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Date : 20191107


Dossier : T-2164-18

Référence : 2019 CF 1393

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

OLDIN MALDONADO

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) a confirmé le maintien en détention d’Oldin Maldonado (le demandeur) jusqu’à l’expiration de sa peine.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision d’ordonner le maintien en détention du demandeur était raisonnable; par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Questions préliminaires

[3]  L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme le défendeur.

[4]  L’affidavit du demandeur contient de nouveaux renseignements qui ne tombent pas sous le coup des exceptions qui permettent à la Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22). Comme il en a été question à l’audience, je ne tiendrai compte d’aucun nouvel élément de preuve.

II.  Le contexte

[5]  Le demandeur, âgé de 37 ans, est né au Bélize. Il a déménagé à Edmonton avec sa famille à l’âge d’un an. En 2009, alors qu’il travaillait comme agent immobilier, il a commis une série de crimes violents contre trois femmes. Il a été condamné à dix ans de prison pour agression sexuelle, agression sexuelle causant des lésions corporelles, séquestration et menaces. Il a commencé à purger sa peine à l’Établissement de Bowden en février 2012. En juin 2017, il a été transféré à l’Établissement d’Edmonton, un établissement à sécurité maximale, à la suite d’allégations de bagarres avec d’autres détenus.

[6]  La peine du demandeur expire le 9 février 2022, mais sa date de libération d’office était le 11 octobre 2018. À l’approche de cette date, le Service correctionnel du Canada (le SCC) a recommandé le maintien en détention du demandeur jusqu’à l’expiration de sa peine, en s’appuyant sur une évaluation datée du 28 février 2018. Cette recommandation du SCC a déclenché un examen des motifs de détention par la Commission au titre du paragraphe 130(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi). Le demandeur a présenté des lettres manuscrites à la Commission, contestant certaines descriptions de son comportement en établissement.

[7]  À la suite d’une vidéoconférence tenue le 26 juillet 2018, la Commission a décidé de maintenir le demandeur en détention jusqu’à la fin de sa peine.

[8]  Avant l’audience devant la Commission, le SCC a invité le demandeur à participer à une évaluation psychologique, ce qu’il a refusé de faire. Il a plutôt retenu les services d’un psychologue du secteur privé, le Dr Pugh. Le Dr Pugh l’a rencontré pendant cinq heures et lui a fait passer un certain nombre de tests, puis a produit un rapport daté du 12 juin 2018.

[9]  La Commission a reçu ce rapport du secteur privé, ainsi que les rapports des évaluations effectuées par le SCC depuis l’incarcération du demandeur. Ceux-ci comprennent :

  • un rapport psychiatrique daté du 15 mai 2012 et rédigé par le Dr Darlington à la suite d’un examen de dossier;
  • un rapport d’évaluation psychologique ou psychiatrique daté du 2 décembre 2015 et rédigé par la psychologue Megan Ferronato à la suite d’une entrevue clinique avec le demandeur et d’un examen du dossier;
  • le plus récent rapport d’évaluation psychologique ou psychiatrique, daté du 17 janvier 2018 et rédigé par la psychologue Alison Lewis à la suite d’une entrevue privée et d’une seconde rencontre au cours de laquelle le demandeur a refusé de participer à l’évaluation (puisqu’il avait plutôt embauché le Dr Pugh pour qu’il effectue une évaluation indépendante). Le demandeur a été informé que, s’il ne se soumettait pas à une évaluation menée par le SCC en 2018, le rapport se fonderait sur un examen de son dossier, les renseignements obtenus lors de l’entrevue précédente et les résultats obtenus au moyen des outils de mesure du risque, qui reposent sur des facteurs statiques et non sur une entrevue.

[10]  Dans sa décision du 26 juillet 2018, la Commission a examiné ces rapports et les autres éléments de preuve, et elle a conclu, pour plusieurs raisons énumérées ci-dessous, que le demandeur risquerait de commettre une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne s’il était libéré. Sa décision de maintenir le demandeur en détention signifie que la Commission réexaminera le dossier au plus tard le 26 juillet 2020.

[11]  Le demandeur a porté cette décision en appel devant la Section d’appel. Il a soulevé plusieurs motifs d’appel : il a invoqué qu’il y avait eu injustice concernant son assistant, que les évaluations psychologiques avaient fait l’objet d’une appréciation incorrecte et que le décideur avait commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas suivi tous les programmes recommandés et que le demandeur avait un comportement violent persistant.

