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                                                                                                                                  Date : 20010420

                                                                                                                       Dossier : IMM-2613-00

                                                                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 344

Entre :

                                                             KARAMJIT SINGH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision datée du 2 mai 2000 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         Le demandeur est un fermier sikh âgé de 22 ans du Penjab, Inde, qui prétend craindre avec raison d'être persécuté en raison de divers événements survenus dans son passé. En Inde, il travaillait dans la ferme familiale à Malwali, Nakodar. Son père était le directeur du gudwara (temple), et le revendicateur y travaillait comme sewadar (gardien). Les faits suivants sont tirés directement de la décision de la Commission :

                Le père du revendicateur a été arrêté et détenu illégalement par la police en 1993 et 1995. En février 1995, il a disparu.


                Le 1er septembre 1995, le revendicateur a été convoqué au service de police et interrogé au sujet de son père et de ses amis [...]. La police a accusé le revendicateur d'héberger ces présumés militants. Le revendicateur a été torturé et détenu pendant deux jours.

                À la suite du paiement d'un pot-de-vin par sa mère, il a été relâché le 3 septembre 1995.

                Le 27 septembre 1996, le revendicateur a été convoqué au service de police où on lui a demandé d'identifier des militants. [...]

                La police soupçonnait également le revendicateur d'avoir été recruté par son oncle, Baldev Singh.

                Le revendicateur a été relâché après deux nuits de détention avec l'aide du conseil du village.

                Le 17 mars 1997, la police a fait une perquisition au domicile du revendicateur. Celui-ci a été arrêté, détenu pendant une nuit et battu par la police. La police l'a battu pour l'amener à avouer ce qu'il savait au sujet de son oncle Baldev Singh et de son ami militant impliqués dans l'explosion d'une bombe à Jalandhar.

                Le revendicateur a été relâché le lendemain avec l'aide du conseil du village.

                En 1997, l'ami du revendicateur, Ranjit Singh, [...] est entré dans la clandestinité. La police [...] a perquisitionné au domicile du revendicateur en septembre et en octobre 1997. Elle a demandé au revendicateur où étaient Ranjit Singh et son oncle Baldev Singh.

                Le revendicateur a de nouveau été arrêté le 16 mars 1998 et interrogé au sujet des deux hommes. Le revendicateur a expliqué à la police qu'il n'avait pas vu Ranjit Singh et que Baldev Singh était déménagé au Canada.

                La police n'a pas cru le revendicateur, et elle l'a torturé et agressé sexuellement.

                Le revendicateur a été relâché le 18 mars 1998.

                Lorsqu'il a été relâché, la police a pris ses empreintes digitales, sa photographie, et elle l'a forcé à signer des documents en blanc. Elle lui a ordonné de se présenter tous les mois au service de police.

                Craignant pour sa vie, le revendicateur est déménagé à Ludhiana.

                Pendant qu'il était à Ludhiana, le revendicateur a appris que la police avait fait une perquisition chez lui le 15 avril 1998, après qu'il ne se fut pas présenté au service de police.

                Le revendicateur est déménagé à New Delhi où des dispositions ont été prises pour qu'il quitte le pays.

                La police a perquisitionné à son domicile en mai et en juin 1998 où elle était venue pour l'arrêter.

                En juin 1998, après avoir été battue par la police, la mère du revendicateur a divulgué l'adresse du revendicateur à New Delhi.


                La police a fait une perquisition à la résidence du revendicateur à New Delhi où elle était venue pour l'arrêter.

[3]         Le revendicateur a quitté l'Inde le 16 août 1998 et a revendiqué le statut de réfugié au Canada le lendemain.

[4]         La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Les conclusions pertinentes de la Commission sont les suivantes :

           -           Selon la preuve, les gens qui ne sont pas de présumés militants bien en vue ou sont simplement des membres de la famille de présumés militants bien en vue ne sont pas à risque au Penjab aujourd'hui.

