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Date : 20191114


Dossier : T‑548‑18

Référence : 2019 CF 1434

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LOBLAWS INC.

demanderesse

et

COLUMBIA INSURANCE COMPANY, THE PAMPERED CHEF, LTD. ET PAMPERED CHEF – CANADA CORP.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES

I.  Aperçu

[1]  Les présents jugement et motifs supplémentaires portent sur les dépens afférents à la présente action, que la demanderesse, Loblaws Inc. [Loblaw], a engagée contre les défenderesses, Columbia Insurance Company, The Pampered Chef, Ltd. et Pampered Chef ‑ Canada Corp. [collectivement, Pampered Chef], en faisant valoir diverses causes d’action fondées sur la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T‑13 [la Loi] et en sollicitant les réparations connexes. Pampered Chef a présenté une demande reconventionnelle en vue de faire déclarer invalides et radier du registre certaines marques de commerce visées par l’action de Loblaw, au motif qu’elles n’étaient pas distinctives de cette dernière. De façon générale, le litige découlait du fait que les deux parties employaient des marques de commerce comportant les lettres « PC », qui désignaient à la fois « Pampered Chef » et la marque « President’s Choice » de Loblaws.

[2]  Le 22 juillet 2019, j’ai rendu une version confidentielle et une version publique de ma décision (voir Loblaws Inc. c Columbia Insurance Company, 2019 CF 961, pour ce qui est du jugement et motifs publics), par laquelle je rejetais à la fois les demandes de Loblaw et la demande reconventionnelle de Pampered Chef. Comme en ont convenu les parties, j’ai reporté le prononcé de ma décision sur les dépens afin de donner aux parties la possibilité d’arriver à une entente, à défaut de quoi chacune d’entre elles pourrait présenter des observations écrites sur la façon de traiter les dépens. Malgré les efforts déployés par les parties pour en arriver à une entente, efforts soutenus par un certain nombre de prorogations de délai, elles n’ont pas réussi à s’entendre. Les parties ont donc déposé leurs observations écrites, que j’ai prises en considération pour arriver à la présente décision sur les dépens.

[3]  Pour les motifs expliqués ci‑après, j’accorde à Pampered Chef la somme globale de 500 000 $ à titre de dépens, plus 203 487,11 $ de débours, soit un total de 703 487,11 $.

II.  Les positions des parties

[4]  Pampered Chef exhorte la Cour à adjuger au titre des dépens une somme globale de 997 028,91 $, répartie comme suit : a) 793 541,80 $, soit 40 % du montant total des honoraires d’avocat qu’elle a engagés en l’espèce, plus b) des débours de 203 487,11 $. Elle a déposé à titre confidentiel une preuve par affidavit, à laquelle était jointe une copie des états de compte de ses avocats. Le nombre de 793 541,80 $ mis de l’avant par Pampered Chef semble être fondé (approximativement) sur 40 % d’un montant total d’honoraires de 1 983 854,50 $, lequel est ventilé à la dernière pièce jointe à cet affidavit.

[5]  Pampered Chef a elle aussi déposé un projet de mémoire de dépens, dans lequel sont calculés les dépens (exclusion faite des débours) qui seraient disponibles si l’on appliquait soit le milieu de la colonne III soit le haut de la colonne IV du tarif B des Règles des cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Ces calculs s’élèvent, respectivement, à 188 649,39 $ et 406 230 $. À l’appui de sa position selon laquelle ces chiffres calculés en vertu du tarif seraient insuffisants, Pampered Chef explique que les chiffres ne représentent, respectivement, que 9,5 % et 20,5 % des honoraires qu’elle a réellement engagés.

[6]  Loblaw ne s’oppose pas à ce que la Cour adjuge les dépens sous la forme d’une somme globale par souci d’efficacité, plutôt que de fonder l’adjudication des dépens sur le tarif B. Elle conteste toutefois la position de Pampered Chef selon laquelle une telle adjudication devrait reposer sur une échelle majorée.