[12]  Le 26 novembre 2018, la Section d’appel a décidé de rejeter l’appel du demandeur et de confirmer la décision de le maintenir en détention jusqu’à la date d’expiration de son mandat. La Section d’appel a conclu que la Commission avait adéquatement tenu compte des facteurs pertinents énoncés dans la Loi, notamment le comportement violent persistant et le risque de récidive du demandeur.

[13]  C’est la décision de la Section d’appel datée du 26 novembre 2018 qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Le demandeur affirme que la décision de le maintenir en détention était déraisonnable, et il soulève à cet égard trois erreurs précises, qui seront abordées ci-dessous.

III.  Les questions à trancher

[14]  Voici les questions à trancher :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas suivi les programmes qui lui avaient été recommandés?

  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en préférant les conclusions tirées dans l’évaluation psychologique du SCC à celles tirées dans l’évaluation que le demandeur a fait faire?

  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en traitant les accusations portées contre le demandeur en établissement comme un facteur aggravant, alors que le demandeur n’a été déclaré coupable d’aucune de ces accusations?

IV.  Le droit applicable

[15]  Avant d’examiner les trois erreurs alléguées, il est utile d’expliquer le cadre qui régit la prise de décisions relatives à la libération d’office sous le régime de la Loi. Lorsque le SCC décide qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un délinquant qui a été condamné pour une infraction ayant causé un dommage grave à une autre personne « commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une [infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne] », il renvoie le dossier à la Commission (sous-alinéa 129(2)a)(i)).

[16]  La Commission procède ensuite à un examen des motifs de détention. La Commission doit tenir compte de plusieurs facteurs énumérés au paragraphe 132(1), y compris la question de savoir s’il y a « un comportement violent persistant, attesté par divers éléments ». Elle doit tenir compte « de toute l’information pertinente dont ell[e] dispos[e], notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles » (alinéa 101(a)).

A.  La norme de contrôle

[17]  Les parties conviennent que les erreurs alléguées sont des conclusions de fait ou des questions discrétionnaires, pour lesquelles la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[18]  Comme la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission de maintenir la détention, je suis saisie du contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel, mais je dois également examiner le caractère raisonnable de la décision sous-jacente de la Commission (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, au par. 10). Les conclusions de la Commission et de la Section d’appel concernant la mise en liberté « appellent une grande retenue » (Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275, au par. 20 [Fernandez]).

B.  Les décisions antérieures

[19]  Voici les facteurs sur lesquels la Commission s’est fondée pour décider de ne pas libérer le demandeur avant l’expiration de sa peine :

  • Le nombre d’infractions avec violence : En plus des trois agressions sexuelles sous-jacentes, le demandeur a été déclaré coupable en 2008 d’avoir assené des coups de pied et des coups de poing à un entrepreneur qui travaillait chez sa sœur, après avoir découvert que celui-ci avait grevé la maison d’un privilège.
  • Les circonstances aggravantes des infractions sous-jacentes, y compris la vulnérabilité des victimes, le fait qu’elles ont été confinées pendant une longue période dans un espace restreint, le choix aléatoire des trois victimes, le recours à la violence gratuite, les menaces et les blessures subies.
  • Le fait que l’évaluation psychiatrique des risques effectuée par le Dr Darlington le 15 mai 2012 a révélé qu’il était [traduction] « très clair » que le demandeur était un violeur en série. L’évaluation mentionne que le comportement aurait continué de s’aggraver si le demandeur n’avait pas été appréhendé.
  • La Commission a dit au demandeur que « commette de nouveau une infraction de nature sexuelle était considéré comme élevé et qu’il n’avait pas suivi les programmes recommandés ».
  • Les chances de réinsertion du demandeur ont été jugées faibles.
  • Quelques jours après avoir terminé un programme de prévention de la violence en août 2016, il a été impliqué dans une bagarre dans la salle des poids et haltères, laquelle a été filmée.
  • Le 17 février 2017, il a donné un coup de poing à quelqu’un dans la cour de la prison.
  • En mai et juin 2017, on a trouvé du matériel pornographique dans sa cellule, par exemple une photographie de nature sexuelle du demandeur et de sa petite amie, qui pourrait avoir été prise au cours d’une visite familiale privée, et qui a soulevé des préoccupations.
  • Il a continué de rationaliser son comportement.
  • Il a été transféré dans un établissement à sécurité maximale en raison de son comportement violent en établissement.
  • L’évaluation psychologique ou psychiatrique du 17 janvier 2018 effectuée par Alison Lewis a révélé que la seule façon de garantir la sécurité publique était d’ordonner le maintien en détention (le demandeur ayant refusé de rencontrer le psychiatre, l’évaluation de 2018 repose sur les renseignements figurant dans le dossier du demandeur, comme les évaluations de 2012 et de 2015).
  • Dans sa recommandation du 28 février 2018, le SCC a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettrait une infraction de nature à causer un dommage grave.
  • Le demandeur s’est comporté de manière superficielle et peu convaincante lors de la vidéoconférence devant la Commission, et il n’a pas accepté la responsabilité de ses actes.

