Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20191113

Dossier : IMM‑754‑19

Référence : 2019 CF 1407

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SUNDAY JOSEPH ABIMBOLA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, Sunday Joseph Abimbola, sollicite un contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] en vue de faire annuler la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile en se fondant sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité.


II.  Les faits

[2]  Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Il prétend être exposé à un risque aux mains de son beau‑père, car celui‑ci aurait exigé que sa femme et sa fille subissent une mutilation génitale féminine. Dans son exposé circonstancié, le demandeur a principalement évoqué les menaces visant son épouse, lesquelles l’exposeraient indirectement à un risque. L’épouse du demandeur est arrivée au Canada avant lui et a présenté une demande d’asile distincte. Cette demande avait déjà été rejetée au moment où le demandeur l’a suivie au Canada.

[3]  Le demandeur a quitté le Nigéria sous une autre identité et s’est rendu aux États‑Unis le 16 novembre 2017. Il est entré au Canada à partir des États‑Unis après avoir obtenu un visa et demandé l’asile. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), il a indiqué que la demande de son épouse avait été rejetée.

III.  La décision contestée

[4]  La question principale en litige devant la SPR concernait la crédibilité du demandeur. La SPR a comparé l’exposé circonstancié du demandeur au témoignage qu’il avait livré de vive voix et elle a conclu que le récit du demandeur concernant les événements survenus au Nigéria n’était pas crédible, car la preuve contenait des omissions, des embellissements, des incohérences et des invraisemblances.

[5]  Par ailleurs, comme l’allégation du demandeur découlait principalement des circonstances personnelles de son épouse et de ses enfants, la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible, puisqu’il n’avait pas fourni l’exposé circonstancié de la demande d’asile de son épouse. Cependant, après l’audience, le demandeur a fourni le formulaire FDA de son épouse au commissaire de la SPR. La SPR a conclu que les renseignements contenus dans l’exposé circonstancié de l’épouse contredisaient également certaines parties du témoignage du demandeur.

IV.  Les questions en litige

[6]  Devant la Cour fédérale, le demandeur a soutenu que la SPR avait manqué à l’équité procédurale en concluant qu’il n’était pas crédible parce qu’il n’avait pas soumis le FDA de son épouse et en ne lui fournissant aucune occasion de répondre lorsqu’il a déposé le FDA après l’audience.

V.  La norme de contrôle

[7]  Les questions d’équité procédurale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte. Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au par. 127; Kastrati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1141, aux par. 9‑10.

VI.  Analyse

[8]  En premier lieu, je rejette la demande du demandeur au motif que rien n’indique que les incohérences relevées dans le FDA de l’épouse étaient un facteur déterminant eu égard à la question de la crédibilité. De nombreux autres éléments de preuve, concernant principalement les problèmes dans son témoignage, étaient plus que suffisants pour appuyer la conclusion défavorable quant à la crédibilité, de sorte que les questions débattues concernant la justice naturelle ne pouvaient influer sur le résultat. Néanmoins, j’examinerai les questions telles que le demandeur les a soumises.

[9]  Eu égard à la première question en litige, celle concernant son défaut de produire le FDA de son épouse durant l’audience, je ne suis pas d’accord pour dire que cela soulève une question d’équité procédurale. Les décideurs ont le droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité lorsque des documents très pertinents, que l’on sait en la possession d’une partie, ne sont pas déposés en preuve. Cela est encore plus vrai dans le contexte d’une audience devant la SPR où il n’existe aucune règle obligatoire concernant la communication de documents pertinents en la possession d’une partie, comme c’est le cas dans la plupart des procédures civiles contradictoires.

[10]  En outre, si des renseignements qui sont censés corroborer le dossier du demandeur ne sont pas produits, cela contrevient à l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012‑256) [les Règles] ou du moins cela entraîne une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur le fondement de cet article. L’article 11 prévoit qu’« [un] demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile » et que « [s]’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents » (non souligné dans l’original). Il est présumé que les documents comme le FDA de l’épouse corroboreraient le témoignage du demandeur, de sorte que s’il ne le dépose pas en preuve sans fournir d’explication, il est loisible à la SPR de conclure que cette absence d’explication mine la crédibilité du demandeur et la suffisance de son dossier.