[7]  Loblaw estime que la Cour se doit d’adjuger des dépens d’un montant total de 358 300,17 $, réparti comme suit : a) 12 % de 1 757 110,50 $ en honoraires d’avocat, plus b) 147 446,91 $ en débours. Elle arrive au chiffre de 12 % en suggérant que : a) le pourcentage de 15 % pour ce qui est des honoraires d’avocat cadre davantage avec la jurisprudence, et b) il convient de réduire de 3 % de plus ce pourcentage de 15 % (soit 20 % de 15 %) pour tenir compte de la demande reconventionnelle infructueuse de Pampered Chef. Elle affirme également que le chiffre de 12 % se rapproche davantage du montant prévu par le tarif. Loblaw calcule le montant de 1 757 110,50 $ au titre des honoraires d’avocat de Pampered Chef en prenant le montant total des honoraires d’avocat de cette dernière, soit 1 983 854,50 $ (exclusion faite des débours), et en soustrayant les honoraires relatifs à l’un de ses trois avocats principaux, qui n’est intervenu que peu avant l’instruction et pendant celle-ci, et à deux avocats subalternes, qui n’ont pas comparu à l’instruction ou aux interrogatoires préalables. Elle arrive au chiffre de 147 446,91 $ qu’elle propose pour les débours en effectuant certaines réductions qui, soutient-elle, devraient être appliquées aux honoraires des experts de Pampered Chef.

III.  Analyse

A.  Le caractère approprié d’une adjudication de dépens sous forme globale

[8]  Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, Loblaw ne s’oppose pas à une adjudication de dépens sous forme globale, plutôt qu’une adjudication fondée sur le tarif. Elle renvoie la Cour à l’arrêt Nova Chemicals Corporation c The Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova Chemicals CAF], au paragraphe 21, où la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge de première instance d’adjuger une somme globale afin d’éviter que les parties engagent des frais et du temps supplémentaires en raison de la taxation de dépens. La Cour a fait référence à la pratique consistant à adjuger les dépens sous forme globale, en pourcentage des dépens réels raisonnablement engagés, une pratique également établie dans la jurisprudence, notamment dans les affaires où l’on a affaire à des parties averties (ibidem, au par. 16). La Cour d’appel fédérale a récemment cité, en y souscrivant, les passages extraits de l’arrêt Nova Chemicals CAF dans l’arrêt Sports Maska Inc c Bauer Hockey Ltd, 2019 CAF 204 [Sports Maska], au paragraphe 50.

[9]  Si j’applique ce raisonnement, je suis convaincu que la présente affaire se prête bien à une adjudication sous forme globale qui serait basée sur un pourcentage des honoraires de Pampered Chef. Il me faut donc à la fois déterminer le pourcentage qui convient et juger si des déductions devraient être faites aux honoraires réels avant d’appliquer ce pourcentage.

B.  La détermination d’un pourcentage approprié

[10]  Pour ce qui est du pourcentage approprié, Pampered Chef se fonde sur la fourchette comprise entre 25 % et 50 % qui est décrite dans l’arrêt Sports Maska. Elle cite plusieurs exemples qui se situent dans cette fourchette (30 % dans Apotex Inc. c Shire LLC, 2018 CF 1106; 30 % dans The Dow Chemical Company c Nova Chemicals Corporation, 2016 CF 91, conf. par Nova Chemicals CAF; 33 % dans H‑D USA, LLC c Berrada, 2015 CF 189 [H‑D USA]; 25 % dans Eli Lilly c Apotex Inc., 2011 CF 1143; 33 % dans Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Limitée, 2015 CAF 9 [Philip Morris CAF], et 50 % dans Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2010 CF 1335 [Air Canada]). Pampered Chef propose 40 %, ce chiffre se situant parfaitement dans cette fourchette.