[20]  Tout au long de sa décision, la Commission a soupesé ces facteurs par rapport aux facteurs invoqués par le demandeur, comme ceux qui suivent :

  • la justification des bagarres;

  • l’évaluation psychologique positive effectuée dans le secteur privé;

  • quatre lettres d’appui;

  • des observations écrites.

[21]  Toutefois, en se fondant sur le comportement violent, la Commission a conclu que le demandeur risquait de commettre, avant l’expiration de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne.

[22]  La Section d’appel a énoncé les divers motifs de contrôle, puis elle a analysé l’obligation de la Commission d’agir équitablement. La Section d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas été privé de son droit à un assistant et que la communication de renseignements avait été effectuée correctement. Le demandeur n’a pas contesté ces conclusions relatives à l’équité dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[23]  La Section d’appel a conclu que la décision de la Commission était raisonnable. La conclusion de la Commission au sujet du comportement violent persistant et son évaluation globale du risque étaient raisonnables. La Commission a bien tenu compte des nombreux facteurs pertinents prévus dans la Loi. Enfin, la Commission n’a pas tenu compte à tort d’un ancien rapport psychologique et elle n’a pas commis d’erreur en préférant l’évaluation psychologique menée par le SCC le 17 janvier 2018 à celle effectuée dans le secteur privé le 12 juin 2018. Dans l’ensemble, la Section d’appel a conclu que la décision de la Commission était [traduction] « conforme à la loi, conforme à la politique de la Commission et fondée sur des renseignements fiables, pertinents et convaincants » et que, par conséquent, la décision de maintenir le demandeur en détention était raisonnable.

[24]  Je conclus que cette décision était raisonnable, car les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée étaient fiables et la décision de maintenir le demandeur en détention pouvait se justifier au regard des faits et du droit, et ce, pour les motifs énoncés ci-dessous.

[25]  Le demandeur a convenu que je devais examiner la décision dans son ensemble, et non ligne par ligne. Néanmoins, il a fait valoir que trois points sont au cœur de la décision et que je devrais examiner ces trois arguments en détail.

V.  Analyse

A.  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas suivi les programmes recommandés?

[26]  Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas suivi les programmes recommandés. Le demandeur fait référence à la page 4 de la décision de la Commission, où il est dit : [traduction] « Votre risque de commettre de nouveau une infraction de nature sexuelle est jugé élevé, et vous n’avez pas suivi les programmes recommandés. » Il a soutenu que c’est la faute du SCC s’il a suivi le programme d’intensité modérée pour délinquants sexuels, plutôt que le programme d’intensité élevée. Le SCC lui avait dit de suivre le programme d’intensité modérée, même s’il avait demandé, lui, de suivre le programme d’intensité élevée. Selon le demandeur, la Commission ne peut pas conclure que son omission de suivre le programme d’intensité élevée constitue un facteur défavorable, puisqu’il ne pouvait pas le suivre.

[27]  Le demandeur a suivi le Programme national pour délinquants sexuels – Intensité modérée d’avril à juillet 2015. Il a ensuite suivi une formation de mai à août 2016, intitulée « Programme de prévention de la violence – Intensité modérée », qui comprend 33 séances. Le demandeur affirme avoir suivi tous les programmes qui lui avaient été recommandés, ceux-là et d’autres.

[28]  Toutefois, il s’agit clairement ici d’un cas où il faut examiner l’ensemble de la décision plutôt qu’une seule déclaration prise isolément. À la page 6, la Commission précise sa conclusion : [TRADUCTION] « Vous pourriez bénéficier d’une évaluation psychiatrique plus approfondie liée à la déviance sexuelle et d’autres programmes destinés aux délinquants sexuels. » À la page 9, la Commission affirme que [TRADUCTION] « les renseignements au dossier font état des avantages que vous pourriez tirer d’une évaluation psychiatrique plus approfondie liée à la déviance sexuelle et de la participation à un programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels ».

