La décision présente les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle est raisonnable et ne peut être annulée.

Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification, et aucune ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑806‑19

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de décembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-806-19

 

INTITULÉ :

ANGELA FEJJEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Anna Shabotynsky

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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