[11]  En réponse, Loblaw fait valoir que les tribunaux adjugent les dépens sous forme globale dans la fourchette comprise entre 25 % et 50 % pour tenir compte d’un aspect qui sort de l’ordinaire. Elle soutient qu’en l’absence de telles circonstances les tribunaux ont tendance, dans les affaires de propriété intellectuelle, à adjuger les dépens sous forme globale dans la fourchette comprise entre 10 % et 20 %. Loblaw cite les précédents suivants : 10 % dans Bodum USA Inc. c Trudeau Corporation (1989) Inc., 2013 CF 128 [Bodum]; 20 % dans Dimplex North America Ltd c CFM Corporation, 2006 CF 140, et 12,5 % dans ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co., 2013 CF 1050. Loblaw propose donc le chiffre de 15 %, qui représente le milieu de la fourchette comprise entre 10 % et 20 %, un chiffre qu’elle réduit de plus à 12 % en se fondant sur la demande reconventionnelle infructueuse de Pampered Chef.

[12]  Loblaw se fonde en particulier sur ce qu’a décrété la Cour fédérale dans la décision Bodum, au paragraphe 9, à savoir qu’on ne pouvait pas comparer l’affaire de marque de commerce dont elle était saisie à certaines affaires pharmaceutiques sur le plan de la complexité, de la durée ou du nombre de témoins. Loblaw fait donc valoir qu’une distinction peut être effectuée entre les précédents invoqués par Pampered Chef et la présente affaire. Faisant référence à l’arrêt Nova Chemicals CAF, Loblaw signale que le juge de première instance avait qualifié l’affaire d’instance en matière de brevet extrêmement complexe, qui avait comporté 33 jours d’interrogatoires préalables, 32 jours d’instruction, des observations finales écrites d’une longueur de plus de 700 pages et des honoraires de 9,6 millions de dollars engagés par la partie qui avait eu gain de cause (aux par. 2 et 3). Par contraste, Loblaw indique que la présente affaire a comporté six jours d’interrogatoires préalables, sept jours d’instruction et des observations finales écrites de 70 pages par partie.

[13]  Pour écarter la décision H‑D USA, Loblaw signale que la Cour a conclu au paragraphe 21 qu’il était justifié d’adjuger des dépens élevés, parce que l’action avait duré plus de sept ans et comporté trois offres de règlement qui avaient été rejetées. Loblaw dresse un contraste entre cette situation et la présente affaire, qui n’a duré qu’un an et n’a comporté aucune offre de règlement.

[14]  À l’appui de sa position selon laquelle les adjudications de dépens sous forme globale qui se situent dans la fourchette comprise entre 25 % et 50 % témoignent d’un aspect sortant de l’ordinaire ou de circonstances exceptionnelles, Loblaw cite l’arrêt Nova Chemicals CAF, au paragraphe 17, et la décision H‑D USA, aux paragraphes 26 et 27. Selon moi, ces renvois n’étayent pas les affirmations de Loblaw. Dans l’arrêt Nova Chemicals CAF, au paragraphe 17, la Cour d’appel fédérale a plutôt conclu qu’il ressortait d’une revue de la jurisprudence que les dépens majorés adjugés sous forme globale correspondent généralement à un pourcentage variant de 25 % à 50 % des dépens réellement engagés, encore qu’il puisse y avoir des cas susceptibles de justifier un pourcentage qui soit supérieur ou inférieur. Dans la décision H‑D USA, aux paragraphes 26 et 27, la Cour fédérale a pris acte de décisions judiciaires faisant état de l’imposition d’adjudications de dépens qui totalisaient environ le tiers des honoraires d’avocat engagés et elle a conclu que l’on accorde des adjudications de dépens équivalant à 50 % des honoraires d’avocat dans des circonstances exceptionnelles. Bien que cette conclusion laisse entendre que le haut de la fourchette comprise entre 25 % et 50 % soit réservé à des circonstances exceptionnelles, cela ne veut pas dire que la fourchette elle-même ne s’applique qu’aux affaires de cette nature.