[29]  Ces commentaires renvoient tous à l’évaluation psychologique de janvier 2018, citée à la page 12 de la recommandation de détention du SCC :

[traduction]

En résumé, les résultats de l’évaluation psychologique actuelle relative aux risques portent fortement à croire que M. Maldonado pourrait bénéficier d’une évaluation psychiatrique plus approfondie liée à la déviance sexuelle (évaluation phallométrique, temps de réaction visuelle) et, s’il y a lieu, d’autres programmes pour délinquants sexuels, en particulier un programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels. Ce type d’évaluation dépasse la portée de la présente évaluation, mais elle pourrait être effectuée au Centre psychiatrique régional (CPR). Après l’évaluation spécialisée recommandée ci-dessus, les options de M. Maldonado quant à l’avenir pourraient se préciser.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  C’est dans ce contexte que la Commission a décrit la nécessité pour le demandeur de suivre d’autres programmes. Ainsi, une lecture complète de la décision de la Commission révèle que cette dernière n’a pas commis d’erreur. À la page 5, la Commission note que le demandeur a [traduction] « suivi tous les programmes recommandés pour atténuer le risque qu’il présente; cependant, ceux-ci semblent avoir donné peu de résultats ». Cette constatation reposait sur la recommandation du 28 février 2018 du SCC concernant le maintien en détention, qui indique que [traduction] « M. MALDONADO a suivi tous les programmes recommandés pour atténuer le risque qu’il présente; cependant, ceux-ci semblent avoir donné peu de résultats ».

[31]  Il semblerait que le demandeur n’a pas encore participé à la formation d’intensité élevée pour les délinquants sexuels parce qu’il a d’abord été placé dans la catégorie des délinquants sexuels présentant un risque modéré et que la planification des programmes a suivi son cours sans qu’il soit tenu compte de l’évaluation du dossier menée en 2012 par le Dr Darlington, qui a alors classé le demandeur dans la catégorie des délinquants sexuels présentant un risque élevé. C’est pourquoi le demandeur a suivi des programmes d’intensité modérée et non d’intensité élevée.

[32]  Après avoir terminé le programme destiné aux délinquants sexuels en juillet 2015, le demandeur a continué de nier les faits sous-jacents. Après avoir terminé le programme de prévention de la violence en août 2016, le demandeur s’est bagarré et a continué de faire preuve d’un comportement violent. En mettant la déclaration concernant la nécessité pour le délinquant de suivre d’autres programmes en contexte, il devient évident que le demandeur a suivi tous les programmes qui lui ont été recommandés, mais qu’il lui faudra suivre d’autres programmes pour traiter sa déviance sexuelle et son comportement agressif, qui persistent, afin d’atténuer le risque qu’il présentera pour le public lorsqu’il sera libéré.

[33]  Les motifs sont justifiés, et le processus décisionnel est transparent et intelligible.

B.  La Commission a-t-elle commis une erreur en préférant les conclusions tirées dans l’évaluation psychologique du SCC à celles tirées dans l’évaluation que le demandeur a fait faire?

[34]  Le demandeur laisse entendre que la Commission aurait dû accorder plus de poids à l’évaluation effectuée dans le secteur privé en 2018 qu’aux évaluations menées par le SCC en 2012, en 2015 et en 2018. À l’audience relative au contrôle judiciaire, l’avocate du demandeur a déclaré que son client ne demandait pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve, mais qu’il lui demandait plutôt de statuer qu’il était déraisonnable pour la Commission de préférer un rapport à un autre. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission de préférer les évaluations menées par le SCC à l’évaluation effectuée dans le secteur privé sans expliquer pourquoi il les préférait. Selon le demandeur, c’était particulièrement déraisonnable, étant donné que le médecin du secteur privé avait passé cinq heures avec lui et qu’il lui avait fait passer un certain nombre de tests. L’argument du demandeur était le suivant : comment pouvait-il être raisonnable de donner préséance à des rapports d’évaluation rédigés par le SCC sur la base de l’examen du dossier seulement au détriment d’un rapport récent rédigé à la suite d’une rencontre en personne?

