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Date: 20191030


Dossier : T-1225-18

Référence: 2019 CF 1362

Montréal (Québec), le 30 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

RICHARD AKOUN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Service Canada [ministère] assure la prestation des programmes et des services d’Emploi et Développement social Canada pour le gouvernement du Canada. Au mois d’octobre 2011, le demandeur, M. Richard Akoun, a eu soixante-cinq ans. Le 27 janvier 2016, il a été informé par le ministère qu’il n’a jamais été admissible aux prestations de supplément de revenu garanti [SRG ou supplément], qui lui ont été versées en plus de sa pension en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O‑9 [LSV], pendant la période allant de novembre 2011 à février 2015. Il s’agit d’un trop-perçu de 17 251,70 $ [le trop-perçu].

[2] En l’absence d’une condamnation, l’alinéa 37(4) de la LSV autorise le ministre de l’Emploi et du Développement social [ministre] à faire remise à un pensionné débiteur de tout ou partie des montants qui lui ont été versés indûment (ou en excédent), s’il est convaincu que la créance résulte d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la loi. Le pouvoir du ministre de faire remise est discrétionnaire. C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique (Tomar c Canada (Procureur général), 2008 CF 292 aux para 46-47; Barry c Canada (Procureur général), 2010 CF 1307).

[3] Aujourd’hui, le demandeur recherche l’annulation d’une décision du ministre en date du 25 mai 2018 refusant de faire remise du trop-perçu. En l’espèce, le ministre considère que les nombreuses déclarations contradictoires du demandeur concernant son état civil et le moment où il s’est séparé et/ou a vécu en union de fait avec son ex-épouse ont été la cause ultime du trop-perçu. Celui-ci ne résulte donc pas d’une erreur administrative, imputable au ministère. Ce faisant, le ministre a rejeté l’argument du demandeur que l’égarement temporaire de l’une des nombreuses déclarations contradictoires du demandeur justifiait une remise de la dette.

[4] Le demandeur ne m’a pas convaincu que le ministre a commis une erreur révisable. La décision du ministre repose sur la preuve au dossier et constitue une issue acceptable possible compte tenu du droit applicable et de la preuve au dossier. Je ne vois pas où le ministère a commis une erreur administrative. Dès le départ, l’erreur reprochée au ministère dans le calcul du SRG est entièrement imputable au demandeur.

[5] Le demandeur et Mme Anna Ventura [ex-épouse] se sont mariés en 1983. Le 1er novembre 2010, leur mariage a été dissous par un jugement de divorce. Il n’empêche, les deux ex-époux ont continué de vivre ensemble après leur divorce. Or, contrairement à ce que prescrit le paragraphe 15(1) de la LSV, le demandeur n’a pas déclaré dans sa demande de supplément, reçue le 23 septembre 2011 par le ministère, qu’il avait une conjointe de fait. Pourtant, son ex-épouse gagnait un revenu et celui-ci aurait dû être déclaré au ministère. Des prestations de SRG ont donc commencé à être versées au demandeur à partir de janvier 2012, rétroactivement au mois de novembre 2011, comme si le demandeur vivait seul depuis son divorce. À ce chapitre, la loi est claire: le trop-perçu – qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit – doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque (paragraphe 37(1) de la LSV).

[6] Aujourd’hui, le demandeur prétend que le ministère a commis une erreur administrative, parce que dans sa demande de pension, reçue le 23 novembre 2011 par le ministère, il a bien indiqué qu’il avait une conjointe de fait. Le ministère aurait dû s’apercevoir, à ce moment-là, que le demandeur n’avait pas droit au supplément. C’est un argument fallacieux. Le ministère reçoit et traite des milliers de demandes de pension. Il incombait plutôt au demandeur de retourner en janvier 2012 son premier chèque de supplément plutôt que de l’encaisser. Comme nous allons le voir plus loin, il a continué d’induire le ministère en erreur sur son état civil véritable, allant jusqu’à nier en avril et novembre 2015 qu’il vivait en union de fait avec son ex-épouse après que le ministère ait cessé en février 2015 de lui verser un supplément.