[15]  Ayant pris en considération les décisions que les deux parties ont citées, je juge que ce que la Cour d’appel fédérale a décrété aux paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Nova Chemicals CAF, et qui est largement réitéré au paragraphe 50 de l’arrêt Sports Maska, résume la jurisprudence avec justesse. C’est‑à‑dire que, comme il a été signalé plus tôt, la pratique qui consiste à adjuger les dépens sous forme globale, en pourcentage des dépens réels raisonnablement engagés, est bien établie, notamment dans les cas où l’on a affaire à des parties commerciales averties, et ces adjudications de dépens se situent généralement dans une fourchette comprise entre 25 % et 50 % des honoraires d’avocat réellement engagés, encore qu’il puisse y avoir des cas où il est justifié d’accorder un pourcentage supérieur ou inférieur.

[16]  Je signale également que les adjudications qui se situent dans la fourchette comprise entre 25 % et 50 % ne se limitent pas aux litiges en matière de brevet pharmaceutique. Par exemple, l’adjudication de 50 % des dépens réellement engagés que le juge Hughes a prononcée dans la décision Air Canada mettait en cause des demandes de contrôle judiciaire relatives à certaines décisions prises par l’Administration portuaire de Toronto à l’égard d’activités menées dans un aéroport commercial. Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Philip Morris CAF, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’adjudication de 33 % du juge de Montigny, dans le cadre d’un litige en matière de marque de commerce.

[17]  Conformément à la jurisprudence, il convient d’examiner l’application possible des facteurs que suggère le paragraphe 400(3) des Règles pour choisir un pourcentage qui conviendrait à mon adjudication de dépens. Pampered Chef souligne en particulier les points qui suivent.

1)  Le résultat de l’instance, les sommes réclamées et les sommes recouvrées

[18]  Pampered Chef signale que Loblaw a fait valoir cinq causes d’action en vertu de la Loi et qu’elle sollicitait des réparations comportant un redressement par voie d’injonction, des dommages‑intérêts ou la restitution des bénéfices, la destruction de produits, de même que des dommages-intérêts punitifs, exemplaires et majorés. Loblaw a finalement retiré sa demande de dommages-intérêts punitifs, exemplaires et majorés, mais pas avant que l’instruction ait débuté.

[19]  Pampered Chef affirme avec raison que, dans sa défense contre l’action de Loblaw, elle a obtenu gain de cause sur toute la ligne. Cependant, elle n’a pas fait valoir avec succès sa demande reconventionnelle, par laquelle elle contestait la validité de la marque nominale « PC » de Loblaw. Elle soutient que sa demande reconventionnelle infructueuse ne devrait avoir aucune incidence sur l’adjudication de dépens parce que cette demande, à l’instar de la défense, était fondée sur des marques et des produits coexistants, identifiés par l’acronyme « PC », et qu’elle avait trait aux mêmes éléments de preuve que ceux sur lesquels reposait la défense. Cela étant, Pampered Chef soutient que Loblaw a consacré relativement peu de temps à la demande reconventionnelle. Elle ajoute que la Cour a reconnu que cette demande reconventionnelle était en fait un argument subsidiaire.

[20]  Ce dernier point renvoie au fait que la Cour a reconnu que les avocats de Pampered Chef ont confirmé à l’instruction que, si Loblaw ne réussissait pas à convaincre la Cour dans les causes d’action qu’elle faisait valoir, il n’était pas nécessaire que la Cour traite de la contestation de Pampered Chef quant à la validité de la marque nominale de Loblaw. Cependant, Pampered Chef n’a adopté cette position qu’au stade de la plaidoirie finale à l’instruction.

[21]  Invoquant la décision Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Limited, 2011 CF 1113 [Philip Morris], aux paragraphes 13 et 14, conf. par Philip Morris CAF, Pampered Chef soutient que le défaut d’obtenir gain de cause dans le cadre de toutes les demandes ou dans une demande reconventionnelle importe généralement peu dans le cas d’une adjudication de dépens. Selon moi, cette décision n’étaye pas cet argument. Dans la décision Philip Morris, le juge de Montigny a rejeté l’argument selon lequel l’échec de la demanderesse à l’égard de certaines questions en litige était une raison pour la priver des dépens. Le juge de Montigny a toutefois fait remarquer, au paragraphe 16, qu’il est possible qu’une partie ayant gain de cause ait droit à des dépens inférieurs si on ne lui a pas donné raison à l’égard d’une ou plusieurs questions en litige importantes.