           -           En outre, comme l'oncle et le père du revendicateur sont disparus en 1995, il est « hautement improbable » que la police continuerait de les considérer comme militants ou de cibler le revendicateur en raison de leurs prétendues activités « illicites » , dont elle n'aurait aucune preuve après 1995.

           -           Enfin, si le but réel de la police était de faire reconnaître au revendicateur ses liens avec les militants, comme il l'allègue, elle aurait pu facilement l'atteindre en rédigeant une confession sur les documents en blanc qu'avait signés le revendicateur. Plutôt, elle l'a relâché. Cette version est hautement improbable et illogique.


[5]         À part avoir tiré deux conclusions négatives quelque peu contestables (la Commission a conclu qu'il était « hautement improbable » que la police du Penjab continue de cibler le demandeur après la disparition du père et de l'oncle de ce dernier. Cette conclusion n'a aucun fondement solide parce qu'il n'y a aucun élément de preuve quant à savoir quelle procédure est suivie en ce qui a trait aux dossiers inactifs en Inde, et elle ne tient aucun compte des autres motifs pour lesquels la famille est ciblée, comme par exemple la [TRADUCTION] « vengeance personnelle » ou le fait qu'il peut avoir été perçu comme le [TRADUCTION] « germ[e] [...] d'une autre rébellion » (Immigration and Nationality Directorate's Report, dossier du tribunal, A-3, pages 108 et 109). En outre, la conclusion de la Commission en ce qui a trait aux documents en blanc qui ont été signés n'est qu'une simple supposition - rien n'indique au dossier si les documents avaient déjà été utilisés ou à quoi ils étaient destinés), la Commission n'a pas relevé une seule contradiction ou incohérence dans la preuve du demandeur. Dans ces circonstances, il m'est quelque peu difficile d'accepter que la Commission soit autorisée à ne pas tenir compte de la version des faits du demandeur quant à la persécution, en se fondant sur une preuve documentaire plus générale.

[6]         Dans l'arrêt Okyere-Akosah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 157 N.R. 387, l'omission de donner des motifs explicites justifiant le rejet de la preuve directe du revendicateur en faveur de la preuve documentaire a posé problème, en particulier compte tenu de l'absence de conclusions précises sur la crédibilité et de l'omission de la Commission de tenir compte de l'ensemble de la preuve. La Cour d'appel fédérale a déclaré à la page 389 :


[...] Attendu que le témoignage de l'appelant doit être tenu pour véridique (Ranjit Singh Thind c. M.E.I. (27 octobre 1983), A-538-83 (C.A.F.), page 2), la Commission était tenue d'expliquer en termes clairs et non équivoques pourquoi elle a rejeté ce témoignage en faveur de la preuve documentaire (voir Hilo c. M.E.I. (1991), 130 N.R. 236, pages 238 et 239 (C.A.F.)). Elle n'expliquait pas pourquoi elle a retenu les assertions contenues dans le numéro du 18 juin 1989 du magazine « West Africa » , tout en ignorant le compte rendu du numéro de 20-26 novembre 1989 sur l'interdiction des trois autres sectes et sur les protestations d'éminents chefs religieux au Ghana. Elle n'expliquait pas non plus ses observations quant au rôle mineur joué par le demandeur au sein de la secte et à son ignorance de certaines caractéristiques essentielles de cette dernière, alors qu'elle ne mettait pas sa crédibilité en doute. La seule conclusion tirée par la Commission à ce sujet était que [TRADUCTION] « le témoignage donné par le demandeur était ... plutôt vague et constitué de généralités décrivant le caractère général de certaines situations au Ghana, non pas son cas personnel » (Dossier d'appel, page 198). Cependant, la Commission ne dit pas ce qu'elle a retenu ou rejeté du témoignage du demandeur.

[Non souligné dans l'original.]