[7] En juillet 2012, un avis annuel de renouvellement de supplément pour la période allant de juillet 2012 à juin 2013 a été envoyé automatiquement. L’avis précise que les prestations de supplément que reçoit le demandeur sont basées sur son état civil de personne vivant seule. Le 22 août 2012, le demandeur communique par téléphone avec un agent et l’informe qu’il «a repris la vie commune avec son ex-épouse (ils étaient divorcés) depuis le mois de juillet 2012» [je souligne]. Puisque le demandeur a déclaré, en août 2012, qu’il venait de reprendre la vie commune depuis juillet 2012, cela n’affectait pas rétroactivement le versement de prestations de supplément de novembre 2011 à juin 2012. Où est l’erreur administrative du ministère?

[8] D’ailleurs, en août 2012, l’analyste note au dossier qu’il faudra envoyer «en temps venu» au demandeur une Déclaration solennelle d’union de fait (formulaire ISP 3004) [déclaration d’union]. Le problème, on le sait aujourd’hui, c’est que le demandeur ne disait pas toute la vérité sur son état civil. Qu’à cela ne tienne, le demandeur dit qu’il a, par la suite, dit la vérité et clarifié en mars 2013 son véritable état civil. Voyons ce qu’il en est vraiment.

[9] Le 26 mars 2013, le ministère reçoit une déclaration d’union, en date du 21 mars 2013, du demandeur et de son ex-épouse. Ils déclarent habiter ensemble depuis 30 ans, soit du 10 décembre 1983 au 17 mars 2013; ils sont parents de deux enfants; ils sont copropriétaires d’un immeuble; et ils ont des comptes communs. Soulignons que la déclaration de mars 2013 a été temporairement égarée par le ministère, de sorte que les prestations de supplément pour la période de juin 2013 à juillet 2014 n’ont pas été interrompues. Aujourd’hui, le demandeur dit que cette déclaration, véridique celle-là, corrige et remplace les renseignements inexacts et trompeurs fournis au ministère en septembre 2011 et en juillet 2012.

[10] Je suis d’accord avec le défendeur que le demandeur ne peut aujourd’hui s’appuyer sur la déclaration de mars 2013, puisqu’il avait lui-même répudié sa véracité par des déclarations contradictoires, faites en 2014 et 2015. Il ne s’agit pas d’un appel ici. Il n’est pas déraisonnable pour le ministre de considérer que le retard occasionné par l’égarement de la déclaration de mars 2013 n’a pas un caractère déterminant. En effet, dans leur déclaration d’union, en date du 11 août 2014, le demandeur et son ex-épouse déclarent vivre en union de fait depuis avril 2014. Plus curieux encore, le couple déclare alors qu’il n’a aucun d’enfant. Si le couple vit véritablement en union de fait depuis seulement le mois d’avril 2014, l’égarement temporaire de la déclaration de mars 2013 a seulement profité au demandeur qui avait donc droit de recevoir des prestations de SRG depuis novembre 2011.

[11] En mars 2015, des nouveaux formulaires de SRG sont transmis au demandeur, qui les retourne le 23 mars 2015. Cette fois-ci, contre toute attente, le demandeur déclare maintenant être divorcé et vivre seul. Un formulaire de séparation (ISP 1811) est donc transmis au demandeur afin qu’il fournisse une preuve écrite de son nouvel état civil. Le 22 avril 2015, le demandeur déclare dans une lettre manuscrite que Mme Ventura n’est plus sa conjointe de fait depuis novembre 2014, ce qui contredit toutes les déclarations antérieures du demandeur et de son ex-épouse. Le 9 novembre 2015, le demandeur et son ex-épouse produisent une Déclaration solennelle – Séparation d’époux légaux ou conjoints de fait (ISP 1811). Cette fois-ci le couple déclare qu’ils sont séparés, même si dans les faits, ils ont vécu ensemble dans une relation amicale et non conjugale depuis 2012…

[12] Admettons que l’histoire du demandeur et de son ex-épouse est difficile à suivre. La date où le demandeur a une conjointe de fait, s’est séparé et a repris la vie commune a varié au fil des années. Où est la vérité dans tout cela?

[13] À cause de la confusion et des déclarations contradictoires du couple, et suite à la suspension des prestations en février 2015, une enquête d’intégrité est initiée en novembre 2015. Le ministère obtient alors divers documents pertinents à l’état civil du demandeur, y compris les déclarations d’impôts (contradictoires encore une fois) sur le statut civil du demandeur et de son ex-épouse. Le couple a vécu ensemble dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal. Puis après leur divorce, le couple a acheté un condominium dans le même quartier où ils ont continué d’habiter ensemble.