[35]  En examinant cet argument, je constate que les rapports du SCC ne reposaient pas seulement sur un examen du dossier (voir le paragraphe 8 ci-dessus).

[36]  Je ne peux souscrire à l’argument du demandeur. Je ne peux l’interpréter que comme une demande visant à faire soupeser à nouveau la preuve dont disposait le décideur. Ce n’est pas une bonne façon pour la Cour fédérale d’aborder une décision appuyée par de nombreux éléments de preuve (Hughes c Canada, 2016 CAF 271, aux par. 6 à 8).

[37]  Le demandeur conteste également les conclusions tirées dans le contexte de l’évaluation du dossier de 2018, parce qu’elles devaient reposer sur les renseignements tirés de l’évaluation de 2012. Il prétend que l’évaluation menée dans le secteur privé par le Dr Pugh aurait dû être prise en compte, ajoutant qu’il n’a pas participé à l’évaluation du SCC afin d’éviter le [traduction] « biais de répétition » associé à la production d’un autre rapport interne.

[38]  Cet argument ne peut être retenu. Bon nombre des 23 pages du rapport du Dr Pugh contiennent des renseignements généraux qui ne sont pas pertinents quant à la question centrale relative à la décision en matière de libération d’office, c’est-à-dire la question de savoir si le demandeur risque de commettre une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne avant l’expiration de sa peine. L’évaluation menée dans le secteur privé a notamment porté sur l’apparence du demandeur, ses antécédents personnels et familiaux, les mauvais traitements qu’il aurait subis, son instruction et ses loisirs, mais ces éléments n’ont aucune incidence sur les principales conclusions tirées dans la décision. Le demandeur n’a pas non plus invoqué le caractère supérieur de la méthodologie des tests, puisqu’il met principalement l’accent sur le fait que l’évaluation du secteur privé est plus récente et qu’elle repose sur une entrevue en personne. Il a affirmé, dans sa lettre d’appel manuscrite, que le DPugh l’avait en fait interviewé pendant cinq heures et qu’il « avait effectué des tests psychologiques », et que c’est notamment pour cette raison que l’évaluation du secteur privé était plus probante.

[39]  Lorsque j’examine la décision pour établir si elle est raisonnable, je note que le demandeur a refusé de participer à la deuxième évaluation psychologique du SCC. Il a plutôt retenu les services d’un psychologue du secteur privé, ce qu’il a le droit de faire. L’évaluation du secteur privé le présente sous un jour plus favorable que toutes les évaluations menées par le SCC. Cependant, le demandeur ne peut pas maintenant prétendre que l’évaluation que le SCC a menée sans la participation du demandeur est en quelque sorte moins probante que l’évaluation du secteur privé à laquelle il a participé, puisque c’est lui qui a refusé de participer à la plus récente évaluation du SCC.

[40]  Les évaluations menées en 2012 et en 2015 par le SCC, qui ont servi à l’évaluation menées par le SCC en 2018, n’étaient pas spécieuses, comme le demandeur le laisse entendre. Le rapport du 15 mai 2012 rédigé par le Dr Darlington contenait un examen approfondi du dossier, y compris le rapport de la police d’Edmonton. Le Dr Darlington a conclu qu’il était [traduction] « très clair » que le demandeur était un violeur en série. Dans son rapport, il a également mentionné que la gravité des agressions sexuelles sous-jacentes de 2009 allait en augmentant.

[41]  L’évaluation psychologique du risque menée le 2 décembre 2015 comportait une évaluation clinique en personne. Elle ne reposait pas seulement sur un examen du dossier. Le demandeur a fait l’objet d’une évaluation de la personnalité, qui a montré qu’il se présente sous un jour trop favorable. Le psychologue qui a mené l’évaluation a constaté que le demandeur continuait de minimiser ses problèmes. Après avoir examiné les facteurs de risque de récidive avec violence, il a aussi constaté que le demandeur faisait partie de la catégorie des délinquants présentant un risque élevé.

[42]  Les facteurs de risque que présenterait le demandeur s’il était libéré, qui ont été documentés dans le rapport de 2015, ont ensuite été réévalués dans le rapport de janvier 2018. L’évaluation menée en janvier 2018 fait état de résultats constamment élevés selon le Protocole de risque de violence sexuelle et d’autres outils actuariels. Le rapport conclut qu’il existe un risque de dommage grave, compte tenu des attaques brutales non provoquées, de la faible maîtrise de soi du demandeur et de son recours à la violence, par exemple pour forcer le remboursement de dettes.