[22]  L’allégation de Pampered Chef selon laquelle la marque nominale « PC » n’est pas distinctive de Loblaw reposait principalement sur un dessin-marque enregistré par une entreprise appelée Ventura Foods en 1971, soit plus de 10 ans avant que Loblaw enregistre sa marque. La preuve entourant Ventura a accaparé un temps et des efforts importants, dont le fait d’être l’un des sujets principaux de la déposition d’un témoin de Pampered Chef, M. Stephan, et le seul sujet de la déposition du témoin de Loblaw, M. Blizzard.

[23]  J’estime que la preuve entourant la marque de Ventura a peu d’incidence sur le caractère distinctif de la marque nominale « PC ». Même si cette preuve était pertinente à la fois à l’égard de la demande reconventionnelle et de la demande principale (liée au caractère distinctif acquis de la marque de Loblaw, pour les besoins de l’analyse relative à la confusion), la preuve entourant la marque et les produits de Ventura a eu peu d’effet sur l’une ou l’autre analyse. Même si le succès global que Pampered Chef a remporté en l’espèce est un facteur qui joue en sa faveur, je suis d’avis que sa demande reconventionnelle infructueuse est aussi un facteur dont il faut tenir compte.

2)  L’importance de l’affaire

[24]  Pampered Chef soutient qu’il était des plus importants pour elle de se défendre avec succès à l’encontre de la demande, car Loblaw cherchait à l’empêcher d’utiliser deux de ses marques les plus importantes, qui se situaient au cœur de son initiative de remodelage de l’image de marque. Je souscris à cette description et je signale, en me fondant sur la preuve déposée au procès, que les marques sur lesquelles reposaient les demandes de Loblaw sont manifestement très importantes pour elle aussi. La présente affaire était importante pour les deux parties.

3)  L’aspect averti des parties

[25]  Bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur expressément énoncé au paragraphe 400(3) des Règles, j’ai noté précédemment qu’il s’agit d’un facteur qui favorise une adjudication de dépens sous forme globale, conformément à la jurisprudence applicable.

4)  La complexité des questions en litige / la conduite d’une partie

[26]  Pampered Chef soutient que la présente action a nécessité le déploiement d’efforts considérables pour faire instruire l’affaire dans ce qu’elle qualifie de [traduction] « temps record ». L’instance s’est étalée sur une période de 16 mois et, comme l’a fait valoir Pampered Chef, elle a comporté 3 600 documents produits par Loblaw, deux à trois séries d’interrogatoires préalables menés par plusieurs parties, plusieurs requêtes préalables ainsi que l’obligation, dans le cas de Pampered Chef, de répondre à deux rapports d’experts établis pour le compte de Loblaw. L’instruction a duré sept jours.

[27]  Pampered Chef fait également référence à une conduite de la part de Loblaw qui a exacerbé les efforts et les frais qui se sont révélés nécessaires pour répondre à ses demandes. Loblaw a maintenu la totalité de ses demandes jusqu’au début de l’instruction, n’en abandonnant certaines d’entre elles et cessant de se fonder sur l’une de ses marques à l’instruction seulement. La demande de dommages‑intérêts punitifs n’a été abandonnée qu’au stade de la plaidoirie finale. En revanche, Loblaw fait valoir avec raison que, comme je l’ai reconnu dans ma décision quant au procès, les parties ont abordé l’introduction des éléments de preuve à l’instruction de manière très coopérative, au moyen d’un exposé conjoint des faits et du dépôt d’une bonne part de la preuve documentaire sur consentement, et la preuve principale de certains témoins a été présentée par voie d’affidavits.