[11]  Passons maintenant à la deuxième question. La SPR a examiné le FDA de l’épouse et a conclu que les renseignements qui y étaient contenus n’étaient pas compatibles avec le dossier du demandeur et ne pouvaient renforcer ce dossier. Étant donné que le demandeur n’avait pas produit ce document hautement pertinent et avait donc empêché que des questions soient posées sur son contenu, la SPR n’était pas tenue d’informer le demandeur que la preuve ne lui était pas favorable ni de lui fournir l’occasion de répondre lorsqu’il a finalement produit le document après l’audience. Il s’agit là des conséquences d’un défaut de produire des éléments de preuve que l’on sait pertinents et en la possession d’une partie durant l’audience sans fournir d’explication. Dans la plupart des cas, après une audience complète, le demandeur représenté devrait être en mesure de prévoir les problèmes que le nouveau document pourrait entraîner. Par conséquent, des explications peuvent être données à l’avance sur ces points, comme c’est souvent le cas dans les procès où la partie divulgue des éléments accablants dans son témoignage lors de l’interrogatoire principal plutôt que d’attendre qu’ils soient découverts lors du contre‑interrogatoire.

[12]  De plus, selon les paragraphes 21(1) et (2) des Règles, le commissaire n’est pas tenu d’obtenir des renseignements provenant d’une autre demande d’asile qui n’ont pas été présentés par les parties et de les communiquer au demandeur, comme celui‑ci semble le faire valoir. Ces dispositions prévoient ce qui suit :

Communication de renseignements d’une autre demande d’asile

21(1) Sous réserve du paragraphe (5), la Section peut communiquer au demandeur d’asile des renseignements personnels et tout autre renseignement qu’elle veut utiliser et qui proviennent de toute autre demande d’asile si la demande d’asile soulève des questions de faits semblables à celles d’une autre demande ou si ces renseignements sont par ailleurs utiles pour statuer sur la demande.

Avis à un autre demandeur d’asile

(2) Dans le cas où des renseignements – personnels ou autres – concernant un autre demandeur d’asile n’ont pas déjà été rendus publics, la Section fait des efforts raisonnables pour aviser par écrit celui‑ci des faits suivants :

a) elle a l’intention de les communiquer à un demandeur d’asile;

b) l’autre demandeur d’asile peut s’opposer à cette communication

Disclosure of information from another claim

21 (1) Subject to subrule (5), the Division may disclose to a claimant personal and other information that it wants to use from any other claim if the claims involve similar questions of fact or if the information is otherwise relevant to the determination of their claim.

 

 

Notice to another claimant

 

(2) If the personal or other information of another claimant has not been made public, the Division must make reasonable efforts to notify the other claimant in writing that

 

 

 

(a) it intends to disclose the information to a claimant; and

 

(b) the other claimant may object to that disclosure.

[13]  Le paragraphe 21(1) prévoit que la SPR « peut communiquer » des renseignements provenant d’une autre demande d’asile. Il ne s’applique toutefois pas en l’espèce, puisque c’est le demandeur qui était en possession du document et qui aurait dû le communiquer à la SPR, ce qu’il a fini par faire. Le paragraphe 21(2) ne s’applique pas non plus. Il ne porte que sur l’envoi d’un avis à l’autre demandeur d’asile (l’épouse du demandeur) concernant les renseignements personnels susceptibles d’être communiqués par la SPR.

[14]  Néanmoins, je conviens que, dans une situation où la SPR se fondait sur des renseignements qu’elle a obtenus elle‑même et qu’elle les utilisait pour tirer une conclusion défavorable contre une partie, elle contreviendrait ainsi aux règles de l’équité procédurale, ce qui constituerait une erreur susceptible de contrôle, car elle n’aurait pas communiqué les renseignements et fourni au demandeur l’occasion d’y répondre (si cela n’a pas déjà été fait durant l’audience).

[15]  Enfin, lorsqu’un demandeur soulève une allégation d’iniquité procédurale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, et lorsqu’il soutient qu’il aurait pu fournir des réponses s’il avait été informé des conclusions défavorables tirées contre lui, comme en l’espèce, il est tenu de déposer un affidavit devant la Cour pour démontrer le préjudice découlant de l’iniquité alléguée, à savoir, que l’iniquité en question aurait eu une incidence sur l’issue de la cause. Aucun élément de preuve du genre n’a été fourni pour appuyer la présente demande. Il s’agit d’un autre motif pour lequel elle est rejetée.

 

VII.  Conclusion

[16]  Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée aux fins d’appel et aucune ne sera certifiée.


 

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification.

 

« Peter Annis »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de novembre 2019

Maxime Deslippes

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑754‑19

INTITULÉ :

SUNDAY JOSEPH ABIMBOLA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 OCTOBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

PETER LULIC

POUR LE DEMANDEUR

LORNE MCCLENAGHAN

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PETER LULIC

POUR LE DEMANDEUR

LORNE MCCLENAGHAN

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.