[43]  Dans le contexte de l’évaluation de la question de savoir s’il était raisonnable de préférer les rapports du SCC au rapport du secteur privé, il convient de souligner que les rapports du SCC constituent une évaluation du demandeur depuis son incarcération. Les renseignements concernant le demandeur qui sont contenus dans ces rapports proviennent de vastes consultations avec le personnel du SCC et du dossier tenu par SCC, qui consigne les interactions et le comportement du demandeur sur une longue période. Ces rapports consignent son comportement au cours de ses années d’incarcération, contrairement au rapport du secteur privé, qui a été établi en fonction d’une rencontre de cinq heures.

[44]  Fait important, la Commission n’a pas écarté l’évaluation du secteur privé. Elle l’a expressément qualifiée de facteur atténuant. Il s’agissait d’un des nombreux éléments de preuve à soupeser dans le dossier certifié du Tribunal. La Commission devait seulement tenir compte de l’évaluation du secteur privé; elle n’était pas tenue d’accepter les recommandations du Dr Pugh :

En sa qualité de tribunal indépendant, la Commission n’est pas légalement tenue de fonder ses décisions sur les recommandations favorables qui lui sont faites; elle doit seulement les examiner. Elle peut à juste titre accorder une plus grande valeur probante à d’autres éléments dont elle a été saisie, par exemple, le comportement du requérant dans l’établissement. La Cour n’est pas habilitée à usurper le rôle de la Commission.

MacDonald c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1986] 3 CF 157 (CFPI).

[45]  Comme la Section d’appel l’a expliqué au demandeur, [traduction] « il était loisible à la Commission d’accorder plus de poids au rapport du 17 janvier 2018 qu’au rapport du secteur privé que vous avez fait faire ». Cette décision appelle la retenue.

[46]  L’autre critique du demandeur à l’égard de la décision de la Commission, à savoir que la Commission a en quelque sorte mal interprété l’évaluation menée par le SCC en 2018, vise à couper les cheveux en quatre. Le demandeur tente de faire une distinction entre le langage utilisé par le SCC en 2018, soit la [traduction] « possibilité réelle » qu’une infraction de nature à causer un dommage grave soit commise, et la conclusion de la Commission selon laquelle les risques présentés par le demandeur ne sont pas [traduction] « gérables » dans la collectivité.

[47]  En réalité, comme l’a souligné la Section d’appel, une évaluation psychologique n’est qu’un des facteurs dont la Commission doit tenir compte aux termes du paragraphe 132(1) de la Loi pour décider s’il existe ou non un « risque » que le délinquant commette une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne. Voici certains des autres facteurs :

  • Le nombre d’infractions antérieures : Le demandeur a commis trois agressions sexuelles violentes; il y a eu trois incidents violents en prison et, en mai 2017, on a découvert des photos pornographiques, dont une montrant un comportement sexuel violent.
  • La gravité des infractions sous-jacentes : Le demandeur a utilisé ses poings et ses genoux pour frapper trois victimes au visage et aux côtes. Les éléments de preuve présentés à la Commission montrent que les victimes ont subi des blessures physiques et mentales graves.
  • Les menaces explicites de recours à la violence : Le demandeur a dit à l’une de ses victimes : [TRADUCTION] « Tu n’as qu’à te laisser faire et je ne te tuerai pas. »
  • Le degré de brutalité : La peine initiale a été imposée pour des incidents violents et explicites; par ailleurs, le 28 février 2018, le SCC a recommandé le maintien en détention du demandeur, soulignant que le comportement récent du demandeur en établissement montrait qu’il avait encore [traduction] « des difficultés à maîtriser ses impulsions violentes et sexuelles ».
  • Un degré élevé d’indifférence quant aux conséquences sur autrui : Dans sa recommandation, SCC a indiqué que le demandeur [traduction] « tend à minimiser et à rationaliser excessivement son comportement en blâmant ses victimes ». La Commission a tiré une conclusion semblable, en qualifiant la conduite du demandeur de superficielle. Il a continué d’adopter une [traduction] « position de victime » à l’audience.