[14] En janvier 2016, une agente du ministère [l’enquêtrice] rencontre le demandeur à son domicile. Mme Ventura n’est pas présente durant la rencontre – puisqu’elle est apparemment au travail. Le 15 janvier 2016, l’enquêtrice complète son rapport d’entrevue. En résumé, le demandeur admet ne pas s’être séparé physiquement de son ex-conjointe, même si le couple a obtenu le divorce en 2010. En fait, d’un point de vue financier, rien n’a changé après le divorce : le couple a toujours un compte conjoint, une voiture, une assurance-vie qui désigne l’autre conjoint, un testament réciproque, etc. Cela dit, le demandeur dit ne pas vivre «en relation conjugale» mais seulement avoir une «relation amicale» avec son ex-épouse. Pourtant, plusieurs de leurs amis ne sont pas au courant qu’ils sont divorcés – seulement la famille proche. D’ailleurs, ils habitent avec leur fille et leur condominium a seulement deux chambres.

[15] Suite à la recommandation de l’enquêteur, le 27 janvier 2016, le ministère informe le demandeur qu’il n’a jamais été admissible au SRG pendant la période allant de novembre 2011 à février 2015 parce que le revenu total du demandeur et de sa conjointe de fait était trop élevé. Conséquemment, un trop-perçu de 17 251,70 $ a été versé au demandeur. Les prestations mensuelles de SV du demandeur seront donc réduites à 144,00 $, soit jusqu’à ce que le trop-perçu soit à zéro. Mais comme nous allons maintenant le voir, le demandeur décide de jouer le tout pour le tout: le demandeur nie maintenant avoir vécu en union de fait avec son ex-conjointe depuis leur divorce le 1er novembre 2010. Il avait donc droit aux prestations de SRG sur la base d’une personne vivant seule entre novembre 2011 et février 2015.

[16] Ayant entretemps tenté sans succès de faire réviser administrativement la décision du 27 janvier 2016, le demandeur loge le 18 octobre 2016 un appel devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale [Tribunal] aux fins de faire trancher son admissibilité aux prestations de SRG – ce qui suspend alors l’exécution de la décision du 27 janvier 2016 de réduire les prestations mensuelles de sécurité de la vieillesse à 144, 00 $. Parallèlement à son appel, le 3 juillet 2017, le demandeur demande également au ministre de faire une remise totale de dette sur la base qu’une erreur administrative a été commise par le ministère. Le 22 mai 2018, le Tribunal rejette l’appel du demandeur et l’avise du même coup qu’il n’a pas compétence pour décider s’il devrait y avoir une remise du trop-payé suite à une erreur administrative du ministère.

[17] Pour résumer sa position devant cette Cour, le demandeur prétend aujourd’hui que le ministre a arbitrairement ignoré des éléments de preuve pertinents – particulièrement le retard de traitement de la déclaration de mars 2013, qui a été égarée temporairement. D’autre part, le trop-perçu n’aurait jamais atteint un montant aussi élevé – ce qui affecte maintenant la capacité du demandeur de rembourser la dette – si les prestations avaient été suspendues quelques mois après la déclaration de mars 2013. En somme, si cette dernière avait été traitée dans un délai plus court, il n’aurait pas fait les autres déclarations contradictoires en 2014 et 2015.

[18] Au risque de me répéter, les reproches du demandeur ne sont pas fondés. C’est le demandeur qui doit subir les conséquences fâcheuses sur le plan financier des déclarations fausses, inexactes ou trompeuses qu’il a faites dans le dossier. Le refus d’accorder une remise en vertu de l’alinéa 37(4)d) de la LSU – parce que le ministre n’est pas convaincu que la créance résulte d’une erreur administrative – n’est pas arbitraire ou capricieux. Les motifs de décision sont transparents. Le raisonnement du ministre est logique et cohérent.

[19] En conclusion, le refus ministériel constitue une issue acceptable compte tenu de la preuve au dossier et du droit applicable. Cela dit, si le demandeur considère que le remboursement du trop-perçu lui causera un préjudice injustifié, et sans me prononcer à ce sujet, il peut toujours demander au ministre de faire remise de tout ou partie des montants qui lui ont été versée indûment (alinéa 37(4)c) de la LSV).

[20] Le défendeur ne requiert pas l’octroi de dépens. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée sans dépens.


JUGEMENT au dossier T-1225-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1225-18

 

INTITULÉ :

RICHARD AKOUN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Catherine Boutin

 

Pour le demandeur

Marcus Dirnberger

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau d’aide juridique Côte-des-Neiges

Montréal (Québec)

 

Pour le DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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