[28]  Mon évaluation est la suivante : même si Pampered Chef était tenue de répondre à une série de causes d’action et d’arguments connexes, dont certains ont été abandonnés à l’instruction, la conduite générale des parties à la présente affaire constitue un exemple de collaboration entre parties. Les questions en litige présentaient bel et bien un certain degré de complexité, mais je souscris à la position de Loblaw selon laquelle ces questions n’atteignent pas le degré de complexité que présentaient certains des précédents invoqués dans lesquels il était approprié d’adjuger les dépens à des niveaux supérieurs de la fourchette comprise entre 25 % à 50 %.

5)  Autres questions pertinentes

[29]  Pampered Chef signale, à titre d’autre question pertinente son calcul des dépens (exclusion faite des débours) qu’elle pourrait réclamer en appliquant soit le milieu de la colonne III, soit le haut de la colonne IV du tarif B des Règles. Ces calculs sont, respectivement, de 188 649,39 $ et de 406 230 $, lesquels représentent 9,5 % et 20,5 % des honoraires d’avocat qu’elle a réellement engagés. Pampered Chef soutient que ces chiffres seraient un reflet insuffisant des dépens réellement engagés dans le cadre du présent litige.

[30]  J’ai également pris en compte le point de vue de Loblaw selon lequel, contrairement à certain des précédents invoqués par Pampered Chef, il n’y a en l’espèce aucune indication d’offres de règlement qui militeraient en faveur d’une adjudication de dépens supérieure au sein de la fourchette applicable.

6)  La conclusion sur le pourcentage approprié

[31]  Compte tenu de tout ce qui précède, dont la demande reconventionnelle infructueuse, je conclus que les circonstances de l’espèce étayent une adjudication de dépens sous forme globale dans la fourchette comprise entre 25 % et 50 % que préconise Pampered Chef, mais au bas de cette dernière. Mon adjudication sera fondée sur un pourcentage d’environ 25 % des honoraires d’avocat réels qui ont été raisonnablement engagés. Voyons maintenant la question qu’ont soulevée les parties dans leurs observations, soit le fait de savoir si la totalité des honoraires d’avocat engagés par Pampered Chef sont raisonnables.

C.  Le caractère raisonnable des honoraires d’avocat

[32]  Loblaw soutient que les honoraires d’avocat de Pampered Chef sont excessifs. Premièrement, elle estime que les honoraires facturés par l’un de ses avocats principaux devraient être supprimés du calcul. Elle signale que cet avocat n’est intervenu dans la présente affaire qu’immédiatement avant l’instruction. Les honoraires applicables à son temps s’élèvent à 122 765,50 $. Deuxièmement, elle fait valoir que les honoraires de deux subalternes n’ayant pas comparu à l’instruction ou aux interrogatoires préalables devraient être retirés eux aussi. Ces honoraires totalisent la somme de 103 978,50 $.

[33]  À titre de décision à l’appui de la position qu’elle défend sur la question, Loblaw renvoie à la décision Johnson & Johnson Inc. c Boston Scientific Ltd., 2008 CF 817 [Johnson & Johnson], au paragraphe 14, où la juge Layden‑Stevenson a adjugé des dépens pour la présence à l’instruction d’un seul avocat principal et de deux avocats subalternes. Je ne pense pas que ce précédent soit particulièrement instructif pour ce qui est de savoir si les honoraires réels de Pampered Chef ont été raisonnablement engagés en l’espèce. Je signale que la décision Johnson & Johnson avait trait aux directives d’un officier taxateur quant à la manière de procéder à une taxation selon le tarif B, par opposition à un examen du caractère raisonnable des honoraires lors du calcul d’une adjudication de dépens sous forme globale. Qui plus est, la question que la Cour doit trancher consiste à savoir si, dans la présente affaire en particulier, la combinaison des avocats de Pampered Chef et leur profil d’ancienneté sont raisonnables.