[7]         Comme l'a souligné le juge Reed dans la décision Kansadamy c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (5 novembre 1997), IMM-4730-96, le fait de rejeter le témoignage du demandeur en faveur de la preuve documentaire, en soi, n'est pas suffisant pour invalider la décision de la Commission. Quoi qu'il en soit, le juge Reed fait les observations suivantes :

[...] Le danger dans la préférence pour la preuve documentaire par rapport à la preuve directe d'un revendicateur réside dans le fait que la preuve documentaire est de nature habituellement générale. La relation par un requérant de ce qui lui est arrivé est particulière et personnelle.    Ainsi donc, sans une explication claire de la raison pour laquelle le général est préféré au particulier, on peut douter d'une conclusion qui repose sur une préférence pour le premier par rapport au second. [...]

[8]         Quant à la preuve documentaire en l'espèce, j'ai également de la difficulté à concilier la décision de la Commission avec les propos de la Country Information and Policy Unit (Immigration and Nationality Directorate's Report, op. cit.), qui a analysé la situation actuelle des droits de la personne au Penjab. Le premier paragraphe semble appuyer les conclusions de la Commission, mais, en poursuivant la lecture, on découvre les nombreuses exceptions à la règle générale :

[TRADUCTION]

5.6.52 . . . Les personnes qui ne sont pas de présumés militants bien en vue ne sont pas en danger au Penjab. Ils ont beaucoup moins à craindre de la police et ont maintenant un meilleur accès à la justice s'ils sont mal traités.

5.6.53 La DGDIR a également interrogé des représentants de trois organismes de défense des droits de la personne au Penjab et un avocat en droits de la personne du Penjab. Tous ont convenu que la situation des droits de la personne au Penjab s'était améliorée depuis la violence qui avait eu cours entre 1984 et 1995. Toutefois, il y avait eu deux cas de disparitions récemment : . . . La torture et les mauvais traitements infligés aux détenus demeure un grave problème, mais on a dit qu'il s'agit d'un problème partout en Inde, non pas seulement au Penjab.

[...]


5.6.57 Cependant, le Dr Mahmood souligne qu'il continue d'y avoir des atteintes aux droits de la personne au Penjab, que la police est toujours incontrôlable dans de nombreux secteurs et que les agents des droits de la personne ont eux-mêmes été victimes de harcèlement et d'abus. [...] Le Dr Mahmood conclut que l'amélioration actuelle ne constitue pas un changement durable et fondamental en ce qui a trait aux droits de la personne en Inde.

5.6.58 Les sikhs ne constituent pas un groupe persécuté en ce moment, et les membres ordinaires de groupes qui ont déjà été persécutés, par ex. la AISSF, sont maintenant d'une manière générale en sécurité. Il existe des exceptions comme des personnes qui, dans le passé, avaient été victimes de violence aux mains de la police locale et qui peuvent continuer d'exercer une vengeance personnelle; et les militants, leurs proches parents et les partisans qui continent d'être suivis en tant que germes potentiels d'une autre rébellion.

[Non souligné dans l'original.]

[9]         Pour l'ensemble des motifs exposés précédemment, j'estime que la Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve dont elle était saisie et la présente demande est donc accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal autrement constitué afin qu'il procède à une nouvelle audition.

YVON PINARD

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                                                                                                  Date : 20010420

                                                                                                                       Dossier : IMM-2613-00

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2001

En présence de : monsieur le juge Pinard

Entre :

                                                             KARAMJIT SINGH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                      ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 2 mai 2000 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, est annulée, et l'affaire est renvoyée à un tribunal autrement constitué afin qu'il procède à une nouvelle audition.

YVON PINARD

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                                         IMM-2613-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        KARAMJIT SINGH c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           Le 21 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                      Monsieur le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                      Le 20 avril 2001

ONT COMPARU :

Roman B. Karpishka                                                     POUR LE DEMANDEUR

Greg Moore                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roman B. Karpishka                                                     POUR LE DEMANDEUR

Lachine (Québec)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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