[48]  Ce sont tous des facteurs que la Commission doit prendre en compte en application du paragraphe 132(1). Dans sa décision relative au maintien en détention du demandeur, la Commission a raisonnablement tenu compte de ces facteurs et des diverses évaluations psychologiques pour conclure que le demandeur risquait de récidiver s’il était libéré. Comme la Section d’appel l’a raisonnablement souligné, il n’est pas nécessaire d’établir tous les facteurs énumérés au paragraphe 132(1) pour maintenir une personne en détention. La Commission n’a pas commis d’erreur en considérant les accusations portées en établissement comme un facteur aggravant.

C.  La Commission a-t-elle commis une erreur en traitant les accusations portées contre le demandeur en établissement comme un facteur aggravant, alors que le demandeur n’a été déclaré coupable d’aucune des accusations?

[49]  Le demandeur indique qu’il n’a pas été reconnu coupable des accusations portées contre lui en établissement. Pour cette raison, il a affirmé que la Commission a commis une erreur dans son évaluation des accusations et des faits entourant les incidents.

[50]  Je ne saurais convenir que la Commission a commis une erreur dans son traitement des accusations portées en établissement et du comportement réel lié aux accusations. Il nest pas nécessaire qu’il y ait eu déclaration de culpabilité pour que la Commission tienne compte du comportement du demandeur lorsqu’elle décide s’il est sécuritaire de le libérer à la date de sa libération d’office. La Commission n’entend pas et n’évalue pas la preuve comme le ferait un tribunal chargé de se prononcer sur une accusation criminelle. La Commission a agi sur la foi des renseignements présentés, lesquels doivent être fiables et convaincants (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75). Les renseignements ne doivent pas être inexacts ou non fiables (Fernandez, précité, au par. 25).

[51]  La Commission disposait de renseignements fiables qui appuyaient la conclusion selon laquelle les accusations portées en établissement constituaient un facteur aggravant. L’évaluation du SCC datée du 17 janvier 2018 reconnaît que le demandeur n’a pas été déclaré coupable des cinq accusations graves de violence et de pornographie portées contre lui en établissement. Elle souligne toutefois que [traduction] « la participation du demandeur aux activités de la sous-culture carcérale et sa contribution à l’augmentation des comportements violents à l’Établissement de Bowden […] ont entraîné la reclassification de sa cote de sécurité à la cote de sécurité maximale » en 2017. Il existe une documentation volumineuse sur les hauts et les bas du demandeur au sein de l’établissement de 2012 à 2018. Il admet avoir possédé de la pornographie, même s’il en conteste la caractérisation. Il nie aussi avoir déclenché les bagarres.

[52]  Le demandeur n’a pas démontré que les renseignements sur son comportement en établissement n’étaient pas fiables ou pertinents. Dans un plan correctionnel du 27 juin 2017, un membre du personnel du SCC a mentionné que, en 2016, il avait discuté avec le demandeur de l’objectif de la libération d’office. Il avait dit au demandeur qu’il devait réussir les programmes auxquels il participait et éviter la sous-culture carcérale s’il voulait être libéré; pourtant, le demandeur a été impliqué dans deux bagarres peu après. De plus, la Commission a conclu que le demandeur était « superficiel » et qu’il n’avait admis aucune « responsabilité » à l’égard de ses actes à l’audience, ce qui laisse entendre que ses justifications pour les incidents violents n’étaient pas crédibles.

[53]  Il était raisonnable de considérer les accusations portées en établissement comme un facteur aggravant. Tout comme de nombreux autres facteurs énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi, énoncés ci-dessus, le mauvais comportement du demandeur en établissement appuyait la décision de le maintenir en détention. À la lumière de cette conclusion et de la retenue dont il faut faire preuve à l’égard de la Commission, il est clair que la Commission et la Section d’appel ont rendu des décisions raisonnables.

VI.  Conclusion

[54]  La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

VII.  Les dépens

[55]  Le demandeur a demandé des dépens de 1586,92 $ selon la colonne 1 du tarif B relatif aux honoraires et aux débours. Le défendeur a accusé réception du mémoire de dépens du demandeur, mais il a demandé une réduction du montant lié à l’article 7. Il a aussi demandé à la Cour de ne pas accorder de TPS sur les frais. Le défendeur n’a pas demandé de dépens.

[56]  Étant donné que la demande est rejetée, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2164-18

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada comme le seul défendeur.

  2. La demande est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de décembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2164-18

 

INTITULÉ :

OLDIN MALDONADO c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Amanda Hart-Dowhun

Pour le demandeur

Keelan Sinnott

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ADH Law

Edmonton (Alberta)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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