[34]  Pampered Chef soutient que son avocat principal supplémentaire n’a été présent qu’au cours des trois premiers jours de l’instruction. Elle compare cette présence restreinte à l’équipe juridique de Loblaw qui était présente à l’instruction, soutenant que Loblaw a eu quatre avocats présents, dont deux principaux, pendant toute la durée de l’instruction. Pampered Chef soutient également que Loblaw a eu d’autres avocats présents lors de certains des interrogatoires préalables, signalant que le nombre total d’avocats supplémentaires qui ont aidé Loblaw pendant toute la durée de l’instance est inconnu. Pampered Chef fait état du rôle distinct qu’ont joué divers avocats dans le cadre d’interrogatoires et de contre‑interrogatoires particuliers et elle soutient que, compte tenu des délais serrés et de l’importance commerciale de l’instance, ces décisions relatives au nombre et à la qualité des avocats étaient raisonnables (voir Apotex Inc. c Egis Pharmaceuticals (1991), 37 CPR (3d), 335 à 337 (CJ Ont. (Div. gén.)).

[35]  Selon moi, rien ne permet de conclure que les décisions de Pampered Chef à cet égard étaient déraisonnables. Comme elle le fait observer, la Cour a peu de visibilité sur les efforts généraux que Loblaw a déployés sur le plan juridique, ou sur le coût qui en a résulté, avec lesquels faire une comparaison. Je trouve également convaincant que la présente affaire a été instruite (par les deux parties) de manière efficace et expéditive, ce qui m’incite moins à analyser à la loupe de quelle façon Pampered Chef a décidé de recourir à des ressources juridiques pour atteindre cet objectif.

[36]  L’application du chiffre de 25 % à l’intégralité des honoraires d’avocat réellement engagés de Pampered Chef, soit 1 983 854,50 $, donne un résultat de 495 963,63 $. En arrondissant légèrement cette somme, j’opte donc pour une adjudication de dépens sous forme globale de 500 000 $, avant de prendre en considération les débours.

D.  Les débours

[37]  Pampered Chef sollicite le montant de 203 487,11 $ à titre de décours, une somme dont des éléments importants sont liés aux honoraires que ses experts ont facturés.

[38]  Loblaw souhaite réduire les honoraires de 65 660,95 $ qui ont été facturés par le témoin expert de Pampered Chef, Mme Ruth Corbin, à 36 710,95 $. Elle invoque deux arguments. Premièrement, elle soutient que 40 % des heures facturées (ce qui équivaut à des honoraires de 19 740 $) ont été effectuées par un collègue de Mme Corbin, qui n’a ni témoigné ni participé à l’instruction. Elle signale que la Cour a rejeté les dépens relatifs à des experts qui n’avaient pas comparu comme témoins, mais qui avaient fourni une autre forme d’aide (voir Janssen‑Ortho Inc. c Novopharm Limited, 2006 CF 1333 [Janssen‑Ortho], au par. 25). Deuxièmement, elle fait remarquer qu’une part des honoraires de Mme Corbin, soit la somme de 9 210 $, a été engagée avant la production du rapport de l’expert de Loblaw, M. Chakrapani, auquel Mme Corbin répondait.

[39]  Pampered Chef rétorque qu’il était raisonnable de sa part de retenir les services de Mme Corbin au début de la présente instance, avant la réception du rapport de M. Chakrapani. Elle invoque la décision Eli Lilly Canada Inc. c Teva Canada Limited, 2013 CF 621, au paragraphe 4, où le juge Barnes a conclu qu’il était prudent de la part de la partie ayant eu gain de cause d’avoir retenu les services de témoins experts avant d’avoir reçu la preuve de la partie adverse dans cette instance en matière de MB(AC) car, en raison des délais serrés qui s’appliquent aux instances de cette nature, il est à prévoir que l’on commencera à travailler à l’avance avec des experts. Pampered Chef soutient que dans la présente affaire, où les parties ont géré l’instance en fonction de délais serrés, la logique est la même. Et cette logique, à mon avis, est convaincante.

[40]  Pour ce qui est des honoraires du collègue de Mme Corbin, Pampered Chef soutient qu’ils ont été raisonnablement engagés relativement à l’analyse des données de M. Chakrapani. Les services de Mme Corbin, de même que la préparation de son rapport et de son témoignage, sont liés à la réponse donnée au rapport de M. Chakrapani. Je ne considère pas qu’il soit déraisonnable que certains des travaux visant à appuyer le rôle de Mme Corbin aient été accomplis par son collègue. L’énoncé tiré de la décision Janssen‑Ortho sur lequel Loblaw se fonde est que les honoraires des experts qui ne comparaissent pas comme témoins, mais qui fournissent une aide sous une autre forme, doivent être assumés par la partie qui retient leurs services. Il ne ressort pas clairement de la décision, selon moi, que cet énoncé vise les honoraires destinés aux personnes qui travaillent avec le témoin expert et qui aident ce dernier à jouer son rôle.

[41]  Ensuite, Loblaw souhaite que l’on réduise les honoraires facturés par l’expert de Pampered Chef, M. Derek Hassay, de 50 %, les faisant passer à 11 900,98 $. Elle fait valoir qu’une part importante du rapport de M. Hassay a été consacrée à répondre à la preuve d’un expert de Loblaw, le professeur Wong, laquelle preuve répondait principalement à la demande reconventionnelle de Pampered Chef. Pour les mêmes raisons, Loblaw soutient qu’un montant de 15 445,72 $ pour [traduction] « enquêtes et dépositions à l’instruction » devraient être entièrement soustraits des débours, car aucun détail n’a été fourni sur ces honoraires. Loblaw est d’avis que, dans la mesure où ces honoraires versés à M. Hassay sont liés à la déposition du témoin de fait de Pampered Chef, M. Stephen, ils représentent une réponse à la preuve que Pampered Chef a produite au soutien de sa demande reconventionnelle infructueuse.

[42]  Pampered Chef est d’avis que les honoraires de M. Hassay sont raisonnables et nécessaires, car ils ont été engagés pour répondre à la fois à M. Chakrapani et au professeur Wong et pour fournir des preuves concernant les voies commerciales applicables. Je souscris à cette description du rôle de M. Hassay. Dans la décision que j’ai rendu sur le fond du litige, j’ai tenu compte de la preuve de M. Hassay sur le domaine de la vente directe, y compris la différence entre cette dernière et le marchandisage de masse et les différentes manières dont on se sert de sites Web. J’ai également signalé que, selon moi, la preuve du professeur Wong avait été introduite par Loblaw principalement à l’appui de sa demande fondée sur l’article 22, de façon à établir l’achalandage rattaché aux marques « PC ». Comme la demande fondée sur l’article 22 a été rejetée, et ce, pour des raisons non liées à l’obligation d’établir l’achalandage, il s’est révélé inutile que je prenne en considération les opinions du professeur Wong. Dans la mesure où la preuve de M. Hassay a été produite en réponse aux conclusions tirées dans le rapport du professeur Wong, je ne considère pas que cette preuve soit principalement liée à la demande reconventionnelle.

[43]  Il y a donc aucune raison selon moi de réduire les débours rattachés au travail de l’un ou l’autre des experts de Pampered Chef.

IV.  Conclusion

[44]  Dans le jugement qui suit, j’adjuge aux défenderesses en l’espèce le montant total de 703 487,11 $ à titre de dépens, soit la somme globale de 500 000 $ qui a déjà été fixée, plus des débours de 203 487,11 $.


JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE dans le dossier T‑548‑18

LA COUR ORDONNE que la demanderesse paye aux défenderesses les dépens afférents à la présente instance, soit la somme globale de 703 487,11 $.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de novembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑548‑18

INTITULÉ :

LOBLAWS INC., c COLUMBIA INSURANCE COMPANY, THE PAMPERED CHEF, LTD ET PAMPERED CHEF – CANADA CORP.

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

du 6 au 10 ET LES 16 ET 17 MAI 2019

JUGeMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 14 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Andrew Bernstein

Emily Sherkey

Stefan Case

Michelle Nelles

POUR LA DEMANDERESSE

Mark Evans

Mark Biernacki

Steven Garland

Graham Hood

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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